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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2520/2019

ATA/535/2020 du 29.05.2020 ( EXPLOI ) , REJETE

Recours TF déposé le 06.07.2020, rendu le 30.05.2022, ADMIS, 2C_575/2020
Recours TF déposé le 06.07.2020, 2C_575/2020
Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;MOTIVATION DE LA DÉCISION;ADMINISTRATION DES PREUVES;LOI FÉDÉRALE SUR LE SERVICE DE L'EMPLOI ET LA LOCATION DE SERVICES;PLACEMENT DE PERSONNEL;AUTORISATION D'EXERCER;NATURE JURIDIQUE;EMPLOYEUR;ENTREPRISE;SUCCURSALE;LOCAL PROFESSIONNEL
Normes : Cst.29.al2; LSE.12; OSE.26; OSE.27; OSE.29; CO.778A
Résumé : Confirmation de l’obligation, par la recourante, d’inscrire une succursale au registre du commerce de Genève et de présenter une demande d’autorisation de pratiquer la location de services en lien avec son activé, exercée dans ce canton, de livraison par coursiers par le biais d’une plateforme informatique. Rejet du recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2520/2019-EXPLOI ATA/535/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 mai 2020

 

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Rayan Houdrouge, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE L’EMPLOI
représenté par Me François Membrez, avocat



EN FAIT

1. A______ (ci-après : A______) est une société à responsabilité limitée inscrite depuis le 27 mars 2013 au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Zurich, dont le siège est à Zurich. Son but statutaire est, depuis fin 2017, notamment de fournir des services de marketing et de soutien à d’autres entreprises (apparentées) en relation avec des services liés aux services de transport à la demande et aux services de livraison à la demande par le biais d’appareils mobiles et de services de soutien sur internet et de services connexes (a), ainsi que de fournir des services de diffuseurs de courses dans le canton de Genève (c) et peut, pour ce faire, établir des succursales en Suisse et à l’étranger. Elle est entièrement détenue par B______., dont le siège est à Amsterdam, aux Pays-Bas, et qui en est également l’associée sans pouvoir de signature.

C______(ci-après : C______) est une société néerlandaise ayant son siège à Amsterdam et dont l’actionnaire unique est D______, laquelle a également son siège à Amsterdam. Selon l’extrait du RC néerlandais, C______ est active dans la détention de participations financières en tant que holding et d’autres activités liées aux technologies de l’information et aux services informatiques.

Ces sociétés font partie, avec d’autres entités, du groupe E______ (ci-après : E______), dont la maison-mère est F______ Inc., située à San Francisco, aux États-Unis.

Par ailleurs, E______ dispose de locaux à Genève, sis à la route de G______, à H______.

2. Entre fin 2018 et début 2019, des rencontres ont eu lieu entre les représentants d’E______ et l’office cantonal de l’emploi (ci-après : OCE) aux fins de déterminer si les activités déployées au moyen de la plateforme informatique « I______ » (ci-après : la plateforme ou l’application) relevaient de la location de services soumise à autorisation.

3. À cette occasion, E______ a remis différents documents à l’OCE, à savoir notamment :

- les conditions générales d’E______, en deux parties, comportant les « conditions liées au diffuseur de courses à Genève » (ci-après : CDC) selon lesquelles, pour les besoins de son activité, le groupe E______ avait recours à A______ en tant que diffuseur de courses, au sens de la loi applicable, pour le seul territoire du canton de Genève, ainsi que les « conditions générales » (ci-après : CG), aux termes desquelles notamment le groupe fournissait divers services de transport ou logistique, dont la marque « I______ » et établissaient une relation contractuelle entre E______ et les personnes physiques accédant et utilisant ses applications. Elle accordait une licence limitée révocable et non cessible à ses partenaires et agissait comme agent d’encaissement pour le compte du prestataire tiers. Elle excluait sa responsabilité en cas de retard ou d’inexécution dus à des causes échappant à son contrôle raisonnable ;

- les « conditions générales d’utilisation » (ci-après : CGU) entre A______ et le livreur, lequel devait fournir, à sa discrétion, des services de livraison alimentaire à la demande aux consommateurs finaux. Le livreur s’engageait à promouvoir la marque « E______ » lors de la réalisation des services de livraison par l’intermédiaire de la plateforme en utilisant des outils équipés d’autocollants amovibles à l’effigie de la marque. Toute sous-traitance était prohibée et les litiges en lien avec le contrat étaient soumis aux autorités genevoises ;

- le « contrat de services technologiques » (ci-après : CST) entre C______ et une personne physique, lui permettant d’exécuter des demandes de livraison provenant d’un utilisateur autorisé par la plateforme, à savoir un restaurateur. Le livreur était tenu de respecter le délai de livraison indiqué par le restaurateur. En cas d’acceptation de la mission par le livreur, les services E______ lui fournissaient certaines informations du restaurateur, y compris les points de ramassage et de dépose des marchandises (ch. 2.2). Afin d’accroître la satisfaction du restaurateur, il lui était recommandé de suivre ses instructions et d’attendre au moins dix minutes pour qu’un restaurateur et un destinataire de la marchandise se présente (ch. 2.2), à l’égard desquels le livreur était seul responsable (ch. 2.3). Le livreur devait maintenir une évaluation moyenne supérieure de ses prestations pour continuer à utiliser l’application, un avertissement pouvant lui être adressé et un délai fixé pour s’améliorer par C______ ; des refus répétés de livraisons créaient en outre une « expérience négative » pour les utilisateurs de la plateforme (ch. 2.5). Les informations de géolocalisation du livreur pouvaient être obtenues par les services E______ pendant la connexion de celui-ci sur l’application, son emplacement approximatif pouvant être divulgué au restaurateur et au destinataire de la marchandise. C______ et ses affiliés pouvaient également surveiller, suivre et partager avec des tiers ses informations de géolocalisation pour des raisons de sécurité ou des motifs techniques, marketing ou commerciaux, notamment pour fournir et améliorer leurs produits et services (ch. 2.7). Les frais de livraison étaient déterminés par C______ et constituaient le seul paiement perçu par les livreurs, dont le compte était crédité par les services E______ après déduction des frais de service. C______ se réservait le droit de modifier le calcul des frais de livraison à tout moment (ch. 4.1, 4.2 et 4.3), notamment en les « ajustant » en cas d’adoption d’un itinéraire inefficace ou de plainte d’un restaurateur ou d’un destinataire client (ch. 4.3). E______ pouvait immédiatement désactiver l’accès d’un livreur à l’application si celui-ci n’était plus qualifié notamment selon ses normes et politiques pour fournir les services de livraison (ch. 12.2) ;

- une « lettre de contrat-cadre directeur "I______" » (ci-après : le contrat-cadre) entre C______ et le restaurateur concernant la plateforme mise à disposition par elle ou ses sociétés affiliées pour demander des services de livraison. Le restaurateur était responsable à travers les services fournis par le livreur de la livraison des plats, dont il gardait en tout temps la possession, le contrôle et la responsabilité, E______ mettant à disposition des livreurs les directives raisonnables concernant la livraison des plats (ch. 4). Selon l’« addenda Marketplace », E______ facturait au restaurateur des frais de service correspondant à un pourcentage de chaque plat livré, le restaurateur devant verser des frais de livraison aux livreurs, collectés par E______ puis versés audit livreur (ch. 3).

4. Par courrier du 21 mars 2019, l’OCE a informé A______ que les activités déployées par le biais de la plateforme relevaient de la location de services soumise à autorisation à Genève, le bureau de H______ devant obligatoirement être érigé en succursale. Elle lui accordait un délai pour se déterminer à ce sujet.

Compte tenu des spécificités de la relation contractuelle, les livreurs se trouvaient dans un lien de subordination du fait des nombreuses obligations et instructions qu’ils recevaient et devaient respecter de la part d’A______. Le fait qu’ils ne soient pas tenus de se connecter à l’application et d’accepter les missions n’était pas déterminant, puisqu’il s’agissait précisément des caractéristiques du travail temporaire. Dès lors que les livreurs, employés d’A______, recevaient des instructions de la part des restaurateurs s’agissant du lieu et du délai de livraison des plats et qu’ils agissaient auprès des clients sous couvert de la licence desdits restaurants, ils apparaissaient comme intégrés dans leur personnel, ce qui constituait un cas typique de mise à disposition de personnel inhérente à la location de services.

5. Le 2 mai 2019, A______ a contesté la teneur du courrier de l’OCE.

L’analyse du modèle économique de la plateforme ne permettait pas de qualifier ses relations avec les restaurateurs et les livreurs de location de services, dès lors qu’elle était exploitée en Suisse par C______ qui leur fournissait une application leur permettant d’offrir et recevoir des services liés à la livraison de repas à des particuliers. Par le biais de l’application, les livreurs entraient en contact et établissaient une relation commerciale avec les restaurateurs, sans intervention tierce. Les restaurateurs payaient le coût de la livraison aux livreurs sur la base d’un prix suggéré par l’application, soit des « frais de livraison », calculés en fonction du montant de livraison et d’une estimation de la distance à parcourir. C______ offrait d’agir en qualité d’« agent de collecte des paiements » entre les deux parties, en procédant à la facturation des frais de livraison, pour le compte des livreurs, auprès des restaurateurs, et au versement, pour le compte des restaurateurs, des frais de livraison.

L’activité des livreurs était régie par le CST conclu exclusivement avec C______, relation contractuelle à laquelle elle n’était ainsi pas partie. Dans ce cadre, elle se limitait à fournir des services d’assistance, de support et de marketing aux diverses entités du groupe E______. Pour l’activité de livraison, C______ ne procédait à aucune sélection et toute personne intéressée pouvait s’inscrire, la seule exigence étant de disposer des permis et autorisations nécessaires à la conduite du véhicule choisi pour ce faire, dont les frais étaient à la charge des livreurs. Ceux-ci étaient en outre libres de déterminer s’ils souhaitaient utiliser l’application, ainsi que la durée et la fréquence de leur connexion. Ils pouvaient également refuser ou ignorer une proposition de livraison, ou même annuler une proposition déjà acceptée.

L’activité des restaurateurs via l’application était régie par le contrat-cadre, également conclu avec C______ exclusivement, complété par un « Addenda Marketplace », qui prévoyait notamment les modalités de financement et de paiement liées à l’activité des restaurateurs sur l’application. Dans ce cadre, elle n’entretenait pas non plus de relation contractuelle avec les restaurateurs. Ceux-ci payaient à C______ des « frais de service », calculés sur la base d’un pourcentage fixe appliqué au prix des commandes pour l’utilisation du service de mise en relation, dont une partie était prélevée pour payer les frais de livraison aux livreurs, ainsi que des frais d’activation au moment de leur inscription sur la plateforme.

Les CDC n’étaient pas pertinentes, dès lors qu’elles ne concernaient que les véhicules de transport avec chauffeur et les CG, intégrées dans le même document, ne s’appliquaient qu’aux consommateurs et non aux livreurs. Les CGU n’étaient, quant à elles, applicables qu’au prêt, par le groupe E______, de matériel publicitaire à des particuliers, dont les livreurs, et ne concernaient pas les rapports contractuels en lien avec leur activité via l’application. En outre, le CST et le contrat-cadre régissaient l’accès des livreurs et restaurateurs à l’application et étaient exclusivement conclus avec C______. Il résultait dès lors de ces documents qu’elle n’entretenait aucune relation contractuelle avec les restaurateurs et les livreurs, de sorte qu’aucun lien de subordination ne pouvait exister, condition pourtant essentielle pour conclure à l’existence d’une situation de location de services. Le fait que C______ agissait en qualité d’agent d’encaissement, que les livreurs pouvaient être évalués et que des frais d’annulation leur étaient imputés n’y changeait rien, de tels éléments étant liés au fonctionnement de la plateforme et s’appliquant de façon identique pour les livreurs et les restaurateurs. Il en allait de même de l’octroi aux livreurs d’une licence limitée, révocable et non-cessible, qui concrétisait des limitations usuelles et des standards lors de la mise à disposition d’un service de technologie.

Il n’existait pas non plus de relation de subordination entre les livreurs et les restaurateurs puisque les indications relatives au lieu et au délai de livraison ne constituaient pas des instructions au sens du droit du travail, étant précisé que l’indication du lieu était d’ailleurs communiquée par les consommateurs et non les restaurateurs.

Il n’existait, enfin, aucune base légale permettant d’exiger la création d’une succursale à Genève et son inscription au RC. Même à admettre qu’elle exerçait la location de services, seules les autorités zurichoises, où se situait son siège social, étaient compétentes pour rendre une décision.

6. Par décision du 11 juin 2019, déclarée exécutoire nonobstant recours, l’OCE a enjoint A______ d’inscrire sa succursale au RC de Genève et de l’assujettir à la loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services du 6 octobre 1989 (LSE - RS 823.11) dans le cadre de ses activités de livraison de repas à domicile au moyen de la plateforme.

Dès lors que des activités similaires de location de services étaient exercées de façon durable dans des locaux séparés du siège, il était compétent pour exiger l’inscription au RC de Genève de la succursale, dont les bureaux étaient ouverts au public et où il était procédé à des inscriptions auprès d’« E______ Genève ».

Indépendamment de la qualification juridique retenue, la relation contractuelle la liant à ses livreurs relevait du contrat de travail, ceux-ci étant privés de toute indépendance en raison des nombreuses instructions, consignes et obligations qui leur étaient imposées et soumis de manière indirecte à un rapport de subordination, ce qui était encore confirmé par l’assurance-accident conclue en leur faveur. À cela s’ajoutait que la relation liant E______ à ses chauffeurs avait été qualifiée de contrat de travail, ce qui pouvait s’appliquer mutatis mutandis aux livreurs utilisant la plateforme, étant précisé que les conditions générales d’utilisation des livreurs et des restaurateurs étaient également identiques. Le pouvoir de direction et le risque commercial, durant les missions de livraison, passaient en outre aux restaurateurs, ce qui était caractéristique d’une location de services, activité exercée de manière régulière et dans un but commercial.

Un délai de trente jours lui était imparti pour lui faire parvenir un dossier complet de demande d’autorisation, faute de quoi les peines prévues par la loi seraient prononcées et la cessation des activités de la plateforme ordonnée.

7. Par acte du 12 juillet 2019, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant, principalement, à ce qu’il soit dit que l’OCE n’était pas compétent pour se prononcer sur la question de l’autorisation de pratiquer la location de services et à son annulation, subsidiairement à ce qu’il soit dit qu’elle n’était pas soumise à la LSE et à son annulation.

L’OCE n’était pas compétent pour rendre la décision litigieuse, dès lors que son siège se trouvait à Zurich et qu’elle ne disposait d’aucune succursale à Genève, où l’injonction d’inscription au RC ne reposait du reste sur aucune base légale.

Les faits n’avaient pas été correctement établis et son droit d’être entendu avait été violé, dès lors que ses explications n’avaient pas été prises en compte, l’OCE s’étant au demeurant fondé sur de nouveaux arguments, sur lesquels elle n’avait pas pu s’exprimer, ou sur des documents non pertinents, qui concernaient la seule activité de transport de personnes, ce qui traduisait une mauvaise compréhension de son modèle économique.

Elle ne se trouvait pas dans une situation de location de services, en l’absence de lien de subordination avec les livreurs, la conclusion, par une autre entité du groupe, d’un contrat d’assurance-accident, qui ne correspondait pas à la couverture prévue par le système de sécurité sociale, ne pouvant être interprétée comme un indice d’une relation de travail. Elle n’était pas non plus impliquée dans la plateforme et n’entretenait aucune relation contractuelle avec les livreurs et les restaurateurs, qui se trouvaient seulement liés à C______. Même à admettre l’existence d’une analogie avec la fourniture de services de transport de personnes, les autorités judiciaires zurichoises avaient annulé plusieurs décisions la qualifiant de prétendu employeur. Le fait que les livreurs puissent utiliser la plateforme à leur gré plaidait également en faveur de leur indépendance et excluait toute relation de travail.

Les conditions permettant de considérer l’existence d’une location de services n’étaient en tout état de cause pas réalisées. Ainsi, les livreurs étaient indépendants et ne se trouvaient pas dans un rapport de subordination à son égard ni à l’égard des restaurateurs, même s’ils recevaient de ceux-ci des indications sur les lieux et délais de livraisons, fournies toutefois par les consommateurs. Ils ne recevaient aucune instruction de sa part ou de celle des restaurateurs, notamment s’agissant de l’horaire et du temps de travail, des délais de livraison, de la manière de se présenter aux clients et partenaires, de la prévention des risques et mesures sanitaires ou de l’entretien des véhicules. Leur activité n’était pas non plus surveillée, étant précisé qu’ils ne pouvaient faire l’objet d’aucune sanction ni d’aucun contrôle de la part des restaurateurs. Les livreurs n’étaient au demeurant pas intégrés à l’organisation des activités des restaurateurs, ne recevaient aucun matériel de leur part et n’étaient soumis à aucune forme de présence ou d’horaire, les restaurateurs ne leur déléguant aucun pouvoir de direction. En outre, elle ne recevait pas de rémunération des restaurateurs, les « royalties » et les frais d’activation versés par ces derniers à C______ étant fondés sur la mise à disposition de l’application et non sur l’activité des livreurs. Enfin, le risque commercial était supporté par les livreurs en cas de mauvaise exécution et non par les restaurateurs, ces derniers pouvant réduire les frais de livraison versés aux livreurs dans ce cas.

8. Par acte séparé, A______ a en outre demandé la restitution de l’effet suspensif au recours, ce à quoi l’OCE s’est opposé.

9. Par décision du 24 juillet 2019, la vice-présidence de la chambre administrative a restitué l’effet suspensif au recours et réservé le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond.

10. a. Le 16 septembre 2019, l’OCE a répondu au recours, concluant à son rejet.

Le contrat liant les livreurs à A______ s’inscrivait dans le cadre d’une relation de travail, le fait pour les premiers de refuser une mission n’étant pas décisif, pas davantage que le choix de travailler ou non, ce qui constituait une forme de travail sur appel au sens impropre. La liberté du mode d’organisation du travail était également restreinte, puisque lors de sa connexion, le livreur devait répondre aux sollicitations qui lui étaient adressées, sous peine de voir son compte désactivé, et travailler pour E______ seulement, malgré l’absence d’obligation d’exclusivité hors connexion, ce qui était usuel s’agissant d’une activité à temps partiel. E______ disposait en outre d’un pouvoir de contrôle sur l’activité du livreur puisqu’elle pouvait, au moyen de la géolocalisation, vérifier ses trajets, et que les intéressés devaient porter la marque « E______ ». C’était également E______ qui décidait du prix de la prestation de service, qu’elle pouvait modifier unilatéralement, et qui procédait au paiement des livreurs, lesquels ne pouvaient pas accepter de paiement direct.

A______ était par ailleurs bien l’employeur au sens du contrat de services, dès lors qu’en tant qu’entreprise étrangère, C______ ne pouvait fournir ses prestations de location de services en Suisse, ce qui ressortait également de son but social tel que figurant au RC zurichois. Le contrat des livreurs rattachait ainsi de manière artificielle l’activité de services à C______, ce qui constituait une simulation devant être écartée à l’aune d’une interprétation du contrat basée sur l’ensemble des circonstances. C’était donc A______, dont le but était de fournir des services de placement dans le canton de Genève, qui était en relation contractuelle avec les utilisateurs de l’application et avec les livreurs en tant que société dite « affiliée ».

Les critères, alternatifs, permettant de qualifier l’activité en cause de location de services étaient également réalisés, dont le plus important était le fait qu’une partie substantielle du pouvoir de direction soit transférée du bailleur de services au locataire de services, puisque A______ transmettait aux livreurs les directives des restaurateurs, invitant également ces derniers à noter les prestations desdits livreurs, ce qui pouvait conduire à la désactivation de leur compte en cas d’avis négatifs. Les autres critères étaient en outre également réalisés. Il en allait ainsi de celui de l’intégration, puisque l’utilisation par les restaurateurs de la plateforme permettait d’augmenter leur chiffre d’affaires, les livreurs étant intégrés à leur organisation pour être efficaces. S’agissant enfin du risque lié à une mauvaise exécution d’une livraison, il était supporté par les restaurateurs, même si la cause de l’inexécution était imputable à une faute du livreur.

Les bureaux de A______ à Genève n’étaient pas qu’une simple adresse postale mais une entité responsable pour les livreurs effectuant leur travail à Genève, l’autorité cantonale genevoise compétente en matière de LSE pouvant alors exiger la création d’une société ou d’une succursale à l’adresse depuis laquelle les activités étaient exercées ainsi que le dépôt d’une demande d’autorisation de pratiquer la location de services, ce que le secrétariat d’État à l’économie (ci-après : SECO) avait confirmé. Le fait de constater la nécessité pour la succursale genevoise de A______ d’obtenir une autorisation était une décision constatatoire et de l’enjoindre à la respecter n’était pas critiquable.

b. Il a annexé à ses écritures notamment :

- un courriel du SECO du 10 mai 2019 selon lequel, si des activités de placement privé ou de location de services étaient exercées depuis un « bureau » ou un « local » se situant dans le canton de Genève, indépendamment d’une inscription au RC, de sa personnalité juridique ou de son statut, l’OCE pouvait exiger la création d’une succursale à l’adresse depuis laquelle les activités étaient exercées et le dépôt d’une demande d’autorisation de pratiquer le placement privé ou la location de services ;

- un rapport établi le 12 septembre 2019 indiquant que la veille des inspecteurs de l’OCE s’étaient rendus dans les locaux de A______ à H______, où il avait été constaté qu’au premier étage du bâtiment, où sa raison sociale figurait sur la boîte aux lettres, une première pièce, de 35 m2, faisait office de salle d’attente, une quinzaine de chaises y étant disposées, et qu’au fond de la pièce une porte fermée menant à d’autres pièces indiquait « fermé au public ». Durant la visite, les inspecteurs avaient en outre constaté la venue de vingt-huit livreurs ; étaient annexées à ce rapport des photographies qui représentaient un panneau devant les locaux et une plaque d’accueil de l’entrée mentionnant « E______ » et une boîte aux lettres indiquant « A______ » ;

- le formulaire d’acceptation des conditions générales d’E______ pour les livreurs comportant l’indication « veuillez lire et accepter les documents ci-dessous : C______ - Contrat de services technologiques ; conditions générales d’utilisation ; charte de la communauté I______ » ;

- un extrait du site internet d’E______ indiquant comme adresse les bureaux à H______, avec indication des heures d’ouverture au public.

11. Dans le délai imparti, A______ a répliqué, persistant dans les conclusions et termes de son recours.

a. L’OCE avait violé son droit d’être entendu en ne lui permettant pas de participer ou de se prononcer sur les procédures visant à solliciter l’avis du SECO ni sur l’enquête menée dans ses locaux à Genève, dont elle n’avait pas eu connaissance.

L’approche de l’OCE était erronée, en l’absence de lien de subordination entre le locataire de services et le travailleur loué, soit en l’occurrence entre les restaurateurs et les livreurs. Par ailleurs, l’inscription au RC de services de « diffuseur de courses » se rapportait aux K______, domaine sans lien avec les livreurs. Quant aux CGU, elles n’étaient pas déterminantes, puisqu’elles traitaient exclusivement du prêt de matériel publicitaire, notamment aux livreurs, qui pouvaient choisir d’en acquérir ou non. Le seul document contractuel concernant les livreurs était ainsi le CST, conclu avec C______ en lien avec l’utilisation de l’application. Les coursiers étaient au demeurant libres de déterminer quand ils travaillaient, l’utilisation de l’application étant variable, tout comme les revenus réalisés par ce biais. Il n’existait pas non plus de système de sanction à l’encontre des livreurs, la déconnexion visant un seul objectif d’efficacité. Celle-ci était au demeurant temporaire et n’empêchait pas le livreur de se reconnecter immédiatement. Par ailleurs, le système de géolocalisation utilisé servait exclusivement à permettre la rencontre entre l’offre des livreurs et la demande des restaurateurs, aucune entité du groupe E______ ne procédant à un suivi de l’activité des coursiers.

b. Elle a notamment produit des statistiques de durée de connexion à l’application ainsi que de variation des rémunérations.

12. Le 9 octobre 2019, la chambre de céans a informé les parties que la cause était gardée à juger.

13. Le 24 octobre 2019, A______ a produit des déterminations spontanées, persistant dans les termes de ses précédentes explications.

Il n’existait aucune base légale permettant aux autorités administratives en charge de l’exécution de la LSE la création et l’inscription d’une succursale au RC, ce qui constituait en outre une atteinte à sa liberté économique l’empêchant de cesser son activité. Elle n’avait pas non plus été en mesure de participer aux actes d’instruction ayant mené à la décision litigieuse ni prendre connaissance de leur résultat, n’ayant pas été informée de l’avis du SECO ni de l’enquête effectuée au sein de ses locaux. Par ailleurs, de nombreux documents ayant servi à la prise de la décision étaient sans pertinence, notamment les CDC, applicables au seul transport de personnes, les CG, applicables aux seuls consommateurs, ou encore les CGU, se rapportant au prêt de matériel publicitaire.

Elle n’entretenait aucune relation contractuelle avec les participants au modèle de la plateforme, se limitant éventuellement au prêt de matériel publicitaire, de sorte qu’elle ne pouvait être qualifiée de bailleresse de services au sens de la LSE, à laquelle elle ne pouvait être assujettie. En tout état de cause, elle ne déléguait aucun droit aux restaurateurs à l’égard des livreurs, ceux-ci n’étant du reste dans aucun rapport de subordination ni d’intégration avec ceux-là. Les restaurateurs ne rémunéraient pas non plus les coursiers, mais payaient des « royalties » pour l’utilisation de la plateforme, calculés non pas en fonction de la prestation des coursiers, mais sur la base du prix de chaque plat livré. Enfin, le risque commercial lié à la mauvaise exécution de la prestation n’était pas supporté par les restaurateurs, mais les livreurs seuls.

14. Le 31 octobre 2019, l’OCE a persisté dans ses précédents arguments.

Dès lors que la cause avait été gardée à juger, A______ ne pouvait plus produire de déterminations spontanées, ce d’autant qu’il n’avait pas dupliqué. Le grief tiré de la violation du droit d’être entendu était infondé, puisque le courriel du SECO portait sur des déterminations juridiques et qu’elle avait pu se déterminer sur l’enquête effectuée dans ses locaux durant la procédure contentieuse, ce qui était suffisant. Les documents sur lesquels il s’était fondé étaient ceux régissant les rapports juridiques respectivement des livreurs et des restaurateurs avec E______ et étaient ainsi pertinents, puisqu’ils permettaient de lier contractuellement A______ et les livreurs s’inscrivant sur l’application.

15. Le 12 novembre 2019, A______ a persisté dans ses précédents arguments, précisant que son écriture spontanée devait être admise compte tenu du droit d’être entendu et de la maxime inquisitoire.

16. Le 13 janvier 2020, la chambre de céans a tenu une audience de comparution personnelle.

Selon les deux représentants d’A______, lesquels occupaient une fonction dirigeante pour « J______», toute personne qui le désirait pouvait s’inscrire sur la plateforme pour devenir livreur moyennant le téléchargement de l’application, la réponse à un questionnaire et la production d’une pièce d’identité, une photographie et, le cas échéant, un permis de conduire. Ces documents étaient ensuite vérifiés par C______ au Portugal qui validait l’inscription, laquelle était alors immédiatement effective. Le livreur passait seulement un contrat avec C______ pour exercer son activité, sauf s’il souhaitait utiliser la veste ou le sac avec la marque « I______ », auquel cas il était amené à conclure un contrat de marketing avec elle, cet équipement lui étant remis dans ses locaux à Genève. Certains livreurs n’utilisaient toutefois pas ce matériel, mais celui fourni par d’autres prestataires pour effectuer des livraisons au travers de la plateforme. Pour accéder à celle-ci et conclure ledit contrat de marketing, les CG devaient préalablement être acceptées. L’évocation des « sociétés affiliées » dans les contrats constituait une clause de style permettant l’intervention d’autres sociétés, ce qui n’était toutefois pas encore le cas, puisque seul C______ était active pour la plateforme.

Une fois connecté, le livreur était géolocalisé et mis en relation avec un restaurateur à proximité, à la suite de quoi il acceptait ou refusait la livraison, étant précisé qu’il pouvait rester connecté aussi longtemps qu’il le désirait, ce qui n’avait toutefois aucune incidence directe sur sa rémunération, qui était fonction du nombre de livraisons effectuées. Dans ce cadre, les paiements se faisaient exclusivement de manière électronique et il n’était pas possible de percevoir une rémunération différente. S’il acceptait la livraison, son identité était communiquée au restaurateur afin qu’il puisse lui remettre la commande du client. L’activité de livraison étant simple, elle ne fournissait aucune formation à cette effet ni d’instruction sur la manière de s’adresser au restaurateur ou au client, sur la manière de circuler ou encore le chemin à emprunter, déterminé par les seuls livreurs et dont les clients pouvaient prendre connaissance en temps réel.

Les « retours », facultatifs, des restaurateurs, des clients et des livreurs étaient analysés par les employés de la plateforme au nombre de trois à Genève et deux à Zurich, qui servaient de « courroie de transmission » pour l’organisation, le cœur de l’activité se trouvant à Amsterdam, où plus de mille personnes étaient employées. Un processus automatisé bloquait l’accès à la plateforme d’un livreur s’il atteignait un certain niveau d’avis négatifs, fixés à un seuil relativement bas, ce qui permettait d’évaluer la satisfaction des clients et d’éviter tout danger pour les utilisateurs. Avant de couper un accès, ce qui était rare, les collaborateurs en Suisse prenaient contact avec l’utilisateur problématique, pour voir comment il pouvait améliorer ses prestations. Il n’existait en revanche aucune sanction lorsqu’un livreur ne répondait pas à une proposition de course.

Le livreur pouvait annuler une course acceptée, auquel cas il n’était toutefois pas rémunéré. S’il annulait la course après avoir pris possession du plat, la plateforme avertissait le client et indemnisait le restaurateur, un processus permettant d’éviter les fraudes étant toutefois mis en place. Le livreur pouvait également choisir librement le type de véhicule utilisé au moment de son inscription, tout comme sa tenue, son équipement et l’attitude à adopter, les restaurateurs ne leur imposant rien non plus. La mise en relation des restaurateurs et des livreurs était aléatoire, même si un coursier pouvait « black-lister » un restaurant, et leurs échanges réduits au strict minimum. L’application ne pouvait en outre donner aucune garantie de disponibilité d’un livreur, qui était dictée par les lois de l’offre et de la demande.

L’inscription au RC de Zurich avec la mention du but social de « diffuseur de courses » avait été rendue nécessaire par le droit cantonal genevois et concernait exclusivement le transport de personnes.

Une assurance-accident complémentaire avait été conclue pour les livreurs, en tant que travailleurs indépendants, sur la base du modèle français, qui rendait ce type d’assurance obligatoire, dont les cotisations étaient prises en charge par la plateforme et la couverture prenait effet au moment de la connexion du livreur. Les représentants de E______ s’engageaient à produire une copie de ce contrat.

17. À la demande de la chambre de céans, l’OCE de produit le jugement vaudois dont il faisait mention dans sa décision.

18. Se déterminant au sujet de ce jugement, A______ a indiqué qu’il était sans pertinence pour l’issue du litige, en présence d’un modèle économique différent, étant précisé qu’il n’était pas définitif pour avoir été contesté.

19. Le 7 avril 2020, A______ a versé au dossier une contribution scientifique concernant la plateforme.

20. Le 17 avril 2020, l’OCE a indiqué que ladite contribution constituait un avis d’avocat qui critiquait la décision entreprise, sans aucune connaissance du dossier, et ne prenait pas en compte différents éléments en lien avec des décisions de justice rendues au plan international, dont elle produisait différents extraits.

21. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 38 al. 1, 2 let. a et 3 LSE ; art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. La recourante se plaint d’une violation de son droit d’être entendu sur plusieurs points.

b. Le droit d’être entendu, tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend le droit pour l’intéressé de prendre connaissance du dossier, de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat. Il n’empêche toutefois pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d’une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu’elles ne pourraient l’amener à modifier son opinion (ATF 143 III 65 consid. 3.2 ; 142 II 218 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_42/2019 du 25 mars 2020 consid. 3.1).

Le droit d’être entendu ne porte en principe pas sur la décision projetée, de sorte que l’autorité n’a pas à soumettre par avance aux parties le raisonnement qu’elle entend tenir pour prise de position. Cependant, lorsqu’elle envisage de fonder sa décision sur une norme ou un motif juridique non évoqué dans la procédure antérieure et dont aucune des parties en présence ne s’est prévalue et ne pouvait supputer la pertinence, le droit d’être entendu implique de donner au justiciable la possibilité de se déterminer à ce sujet (ATF 131 V 9 consid. 5.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_12/2017 du 23 mars 2018 consid. 3.2.1 et les références citées).

c. Le droit d’être entendu comprend également le droit d’obtenir une décision motivée. Il suffit toutefois que l’autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l’intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l’attaquer en connaissance de cause. Elle n’a pas l’obligation d’exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties mais peut, au contraire, se limiter à l’examen des questions décisives pour l’issue du litige (ATF 143 III 65 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_404/2019 du 5 décembre 2019 consid. 4.2.1 et les références citées).

d. En l’espèce, la recourante se plaint d’abord du fait qu’elle n’aurait pas été informée de l’enquête menée par l’intimée dans ses locaux, n’ayant pas non plus pu se déterminer à ce sujet. Il ressort toutefois du dossier que cette enquête a été effectuée au mois de septembre 2019, alors que la décision litigieuse avait déjà été rendue, de sorte qu’il ne saurait être reproché à l’intimé de ne pas en avoir fait mention dans ladite décision ni de ne pas avoir tenu le rapport y relatif à sa disposition. L’intimé a toutefois produit ce document à l’appui de sa réponse au recours, la recourante ayant pu en prendre connaissance et se déterminer à son sujet.

Selon la recourante, elle n’aurait pas été informée de l’existence du courriel du SECO du 10 mai 2019, dont le contenu se serait révélé déterminant pour fonder la décision litigieuse. Outre le fait que ce document a également été produit par l’intimé à l’appui de sa réponse du 16 septembre 2019 et que la recourante a pu se déterminer à son propos, les éléments dont il fait mention, d’ordre général en lien avec la compétence de l’intimé et de sa marge de manœuvre en application de la LSE, se limitent à paraphraser le contenu des directives d’application de la LSE, librement accessibles, sans faire de lien spécifique avec sa situation. Ces éléments étaient d’ailleurs déjà connus de la recourante, puisque l’intimé, dans son courrier du 21 mars 2019, l’avait informée de son intention de prononcer une décision l’enjoignant à inscrire une succursale à Genève et présenter une demande d’autorisation en application de la LSE.

La recourante soutient enfin que l’intimé n’aurait pas pris en compte ses arguments, y compris ses explications au sujet du modèle économique de la plateforme, et se serait fondé sur des documents non pertinents pour rendre sa décision. Ce faisant, elle perd de vue que le droit d’être entendu n’implique pas l’obligation, pour l’autorité, de souscrire à l’argumentation apportée par l’administré, étant précisé que la recourante a pu valablement contester la décision litigieuse devant la chambre de céans. Par son grief, la recourante reproche en réalité à l’intimé d’avoir établi de manière erronée les faits de la cause, élément qui fera l’objet d’un examen dans les considérants ci-après.

Il s’ensuit que le grief en lien avec la violation du droit d’être entendu de la recourante sera écarté.

3. Le litige a trait à l’inscription du bureau de la recourante à H______ au RC de Genève en tant que succursale et de son assujettissement à la LSE, ce qui pose la question de savoir si l’activité consistant à mettre des livreurs à disposition des restaurateurs par le biais de la plateforme est le fait de la recourante et, dans l’affirmative, si cette activité doit être qualifiée de location de services au sens de la LSE.

4. La LSE vise à régir le placement privé de personnel et la location de services (let. a), assurer un service public de l’emploi qui contribue à créer et à maintenir un marché du travail équilibré (let. b) et à protéger les travailleurs qui recourent au placement privé, au service public de l’emploi ou à la location de services (let. c).

5. a. Selon l’art. 12 al. 1 LSE, les employeurs (bailleurs de services) qui font commerce de céder à des tiers (entreprises locataires de services) les services de travailleurs doivent avoir obtenu une autorisation de l’office cantonal du travail (al. 1), soit à Genève l’intimé (art. 2 de la loi sur le service de l’emploi et la location de services du 18 septembre 1992 - LSELS - J 2 05 ; art. 1 du règlement d’exécution de la loi sur le service de l’emploi et la location de services du 14 décembre 1992 - RSELS - J 2 05.01).

b. L’art. 26 de l’ordonnance sur le service de l’emploi et la location de services du 16 janvier 1991 (OSE - RS 823.111) précise l’activité de location de services. Est ainsi réputé bailleur de services celui qui loue les services d’un travailleur à une entreprise locataire en abandonnant à celle-ci l’essentiel de ses pouvoirs de direction à l’égard du travailleur (al. 1). Est également une activité de location de services notamment lorsque (al. 2) : le travailleur est impliqué dans l’organisation de travail de l’entreprise locataire sur le plan personnel, organisationnel, matériel et temporel (let. a) ; le travailleur réalise les travaux avec les outils, le matériel ou les appareils de l’entreprise locataire (let. b) ; le travailleur est impliqué dans l’organisation de travail de l’entreprise locataire sur le plan personnel, organisationnel, matériel et temporel (let. c). Si le bailleur de services cède, selon l’art. 26 al. 1 OSE, l’essentiel de ses pouvoirs de direction à l’égard du travailleur, un partage du pouvoir de direction est également possible (arrêt du Tribunal fédéral 2C_356/2012 du 11 février 2013 consid. 3.6).

c. La définition de l’art. 12 al. 1 LSE est large afin d’éviter que la finalité de la loi ne soit détournée, la caractéristique principale de la location de services étant la cession à des fins lucratives, c’est-à-dire régulière et contre rémunération, de travailleurs à d’autres employeurs. Elle implique que la loi est également applicable aux entreprises dont les travailleurs exécutent des travaux pour des tiers qui s’en chargent habituellement eux-mêmes, c’est-à-dire qui sont spécifiques à la branche (Message concernant la révision de LSE du 27 novembre 1985, FF 1985 III 524, p. 581 ss).

d. La distinction entre les contrats de mise à disposition de travailleurs et ceux qui visent l’offre d’une prestation de nature différente à effectuer auprès d’un tiers n’est pas aisée, le nom que les parties donnent au contrat n’étant pas déterminant. En particulier, la distinction doit se faire dans chaque cas d’espèce, en s’appuyant sur le contenu du contrat, la description du poste et la situation du travail concrète dans l’entreprise de mission (arrêt du Tribunal fédéral 2C_132/2018 du 2 novembre 2018 consid. 4.1). Seule relève de la LSE l’exécution d’un contrat de travail, sous la forme de la location de services, c’est-à-dire la fourniture, dans l’entreprise de mission, d’une prestation de travail par le travailleur dont les services sont loués. Le critère de cession qui caractérise la location de services suppose ainsi qu’une entreprise abandonne une part importante de son pouvoir de diriger ses propres travailleurs à une autre entreprise, tout en maintenant ses rapports de travail avec les travailleurs en question (SECO, directives et commentaires relatifs à la LSE, 2003, p. 61).

Différents critères permettent de conclure à la fourniture d’une prestation de travail sous la forme de la location de services. Il en va ainsi du rapport de subordination, dans le cadre duquel la pouvoir de direction et de contrôle, caractéristique essentielle de la fourniture d’une prestation de travail (arrêt du Tribunal fédéral 4A_500/2018 du 11 avril 2019 consid. 4.1), appartient à l’entreprise de mission, notamment s’agissant de la compétence de donner des instructions concernant la manière d’exécuter le travail et le choix des moyens auxiliaires. Il en va de même de l’intégration du travailler dans l’entreprise de mission au niveau du personnel, de l’organisation et des horaires. Tel est également le cas de l’obligation d’établir le décompte des heures effectuées, le bailleur de services ne facturant pas un prix fixe convenu d’avance pour la prestation de travail. Par ailleurs, le risque commercial de la prestation de travail est support par l’entreprise de mission, le bailleur de services assumant le seul risque du bon choix du travailleur (SECO, op. cit., p. 65). En outre, la durée de la mission et la nature du travail ne jouent aucun rôle dans l’identification du rapport de location de services (SECO, op. cit., p. 66).

Dans ce sens, il n’y a pas de contrat de location de services lorsque l’entreprise n’a pas le pouvoir de direction, que le travailleur ne se sert pas des outils, du matériel et des instruments de l’entreprise de mission, que le travailleur ne travaille pas exclusivement au siège selon les horaires de travail de l’entreprise de mission, que le contrat conclu entre l’entrepreneur et l’entreprise de mission n’a pas pour objet primordial la facturation d’heures de travail mais la réalisation d’un objectif clairement défini contre une certaine rémunération, qu’en cas de non réalisation de cet objectif, l’entrepreneur garantit à l’entreprise de mission des prestations réparatoires gratuites ou des réductions des horaires (SECO, op. cit., p. 66). Le fait que les personnes mises à disposition se qualifient elles-mêmes d’indépendantes ou sont dites telles par le bailleur de services n’est pas déterminant, une activité étant qualifiée d’indépendante sur la base de la manière dont elle est exécutée et non pas de la nature juridique du contrat liant les parties (SECO, op. cit., p. 63, p. 67).

6. a. La location de services peut prendre différentes formes. Selon l’art. 27 OSE, elle comprend le travail temporaire, la mise à disposition de travailleurs à titre principal (travail en régie) et la mise à disposition occasionnelle de travailleurs (al. 1). Il y a travail temporaire lorsque le but et la durée du contrat de travail conclu entre le bailleur de services et le travailleur sont limités à une seule mission dans une entreprise (al. 2). Il y a mise à disposition de travailleurs à titre principal (travail en régie) lorsque le but du contrat de travail conclu entre l’employeur et le travailleur consiste principalement à louer les services du travailleur à des entreprises locataires et que la durée du contrat de travail est en principe indépendante des missions effectuées dans les entreprises locataires (al. 3 let. a et b). Il y a mise à disposition occasionnelle de travailleurs (al. 4) lorsque le but du contrat de travail conclu entre l’employeur et le travailleur consiste à placer le travailleur principalement sous les ordres de l’employeur (let. a), que les services du travailleur ne sont loués qu’exceptionnellement à une entreprise locataire (let. b) et que la durée du contrat de travail est indépendante d’éventuelles missions effectuées dans des entreprises locataires (let. c).

b. À teneur de l’art. 29 OSE, fait commerce de location de services celui qui loue les services de travailleurs à des entreprises locataires de manière régulière et dans l’intention de réaliser un profit ou qui réalise par son activité de location de services un chiffre d’affaires annuel de CHF 100'000.- au moins (al. 1). Exerce régulièrement une telle activité celui qui conclut avec les entreprises locataires, en l’espace de douze mois, plus de dix contrats de location de services portant sur l’engagement ininterrompu d’un travailleur individuel ou d’un groupe de travailleurs (al. 2).

7. a. Selon l’art. 12 al. 2 LSE, outre l’autorisation cantonale, une autorisation du SECO est nécessaire pour louer les services de travailleurs vers l’étranger. La location en Suisse de services de personnel recruté à l’étranger n’est pas autorisée. Un bailleur de services sis à l’étranger ne peut ainsi recruter des travailleurs en Suisse pour une mission en Suisse (SECO, op. cit., p. 72, p. 74).

b. Si une succursale n’a pas son siège dans le même canton que la maison mère, elle doit avoir obtenu une autorisation ; si elle est établie dans le même canton que la maison mère, elle doit être déclarée à l’office cantonal du travail (art. 12 al. 3 LSE).

Selon la jurisprudence, une succursale est un établissement commercial qui, dans la dépendance d’une entreprise principale dont il fait juridiquement partie, exerce d’une façon durable, dans des locaux distincts, une activité similaire, en jouissant d’une certaine autonomie dans le monde économique et celui des affaires (ATF 144 V 313 consid. 6.3 et les références citées). Les entreprises qui ne satisfont pas, faute d’une autonomie économique suffisante, à ces exigences sont considérées comme des sections d’établissement devant être mentionnés dans l’autorisation délivrée au siège principal ou à la succursale et n’ont pas besoin d’avoir leur propre autorisation si elles sont sises dans le même canton que l’établissement principal. Toutefois, les sections d’établissements sises dans un canton où ni l’établissement principal ni des succursale de cet établissement n’ont leur siège ne sont pas licites. Elles doivent alors soit cesser leur activité, soit être transformées en succursales devant être inscrites au RC et demander une autorisation propre (SECO, op. cit., p. 22, p. 60).

En vertu de l’art. 778a de la loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), les succursales doivent être inscrites au registre du commerce du lieu où elles sont situées. Les art. 109 à 112 de l’ordonnance sur le registre du commerce du 17 octobre 2007 (ORC - RS 221.411) précisent ce point pour les succursales d’une entité juridique ayant son siège en Suisse, les art. 113 à 115 ORC pour les succursales d’une entité juridique ayant son siège à l’étranger.

8. En l’espèce, la recourante conteste son assujettissement à la LSE, son activité, en tant que société indépendante des autres entités du groupe E______, étant, selon elle, sans lien avec le fonctionnement de la plateforme, l’intimé ayant procédé à un mauvais établissement des faits et fait fi du modèle économique poursuivi.

Il ressort du dossier que la recourante dispose de bureaux à Genève, dont l’indication sur la plaque d’accueil, devant les locaux et à l’entrée, mentionne « E______ », et la boîte aux lettres sa raison sociale telle que figurant au RC à Zurich, étant précisé que ces locaux sont également présentés sur le site internet de E______. En outre, l’enquête menée par l’intimé a mis en évidence qu’en date du 11 septembre 2019, vingt-huit livreurs s’y étaient rendus et que, lors de leur audition, les représentants de la recourante ont indiqué que trois personnes travaillaient dans ces bureaux en lien avec l’activité de la plateforme. De ce point de vue déjà, il ne saurait être question d’une indépendance de la recourante de l’activité en lien avec l’application.

La recourante ne peut pas non plus être suivie lorsqu’elle indique que l’activité de coursier ne résulterait pas de son but social, étant donné qu’elle se limiterait au soutien des autres entités du groupe. S’il résulte, certes, de son inscription au RC zurichois que la recourante est notamment active dans la fourniture des services de marketing et de soutien à d’autres entreprises (apparentées) en relation avec des services liés aux services de transport à la demande et aux services de livraison à la demande par le biais d’appareils mobiles, il n’en demeure pas moins qu’elle est également active dans la fourniture de services de « diffuseurs de courses » dans le canton de Genève. Cette dernière indication ne saurait ainsi, d’emblée, exclure les services de livraison par coursier et ne s’appliquer qu’au transport de personnes, les termes employés permettant d’englober ces deux activités, ce d’autant que le canton de Genève y est expressément mentionné. En particulier, si l’activité de la recourante devait se limiter au seul transport de personnes, l’on ne voit pas pour quel motif une telle indication ne résulterait pas expressément du RC.

La recourante soutient n’être partie à aucun des contrats en lien avec la plateforme, hormis les CGU concernant le prêt de matériel publicitaire. Elle perd toutefois de vue que ce dernier contrat, qu’elle conclut avec les livreurs, doit être souscrit par ceux-ci pour l’exercice de leur activité, comme l’ont indiqué les représentants de la recourante devant la chambre de céans, tout comme d’ailleurs les conditions générales en deux parties comprenant les CDC et les CG. S’il est vrai que le CST concernant les livreurs et le contrat-cadre concernant les restaurateurs sont conclus avec C______, dont le but statuaire est la détention de participations financières et d’autres activités liées aux technologies de l’information et aux services informatiques, qui ne recouvre au demeurant pas l’activité concernée, il n’en demeure pas moins que lesdits contrats réservent expressément la compétence aux sociétés affiliées d’être parties aux contrats, ce qu’ont d’ailleurs confirmé les représentants de la recourante lors de leur audition. En outre, les CDC et les CG, intégrées au même document devant être souscrites par les livreurs, indiquent que le groupe E______ a recours à A______ en tant que diffuseur de courses à Genève, et que le groupe fournit différents services de transport ou logistique, dont la plateforme.

À cela s’ajoute que, devant la chambre de céans, la recourante a été représentée par deux employés occupant une fonction dirigeante pour « I______ », entretenant également une certaine confusion entre les entités du groupe.

Il ressort ainsi de ces différents éléments que la dénomination « E______ » est très souvent utilisée, sans qu’il ne soit véritablement possible de déterminer à quelle société du groupe il est fait mention, lesquelles se trouvent ainsi dans une unité, à tout le moins apparente. Admettre le contraire reviendrait, dans le cas d’espèce, à invoquer de manière abusive l’indépendance juridique des différentes sociétés du groupe E______ pour échapper à l’examen de la conformité à la loi de leurs activités, en violation de l’art. 2 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) prohibant l’abus de droit notamment en lien avec le principe de la transparence (ATA/1039/2017 du 30 juin 2017 consid. 4).

La fonction de la recourante ne se limite ainsi pas à un rôle de « soutien local » à C______ dans ses rapports avec les livreurs et restaurateurs, de sorte que c’est à juste titre que l’intimé a admis qu’elle devait être considérée comme partie à ces relations. Le grief en lien avec une mauvaise constatation des faits doit donc être écarté.

9. Encore convient-il d’examiner si, en application de la LSE, la recourante pratique la location de services soumise à autorisation, ce qu’elle conteste.

a. La recourante considère que les livreurs exercent leurs activités de manière indépendante, sans rapport de subordination avec E______ ou des restaurateurs, dès lors qu’ils se connecteraient à l’application à leur guise, ne seraient pas tenus de répondre aux propositions de missions, ne se verraient donner aucune instruction et ne pourraient faire l’objet d’aucune sanction. S’il est vrai que ces éléments pourraient plaider en faveur d’une activité indépendante exercée par les livreurs, ils font toutefois fi de la teneur des différents documents contractuels figurant au dossier, dont le juge détermine librement la nature d’après l’aménagement objectif de la relation contractuelle (arrêt du Tribunal fédéral 4A_500/2018 précité consid. 4.1 et les références citées).

En effet, même si les livreurs ne sont pas tenus de se connecter à la plateforme ni d’accepter une mission proposée par celle-ci lors de leur connexion, ce qui constitue du reste une caractéristique du travail temporaire dont le travailleur assume le risque (SECO, op. cit., p. 69), le CST prévoit néanmoins que les refus répétés de livraison créent une « expérience négative » pour les utilisateurs de la plateforme (ch. 2.5 CST) et que E______ a la possibilité de désactiver l’accès à celle-ci si le livreur ne répond plus à ses normes et politique pour fournir les services de livraison (ch. 12.2 CST). Par ailleurs, l’absence d’obligation d’exclusivité permettant aux livreurs d’avoir d’autres activités en parallèle lorsqu’ils ne sont pas connectés à la plateforme n’est pas déterminante, puisqu’il ne saurait en être autrement d’une activité exercée à temps partiel, voire très partiel, étant précisé qu’en cas de connexion et d’acceptation d’une mission pour le compte de la plateforme, les livreurs ne peuvent dans les faits pas avoir d’autre activité que celle en faveur de la recourante. À cela s’ajoute que pour obtenir une rémunération adéquate, les livreurs sont tenu d’accepter des missions successives et ainsi de rester connectés à l’application.

Même si les livreurs apparaissent libres dans la gestion de leurs trajets, il n’en demeure pas moins qu’une fois connectés sur l’application, ils font l’objet d’une surveillance étroite des services E______, qui obtiennent leurs informations de géolocalisation aux fins notamment de les surveiller, les suivre et partager avec des tiers ces informations (ch. 2.7 CST), ce qui peut conduire, en cas d’adoption d’un itinéraire « inefficace », à la réduction des frais de livraison, donc de leur rémunération (ch. 4.3 CST). Un tel contrôle n’est ainsi pas compatible avec l’indépendance alléguée par la recourante des livreurs, lesquels s’engagent également à promouvoir la marque « E______ » dans le cadre de leur activité, ce qui ressort des CGU, qui doivent être acceptées par les intéressés avant de pouvoir être admis à effectuer des livraisons, comme le mentionne le formulaire d’acceptation des conditions générales de E______.

C’est également en vain que la recourante prétend qu’elle n’instruirait les livreurs d’aucune manière, lesquels agiraient comme bon leur semble. En effet, les dispositions spécifiques à ce sujet figurant dans le CST leur recommandent notamment de suivre les instructions du restaurateur et d’attendre au moins dix minutes pour qu’un restaurateur et un destinataire de la marchandise se présente (ch. 2.2 CST). Dans ce cadre également, les livreurs se voient évalués, tant par les restaurateurs que les destinataires de la marchandise, ce qui peut conduire, en cas d’avis négatifs, fixés à un seuil relativement bas comme l’ont expliqué les représentants de la recourante à la chambre de céans, à un avertissement et à leur exclusion de la plateforme (ch. 2.5 CST).

À ces éléments s’ajoute le fait que la rémunération perçue par les livreurs n’est pas déterminée par ces derniers, mais unilatéralement par E______, qui peut également unilatéralement les modifier, les coursiers ne pouvant être rémunérés d’aucune autre manière et par E______ seulement (ch. 4.1, 4.2 et 4.3 CST ; ch. 3 « addenda Marketplace »), ce qui s’oppose également à qualifier leur activité d’indépendante.

C’est dès lors à juste titre que l’intimé a qualifié la relation entre la recourante et les livreurs de relations de travail au regard du rapport de subordination auquel ils sont soumis, ce qui exclut toute activité indépendante de leur part.

b. La recourante soutient que le modèle économique poursuivi par la plateforme ne constituerait pas une activité de location de services, en présence d’une simple mise en relation selon les lois de l’offre et de la demande.

Elle ne saurait être suivie sur ce point. En effet, comme elle le relève, l’application ne permet pas aux restaurateurs de choisir librement le livreur qu’ils souhaitent, de sorte qu’il n’y a pas une simple mise en relation, sans intervention de sa part, et ce ne sont pas les livreurs qui doivent rechercher les missions, ce qui est le fait de la plateforme. Quant aux restaurateurs, ils n’ont pas de relations contractuelles avec les livreurs, mais avec E______, par le biais du contrat-cadre et de l’« addenda Marketplace ».

Il ressort en particulier de ces documents contractuels que E______ transmet aux livreurs les « directives raisonnables » concernant la livraison des plats (ch. 4 du contrat-cadre), ceux-ci étant tenus de respecter le délai de livraison indiqué par le restaurateur, notamment les points de ramassage et de dépose des marchandises (ch. 2.2 CST) ; le CST prévoit en outre expressément que les livreurs doivent suivre les instructions du restaurateur (ch. 2.2 CST), ce qui constitue sans ambiguïté un transfert de son pouvoir de donner des directives, les restaurateurs pouvant, comme précédemment mentionné, noter les livreurs, de manière à conduire à la désactivation de leur compte (ch. 2.5 CST). La recourante allègue toutefois que de telles instructions ne seraient données que par le consommateur final, destinataire de la commande. Outre le fait qu’elle omet de prendre en considération les dispositions contractuelles établies par son groupe, elle perd également de vue que ce sont avant tout les restaurateurs qui dictent le rythme des commandes, en fonction de leurs disponibilités et de leur horaire d’ouverture, sur lesquels le client n’a aucune emprise, et demandent ainsi aux livreurs d’être présents à un moment déterminé dans leur établissement pour effectuer leur mission. E______ délègue dès lors un pouvoir de direction des livreurs en faveur des restaurateurs, ce qui constitue également une caractéristique du travail temporaire soumis à la LSE.

La recourante ne peut pas davantage être suivie lorsqu’elle allègue que les restaurateurs ne pourraient jamais compter sur la disponibilité des livreurs, sous peine de mettre à mal l’ensemble de son modèle économique, ce qui ne ressort du reste pas des documents contractuels versés au dossier. Au contraire, l’utilisation de la plateforme permet aux restaurateurs d’augmenter leur chiffre d’affaires, en se passant de salariés affectés à cette tâche, et requiert une organisation de leur part, dans le cadre de laquelle les livreurs sont, d’une certaine manière, intégrés. Rien n’empêche au demeurant les restaurateurs de leur remettre du matériel pour le transport de leurs plats, comme des sacs, des récipients ou encore d’autres objets à leur enseigne ou non, que les livreurs sont tenus d’accepter et livrer tels quels.

Par ailleurs, comme précédemment indiqué, les restaurateurs ne rémunèrent pas les livreurs, ce qui est le seul fait des services E______, qui prélèvent les frais de service correspondant à un pourcentage du prix du plat livré, dont ils versent ensuite une partie aux coursiers sous forme de frais de livraison (ch. 3 « addenda Marketplace »).

Il ressort, enfin, du contrat-cadre que le risque d’une mauvaise exécution d’une livraison entre E______ et les restaurateurs repose sur ceux-ci, lesquels gardent la possession, le contrôle et la responsabilité des plats jusqu’à la livraison (ch. 4 du contrat-cadre).

L’ensemble de ces éléments permet ainsi de conclure à l’existence d’une situation de location de services, pour laquelle la LSE est applicable et exige l’octroi d’une autorisation de l’intimé selon l’art. 12 LSE ce qu’a, à juste titre, constaté l’OCE.

10. La recourante soutient que l’OCE ne pouvait exiger l’inscription d’une succursale au RC de Genève de sa part, dès lors que seule serait compétente l’autorité du lieu de son siège, à Zurich, et que l’intimé n’aurait aucune compétence à raison de la matière pour ce faire.

Au regard des éléments figurant au dossier, il ne fait aucun doute que la recourante exerce, au moins en partie, ses activités à Genève, depuis ses locaux à H______, où ses bureaux sont composés d’une réception et d’autres pièces non ouvertes au public, le site internet de E______ mentionnant cette adresse avec les heures d’ouverture. Lors de sa visite du 11 septembre 2019, l’intimé y a en outre constaté la venue de plus d’une vingtaine de livreurs. À cela s’ajoute que les représentants de la recourante ont également indiqué devant la chambre de céans que trois employés travaillant dans ces locaux étaient actifs pour la plateforme, deux ayant la même fonction au siège de la société. Le bureau de la recourante à Genève, sis dans un autre canton que son siège principal, constitue ainsi non pas une simple adresse postale mais une section d’établissement devant être transformée en succursale pour satisfaire aux exigences de l’art. 12 LSE et être inscrite au RC, ce que l’intimé, l’autorité compétente visée par la LSE, pouvait lui enjoindre de faire. Contrairement à ce que la recourante soutient de manière peu compréhensible, l’inscription au RC d’une succursale ne l’empêche pas de mettre un terme à ses activités et rend dès lors sans objet son grief en lien avec une violation de la liberté économique.

Il s’ensuit que le recours sera rejeté.

11. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 2'500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 juillet 2019 par A______ contre la décision de l’office cantonal de l’emploi du 11 juin 2019 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2'500.- à la charge d’A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Rayan Houdrouge, avocat de la recourante, à Me François Membrez, avocat de l’office cantonal de l’emploi, ainsi qu’au secrétariat d’État à l’économie pour information.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, MM. Thélin et Verniory,
Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. Deschamps

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :