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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1235/2025

ATA/1192/2025 du 28.10.2025 ( SECUIN ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1235/2025-SECUIN ATA/1192/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 octobre 2025

2ème section

 

dans la cause

 

 

A______ recourant
représenté par Me Jean-Luc ADDOR, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé

 



EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1956 et domicilié à B______, était titulaire d’un permis de port d’armes valable jusqu’au 10 février 2019.

b. Le 10 novembre 2018, il a sollicité du service des armes, des explosifs et autorisations, devenu depuis lors la brigade des armes, de la sécurité privée et des explosifs (ci-après : BASPE), le renouvellement de son permis, indiquant comme motifs : « protection personnelle de mon atelier d’armurerie et protection lors de transferts d’armes et d’argent » et comme type de danger : « agression ».

c. Par décision du 27 novembre 2018, la BASPE a rejeté la demande.

A______ n’invoquait qu’un risque professionnel ordinaire. Il était certes patent qu’un danger potentiel découlait de son activité commerciale. De telles menaces inhérentes à sa profession ne pouvaient toutefois suffire à établir la vraisemblance et l’imminence d’un danger suffisamment concret.

Il avait comme moyens alternatifs, adaptés à ses besoins professionnels, de mandater une entreprise de sécurité pour procéder au transport de valeurs ainsi que l’emploi de mallettes spéciales munies d’un système antivol. Un spray au poivre pouvait constituer une parade efficace contre une éventuelle agression. Contrairement à lui, un agent de sécurité était au bénéfice d’une autorisation d’exercer et suivait chaque année des formations et des entraînements adéquats.

Son atelier était particulièrement isolé, au dernier étage de son immeuble, qu’il était seul à occuper. Le fait qu’il transportait souvent de nombreuses armes entre ses différents locaux ou lors d’achats chez des particuliers ou de ventes aux enchères ou encore qu’il transportait des sommes d’argent importantes ne constituait pas un danger tangible. Aucun signalement ou plainte de cambriolage ou d’agression, ni même de tentative de ces infractions à son détriment n’avait été retrouvé.

Le risque concret allégué n’était pas supérieur à la mesure normalement admissible.

B. a. Le 14 janvier 2019, A______ a recouru contre cette décision auprès du département des institutions et du numérique (ci-après : le département).

Son permis lui avait été octroyé la fois précédente le 11 février 2014, pour des motifs qui n’avaient pas varié, soit son activité d’armurier, l’isolement de son armurerie au dernier étage, qu’il occupait seul, d’un immeuble à B______, son statut d’associé d’une seconde armurerie avec des locaux à C______ et D______ et les transports d’armes et de sommes importantes.

La BASPE aurait dû se limiter à examiner si les conditions qui avaient présidé à l’octroi avaient changé et s’il avait trahi la confiance placée en lui.

Il avait été gendarme jusqu’à sa retraite et avait notamment travaillé six ans à la BASPE. Il avait été nommé par le Conseil d’État vaudois le 7 février 2000 expert officiel au sein de la commission E______. Outre la formation reçue au sein de la police genevoise, il avait suivi des formations de moniteur de tir à 50 et 300 m. Il était directeur de cours de jeunes tireurs, instructeur à l’école suisse du pistolet, moniteur et instructeur de tir et tireur d’élite à la police cantonale genevoise, membre de la F______, de la G______ et de H______ et associé-gérant de la I______. Il présentait un profil répondant à toutes les garanties de formation et de professionnalisme, supérieures à celles que possédaient la majorité des agents de sécurité titulaires d’un permis de port d’armes. L’absence de formation continue et d’entraînement invoquée était étonnante.

Une insécurité objective était liée à son activité particulière. Il exploitait trois armureries. L’absence de tentative de cambriolage ou d’agression à son encontre n’était pas déterminante. Genève était proche de la France, en particulier d’Annemasse, de Grenoble et de la banlieue de Lyon, dont la « pègre » venait trop souvent sévir en Suisse et en particulier à Genève. Si les malfaiteurs apprenaient que les armuriers n’étaient plus détenteurs de permis de port d’arme, ils s’approvisionneraient dans les armureries genevoises.

b. Le 6 février 2019, le département a octroyé l’effet suspensif au recours.

c. Le 15 mars 2019, la BASPE a conclu au rejet du recours.

d. Le 1er juillet 2019, A______ a persisté dans ses conclusions et son argumentation.

e. Par décision du 5 mars 2025, le département a rejeté le recours.

Il était « assurément patent qu’un danger potentiel » découlait de l’activité commerciale de A______, mais de telles menaces inhérentes à sa profession ne pouvaient suffire à établir la vraisemblance et l’imminence d’un danger suffisamment concret pour justifier l’octroi d’un permis de port d’armes. Ses activités ne l’exposaient pas à un danger tangible. Le risque de subir un « braquage » n’était pas supérieur à celui couru par tout autre commerçant détenant ou vendant des armes.

Même si un danger tangible était rendu vraisemblable, il ne serait pas certain que le port d’une arme lors de ses déplacements lui conférerait une sécurité supplémentaire. Le stress causé par une agression conduisait notoirement à des excès de légitime défense. Des études avaient montré qu’armer les commerçants incitait les malfaiteurs à s’armer, et engendrait une escalade de la violence. C’était en vain qu’il déduisait de ses compétences qu’il ne constituait aucun risque pour la sécurité publique.

Une réflexion juridique approfondie, au terme de laquelle l’octroi d’un permis de port d’armes était soumis à des conditions strictes posées par la loi et la jurisprudence, avait conduit à un changement de pratique de la BASPE, lequel reposait sur des motifs sérieux et objectifs. L’intention du législateur fédéral était désormais tout à fait prise en compte, tout comme la prédominance de l’intérêt public et de la sécurité. Le changement de pratique n’était pas inadmissible. Refuser de renouveler un permis ne correspondait pas à une révocation.

C. a. Par acte remis à la poste le 7 avril 2025, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre cette décision, concluant à la prolongation du permis de port d’armes pour la durée « que dira[it] la Cour de Justice ». À titre préalable, la validité de son permis devait être prolongée jusqu’à droit connu sur le recours et la production du dossier du département ainsi que de son dossier personnel de police devait être ordonnée.

La décision violait la loi et le principe de la bonne foi.

La BASPE avait traité la demande de renouvellement comme une demande initiale. Sa décision devait être qualifiée de refus de renouvellement, lequel s’apparentait concrètement à une forme de retrait du permis existant, prolongé durant plus de six ans par l’effet des mesures provisionnelles ordonnées le 6 février 2019.

Le département aurait dû se limiter à examiner si les conditions prévalant le 11 février 2014 avaient changé et s’il avait trahi la confiance placée en lui. La réponse à ces deux questions était négative, comme l’établirait la production de son dossier personnel de police.

Il présentait un profil répondant à toutes les garanties de formation et de professionnalisme et ne présentait aucun risque pour la sécurité publique.

Un caractère dissuasif, bénéfique pour lui-même mais aussi pour la sécurité publique, devait être attribué au fait pour un armurier sur le territoire genevois de disposer d’un permis de port d’arme. La Suisse avait connu en 2020‑2021 une vague de « braquages » d’armureries dus à la criminalité transfrontalière. Si les malfaiteurs devaient apprendre que les armuriers genevois ne pouvaient plus disposer de permis de port d’arme, ils seraient tentés de venir s’approvisionner chez eux sans risques. Un armurier armé était parvenu à mettre ses agresseurs en fuite à Wallbach en Argovie. L’immense majorité des armureries en Suisse étaient librement accessibles au public.

La décision attaquée n’indiquait pas en quoi les éléments inchangés depuis le 11 février 2014 ne pouvaient plus être considérés comme constitutifs d’un danger plausible.

Par une interprétation excessivement formaliste de la clause du besoin, la pratique de la BASPE revenait à réserver de fait, extra legem sinon contra legem, le port d’armes à feu à des personnels des forces étatiques et de sécurité. Contrairement au bon sens, le département semblait considérer qu’une entreprise de sécurité était plus fiable qu’un armurier expérimenté. En poussant le raisonnement jusqu’au bout, on pouvait se demander jusqu’à quand les policiers genevois seraient encore armés. Il était temps que cette interprétation abusive de la loi, contraire aux exigences de la sécurité publique, prenne fin.

Quelques semaines auparavant, la police genevoise l’avait averti qu’une bande organisée projetait de cambrioler son atelier.

Par son inaction durant plus de six ans, le département avait accepté de prolonger son autorisation par actes concluants. Avec sa décision, il était brusquement et sans le moindre motif concret ni même compréhensible revenu sur ce qu’il avait si longtemps toléré, ce qui constituait une violation crasse du principe de la bonne foi,

b. Le 6 juin 2025, le département a conclu au rejet du recours.

Tous les arguments du recourant avaient été pris en compte. Le recourant reprochait au département d’avoir correctement appliqué un article de loi selon une jurisprudence qu’il désapprouvait politiquement.

La question n’était pas les qualités personnelles du recourant, qui n’étaient pas en cause, mais l’évaluation de l’existence d’un risque spécifique, voire d’une très forte probabilité, d’être exposé à une situation de danger. La probabilité de cette survenance était supérieure lorsque la personne exerçait un métier dans le domaine de la sécurité avec pour but de protéger des personnes et des biens contre des dangers concrets d’agression. Il était entendu qu’un armurier qui vendait des armes pouvait susciter la convoitise, mais tel était le cas de nombreuses activités professionnelles. La clause du besoin n’empêchait pas une personne d’obtenir un permis si elle ne travaillait pas dans la sécurité. Il lui fallait simplement rendre plausible l’existence d’un danger tangible, ce que le recourant avait échoué à faire.

Le permis d’acquisition n’exigeait pas l’existence d’un danger tangible et permettait de se protéger contre les agressions perpétrées dans son commerce. Cette précision nuançait le tableau dantesque brossé par le recourant, où le département abandonnerait cyniquement les commerçant d’armes sans défense aux attaques d’une horde étrangère armée jusqu’aux dents.

Le département regrettait le temps pris pour la décision, mais celui-ci n’avait nullement prétérité la situation du recourant.

c. Le 21 juillet 2025, le recourant a persisté dans ses conclusions et dans son argumentation.

Le département ne disait rien de l’avertissement qu’il avait récemment reçu de la police. Il n’y avait rien de politique dans son argumentation.

d. Le 22 juillet 2025, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige a pour objet le refus de renouveler l’autorisation de port d’arme du recourant.

2.1 La loi fédérale sur les armes, les accessoires d’armes et les munitions du 20 juin 1997 (LArm - RS 514.54) a pour but de lutter contre l’utilisation abusive d’armes, d’éléments essentiels d’armes, de composants d’armes spécialement conçus, d’accessoires d’armes, de munitions et d’éléments de munitions (art. 1 al. 1). Elle régit l’acquisition, l’introduction sur le territoire suisse, l’exportation, la conservation, la possession, le port, le transport, le courtage, la fabrication et le commerce (a) d’armes, d’éléments essentiels d’armes, de composants d’armes spécialement conçus et d’accessoires d’armes et (b) de munitions et d’éléments de munitions (art. 1 al. 2). Elle a également pour but de prévenir le port abusif d’objets dangereux (art. 1 al. 3).

2.2 Selon l’art. 27 LArm, toute personne qui porte une arme dans un lieu accessible au public ou qui transporte une arme doit être titulaire d’un permis de port d’armes. Le titulaire de ce permis doit le conserver sur lui et le présenter sur demande aux organes de la police ou des douanes. L’art. 28 al. 1 est réservé (al. 1). Un permis de port d’armes est délivré à toute personne qui remplit les conditions suivantes : (a) elle ne peut se voir opposer aucun des motifs visés à l’art. 8 al. 2  LArm ; (b) elle établit de façon plausible qu’elle a besoin d’une arme pour se protéger ou pour protéger des tiers ou des choses contre un danger tangible ; (c) elle a passé un examen attestant qu’elle est capable de manier une arme et qu’elle connaît les dispositions légales en matière d’utilisation d’armes ; le Département fédéral de justice et police édicte un règlement d’examen (al. 2). Le permis de port d’armes est délivré par l’autorité compétente du canton de domicile pour un type d’arme déterminé et pour une durée de cinq ans au maximum. Il est valable dans toute la Suisse et peut être assorti de charges. Les personnes domiciliées à l’étranger doivent se le procurer auprès de l’autorité compétente du canton par lequel elles comptent entrer en Suisse (al. 3).

2.3 Selon la jurisprudence, le texte de l'art. 27 al. 2 let. b LArm est clair : seules les personnes rendant vraisemblable le besoin d'une arme pour se protéger ou protéger des tiers ou des choses contre un danger tangible peuvent être mises au bénéfice d'un port d'armes. Cette disposition consacre le principe de la clause du besoin, que connaissait la réglementation de douze cantons avant l'adoption de la loi. Son introduction dans la législation fédérale a certes fait l'objet de certaines réticences lors des débats parlementaires (voir BOCE 1996, p. 521 à 524 et BOCN 1997, p. 42 à 50). Elle a néanmoins été approuvée par le législateur, qui a adopté le texte de l'art. 27 al. 2 let. b LArm dans la version élaborée par le Conseil fédéral, sans y apporter de modification (arrêt du Tribunal fédéral 2A.407/2000 du 11 décembre 2000 consid. 2b).

2.4 Le danger tangible a été admis en 2000 pour un bijoutier appelé à se déplacer à tout moment sans pouvoir planifier de convoyage ni de protection (arrêt du Tribunal administratif genevois du 23 mai 2000 dans la cause A/949/1999).

Il a été nié pour une personne en fauteuil roulant transportant des fonds (arrêt du Tribunal administratif du canton de Saint-Gall B_2017/46 du 2 mars 2018) ; un gérant de fortune offrant à ses clients le transport de valeurs (arrêt du Tribunal administratif du canton de Saint-Gall B_2015/293 du 30 mai 2017) ; l’exploitant d’un centre de dépannage-accidents situé en périphérie travaillant souvent de nuit (arrêt du Tribunal administratif du canton de Vaud GE.2011.0029 du 19 juillet 2011) ; le propriétaire d’un commerce familial d’horlogerie et de bijouterie avec une grande valeur en stock et se déplaçant souvent avec de la marchandise ou des espèces (arrêt du Tribunal administratif du canton de Vaud GE.2010.01710 du 30 mai 2011) ; l’exploitant d’un bowling appelé à transporter de grandes sommes d’argent (arrêt du Tribunal administratif du canton de Vaud GE.1999.0119 du 19 décembre 2002) ; un chocolatier propriétaire d’un établissement public au centre-ville de Genève (arrêt du Tribunal fédéral 2A.407/2000 précité) ; le propriétaire d’une villa et d’une entreprise industrielle avec alarme incendie et alarme effraction premier en place en cas d’alarme nocturne victime dix mois auparavant d’un vol avec effraction (arrêt du Tribunal administratif du canton de Vaud GE.1999.0120 du 22 juin 2000) ; l’exploitant d’un garage et commerce de voitures transportant souvent de grosses sommes d’argent (arrêt du Tribunal administratif du canton de Vaud GE.1999.0122 du 22 septembre 2000) ; un commerçant transportant souvent des métaux précieux (arrêt du Tribunal administratif du canton de Vaud GE.1999.0118 du 28 septembre 2000).

Le Tribunal fédéral a jugé en 2001 qu’un armurier schwytzois n’avait pas besoin d’autorisation de port d’armes dans ses propres locaux, de sorte que le degré de risque d’une attaque contre son commerce d’armes était sans pertinence (arrêt du Tribunal fédéral 2A.411/2000 du 22 mars 2001 consid. 3c/aa). Le risque pour lui d’être contraint sous la menace d’une arme d’ouvrir ses locaux pouvait tout aussi bien toucher une personne souhaitant retirer de l’argent à un distributeur. Il ne fournissait pas d’informations précises sur les livraisons d’armes et de munitions qu’il alléguait devoir faire depuis son entrepôt à l’aéroport de Zurich et échouait ainsi à prouver le besoin d’une arme (ibid., consid. 2c/bb).

2.5 Aux termes de l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'État et les particuliers doivent agir conformément aux règles de la bonne foi. Cela implique notamment qu'ils s'abstiennent d'adopter un comportement contradictoire ou abusif (ATF 136 I 254 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_145/2019 du 3 juin 2020 consid. 6.3.2). De ce principe découle notamment le droit de toute personne à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l'État, consacré à l'art. 9 in fine Cst. (ATF 138 I 49 consid. 8.3.1). Le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de celles-ci. Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronés de l'administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que l'autorité soit intervenue dans une situation concrète à l'égard de personnes déterminées, qu'elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et que l'administré n'ait pas pu se rendre compte immédiatement de l'inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore qu'il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice, que la réglementation n'ait pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée et que l'intérêt à l'application correcte du droit n'apparaisse pas prépondérant (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_41/2024 du 9 décembre 2024 consid. 4.1).

2.6 En l’espèce, l’intimé a estimé que le recourant n’avait pas établi de manière plausible un danger tangible lié à son activité d’armurier, soit un danger réel et effectif établi par une appréciation objective. Sa décision, fondée sur la jurisprudence rappelée plus haut, n’appelle aucune critique.

Le recourant fait valoir la convoitise que pourraient susciter pour des malfaiteurs les armes qu’il détient.

C’est à bon droit que l’intimé lui a objecté qu’il n’avait pas besoin de permis de port d’armes pour détenir dans ses locaux fermés au public une arme à feu.

Pour le surplus, le danger potentiel découlant de la profession d’armurier n’atteint effectivement pas le degré de danger tangible exigé par la loi, et il n’est pas non plus supérieur à celui auquel s’exposent d’autres professions, telles bijoutier, joaillier, horloger et commerçant appelé à transporter des fonds importants, soit autant de situations dans lesquelles la jurisprudence refuse systématiquement l’octroi du permis de port d’arme.

Le recourant évoque, certes, la criminalité transfrontalière, pour laquelle le refus du permis de port d’arme transformerait les armureries en autant de « libres services » dans lesquels les malfaiteurs seraient tentés de venir s’approvisionner sans risques. Il ne soutient toutefois pas que le refus systématique depuis au moins deux décennies de permis de port d’arme aux bijoutiers, joailliers et commerçants transportant des fonds aurait produit un tel effet d’aubaine. Il ne rend pas non plus vraisemblable que la commission de brigandages serait dépourvue de risques pour les auteurs, étant rappelé qu’il est notoire que la police arrête et les tribunaux condamnent régulièrement les auteurs de brigandages.

Ni l’homicide d’un armurier genevois, déjà ancien, ni la récente « vague de braquages » d’armureries en Romandie que le recourant invoque – dont il ne soutient d’ailleurs pas qu’elles s’écarteraient de la statistique générale des brigandages, soit y compris contre d’autres commerces – ni l’avertissement qu’il dit avoir reçu récemment de la police genevoise ne sont de nature à avérer un danger tangible au degré exigé par la loi.

Le recourant fait valoir l’effet dissuasif que le port d’une arme exercerait sur d’éventuels malfaiteurs. Non sans raison, l’intimé nuance celui-ci en rappelant le mécanisme d’escalade de la violence que peut provoquer l’armement des commerçants.

Le recourant se prévaut enfin de ses compétences professionnelles et techniques, qui le placeraient au moins au niveau des agents de sécurité disposant de permis de port d’armes. Comme le rappelle l’intimé, ces qualités, exigées sous l’angle de l’art. 27 al. 2 let c LArm, ne sont pas en cause, pas plus que le fait qu’il n’a jamais trahi la confiance placée en lui. Toutefois, ces circonstances ne sont pas pertinentes dans le cas d’espèce et la comparaison avec les agents de sécurité ne lui est d’aucun secours, dès lors que, sous l’angle du danger tangible posé comme condition à l’art. 27 al. 2 let. b LArm, ceux-ci sont occupés en permanence, personnellement et de façon visible, à défendre les biens et les personnes contre des menaces constantes, ce qui différencie suffisamment leur situation de la sienne.

Le recourant se plaint enfin de la violation du principe de la bonne foi. Le département devrait selon lui être réputé avoir accepté de prolonger son permis de port d’armes.

Le département, qui a octroyé l’effet suspensif à son recours – recte : des mesures provisionnelles – le 6 février 2019, a effectivement accepté le maintien jusqu’à ce jour de son permis de port d’armes. Cette mesure a toutefois été prise dans le cadre de l’instruction de son recours. Cette instruction a certes duré. Le département l’a regretté et l’on comprend de ses explications qu’il lui a fallu du temps pour examiner et approuver l’adaptation de la pratique de la BASPE à la jurisprudence rendue en application de la LArm.

Cela étant, rien ne permettait au recourant de déduire de l’attitude de l’intimé que son permis de port d’armes serait prolongé, ce d’autant moins qu’il n’ignorait pas que les permis sont délivrés pour une durée limitée de cinq ans au plus selon l’art. 27 al. 3 in initio LArm.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

3.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 avril 2025 par A______ contre la décision du département des institutions et du numérique du 5 mars 2025 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Luc ADDOR, avocat du recourant, ainsi qu'au département des institutions et du numérique.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :