Décisions | Chambre civile
ACJC/742/2025 du 03.06.2025 sur JTPI/892/2025 ( OS ) , MODIFIE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/10352/2024 ACJC/742/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 3 JUIN 2025 |
Entre
A______ - B______, entreprise individuelle, soit pour elle son titulaire, Monsieur A______, sise c/o C______ SARL, ______ [GE], recourante contre un jugement rendu par la 18ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 22 janvier 2025, représentée par Me François CANONICA, avocat, Canonica & Associés, rue François-Bellot 2, 1206 Genève,
et
Monsieur D______ et Madame E______, domiciliés ______ [GE], intimés, représentés par Me Marc JOORY, avocat, Valfor Avocats, rue Jacques-Balmat 5, case postale 1203, 1211 Genève 1.
A. a. A______ est le titulaire de l'entreprise individuelle A______ - B______, inscrite au Registre du commerce de Genève et active dans la réfection de sièges et l'ébénisterie.
b. Par demande déposée en vue de conciliation le 3 mai 2024, déclarée non conciliée le 4 juillet 2024 et introduite devant le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) le 5 juillet 2024, D______ et E______ ont assigné A______ - B______ en paiement de la somme de 18'470 fr. 55 avec intérêts à 5% l'an dès le 8 avril 2024.
c. Dans sa réponse du 22 novembre 2024, comprenant treize pages, A______ - B______ a conclu à l'irrecevabilité de la demande, au motif que celle-ci était dirigée contre une entreprise individuelle, soit une entité dépourvue de la personnalité juridique, et non contre son titulaire, A______. Subsidiairement, elle a conclu au déboutement de D______ et E______ de toutes leurs conclusions, sous suite de frais judiciaires et dépens.
Elle a produit un bordereau de sept pièces, ainsi qu'une procuration signée par A______.
d. Le 26 novembre 2024, le Tribunal a cité les parties à comparaître à une audience devant se tenir le 21 janvier 2025.
e. Par courrier du 20 janvier 2025 au Tribunal, D______ et E______ ont déclaré retirer leur demande en paiement. Ce courrier n'a pas été contresigné par A______ - B______.
Une copie de ce pli a été envoyée au conseil de cette dernière.
f. Le Tribunal a annulé l'audience devant se tenir le 21 janvier 2025.
B. Par jugement JTPI/892/2025 du 22 janvier 2025, le Tribunal a pris acte du retrait de l'action formée le 5 juillet 2024 par D______ et E______ à l'encontre de A______ - B______, avec désistement d'instance (ch. 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 1'120 fr., compensés avec l'avance fournie par D______ et laissés à la charge de ce dernier, ordonné la restitution à D______ du solde de son avance (ch. 2), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 3), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4) et rayé la cause du rôle (ch. 5).
Le Tribunal a statué sur les frais "conformément aux articles 104 ss CPC, notamment 107".
C. a. Par acte déposé le 7 février 2025 à la Cour de justice, A______ - B______, soit pour elle A______, a formé recours contre ce jugement, qu'elle a reçu le 28 janvier 2025. Elle a conclu à son annulation en tant qu'il ne lui allouait pas de dépens et à ce que lui soit versé à ce titre une somme de 3'670 fr., D______ et E______ devant être condamnés conjointement et solidairement en tous les dépens de première instance et le jugement devant être confirmé pour le surplus. Elle a conclu à ce que les frais judiciaires de recours soient laissés à la charge de l'Etat de Genève et à ce qu'une indemnité à titre de dépens de recours lui soit allouée et mise à la charge de l'Etat de Genève.
Elle a reproché au Tribunal de ne pas l'avoir interpellée sur les effets juridiques du retrait de l'action avant de rendre son jugement, de ne pas avoir suffisamment motivé sa décision sur la question des frais et de ne pas lui avoir alloué de dépens, en dépit de l'activité déployée par son conseil, à savoir la participation à une audience de conciliation, la rédaction d'un mémoire de réponse et l'établissement d'un bordereau de pièces, ainsi que la préparation de l'audience qui devait se tenir le 21 janvier 2025. Compte tenu de la valeur litigieuse, l'allocation d'une somme de 3'670 fr. à titre de dépens de première instance lui semblait justifiée.
Elle a produit une pièce nouvelle, à savoir un courrier du conseil de D______ et E______ du 20 janvier 2025 l'informant du retrait de l'action.
b. Dans leur réponse du 31 mars 2025, les précités s'en sont rapportés à justice.
c. Les parties ont été avisées par plis du greffe du 3 avril 2025 de ce que la cause était gardée à juger.
1. Le jugement entrepris ayant été communiqué aux parties après le 1er janvier 2025, les voies de droit prévues par le nouveau droit de procédure sont applicables
(art. 405 al. 1 CPC).
En revanche, la procédure de première instance, qui a débuté en 2024, reste régie par l'ancien droit de procédure (art. 404 al. 1 CPC).
2. 2.1 La décision sur les frais ne peut être attaquée séparément que par un recours (art. 110 CPC cum art. 319 let. b ch. 1 CPC).
2.2 Le recours ayant été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 321 al. 2 CPC), il est recevable.
2.3 La cognition de la Cour est limitée à la constatation manifestement inexacte des faits et à la violation du droit (art. 320 CPC).
3. Dans le cadre d'un recours, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC).
La pièce nouvelle produite par la recourante est donc irrecevable.
4. La recourante reproche au Tribunal de ne pas lui avoir alloué de dépens. Elle lui fait également grief de ne pas avoir motivé sa décision sur ce point, violant ainsi son droit d'être entendue.
4.1 Le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) implique l'obligation, pour l'autorité, de motiver sa décision, afin que son destinataire puisse la comprendre et l'attaquer utilement s'il y a lieu. Le juge n'a, en revanche, pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties. Il suffit qu'il mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 129 I 232 consid. 3.2, in JdT 2004 I 588; arrêt du Tribunal fédéral 5A_598/2012 du 4 décembre 2012 consid. 3.1).
La motivation relative à la fixation des frais judiciaires et des dépens n'est parfois pas nécessaire ou peut demeurer extrêmement sommaire si le juge reste dans les limites d'un tarif fixant des minima et des maxima et que sa décision à cet égard se comprend d'elle-même compte tenu du sort réservé aux prétentions des parties (Tappy, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 4 ad art. 104 CPC et les références citées).
Le droit d'être entendu est une garantie de nature formelle, dont la violation entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond. Selon la jurisprudence, sa violation peut cependant être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen. Une réparation de la violation du droit d'être entendu peut ainsi se justifier, même en présence d'un vice grave, lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1; 137 I 195 consid. 2.3.2).
4.2 En l'espèce, la recourante reproche, à juste titre, au Tribunal de ne pas avoir suffisamment motivé sa décision de ne pas lui allouer de dépens. Le premier juge s'est en effet limité à se référer à l'art. 107 CPC, sans énoncer les circonstances qui justifieraient in casu de renoncer à l'allocation de dépens.
Cela étant, la Cour dispose d'un pouvoir de cognition complet sur la question litigieuse, qui relève du droit, de sorte que ce défaut de motivation peut être guéri dans le cadre de la présente procédure de recours.
Il n'y a donc pas lieu d'annuler le jugement querellé pour ce motif.
5. La recourante a conclu au versement de 3'670 fr. à titre de dépens de première instance.
5.1.1 Les frais, qui comprennent les frais judiciaires et les dépens (art. 95 al. 1 CPC), sont mis à la charge de la partie qui succombe (art. 106 al. 1 1ère phrase CPC). La partie succombante est le demandeur lorsque le tribunal n'entre pas en matière et en cas de désistement d'action; elle est le défendeur en cas d'acquiescement
(art. 106 al. 1 2ème phrase CPC).
Selon l'art. 107 al. 1 CPC, le tribunal peut s'écarter des règles générales et répartir les frais selon sa libre appréciation lorsque le demandeur obtient gain de cause sur le principe de ses conclusions mais non sur leur montant, celui-ci étant tributaire de l'appréciation du tribunal ou difficile à chiffrer (let. a), lorsqu'une partie a intenté le procès de bonne foi (let. b), lorsque le litige relève du droit de la famille (let. c), ou d'un partenariat enregistré (let. d), lorsque la procédure est devenue sans objet et que la loi n'en dispose pas autrement (let. e) et lorsque des circonstances particulières rendent la répartition en fonction du sort de la cause inéquitable (let. f).
Le principe selon lequel les frais doivent être répartis selon l'issue du procès repose sur l'idée que les frais doivent être supportés par celui qui les a occasionnés, étant présumé que c'est la partie qui succombe qui a occasionné les frais (ATF 145 III 153 consid. 3.3.1; 119 Ia 1 consid. 6b). Le juge peut toutefois s'écarter des règles générales posées à l'art. 106 CPC et répartir les frais selon sa libre appréciation dans les hypothèses prévues par l'art. 107 al. 1 CPC. Le juge décide librement si et comment il entend appliquer l'art. 107 al. 1 CPC et jouit d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 143 III 261 consid. 4.2.5; 139 III 358 consid. 3), s'agissant d'une norme fondée sur l'équité et obéissant ainsi aux règles de l'art. 4 CC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_630/2020 du 24 mars 2022 consid. 9, non publié à l'ATF 148 III 115). L'art. 107 al. 1 CPC représente une exception au principe de l'art. 106 al. 1 CPC, de sorte qu'il doit être appliqué restrictivement, seulement en présence de circonstances particulières; il ne doit pas avoir pour conséquence de vider le principe de son contenu (ATF 143 III 261 consid. 4.2.5; arrêt du Tribunal fédéral 5D_69/2017 du 14 juillet 2017 consid. 3.3.1 et les arrêts cités).
5.1.2 Les dépens comprennent notamment les débours nécessaires et le défraiement d'un représentant professionnel (art. 95 al. 3 CPC). Ils sont fixés selon le tarif cantonal. Les parties peuvent produire une note de frais (art. 105 al. 2 CPC qui renvoie à l'art. 96 CPC).
Le défraiement d'un représentant professionnel est, en règle générale, proportionnel à la valeur litigieuse. Il est fixé à Genève, dans les limites figurant dans le règlement fixant le tarif des frais en matière civile (ci-après : RTFMC), d'après l'importance de la cause, ses difficultés, l'ampleur du travail et le temps employé (art. 20 al. 1 LaCC; art. 84 RTFMC).
S'agissant d'une valeur litigieuse entre 10'000 fr. et 20'000 fr., les dépens sont de 2'400 fr. plus 15% de la valeur litigieuse dépassant 10'000 fr. (art. 85 RTFMC). Le juge peut s'écarter de plus ou moins 10% pour tenir compte de l'importance de la cause, ses difficultés, l'ampleur du travail et le temps employé (art. 84 al. 2 RTFMC). La valeur du litige est déterminée par les conclusions (art. 91 al. 1
1ère phrase CPC).
Les débours nécessaires sont estimés, sauf éléments contraires, à 3% du défraiement et s'ajoutent à celui-ci (art. 25 LaCC). La juridiction fixe les dépens d'après le dossier en chiffres ronds incluant la taxe sur la valeur ajoutée, soit 8.1% (art. 26 al. 1 LaCC; art. 25 al. 1 LTVA).
5.2.1 En l'espèce, au regard de l'art. 106 al. 1 2ème phrase CPC, les intimés doivent être considérés comme partie succombante puisqu'ils ont retiré leur action avec désistement.
On ne saurait suivre le Tribunal qui a retenu, sans motivation, que l'une ou l'autre des exceptions prévues par l'art. 107 al. 1 CPC aurait été remplie. En effet, dès lors que le cas du retrait de l'action avec désistement est expressément prévu par l'art. 106 al. 1 CPC, il ne peut être considéré comme un cas particulier tombant sous le coup de l'art. 107 al. 1 CPC. Par ailleurs, aucune des hypothèses prévues par l'art. 107 al. 1 CPC ne paraît réalisée. En particulier, les intimés ne soutiennent pas qu'ils auraient intenté le procès de bonne foi (let. b), que la cause serait devenue sans objet (let. e) ou que des circonstances particulières rendraient leur condamnation à des dépens inéquitable (let. f).
Compte tenu de ce qui précède, il se justifie de condamner les intimées à verser des dépens à la recourante.
5.2.2 Celle-ci n'ayant pas déposé de note de frais, les dépens doivent être fixés sur la base du tarif cantonal.
La recourante prétend au versement d'une somme de 3'670 fr. qui correspond au montant obtenu en application de l'art. 85 RTFMC (2'400 fr. de forfait + 15% de 8'470 fr. 55, soit 1'270 fr.), hors débours et TVA, de sorte qu'il sera fait droit à ses conclusions.
Le chiffre 3 du dispositif du jugement sera dès lors annulé et il sera statué à nouveau (art. 327 al. 3 let. b CPC), en ce sens que les intimés seront condamnés, solidairement entre eux, à verser 3'670 fr. à la recourante à titre de dépens de première instance.
6. Vu l'issue du litige, les frais judiciaires de recours, arrêtés à 800 fr. (art. 17 et 35 RTFMC), seront laissés à la charge de l'Etat de Genève (art. 107 al. 2 CPC). L'avance de frais effectuée par la recourante lui sera restituée (art. 111 al. 1 CPC).
Il ne sera pas alloué de dépens de recours, étant relevé que l'art. 107 al. 2 CPC ne prévoit pas la possibilité de mettre les dépens à charge du canton si celui-ci n'est pas partie au procès (art. 107 al. 2 CPC a contrario; ATF 140 III 385 consid. 4.1) et que la recourante n'a pas conclu à ce que ceux-ci soient mis à la charge des intimés, lesquels n'ont pas conclu à la confirmation du jugement (art. 107 al. 1 let. f CPC; cf. arrêt du Tribunal fédéral 5A_932/2016 du 24 juillet 2017 consid. 2.2.4).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours formé le 7 février 2025 par A______ - B______, soit pour elle par A______, contre le jugement JTPI/892/2025 rendu le 22 janvier 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/10352/2024.
Au fond :
Annule le chiffre 3 du dispositif de ce jugement, et statuant à nouveau sur ce point :
Condamne D______ et E______, solidairement entre eux, à verser 3'670 fr. à A______ - B______, soit pour elle à A______, à titre de dépens de première instance.
Confirme le jugement attaqué pour le surplus.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires de recours à 800 fr. et les laisse à la charge de l'Etat de Genève.
Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer 800 fr. à A______ - B______, soit pour elle à A______.
Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de recours.
Siégeant :
Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.
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Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire. Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.