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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/890/2025

ATA/1249/2025 du 07.11.2025 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/890/2025-PRISON ATA/1249/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 novembre 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE FERMÉ CURABILIS intimé

_________



EN FAIT

A. a. A______ est détenu depuis le 4 septembre 2023 à l'Établissement pénitentiaire fermé Curabilis (ci-après : Curabilis), où il exécute une mesure institutionnelle en milieu fermé.

b. Le 17 janvier 2024, il a été sanctionné d'une amende ferme de CHF 50.- et d'un jour de cellule forte avec sursis pour possession de matériel interdit, car il détenait une clef USB contenant notamment des films pornographiques.

B. a. Le 13 mars 2025, une fouille générale des appareils multimédias des détenus de l'unité UM 2 a été ordonnée.

Lors de la fouille de la cellule d’A______, les agents de détention ont saisi un lecteur MP3 appartenant à ce dernier. En vérifiant son contenu, ils ont découvert qu'il contenait des films pornographiques non autorisés par l'établissement.

Entendu à ce sujet, A______ a déclaré que le lecteur MP3 appartenait à l'un de ses codétenus, qui le lui prêtait régulièrement pour se rendre à la salle de sport.

b. Le jour même à 15h15, A______ s'est vu notifier une sanction identique à celle du 17 janvier 2024, soit une amende ferme de CHF 50.- et un jour de cellule forte avec sursis, pour possession de matériel interdit.

C. a. Par acte posté le 14 mars 2025, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la sanction précitée, sans prendre de conclusions formelles.

Le lecteur MP3 en cause ne lui appartenait pas. C'était celui d'un codétenu à qui il l'empruntait régulièrement pour écouter de la musique lors de ses séances de sport. Il n'était en aucun cas au courant de l'existence des fichiers litigieux – qu'il n'était pas dans son intention de détenir, les sachant interdits.

b. Le 8 avril 2025, Curabilis a conclu au rejet du recours.

L'achat par les détenus de films pornographiques était admis, mais uniquement sur catalogue, la détention de trois d'entre eux au maximum en cellule étant autorisée. L'intéressé avait signé un contrat d'engagement à ce sujet et savait que la détention de films non autorisés était passible de sanctions disciplinaires.

Les détenus pouvaient aussi s'échanger des effets personnels, notamment des lecteurs MP3, mais ces échanges devaient être validés par le gardien principal de l'unité. En l'espèce, aucun échange de ce type n'avait été validé, tandis qu'un lecteur MP3 avait été répertorié dans les effets personnels du recourant et lui avait été remis le 17 mars 2024. Aucun élément ne permettait d'affirmer que le lecteur appartenait à un codétenu.

Le droit d'être entendu du recourant avait été respecté. La sanction reposait sur une base légale, poursuivait un intérêt public et était conforme au principe de la proportionnalité. À ce dernier égard, la sanction d'un jour de cellule forte avait été prise avec sursis, et la décision attaquée prenait en compte l'existence d'un antécédent de même type.

c. Le juge délégué a fixé aux parties un délai au 2 mai 2025 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 15 avril 2025, le recourant a indiqué qu'à son arrivée à Curabilis, il détenait un lecteur MP3 bleu ciel qu'il avait acheté à La Brenaz. Il avait tenté à plusieurs reprises de le récupérer auprès du greffe, mais il lui avait été répondu que seuls les lecteurs acquis auprès de leur propre cantine étaient autorisés.

Il n'avait jamais acheté de lecteur MP3 à Curabilis et n'en avait jamais possédé deux – le document « séjour – Affaires personnelles », émis par le greffe et qu'il joignait à son écriture, était erroné sur ce point. Il maintenait que le lecteur MP3 noir qui avait été saisi le 13 mars 2025 ne lui appartenait pas et que son propriétaire – qui n'avait pas voulu le reconnaître comme sien pour ne pas encourir de sanction disciplinaire – le lui prêtait régulièrement pour écouter de la musique en salle de sport. Il joignait également un formulaire dans lequel il avait demandé son lecteur MP3 bleu qui se trouvait en dépôt au greffe, avec la réponse manuscrite suivante : « Bonjour, ce n'est pas possible, les MP3 restent au dépôt. Vous pouvez en acheter à l'épicerie ».

e. Curabilis ne s'est pas manifesté.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Même s'il n'a pas pris de conclusions formelles, on comprend que le recourant conteste la sanction de CHF 50.- d'amende et d'un jour de cellule forte avec sursis prononcée le 13 mars 2025.

2.1 Le recours peut être formé : a) pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation ; b) pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 LPA).

2.2 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

2.3 Selon l'art. 67 du règlement de l'établissement de Curabilis du 19 mars 2014 (RCurabilis - F 1 50.15), la personne détenue a l’obligation de respecter les dispositions du RCurabilis, les directives du directeur général de l’office cantonal de la détention, du directeur de Curabilis, du personnel pénitentiaire ainsi que les instructions du personnel médico‑soignant.

À teneur de l’art. 69 al. 1 RCurabilis, sont en particulier interdits l’introduction, la sortie, l’acquisition, la transmission et la possession d’objets interdits tels que des armes, des documents, des appareils de communication ou de l’argent liquide (let. i) et, d’une façon générale, le fait d’adopter un comportement contraire au but de Curabilis (let. n).

2.4 Si une personne détenue enfreint le RCurabilis, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 70 al. 1 RCurabilis). Il est tenu compte de l’état de santé de la personne détenue au moment de l’infraction disciplinaire (art. 70 al. 2 RCurabilis).

Selon l’art. 70 al. 4 RCurabilis, les sanctions sont l’avertissement écrit (let. a), la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximale de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières (let. b.), l’amende jusqu’à CHF 1'000.- (let. c) et les arrêts (placement en cellule forte) pour une durée maximale de dix jours (let. d). Ces sanctions peuvent être cumulées (art. 70 al. 5 RCurabilis).

L’exécution de la sanction peut être prononcée avec un sursis ou un sursis partiel de six mois au maximum (art. 70 al. 6 RCurabilis). Le sursis à l'exécution peut être révoqué lorsque la personne détenue fait l'objet d'une nouvelle sanction durant le délai d'épreuve (art. 70 al. 7 RCurabilis).

2.5 Le directeur de Curabilis et son suppléant en son absence sont compétents pour prononcer les sanctions (art. 71 al. 1 RCurabilis). Le directeur de Curabilis peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l’art. 70 al. 4 RCurabilis à d’autres membres du personnel gradé de l’établissement, les modalités de la délégation étant prévues dans une directive interne (art. 71 al. 2 RCurabilis). La chambre administrative a jugé qu’une sanction prise par un agent pénitentiaire ayant le grade de sous-chef auquel le directeur de Curabilis avait délégué la tâche de statuer était valablement prononcée par une autorité compétente (ATA/1598/2019 du 29 octobre 2019 consid. 2d et la référence citée).

2.6 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATA/284/2020 précité consid. 4d et la référence citée).

En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limitant à l’excès ou l’abus de ce pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1153/2025 du 20 octobre 2025 consid. 2.5).

2.7 Selon l'art. 930 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), le possesseur d’une chose mobilière en est présumé propriétaire.

2.8 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s’en écarter (ATA/1157/2025 du 21 octobre 2025 consid. 6.7 ; ATA/822/2025 du 30 juillet 2025 consid. 3.5). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/1160/2025 du 20 octobre 2025 consid. 2.4 ; ATA/1046/2025 du 23 septembre 2025 et les arrêts cités).

2.9 En l'espèce, le principal grief du recourant porte sur l'établissement des faits, ceux retenus étant selon lui inexacts. Il n'était pas le propriétaire du lecteur MP3 litigieux et n'était pas au courant de ce qu'il contenait des films.

Il ne peut toutefois être suivi. Le lecteur en cause a été retrouvé dans sa cellule, soit dans sa sphère de possession, et il en est donc présumé propriétaire, ce d'autant plus que tout prêt de matériel doit être avalisé par le gardien chef d'unité et qu'aucun aval n'a été donné. Si les explications du recourant ont été constantes et ne sont certes pas invraisemblables, elles ne permettent pas, à défaut d'autre élément à même de les confirmer, de renverser la présomption susmentionnée. Or, en l'occurrence, le recourant n'a pas indiqué qui était le véritable propriétaire du lecteur et celui-ci ne s'est pas annoncé, ce qui interdit toute vérification de l'explication donnée aussi bien lors la fouille que dans l'acte de recours. Il n'a pas non plus produit d'attestation de l'épicerie de Curabilis qui confirme qu'il n'y a jamais acheté de lecteur MP3. Dans ces conditions, on doit retenir que le lecteur trouvé dans sa cellule lors de la fouille lui appartient.

La sanction disciplinaire infligée repose sur une base légale, à savoir les art. 69 al. 1 let. i et 70 al. 4 à 6 RCurabilis. Ces derniers poursuivent un intérêt public, à savoir le maintien de l'ordre en milieu carcéral par le biais d'un encadrement strict de la détention de matériel pornographique. Enfin, elle respecte le principe de la proportionnalité, le recourant ayant un antécédent du même genre en 2024 et la partie la plus incisive de la sanction, soit le jour d'arrêts, ayant été prononcé avec sursis.

Il découle de ce qui précède que le recours sera rejeté.

3.             La procédure étant gratuite, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 cum 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 mars 2025 par A______ contre la décision de l'Établissement pénitentiaire fermé Curabilis du 13 mars 2025 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à l'Établissement pénitentiaire fermé Curabilis.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. CROCI TORTI

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :