Skip to main content

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/3200/2023

JTAPI/481/2024 du 22.05.2024 ( LCI ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : DÉCISION INCIDENTE;CHANGEMENT D'AFFECTATION;ZONE;VILLA;GÉRANT(SENS GÉNÉRAL);MAISON DE PROSTITUTION;DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ
Normes : LPA.57.letc; LPA.4; LCI.1; LaLAT.19.al3; LProst.17.letd; LAT.22.al1; RCI.10B; LaLAT.19.al3
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3200/2023 LCI

JTAPI/481/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 22 mai 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Olivier WEHRLI, avocat, avec élection de domicile

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE

 


EN FAIT

1.             Depuis le 1er juin 2010, Madame A______ est locataire d’un appartement de quatre pièces, sis à ______[GE], en zone 5. Destiné à son habitation, elle y exerce également son activité professionnelle dans l’une des pièces, soit la gestion de l’agence d’escortes B______.

2.             Le 13 juin 2022, Mme A______ a déposé auprès du département du territoire (ci-après : DT ou le département) le formulaire de demande de préavis en vue de l’exploitation d’une agence d’escorte de la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite (ci-après : BTPI).

3.             Le 27 juin 2022, le département a rendu un préavis négatif au motif qu’une requête en autorisation de construire, en bonne et due forme, devait être déposée pour le changement d’affectation et éventuels travaux.

4.             L’intéressée s’est exécutée le ______ 2023 (APA 1______). Elle a notamment joint à sa demande au département, son bail ainsi qu’un croquis de son appartement.

5.             Le ______ 2023, l’office des autorisations de construire (ci-après : OAC) a rendu un préavis défavorable pour le changement d’affectation dudit logement en commerce. Le propriétaire foncier devait signer la requête. Les plans A02 et A03 à extraire du site cantonal de la direction de l'information du territoire devaient être fournis. Le périmètre du projet devait être désigné sur le plan cadastral A03. Le plan A04 projeté devait être établi au 1 :100ème, à l’échelle, côté et être orthonormé. Devaient y figurer la situation d’étage et l’orientation cardinale. Les vides d’étages légaux des pièces au sens de l’art. 77 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) devaient être notifiés. La pièce désignée bureau devait être munie d’apport de lumière par des jours légaux directs. Le formulaire de l’OCIRT S01 et celui de la police du feu O01 devaient également être fournis. Les dispositions de l’art. 19 al. 3 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) demeuraient réservées.

6.             Par renvoi d’entrée du 24 mai 2023, le département a invité Mme A______ à déposer un nouveau dossier complété, sa requête étant lacunaire. L’intéressée n’a pas donné suite à cette demande.

7.             Le 21 août 2023, le département des institutions et du numérique (ci-après : DIN) a demandé à l’intéressée de lui fournir un préavis favorable du département concernant l’affectation des locaux loués, conformément à l’art. 17 let. d de la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49).

8.             Le 23 août 2023, Mme A______, sous la plume de son conseil, s’est adressée au département afin qu’il lui confirme qu’aucune dérogation ni autorisation n’était nécessaire pour l’utilisation d’un bureau dans son logement, destiné à son activité professionnelle.

9.             Par courriel du 6 septembre 2023, le département lui a répondu que le changement de destination d’une construction ou d’une installation, même partiel, était soumis à autorisation de construire. Le 18 septembre 2023, toujours sous la plume de son conseil, elle a sollicité une décision formelle.

10.         Par décision du ______ 2023, le département a ordonné à Mme A______ de requérir dans un délai de dix jours, une autorisation de construire en procédure accélérée complète, par le biais d’un mandataire professionnellement qualifié
(ci-après : MPQ), sous réserve de l’art. 2 al. 3 LCI. À défaut, elle s’exposait à toutes mesures ou sanctions justifiées par la situation.

Vu les éléments qu’elle avait exposés et après analyse de sa demande, le changement d’affectation, même partiel des locaux, était soumis à l’obtention d’une autorisation de construire, conformément à l’art. 1 LCI ainsi qu’en référence à l’art. 19 al. 3 LaLAT.

11.         Par acte du 3 octobre 2023, Mme A______ a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à l’encontre de la décision précitée, concluant à son annulation et à sa mise à néant, et à ce qu’il soit constaté qu’elle peut exploiter un bureau consacré à l’agence d’escortes B______ dans les locaux qu’elle loue, sis ______[GE], sous suite de frais et dépens. Préalablement, elle a conclu à ce que l’effet suspensif au recours soit constaté, subsidiairement à ce qu’il soit octroyé. Elle a implicitement requis son audition et un transport sur place.

Elle exerçait uniquement une activité d’agence d’escortes et n’exploitait aucun salon de prostitution à son domicile. Elle s’occupait simplement de mettre en contact des clients potentiels avec des personnes exerçant la prostitution, ce qui n’engendrait aucune nuisance pour le voisinage, était conforme à la zone et ne nécessitait aucun aménagement des locaux ni changement d’affectation. L’exception de l’art. 19 al. 3 LaLAT devait donc s’appliquer sans qu’elle ne doive déposer de demande de changement d’affectation. L’art. 17 LProst avait été introduit afin de s’assurer que les locaux pouvaient être utilisés pour une activité commerciale ou qu’une dérogation avait été accordée. Cette modification n’avait pas pour but de prévoir un régime spécial applicable aux locaux dans lesquels une activité assujettie à la LProst était exercée.

12.         Dans ses observations du 11 décembre 2023, le département a conclu à la forme, à l’irrecevabilité du recours, au fond à son rejet et à la confirmation de la décision entreprise, sous suite de frais et dépens.

La mesure administrative était un ordre de déposer une requête en autorisation de construire revêtant un caractère incident. Selon l’art. 57 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10), elle était sujette à recours si elle pouvait causer un préjudice irréparable ou si son admission pouvait conduire immédiatement à une décision finale permettant d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

13.         La recourante a répliqué le 31 janvier 2024. Sa situation s’apparentait à une partie de ping-pong entre le DIN et le département. Le DIN lui avait conseillé de s’adresser au département pour obtenir une tolérance. Elle avait alors contacté l’architecte LDTR du département qui, après plusieurs échanges d’e-mails, l’avait renvoyée vers l’OAC. Elle avait alors déposé une autorisation de construire le ______ 2023 qui avait été rejetée. Or, dans son refus d’entrer en matière du 22 mai 2023, le département réservait l’application de l’art. 19 al. 3 LaLAT. Elle avait alors informé le DIN qu’elle ne donnerait pas suite à cette demande au vu des nombreuses pièces à fournir. Il lui avait été répondu que la demande d’autorisation de construire était peu onéreuse et ne nécessitait pas l’aide d’un architecte.

Le 23 août 2023, elle avait demandé au département qu’il confirme qu’aucune dérogation ou autorisation n’était nécessaire compte tenu de l’art. 19 al. 3 LaLAT permettait l’activité en cause. Cette requête constituait une demande en constatation fondée sur les art. 4 et 4a LPA. La décision querellée retenait qu’un changement d’affectation même partiel de ses locaux était soumise à l’obtention d’une autorisation de construire. Elle n’était donc pas une étape vers une décision finale mais constituait bien l’objet principal du litige.

Si la décision contestée devait être qualifiée d’incidente, son recours devait être déclaré recevable. En jugeant qu’il n’y avait pas besoin de déposer une autorisation de construire, le tribunal mettrait immédiatement fin au litige. L’art. 19 al. 3 LaLAT étant manifestement applicable, une décision immédiate lui permettrait d’éviter une procédure longue et couteuse. Elle devait joindre trois plans dont un orthonormé et réalisé à une échelle précise ainsi que deux formulaires – pour l’office cantonal de l'inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) et pour la police du feu - à sa demande d’autorisation de construire concernant des modifications en réalité inexistantes. N’ayant pas les connaissances nécessaires, elle devrait faire appel à un architecte pour dessiner les plans alors que l’appartement loué ne subirait aucun changement. S’ensuivraient des coûts non négligeables estimés à environ CHF 3'000.- à CHF 5'000.- et des émoluments de CHF 1'150.-. Depuis plus d’un an, elle avait été renvoyée entre plusieurs services et elle devait maintenant entamer de nouvelles démarches longues et coûteuses, ce qui ne constituait pas une simple démarche administrative. Enfin, l’exigence du dépôt d’une autorisation de construire signée par le propriétaire réintroduisait l’accord du propriétaire pour l’utilisation des locaux en lien avec l’activité de prostitution, exigence jugée inconstitutionnelle par le Tribunal fédéral.

14.         Dans sa duplique du 29 février 2024, le département a campé sur ses positions.

15.         Le détail des pièces et des arguments des parties sera repris ci-après dans la partie « en droit », dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             L’admission de la qualité pour recourir ne signifie pas encore que toutes les conclusions respectivement les griefs formulés par la recourante soient recevables.

3.             En effet, sous peine d’être irrecevable, une conclusion ne peut être exorbitante à l’objet du litige (ATA/195/2022 du 22 février 2022 consid. 3). Cet objet est défini principalement par l’objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu’il invoque. L’objet du litige correspond objectivement à l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2). La contestation ne peut excéder l’objet de la décision attaquée, c’est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l’autorité inférieure s’est prononcée ou aurait dû se prononcer (ATA/1367/2023 du 19 décembre 2023 consid. 4.8).

4.             En l’espèce, l’objet du litige porte sur l’ordre de requérir une autorisation de construire en procédure accélérée. La conclusion tendant à ce qu’il soit constaté que la recourante peut exploiter un bureau consacré à l’agence d’escortes B______ dans les locaux qu’elle loue, est exorbitante à l’objet de la décision entreprise et, partant, irrecevable.

5.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

6.             Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ;
140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

7.             Doit être tranchée la question de la recevabilité du recours.

8.             Selon l’art. 57 LPA, sont notamment susceptibles d’un recours les décisions finales
(let. a) et les décisions incidentes, si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. c).

9.             Au sens de l’art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c).

10.         Ce n’est pas la forme de l’acte qui est déterminante, mais son contenu et ses effets. Toute décision au sens de l’art. 4 LPA doit avoir un fondement de droit public.
Il ne peut en effet y avoir décision que s’il y a application, au travers de celle-ci, de normes de droit public. De nature unilatérale, une décision se réfère à la loi dont elle reproduit le contenu normatif de la règle. Une décision tend à modifier une situation juridique préexistante.

11.         Pour déterminer s'il y a ou non décision, il y a lieu de considérer les caractéristiques matérielles de l'acte. Un acte peut ainsi être qualifié de décision (matérielle), si, par son contenu, il en a le caractère, même s'il n'est pas intitulé comme tel et ne présente pas certains éléments formels typiques d'une décision, telle l'indication des voies de droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_282/2017 précité consid. 2.1 et les références citées).

12.         En droit genevois, la notion de décision est calquée sur le droit fédéral, ce qui est également valable pour les cas limites, ou plus exactement pour les actes dont l’adoption n’ouvre pas de voie de recours. De manière générale, les communications, opinions, recommandations et renseignements ne déploient aucun effet juridique et ne sont pas assimilables à des décisions (arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2016 du 11 septembre 2017 consid. 2.2 ; 8C_220/2011 du 2 mars 2012 consid. 4.1.2 ; ATA/1024/2020 du 13 octobre 2020 consid. 3c).

13.         Constitue une décision finale celle qui met un terme à l’instance engagée (ATA/261/2009 du 19 mai 2009 ; Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, n° 2.2.4.2, p. 256).

14.         Sont des décisions incidentes celles prises pendant le cours de la procédure, qui ne représentent qu’une étape vers la décision finale (Pierre MOOR/Etienne POLTIER, op. cit., p. 225, n. 2.2.4.2).

15.         De jurisprudence constante, l'ordre de déposer une demande d'autorisation de construire est une décision incidente (ATA/341/2024 du 5 mars 2024 consid. 2.4 ; ATA/957/2020 du 29 septembre 2020 consid. 4 ; ATA/1399/2019 du 17 septembre 2019 confirmé par un arrêt du Tribunal fédéral 1C_557/2019 du 21 avril 2020 ; ATA/1548/2017 du 28 novembre 2017 consid. 4 ; ATA/433/2018 du 8 mai 2018 consid. 4) qui ne cause aucun préjudice irréparable aux recourants (arrêt du Tribunal fédéral 1C_278/2017 du 10 octobre 2017 consid. 2.2 et 2.3, qui confirme l'ATA/360/2017 du 28 mars 2017). Le Tribunal fédéral a notamment précisé, s'agissant de l'obligation de constituer un dossier en vue du dépôt d'une requête en autorisation, que si elle impose différentes démarches aux propriétaires concernés, on ne saurait considérer qu'elle cause un préjudice irréparable (arrêt du Tribunal fédéral 1C_278/2017 précité consid. 2.3.2). En outre, il a retenu que les coûts liés à de telles procédures ne constituent pas un préjudice juridique (ATF 135 II 30 consid. 1.3.4 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_392/2016 et 1C_390/2016 du 5 septembre 2016 consid. 2.2).

16.         Selon le Tribunal fédéral, la procédure d'autorisation de construire doit permettre à l'autorité de contrôler, avant la réalisation du projet, sa conformité aux plans d'affectation et aux réglementations applicables. Pour déterminer si l'aménagement prévu est soumis à cette procédure, il faut évaluer si, en général, d'après le cours ordinaire des choses, il entraînera des conséquences telles qu'il existe un intérêt de la collectivité ou des voisins à un contrôle préalable (ATF 139 II 134 consid. 5.2 ; ATF 123 II 256 consid. 3 ; ATF 120 Ib 379 consid. 3c, ATF 119 Ib 222 consid. 3a ; arrêt 1C_107/2011 du 5 septembre 2011 consid. 3.2).

17.         Lorsque l'intéressé, précédemment invité à déposer une demande d'autorisation de construire pour régulariser la situation, ne s'y conforme pas, ni ne détruit la construction querellée, le département prononce une décision, sujette à recours, conformément aux art. 129 et 130 LCI (ATA/526/2016 et ATA/527/2016 du 21 juin 2016, consid. 2).

18.         L’ordre de déposer une demande d'autorisation de construire constitue une concrétisation du principe de proportionnalité en lien avec l'art. 129 LCI (ATA/1399/2019 du 17 septembre 2019), étant relevé qu'il ne sert à rien de demander une autorisation de construire en vue de régularisation lorsque la construction viole gravement le droit (Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, Aménagement, construction, expropriation, 2001, p. 425), mais qu'inversement, le fait de passer par une procédure en autorisation de construire en bonne et due forme « est la meilleure manière de garantir les droits du détenteur de la construction et des tiers puisqu'elle mène à une décision dont la publicité est assurée au début puis au terme de la procédure » (ATA/1258/2015 du 24 novembre 2015 et réf. cit.).

19.         Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, un préjudice est irréparable au sens de l’art. 57 let. c LPA lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 135 II 30 ; 134 II 137 ; 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a). Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas, en soi, un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 II 629 consid. 2.3.1 ; 131 I 57 consid. 1 ; 129 III 107 consid. 1.2.1 ; 127 I 92 consid. 1c ; 126 I 97 consid. 1b).

20.         La chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a précisé à plusieurs reprises que l'art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/231/2017 du 22 février 2017 ; ATA/385/2016 du 3 mai 2016 ; ATA/64/2014 du 4 février 2014).

21.         Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4).

22.         En l’espèce, la décision attaquée retient que le changement d’affectation, même partiel des locaux, est soumise à l’obtention d’une autorisation de construire conformément à l’art. 1 LCI et à l’art. 19 al. 3 LaLAT. Eu égard à ce constat, cette décision ordonne le dépôt d’une demande d’autorisation de construire, laquelle donnera lieu à une décision d’octroi ou de refus y relative. Elle ne préjuge pas de la décision finale. La décision du ______ 2023 n'a pas d'autres effets juridiques que d’ordonner à la recourante de déposer une demande d'autorisation de construire. Elle constitue une étape qui devra conduire le département à analyser le dossier au fond et ne met donc pas fin à la procédure mais en ouvre une nouvelle phase. La recourante conserve, le cas échéant, la possibilité de recourir contre la décision que prendra le département ultérieurement, après l’instruction complète du dossier, si elle l’estime fondé.

Partant, la décision litigieuse est bien une décision incidente.

23.         S’agissant d’un éventuel préjudice irréparable, il sied de relever qu’un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 135 II 30 ; 134 II 137 ; 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a). Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas, en soi, un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue.

24.         Conformément à la jurisprudence précitée, la décision querellée n’est pas susceptible de causer un préjudice irréparable à la recourante, cette dernière n’ayant soulevé qu’un intérêt purement économique et le fait d’avoir à subir une procédure.

25.         Autre est la question de savoir si l’admission du recours conduirait immédiatement à une décision finale permettant de lui éviter une procédure probatoire longue et coûteuse. À cet effet, la recourante soulève qu’il n’est pas nécessaire de déposer une autorisation de construire car elle bénéficie directement de l’art. 19 al. 3 LaLAT. Ainsi, seule une décision en constatation du département devrait lui être notifiée.

26.         Il sied donc d’examiner si l’usage des locaux tel que prévu par la recourante nécessite un changement d’affectation ou non.

27.         Toute personne physique qui exploite une agence d'escorte est tenue de s'annoncer, préalablement et par écrit, aux autorités compétentes en indiquant le nombre et l'identité des personnes qui exercent la prostitution par son intermédiaire (art. 16 al. 1 LProst). La personne qui effectue l’annonce est considérée comme personne responsable au sens de la LProst (art. 16 al. 3 LProst).

28.         Selon l’art. 17 LProst, la personne responsable d'une agence d'escorte doit être de nationalité suisse ou titulaire de l'autorisation nécessaire pour exercer une activité indépendante en Suisse (let. a), avoir l'exercice des droits civils (let. b), offrir, par ses antécédents et son comportement, toute garantie d'honorabilité et de solvabilité concernant la sphère d'activité envisagée (let. c), être au bénéfice d'un préavis favorable du département du territoire confirmant que les locaux utilisés peuvent être affectés à une activité commerciale ou qu'une dérogation a été accordée (let. d) et ne pas avoir été responsable, au cours des dix dernières années, d'une agence d'escorte ou d'un salon ayant fait l'objet d'une fermeture et d'une interdiction d'exploiter au sens des articles 14 et 21 (let. e).

29.         En vertu de l’art. 12 al. 1 du règlement d'exécution de la loi sur la prostitution du 14 avril 2010 (RProst - I 2 49.01), l'annonce doit être formulée préalablement et par écrit au moyen du formulaire adéquat édicté par la BTPI. La BTPI sollicite le préavis du département du territoire, confirmant que les locaux utilisés peuvent être affectés à une activité commerciale ou qu'une dérogation a été accordée (al. 3). Si la personne qui a effectué l'annonce remplit toutes les conditions personnelles et si le département du territoire délivre le préavis prévu à l'al. 3, la BTPI procède à son inscription au registre des personnes responsables d'une agence d'escorte (al. 4).

30.         L'art. 17 let. d LProst est entré en vigueur le 29 juillet 2017. Il est issu d'une modification législative faisait notamment suite à certaines recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport n° 85 du 16 décembre 2014 (ci-après : le rapport n° 85), portant sur une évaluation de la politique publique en matière de prostitution visant entre autres à améliorer les conditions d’exercice de la prostitution et à développer l’autonomie des travailleurs du sexe (projet de loi n° 12'031 du 30 novembre 2016 modifiant la LProst [ci-après : PL 12'031]).

31.         Dans son rapport, la Cour des comptes a notamment relevé que la BTPI n’effectuait pas de contrôle de conformité sous l’angle de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) ni ne communiquait d’informations au département, n’y étant pas tenue par la LProst. La Cour des comptes a ainsi recommandé au département en charge de la sécurité de coordonner son action, lors de la procédure d’enregistrement, avec celle du département afin qu’un contrôle de conformité à la LDTR soit effectué en prenant notamment en compte la procédure de dérogations prévue à l’art. 8 LDTR en cas de changement d’affectation (p. 64 et p. 68). L'art. 17 let. d LProst est donc une concrétisation de cette recommandation.

32.         À teneur des travaux préparatoires relatifs au PL 12'031, la problématique visée par le nouvel art. 17 let. d LProst concernait également les salons exploités dans des villas, qui n'étaient pas soumis à la LDTR, mais à la LaLAT, laquelle contenait elle-aussi des dispositions relatives à l'activité commerciale et aux dérogations susceptible d'être accordées. Le préavis du département devait donc confirmer pour les activités exploitées dans des villas soumises à la LaLAT, qu’elles étaient conformes à la zone villas ou qu'une dérogation avait été accordée.

33.         Les travaux préparatoires relevaient encore que la modification légale relative à l'art. 17 let. d LProst ne découlait pas directement du rapport de la Cour des comptes, dont la recommandation ne visait en réalité que les salons et non les agences d'escorte. Bien que la problématique liée au changement d'affectation était moins sensible dans le cadre d'une agence d'escorte, qui n'avait le plus souvent pas véritablement de locaux professionnels, il était néanmoins prudent de modifier également l'art. 17, pour y introduire une lettre d (nouvelle) et prévoir que la personne qui s'annonçait comme responsable d'une agence d'escorte devait joindre un préavis confirmant que les locaux utilisés pouvaient être affectés à une activité commerciale ou qu'une dérogation avait été accordée. Là aussi, le préavis devrait faire la distinction entre les agences d'escorte exploitées dans des immeubles soumis à la LDTR et celles exploitées dans des villas soumises à la LaLAT. A noter, au niveau procédural, que le préavis ne serait pas sollicité directement par la personne responsable d'une agence d'escorte mais par le département chargé de la sécurité, et que l'agence d'escorte ne pourrait pas être mise en exploitation tant que le préavis favorable n’aurait pas été délivré et que la personne responsable n'aurait pas été inscrite au registre tenu par la BTPI.

34.         Aux termes de l'art. 22 al. 1 LAT aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l'autorité compétente. Selon la jurisprudence, un changement d'affectation, même lorsqu'il ne nécessite pas de travaux de construction, reste en principe soumis à l'octroi d'un permis de construire. En l'absence de travaux, la modification du but de l'utilisation « Zweckänderung » peut cependant être dispensée d'autorisation de construire si la nouvelle affectation est conforme à celle de la zone en question ou si son incidence sur l'environnement et la planification est manifestement mineure (ATF 113 Ib 219 consid. 4d p. 223; arrêts du Tribunal fédéral 1C_107/2016 du 28 juillet 2016 consid. 6.1 ; 1C_395/2015 du 7 décembre 2015 consid. 3.1.1; cf. également ATF 139 II 134 consid. 5.2 p. 139 s.; voir également ALEXANDER RUCH, Commentaire LAT, 2010, n. 34 s. ad art. 22 LAT). Si les effets engendrés par la nouvelle utilisation se révèlent plus importants que précédemment, une autorisation de construire est en revanche requise; il en va en particulier ainsi en cas d'augmentation significative des immissions (cf. arrêts 1C_395/2015 précité consid. 3.1.1; 1C_347/2014 du 16 janvier 2015 consid. 3.2).  

35.         Selon la doctrine, l’exigence posée par l’art. 22 LAT est une exigence minimale ; les lois cantonales peuvent donc décider d’un régime plus sévère et soumettre à l’obligation du permis de construire des projets qui en seraient dispensés selon l’art. 22 LAT ( Heinz AEMISEGGER/Alfred KUTTLER/Pierre MOOR/Alexander RUCH/Pierre TSCHANNEN [éd.], Commentaire de la loi sur l'aménagement du territoire, 2010, ad. art. 22, p. 4 n. 4 ; Nicolas MICHEL, op. cit., n. 1397 ss).

36.         L’art. 1 al. 1 let. b LCI prévoit que sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé, modifier même partiellement le volume, l’architecture, la couleur, l’implantation, la distribution ou la destination d’une construction ou d’une installation. Selon la jurisprudence cantonale, cette disposition doit être lue de manière stricte (ATA/1346/2015 du 15 décembre 2015 consid. 6).

37.         La jurisprudence fédérale et cantonale est très extensive en matière d’assujettissement à l’autorisation de construire (Nicolas MICHEL, Droit public de la construction, 1996, n. 1417).

38.         À été considéré comme non assujetti à l’autorisation en vertu de l’art. 1 LCI un projet consistant à installer, sans aucune modification, dans les bâtiments sis sur la parcelle en cause, une entreprise de miroiterie-vitrerie à la place d’une serrurerie. Aucun bâtiment n’est touché ni dans son aspect physique ni dans sa destination : il y a simplement remplacement d’une activité de type artisanal par une autre activité du même type, ce qui ne constitue pas un changement d’affectation (Nicolas MICHEL, op. cit., n. 1416 et la référence citée).

39.         En revanche, les tribunaux ont admis que l’utilisation de logements à d’autres fins que l’habitation ou encore la conversion d’un local d’habitation en institut de beauté, même si celle-ci n’entraîne pas de travaux, constituent des changements d’affectation soumis à autorisation (Nicolas MICHEL, op. cit., n. 1398 ss et les références citées).

40.         Partant, il est exclu qu’un projet de changement partiel d’affectation non conforme à la zone soit dispensé de l’obligation d’autorisation de construire et ce, même si celui-ci ne nécessite pas de travaux de construction ou de transformation, comme en l’espèce. C’est donc bien dans le cadre d’une procédure accélérée au sens de l’art. 3 al. 7 LCI que le département devra analyser si les conditions de l’art. 19 al. 3 LaLAT sont réalisées, soit si la recourante utilise de manière prépondérante l’objet loué comme habitation principale, de quelle manière elle fait usage de l’une des pièces pour son activité professionnelle (aménagement, activité, accueil des clients et/ou escort ou non et horaires) et si cette activité n’entraine pas de nuisances graves pour le voisinage, éventuellement examiner s’il y a lieu de déroger à la zone conformément à l’art. 26 al. 1 LaLAT.

À cet effet, il ressort de l’art. 10B du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI – L 5 05.01) qu’il y a notamment lieu de joindre à la demande accélérée les plans et documents mentionnés à l’al. 2, uniquement dans la mesure où ils sont nécessaires. Or, prima facie, il n’apparaît pas que tous les documents requis par le département dans son préavis défavorable du 22 mai 2023 soient nécessaires pour instruire la requête de la recourante. En particulier, le plan A04 (établi au 1 :100ème, à l’échelle, côté et être orthonormé), la situation d’étage, l’orientation cardinale, la notification des vides d’étages et le formulaire de la police du feu n’apparaissent pas nécessaires à l’examen. Les plans A02 et A03, soit un plan de base au 1/2500e et un plan cadastral au 1/500e ou 1/250e, (accessibles et téléchargeables sur le site internet https://ge.ch/sitg/) ainsi qu’un plan de l’appartement avec les dimensions côté, des photographies de chaque pièce et le formulaire de l’OCIRT S01 apparaissent suffisants pour procéder à l’analyse. Ces exigences permettraient également de respecter le principe de la proportionnalité. Par ailleurs, il n’apparaît pas non plus nécessaire qu’un MPQ établisse les plans et documents requis (art. 2 al. 3 in fine LCI). S’agissant de la signature du propriétaire, le département veillera à se conformer aux exigences de rang constitutionnel telles qu’elles découlent de l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_230/2010 du 12 avril 2011 (consid. 4). En effet, l’art. 17 let. d LProst soumettant le droit du responsable d’une agence d'escorte à la preuve qu'il se trouve au bénéfice de l'accord écrit du propriétaire de l'immeuble destiné à abriter ce commerce a été annulé par notre Haute Cour dans le cadre de son examen abstrait de ladite norme. Cela étant, la recourante ne se plaint pas que le propriétaire de son appartement refuserait de signer la demande d’autorisation de construire. Au contraire, il apparaît que ce dernier approuve le changement d’affectation.

41.         Il s’ensuit que le recours doit être déclaré irrecevable.

42.         Le présent jugement rend sans objet les demandes d’octroi de l’effet suspensif au recours, de comparution personnelle et de transport sur place.

43.         Statuant sur une décision incidente, le présent jugement constitue lui-même une décision incidente (ATF 139 V 600 consid. 2.1) soumise à un délai de recours de dix jours (art. 62 al. 1 let. b LPA).

44.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante qui succombe est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais de CHF 900.- versée à la suite du dépôt du recours.

45.         Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare irrecevable le recours interjeté le 3 octobre 2023 par Madame A______ contre la décision du département du territoire du ______ 2023;

2.             le déclare sans objet s’agissant de l’octroi de l’effet suspensif et des réquisitions de preuves ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 400.- ;

5.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. b et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose la recourante.

Siégeant : Gwénaëlle GATTONI, présidente, Oleg CALAME et Aurèle MULLER, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

 

Genève, le

 

Le greffier