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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3886/2024

ATA/475/2025 du 29.04.2025 ( PATIEN ) , REJETE

Descripteurs : PESÉE DES INTÉRÊTS;PROPORTIONNALITÉ
Normes : CP.321; LS.86
Résumé : Recours d’un médecin contre la levée de son secret professionnel, qu’il avait lui-même demandée pour donner suite à la requête de la commission de surveillance des professionnels de la santé et des droits des patients. Cette dernière, à la suite d’un précédent arrêt de la chambre administrative de la Cour de justice, était appelée à examiner concrètement, pour chaque patient polytoxicomane concerné, le respect de obligations du recourant régissant les prescriptions « off-label » de Dormicum et des procédures d’autorisation et d’annonce prévues par la LStup. La levée du secret professionnel visait ainsi à préserver : les intérêts du médecin, amené à défendre la conformité de sa pratique à ses devoirs ; la santé des nombreux autres patients toxicodépendants, compte tenu de la nature du Dormicum et de l’important dépassement de sa posologie ; la collectivité, au vu du risque de revente de Dormicum par l’un des patients. Ces intérêts privés et publics, pris en considération dans leur ensemble, prenaient le pas sur l’intérêt du patient et de la collectivité à la préservation du secret professionnel. La transmission du dossier médical du patient à la commission de surveillance de la santé et des droits des patients apparaissait au surplus adéquate et nécessaire. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3886/2024-PATIEN ATA/475/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 avril 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

COMMISSION DU SECRET PROFESSIONNEL

B______ intimés



EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1953, spécialiste FMH en médecine interne générale, est autorisé à exercer la profession de médecin dans le canton de Genève depuis le ______ 1986.

b. Sa patientèle comprend des toxicodépendants au bénéfice d’un traitement agoniste opioïde de substitution.

Il prescrit également à cette catégorie de patients du Dormicum, dont le principe actif est le midazolam, soit une benzodiazépine. Ce médicament est indiqué comme traitement à court terme des troubles du sommeil et il est aussi utilisé comme sédation dans le cadre de la prémédication lors d’une intervention chirurgicale ou diagnostique. Il exerce une action sédative et hypno-inductrice très rapide ainsi qu’un effet anxiolytique, anticonvulsant et myorelaxant. Sa posologie usuelle chez l’adulte est de 7,5 à 15 mg par jour.

A______ le prescrit toutefois à ses patients toxicodépendants dans des quantités dépassant largement cette posologie (prescription « off-label » ou « hors étiquette »), dans le but de leur éviter des décompensations anxieuses, de les apaiser, de leur permettre de contrôler leurs émotions et de ne pas être submergés par les souvenirs de leurs vécus traumatiques.

c. Cette pratique a été dénoncée à la commission de surveillance des professionnels de la santé et des droits des patients (ci-après : la commission de surveillance) par des professionnels et institutions de la santé.

La commission de surveillance a ouvert plusieurs procédures, relatives à chaque patient concerné (ci-après : les patients), à l’issue desquelles elle a transmis un préavis au département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : le département).

La procédure n° 1______ concernait B______, né le ______ 1966, dont la consommation excessive de Dormicum, selon les explications du médecin, a été dénoncée par les Hôpitaux universitaires genevois (HUG).

d. Par arrêté du 22 novembre 2021, le département a retiré le droit de pratiquer à A______ et lui a fait interdiction avec effet immédiat de traiter des personnes dépendantes au moyen de substances soumises à contrôle telles que définies par la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121), ainsi que de prescrire des benzodiazépines ou des substances apparentées de courte durée d’action (ex. : midazolam, triazolam, zolpidem).

e. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cet arrêté, concluant au constat de sa nullité partielle et à son annulation.

L’effet suspensif a été restitué au recours.

f. Par arrêt du 21 mars 2023, la chambre administrative a annulé l’arrêté querellé et renvoyé la cause au département pour nouvelle décision.

Il n’existait pas de consensus tendant à interdire la prescription de benzodiazépines à courte durée d’action dans tous les cas de patients souffrant de toxicodépendance. Il semblait au contraire que dans certaines situations bien définies, une prescription de Dormicum pouvait être justifiée, même durant une période prolongée et avec une posologie importante. L’autorité ne pouvait en conséquence pas retenir une violation des devoirs professionnels du médecin sur la seule base des prescriptions en cause.

Elle aurait dû concrètement vérifier, dans chaque situation, le respect par A______ de ses obligations régissant les prescriptions « off-label » et les procédures d’autorisation et d’annonce prévues par la LStup. Elle aurait ainsi dû examiner si le médecin avait bien vu personnellement ses patients avant chaque prescription, procédé à une analyse des avantages et des inconvénients de sa prise en charge afin de servir au mieux leurs intérêts, si des passages à des benzodiazépines à demi-vie longue avaient été tentés en vain, si les patients avaient bien été informés des risques et inconvénients des prescriptions et des conséquences en cas d’abus de substances, et s’ils avaient préalablement donné leur consentement libre et éclairé.

B. a. Par courriers des 4 septembre et 30 novembre 2023, la commission de surveillance a requis de A______ de lui transmettre le dossier médical complet des patients, parmi lesquels celui concernant la procédure n° 1______.

b. Le 26 décembre 2023, le médecin a saisi la commission du secret professionnel (ci-après : la commission) d’une demande de levée de son secret professionnel concernant les patients.

Ces derniers refusaient de manière générale la levée du secret professionnel car ils avaient révélé au médecin les circonstances de leur traumatisme grâce à la relation privilégiée instaurée. Leur pathologie constituait un syndrome du trouble post-traumatique complexe, représentant une blessure particulièrement vive. Ils estimaient ne pas avoir été entendus par les autorités et étaient « épuisés » par la procédure visant le médecin. Ils la percevaient comme une humiliation, une discrimination et une injustice de plus, dans la forme d’un refus de soins indispensables et de la punition du médecin les leur prodiguant. L’intérêt de la commission de surveillance était abstrait, dans la mesure où les institutions de santé l’ayant dénoncé faisaient valoir un point de vue « doctrinal » sur la limitation de l’usage de benzodiazépines. L’intérêt d’un contrôle de sa pratique en l’absence de plaintes des patients était douteuse. Leur intérêt au maintien du secret professionnel était supérieur à celui de la commission de surveillance à accéder à tout leur dossier.

c. Dans le cadre de l’instruction de sa demande, A______ a transmis à la commission les dossiers informatiques médicaux des patients.

d. B______ a été informé de la demande de levée du secret professionnel et invité à se déterminer à son sujet. Il n’y a toutefois donné aucune suite.

Il n’a pas non plus déféré à la convocation de la commission à une audience en vue de son audition.

e. Entendu, le médecin a expliqué que ses patients étaient pour la plupart des consommateurs de rue. Au nombre approximatif de 70, ils s’inquiétaient de ce qui pourrait leur arriver s’ils n’avaient plus accès à leur traitement. La substitution appropriée était la prescription de Dormicum, qui était indispensable à sa patientèle dont l’instabilité était considérable. L’interruption du traitement était une torture et avait même conduit à un suicide. Les patients décidaient eux-mêmes des doses à prendre.

Il avait vu B______ pour la dernière fois un mois plus tôt. Le patient s’exprimait en sri lankais et langue des signes. Le médecin avait repris la posologie de Dormicum qui lui était précédemment prescrite.

f. Par décision du 7 novembre 2024, la commission a levé le secret professionnel du médecin dans la cause D1______ et l’a ainsi autorisé à transmettre à la commission de surveillance une copie complète du dossier médical de B______, en caviardant les éventuels éléments concernant les tiers.

En l’absence de détermination du patient, il existait un intérêt prépondérant à cette transmission, pour permettre à la commission de surveillance de faire la lumière sur la pratique médicale de A______. L’intérêt des patients, dont la santé était fragile et qui souffraient d’un trouble de la dépendance, justifiait la levée du secret professionnel, tout comme l’intérêt des entités publiques, lesquels avaient des obligations de contrôle et de surveillance en matière de santé publique et de LStup. Le principe de proportionnalité était respecté sous l’angle de l’aptitude et de la nécessité, et eu égard au caviardage requis.

C. a. Par acte posté le 21 novembre 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre cette décision, concluant à son annulation ou au renvoi de la cause à l’autorité pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

La motivation de la commission était vague. Elle ne comportait aucune analyse du dossier du patient ni des éléments pertinents à transmettre à la commission de surveillance pour examiner les conditions de la prescription « hors étiquette » ainsi que le respect du devoir d’annonce prévu par la LStup.

La transmission du dossier du patient porterait gravement préjudice à la relation thérapeutique, qui constituait un élément essentiel de la prise en charge médicale. Le patient souffrait d’un trouble de stress post-traumatique complexe résultant d’une extrême violence subie dans le cadre familial. L’établissement du lien thérapeutique avait nécessité un travail de plusieurs mois, voire de plusieurs années. L’absence d’opposition du patient devait être considérée comme un élément du diagnostic, soit comme une impossibilité de se rendre à l’audience au vu de la violence qu’elle représentait pour lui. Elle ne devait par contre pas être tenue pour de l’indifférence, voire une absence d’opposition, ce d’autant plus que l’attention du patient n’avait pas été attirée sur les conséquences du défaut d’opposition.

La commission n’avait pas procédé, sur la base d’un examen concret du dossier médical qui lui avait pourtant été remis dans son intégralité, à une pesée des intérêts en présence. Elle aurait dû mettre en balance l’apparente satisfaction du patient, résultant de l’absence de plainte, et l’intérêt de l’autorité à examiner une éventuelle faute du médecin ni précisément décrite ni juridiquement qualifiée, et de sanctionner ce dernier.

b. Bien qu’invité à se déterminer sur le recours, B______ n’a pas transmis d’observations à la chambre administrative.

c. La commission a conclu au rejet du recours.

La motivation de la décision querellée avait permis au recourant de comprendre les trois arguments principaux justifiant la levée du secret professionnel. Les décisions de la commission ne comportaient aucune information médicale afin de respecter la confidentialité due aux patients. Cela n’avait pas empêché l’autorité de procéder à un examen détaillé du dossier médical ainsi que des motifs ayant conduit à l’ouverture des procédures pendantes devant la commission de surveillance. Elle ne s’était pas penchée sur la qualification de la faute reprochée au médecin, ce point ne relevant pas de sa compétence.

L’absence d’opposition expresse à la transmission de son dossier par le patient, dont il n’était pas établi qu’il ne pouvait pas s’exprimer oralement ou par écrit, était un élément à prendre en considération dans un cas où, comme en l’espèce, les intérêts en présence étaient très équilibrés.

Aux termes de l’arrêt du 21 mars 2023, la commission de surveillance avait l’obligation d’examiner les dossiers médicaux des patients afin de déterminer si le médecin avait respecté les devoirs professionnels régissant les prescriptions « off-label ». Cela représentait un intérêt public à la levée du secret professionnel dépassant les intérêts du patient. Il existait également un intérêt public supplémentaire lié à la nécessité de protéger la santé et les droits de l’importante patientèle du recourant, fragile et particulièrement vulnérable.

d. Dans sa réplique, le recourant a relevé que la réponse de l’intimée ne palliait pas l’insuffisance de motivation de la décision querellée. L’autorité ne s’était prononcée que sur l’existence des buts légitimes visés, sans examiner en particulier la question de la proportionnalité sous l’angle de la subsidiarité. Elle avait mal interprété l’arrêt du 21 mars 2023 en partant du principe qu’il impliquait la transmission des dossiers complets des patients.

Il était douteux que toute faute puisse justifier la levée du secret professionnel et la sienne n’avait pas été établie par la chambre administrative. L’existence d’un dommage, pourtant également requise, n’avait pas non plus été établie.

Ni la sécurité publique, du ressort du médecin cantonal ou de l’office fédéral de la santé publique (OFSP), ni la sauvegarde des droits du patient, titulaire du droit au respect à la vie privée ainsi qu’aux soins, ne justifiaient la levée du secret professionnel. La sécurité publique fondait une telle mesure seulement dans le cadre de la lutte contre la transmission de maladies infectieuses.

Deux patients avaient consenti à la levée du secret professionnel, à la suite de quoi il avait immédiatement transmis leurs dossiers à la commission de surveillance, ce qui, sous l’angle de la proportionnalité, s’avérait, au moins à titre préalable, suffisant pour examiner le problème en cause.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ;  art. 12 al. 5 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 - LS - K 1 03).

2.             Le recourant reproche à l’intimée d’avoir insuffisamment motivé sa décision.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend l’obligation pour l’autorité de motiver sa décision, afin que l’intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et exercer son droit de recours à bon escient (ATF 142 I 135 consid. 2.1 ; 138 I 232 consid. 5.1). Pour satisfaire à ces exigences, il suffit que l’autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle a fondé son raisonnement. Elle ne doit pas se prononcer sur tous les moyens des parties, mais peut au contraire se limiter aux questions décisives (ATF 143 III 65 consid. 5.2 ; 142 II 154 consid. 4.2).

2.2 En l’espèce, les motifs sur lesquels s’est appuyée l’intimée pour lever le secret professionnel du recourant – soit l’absence de détermination du patient, la prépondérance de l’intérêt privé des autres patients et de l’intérêt public des autorités de surveillance, ainsi que le respect du principe de proportionnalité – résultent sans ambiguïté de la décision querellée. Le recourant n’a d’ailleurs eu aucune difficulté à les comprendre puis à les critiquer, de sorte que son droit d’être entendu a été respecté. Son grief à cet égard sera rejeté.

3.             Le recourant remet en cause la conformité au droit de la levée de son secret professionnel à l’égard de la commission de surveillance.

3.1 Aux termes de la loi sur la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 7 avril 2006 (LComPS - K 3 03), la commission de surveillance veille au respect des prescriptions légales régissant les professions de la santé et les institutions de santé visées par la loi sur la santé (art. 1).

La commission de surveillance est constituée d'un président ayant une formation juridique adéquate et de 19 membres titulaires (art. 3 al. 1 1ère phrase LComPS). D'office ou sur requête, elle instruit en vue d'un préavis ou d'une décision les cas de violation des dispositions de la loi sur la santé concernant les professionnels de la santé et les institutions de santé, ainsi que les cas de violation des droits des patients (art. 7 al. 1 let. a LComPS).

Conformément à l’art. 17 LComPS, dans les cas visés à l’art. 7 al. 1 let. a et b LComPS, en l'absence de médiation ou en cas d'échec de celle-ci, l'instruction du dossier est confiée à une sous-commission formée de deux membres au moins, soit un médecin et un membre n'appartenant pas aux professions de la santé (al. 1). La sous-commission réunit les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires (al. 2 1ère phrase). La sous-commission a le droit d'accéder au dossier médical du plaignant. Lorsqu’elle instruit d’office ou sur dénonciation, elle peut saisir un dossier médical si des faits graves sont allégués et qu’un intérêt public prépondérant le justifie (al. 3). Lorsque ses travaux sont terminés, elle remet ses conclusions à la commission plénière (al. 4).

L’art. 11 al. 1 de la loi sur les commissions officielles du 18 septembre 2009 (LCOf - A 2 20) soumet les commissaires au secret de fonction pour toutes les informations dont ils ont connaissance dans l’exercice de leur mandat.

3.2 Selon l'art. 321 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), les médecins qui auront révélé un secret à eux confié en vertu de leur profession ou dont ils avaient eu connaissance dans l'exercice de celle-ci, seront, sur plainte, punis d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (ch. 1 al. 1) ; la révélation ne sera pas punissable si elle a été faite avec le consentement de l'intéressé ou si, sur la proposition du détenteur du secret, l'autorité supérieure ou l'autorité de surveillance l'a autorisée par écrit (ch. 2) ; demeurent réservées les dispositions de la législation fédérale et cantonale statuant une obligation de renseigner une autorité ou de témoigner en justice (ch. 3).

La libération du secret médical par l’autorité est subsidiaire et entre en considération lorsque le consentement du patient ne peut être obtenu. L’art. 321 ch. 2 CP n’expose pas les critères à prendre en compte par l’autorité compétente pour accorder ou refuser son autorisation. Selon la jurisprudence, une pesée des biens juridiques et des intérêts en jeu doit être effectuée et la levée du secret ne peut être autorisée que lorsqu’elle est nécessaire à la protection d'intérêts privés ou publics prépondérants, respectivement lorsque les intérêts à la levée sont clairement prépondérants. Le secret professionnel médical constitue en lui-même un bien juridique important (ATF 147 I 354 consid. consid. 3.3.2). En particulier, le contenu du dossier, les intérêts du patient et les fautes potentiellement commises par le médecin seront pris en considération (ATF 148 II 465 consid. 8.7.3).

3.3 Aux termes de l'art. 86 LS, les professionnels de la santé et leurs auxiliaires sont tenus au secret professionnel, au sens de l'article 321 CP (al. 1) Ils peuvent en être déliés par le patient ou, s'il existe de justes motifs, par l'autorité supérieure de levée du secret professionnel (al. 2) ; sont réservées les dispositions légales concernant l'obligation de renseigner une autorité ou de témoigner en justice (al. 3).

Le Tribunal fédéral a laissé ouverte la question de savoir si l'obligation de respecter le secret médical est valable à l'égard de l'autorité compétente en matière disciplinaire, ou si le refus de coopération, qui empêche l'autorité compétente de mener à bien la tâche de surveillance indispensable pour assurer un fonctionnement correct de la profession, ainsi que pour protéger le public, ne constitue pas déjà en lui-même une violation du devoir professionnel consacré à l'art. 40 let. a de la loi fédérale sur les professions médicales universitaires du 23 juin 2006 (loi sur les professions médicales, LPMéd - RS 811.11 ; ATF 148 II 465 consid. 8.7.2).

3.4 La levée du secret médical procède toujours d’une pesée des intérêts. Dans cette opération, l’intérêt privé du patient au maintien du secret peut s’opposer à d’autres intérêts privés ou un intérêt public, par exemple l’aboutissement d’une poursuite pénale, le besoin de protéger le public contre un risque hétéro-agressif, la défense de personnes vulnérables comme les enfants ou l’intérêt collectif dans certains domaines où la santé publique peut être mise en danger. Mais cet intérêt privé concourt également avec un autre intérêt public, à savoir celui qui existe à ce que les patients ne soient pas dissuadés de se faire soigner en raison de l’absence de secret médical ou de son caractère chancelant. Selon la jurisprudence et la doctrine, les intérêts mis en balance avec celui au maintien du secret ne doivent pas être simplement de même importance, ou prévaloir de peu, mais bien être manifestement supérieurs à lui pour autoriser la levée. L’importance même du secret postule ainsi une approche restrictive de la faculté d’y porter atteinte, la démarche revêtant un caractère subsidiaire par rapport à d’autres moyens d’atteindre le but recherché par la libération du secret (ATA/82/2025 du 21 janvier 2025 consid. 3.3.5 et les références citées).

Le respect du secret médical trouve ses limites dans les principes généraux du droit administratif, notamment celui de la proportionnalité (ATA/510/2020 du 26 mai 2020 consid. 3c ; ATA/717/2014 du 9 septembre 2014 consid. 10c). Le secret ne peut être levé que lorsque des intérêts prépondérants le requièrent, qu’il s’agisse de ceux du maître du secret ou de ceux du détenteur de ce secret ou encore de l’intérêt de tiers. La levée du secret se justifie par exemple dans la mesure nécessaire pour permettre au professionnel de se défendre d'une accusation portée contre lui ou encore de faire valoir ses droits lorsqu’il est attaqué en justice par son client ; on peut aussi concevoir la levée du secret pour prévenir la commission d'une infraction (ATA/217/2025 du 4 mars 2025 consid. 4.2).

Les intérêts du patient ne peuvent pas constituer un « juste motif » de levée du secret, si ce dernier n'a pas expressément consenti à la levée du secret le concernant. La notion de justes motifs se réfère donc uniquement à l’existence d’un intérêt public prépondérant, tel que le besoin de protéger le public contre un risque hétéro‑agressif, ou à la présence d’un intérêt privé de tiers dont le besoin de protection serait prépondérant à celui en cause (ATA/675/2024 du 4 juin 2024 consid. 4.3).

L'intérêt à la recherche de la vérité matérielle ne constitue pas non plus, en soi, un intérêt prépondérant. C'est l'autorité compétente qui détermine dans quelle mesure et à qui les renseignements doivent être donnés. La levée du secret ne doit en principe être autorisée que dans la mesure où elle est nécessaire dans le cas concret, compte tenu de la sphère secrète du maître du secret (arrêts du Tribunal fédéral 2C_683/2022 du 4 janvier 2024 consid. 6.2.1 ; 2C_1049/2019 du 1er mai 2020 consid. 3.4 ; 2C_37/2018 du 15 août 2018 consid. 6.4.2).

3.5 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 al. 3 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

3.6 En l’espèce, la commission de surveillance a requis la transmission du dossier complet du patient dans le but, conformément à l’arrêt du 21 mars 2023, d’examiner concrètement le respect de obligations du recourant régissant les prescriptions « off-label » de Dormicum et des procédures d’autorisation et d’annonce prévues par la LStup. La commission de surveillance est en particulier appelée à vérifier si le recourant a vu personnellement le patient avant chaque prescription, s’il a procédé à une analyse des avantages et des inconvénients de sa prise en charge, si des passages à des benzodiazépines à demi-vie longue ont été tentés, si le recourant a bien informé le patient des risques et inconvénients des prescriptions et des conséquences en cas d’abus de substances, et si ce dernier a donné un consentement libre et éclairé à son traitement.

L’accès au dossier du patient doit ainsi permettre à la commission de surveillance d’instruire les points précités dont elle est saisie dans le cadre des procédures disciplinaires dirigées contre le recourant pour ses prescriptions « hors étiquette » de Dormicum à ses patients toxicodépendants.

Quoi qu’il en dise, la demande de levée de son secret professionnel qu’il a formée vise tout d’abord à préserver son intérêt. Il est, en effet, appelé à défendre la conformité de sa pratique avec ses devoirs professionnels, à réfuter une allégation de violation importante de ces devoirs, et ainsi à éviter une mesure disciplinaire, qui peut aller jusqu’au retrait du droit de pratiquer ainsi que l’illustre l’arrêté du département du 22 novembre 2021.

La demande du recourant vise également la défense des intérêts des autres patients toxicodépendants, à l’exclusion de l’intimé dont l’intérêt n’entre plus en ligne de compte dès lors qu’il n’a pas expressément consenti à la levée du secret professionnel. Ces patients sont en effet nombreux, soit environ 70 selon le recourant, auxquels pourraient s’ajouter de nouveaux toxicodépendants. Ils sont également particulièrement vulnérables au vu de leur polytoxicomanie de longue durée, certains étant déjà décédés depuis l’ouverture des procédures administratives contre le recourant. Il est dans leur intérêt, compte tenu de l’important dépassement de la posologie du Dormicum et de la nature de ce médicament considéré comme un stupéfiant, que l’autorité de surveillance vérifie que la pratique du recourant leur soit effectivement bénéfique et ne présente pas le risque d’aggraver leur état de santé déjà très fragile.

La demande de levée du secret professionnel vise enfin la protection de la collectivité. Comme constaté au consid. 9.3.2 de l’arrêt du 21 mars 2023, il n’est certes pas démontré que la pratique du recourant contribue concrètement à alimenter le marché noir de Dormicum. Le risque de revente par l’un des patients ne peut toutefois pas être exclu compte tenu des doses prescrites et de la proximité des précités avec ce marché. Il est donc également dans l’intérêt de la santé publique qu’un nombre inutilement élevé de comprimés de Dormicum ne soit pas prescrit aux patients, avec le risque qu’ils se retrouvent entre les mains de tiers auxquels les prescriptions ne sont pas destinées.

Ces intérêts privés et publics, pris en considération dans leur ensemble, prennent le pas sur l’intérêt du patient et de la collectivité à la préservation du secret professionnel. Cet intérêt-là est de surcroît atteint de manière restreinte compte tenu des bénéficiaires de la levée du secret professionnel. Le dossier du patient sera en effet adressé à la commission de surveillance et, dans le cadre de l’instruction des procédures dont cette autorité est saisie, il sera examiné par une sous-commission de deux personnes, dont un médecin. Les deux commissaires ne seront pas autorisés à user des informations y figurant dans une mesure dépassant les besoins de l’enquête et ils sont en outre soumis au secret de fonction, leur interdisant de divulguer le contenu du dossier médical à des tiers. Une fois leur travail d’investigation terminé, ils remettront leur rapport à la commission plénière. Contrairement aux craintes exprimées par le recourant, l’atteinte au secret professionnel n’apparaît ainsi objectivement pas propre à briser le lien de confiance tissé avec ses patients toxicodépendants.

3.7 La transmission du dossier médical du patient à la commission de surveillance apparaît au surplus adéquate et nécessaire. Elle est en effet apte à permettre à cette autorité de poursuivre son enquête sur les points soulevés par l’arrêt du 21 mars 2023 et on ne voit pas par quel autre moyen elle pourrait procéder à leur examen. Le recourant considère à tort que la commission de surveillance pourrait se satisfaire de l’examen des dossiers de deux patients qui ne se sont pas opposés à la levée du secret professionnel. L’arrêt du 21 mars 2023 l’oblige en effet à procéder à un examen individuel de chaque situation. Elle ne peut pas non plus uniquement se fonder sur les informations livrées par le médecin, partie à la procédure, ni sur le témoignage du patient, dont l’absence de qualification médicale et l’état de santé ne lui permettront pas de donner des indications complètes au sujet de son traitement. Il n’est au demeurant même pas certain qu’il puisse et accepte d’être entendu.

Le dossier médical du patient tel que remis à la commission du secret professionnel concerne pour l’essentiel la prise en charge de sa toxicodépendance, en particulier les prescriptions de Dormicum, de sorte qu’il se justifie d’en autoriser la transmission intégrale à l’autorité de surveillance. L’intimée a prévu à bon droit le caviardage des éventuels éléments concernant les tiers, dont la commission de surveillance n’a pas besoin de connaître de l’identité.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 300.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 novembre 2024 par A______ contre la décision du 7 novembre 2024 de la commission du secret professionnel ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 300.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______, à la commission du secret professionnel ainsi qu’à B______.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Karine STECK, Francine PAYOT ZEN‑RUFFINEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

 

le greffier-juriste :

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

F. KRAUSKOPF

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :