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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2886/2023

JTAPI/650/2024 du 27.06.2024 ( LCI ) , ADMIS

Descripteurs : PRINCIPE DE LA BONNE FOI;PROPORTIONNALITÉ;REMISE EN L'ÉTAT;ZONE AGRICOLE;CHANGEMENT D'AFFECTATION
Normes : LCI.129.lete; Cst; Cst; Cst
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2886/2023 LCI

JTAPI/650/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 27 juin 2024

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Me Julien PACOT, avocat, avec élection de domicile

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             A______ SA (ci-après : A______) est propriétaire de la parcelle n° 1______ (ci-après : la parcelle) située sur la Commune de B______, en zone agricole.

2.             Plusieurs constructions sont actuellement sises sur la parcelle, notamment les bâtiments n° 2______ et 3______ (ci-après : les bâtiments litigieux).

3.             Le ______ 1978, Monsieur C______, alors propriétaire de la parcelle, a déposé une requête en vue de l'autorisation de l'agrandissement de la ferme qui s'y trouvait par la construction d'une étable avec fenil à l'étage au nord (bâtiment n° 2______) et d'une remise au sud (bâtiment n° 3______).

4.             Le ______ 1978, la Direction de la police des constructions de l'ancien Département des travaux publics a accordé l'autorisation sollicitée (DD 4______).

5.             Monsieur D______, né en 1965, fils de l'ancien propriétaire, a attesté avoir vécu dans le domaine familial, situé sur la parcelle litigieuse, jusqu'en 1989. Il a indiqué qu'un logement, ainsi qu'un bureau avaient été réalisés par ses parents, au début des années 1980, dans les bâtiments litigieux.

6.             Le 18 août 2015, Me E______, huissier judiciaire, a établi un procès-verbal de constat, sur demande de Monsieur F______, devenu entre-temps propriétaire de la parcelle, aux fins de procéder à un constat photographique du corps de ferme et de plusieurs hangars et dépendances agricoles sis sur ladite parcelle.

Il en ressortait notamment que :

-                 tant les espaces extérieurs que l'intérieur des différents bâtiments présents sur la parcelle avaient été visités et photographiés ;

-                 la photographie n° 12 correspondait à la façade « côté G______ » des bâtiments litigieux ;

-                 les photographies n° 18 à 22 correspondaient à la façade « côté piscine et jardin » des bâtiments litigieux ;

-                 les photographies n° 66 à 68 indiquaient la présence d'un espace de bureau, au rez-de-chaussée ;

-                 les photographies n° 149 à 164 faisaient état d'un logement au 1er étage, composé d'une cuisine (n° 149 et 150), d'un salon (n° 151 à 153), d'un couloir d'accès aux sanitaires et aux chambres (n° 154), d'une salle de bains (n° 155 à 157), d'une première chambre (n° 158 et 159), d'un petit escalier menant au dressing et à la seconde chambre (n° 160), d'un dressing (n° 161), d'un wc (n° 162) et d'une seconde chambre (n° 163 et 164).

-                 les photographies n° 147 et 148 montraient, derrière une porte en bois (n° 41), l'escalier desservant cet appartement ;

-                 les photographies n° 40 à 43 représentaient un dépôt au rez-de-chaussée du bâtiment n° 3______ ;

-                 la photographie n° 165 indiquait l'entrée de l'écurie par le dépôt précité ;

-                 l'écurie, située au rez-de-chaussée du bâtiment n° 2______, était composée d'un hall (n° 166), d'un wc (n° 167), d'un local de douche (n° 168), de vestiaires (n° 169) et d'une écurie (n° 170 à 173).

7.             Le ______ 2016, A______ a déposé une requête en autorisation de construire en vue de la rénovation, la transformation, la démolition de certaines parties du bâtiment, l'agrandissement de la ferme principale et l'abattage d'arbres, enregistrée sous la référence n° DD 5______/1. Les bâtiments litigieux ne faisaient pas l'objet de cette autorisation qui a été délivrée le ______ 2017.

8.             Le 4 octobre 2017, dans le cadre de la procédure de désassujettissement à la loi fédérale sur le droit foncier rural (LDFR - RS 211.412.11) d'une partie de la parcelle (dossier CFA n° 6______), l'ancien Département de l'aménagement, du logement et de l'énergie a adressé à M. F______ sa détermination.

Il en ressortait notamment que des recherches avaient été effectuées par le département dans ses archives, en particulier dans le cadre de l'autorisation de construire n° DD 5______/1, et que le procès-verbal de constat du 18 août 2015 lui avait été transmis.

Il était constaté que les bâtiments litigieux avaient été érigés à des dates inconnues, mais qu'ils étaient à tout le moins présents sur la photographie aérienne de 1972.

Il y avait lieu de considérer que les différents constructions et aménagements extérieurs mentionnés avaient été réalisés à des dates non connues, mais très vraisemblablement antérieurement à 1986, soit plus de 30 ans. Par conséquent, il convenait de renoncer à en exiger la démolition, sous réserve des bâtiments à démolir dans le cadre de la mise en œuvre de la DD 5______/1.

La détermination du département valait décision de constatation au sens de l'art. 4 de la loi sur la procédure administrative (LPA-GE - E 5 10).

9.             Le ______ 2019, A______ a déposé une nouvelle requête en autorisation de construire modifiant le projet initial autorisé (DD 5______/1) et prévoyant l'aménagement de trois logements. Elle a été enregistrée sous la référence n° DD 5______/2.

L'autorisation a été délivrée le ______ 2019 et les nouveaux bâtiments n° 7______, 8______ et 9______, ayant chacun pour destination une habitation à un logement, ont été construits sur la parcelle.

10.         Le 7 février 2023, un collaborateur de l'Office des autorisations de construire s'est rendu sur la parcelle litigieuse pour y effectuer un contrôle.

11.         Par courrier du 10 mars 2023 faisant référence à une procédure d’infraction enregistrée sous la référence I-10_____, le département du territoire (ci-après: le département) a interpellé A______ en lui exposant avoir constaté que sur la parcelle, plusieurs objets avaient été réalisés sans autorisation et non conformément à l'autorisation de construire DD 5______. La modification des bâtiments litigieux (n° 2______ et 3______), la pose des portails (objets B et C), le stockage de diverses installations et divers dépôts en tout genre (objet D), la création d'un jardin (objet G), ainsi qu'une modification de terrain (objet H) sans autorisations étaient notamment concernés.

A______ était invité à faire part de ses éventuelles explications.

Il convient de préciser ici que les objets A, E et F ne sont pas litigieux dans le cadre de la présente procédure.

12.         Le 22 mars 2023, A______ s'est déterminée, sous la plume de son conseil.

Au sujet des bâtiments litigieux, ni leur destination, ni leur gabarit, ni leur volumétrie, ni leur affectation n'avaient fait l'objet de modifications depuis son achat de la parcelle. Ces aspects étaient même inchangés depuis plusieurs décennies, soit avant l'entrée en vigueur de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) et du régime de séparation entre zone constructible et zone inconstructible. Dès l'origine, les bâtiments litigieux comportaient des bureaux au rez-de-chaussée, qui constituaient un espace distinct et bénéficiaient de leurs propres accès. Il existait également un logement réparti entre le rez-de-chaussée et le 1er étage. Ce logement avait été réaménagé par A______ en deux appartements distincts, répartis chacun sur un étage, sans augmenter la surface dédiée au logement. Le département connaissait par ailleurs l'affectation préexistante des locaux dans la mesure où dans le cadre d'une précédente demande d'autorisation de construire (DD 5______/1), l'architecte avait versé au dossier un procès-verbal de constat établi par huissier judiciaire. Ledit document était joint à ses déterminations. Les photographies n° 66 à 68 illustraient les bureaux, tandis que les photographies n° 149 à 164 faisaient état du logement. Finalement, les démarches qu'A______ avait entreprises s'étaient limitées à des travaux de rafraîchissement.

S'agissant des deux portails installés sans autorisation (objets B et C), les locataires d'A______ possédaient un chien qui s'échappait régulièrement. Cette dernière ignorait qu'une autorisation de construire était nécessaire et s'engageait à déposer une demande de régularisation.

Au sujet de la zone de stockage (objet D), elle s'engageait à procéder à son enlèvement d'ici au 30 juin 2023.

Quant au jardin (objet G), il existait avant son acquisition de la parcelle. La piscine avait été démolie mais le jardin avait quant à lui été maintenu pour accommoder les locataires. Elle déposerait une demande pour régulariser ce point également.

Finalement, s'agissant du terrain modifié (objet H), elle s'engageait à le remettre en état d'ici au 30 juin 2023.

13.         Par décision du 21 avril 2023, après avoir procédé aux vérifications d'usage, le département a confirmé que la modification des bâtiments litigieux, la pose de portails (objets B et C), ainsi que la modification du jardin (objet G) étaient soumis à l'obtention d'une autorisation de construire, conformément à l'art. 1 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). Il a par conséquent ordonné à A______ de requérir d'ici au 31 mai 2023 une autorisation de construire définitive complète et en bonne et due forme.

A______ a été informée que si elle ne souhaitait pas régulariser la situation par l'obtention d'une autorisation de construire, il lui était loisible de procéder à la remise en état des bâtiments litigieux, selon la DD 4______, au démontage et à l'évacuation des portails (objets B et C), ainsi qu'à la remise en état du terrain naturel du jardin (objet G) dans le même délai. A défaut du dépôt d'une requête en autorisation de construire dans le délai imparti et sans mise en conformité complète telle que proposée, elle s'exposait à toutes autres mesures et/ou sanctions justifiées par la situation.

Un délai au 31 mai 2023 a également été imparti à A______ pour évacuer les diverses installations et dépôts (objet D), ainsi que pour remettre en état le terrain naturel (objet H). A défaut, elle s'exposait à toutes nouvelles mesures et/ou sanctions justifiées par la situation.

Enfin, elle a été informée, s'agissant de la sanction administrative portant sur la réalisation de travaux sans droit, qu'elle ferait l'objet d'une décision à l'issue du traitement du dossier I-10_____.

14.         Aucun recours n'a été déposé contre la décision du département du 21 avril 2023.

15.         Par courrier du 1e juin 2023, A______ a transmis au département un reportage photographique attestant de la mise en conformité des objets B, C, D, G et H.

Elle a également joint un courrier envoyé par le département à M. F______ le 4 octobre 2017. Elle a indiqué qu'il ressortait de ce courrier: que le procès-verbal de constat du 18 août 2015 établi par huissier judiciaire faisait état des constructions existantes, notamment l'existence de logements et de bureaux dans les bâtiments litigieux, que ces bâtiments avaient été érigés à des dates inconnues mais qu'ils étaient présents à tout le moins sur la photographie aérienne de 1972, qu'il y avait lieu de considérer que les constructions et aménagements extérieurs (piscine, pergola, barbecue, etc) avaient été réalisés à des dates inconnues mais très vraisemblablement antérieurement à 1986, soit plus de 30 ans auparavant, qu'il convenait par conséquent de renoncer à en exiger la démolition et que la détermination du département valait décision.

C'était sur cette base qu'elle avait acquis la parcelle n° 1______, en se fondant de bonne foi sur la décision du 4 octobre 2017, ainsi que sur l'assurance du département de son constat et de son acceptation de l'affectation des bâtiments litigieux.

Depuis plus de 30 ans, l'affectation des locaux et leur exploitation, telles qu'admises par le département, étaient inchangées, ce qui avait mené le département à renoncer à en exiger la démolition dans la décision précitée. Quand bien même la jurisprudence fédérale refusait désormais d'appliquer la prescription acquisitive aux parcelles situées en zone agricole, la remise en état ordonnée par le département en l'espèce était choquante et contraire aux principes de proportionnalité et de bonne foi.

S'agissant des travaux qu'elle avait réalisés depuis l'acquisition de la parcelle, ils n'avaient impliqué aucun changement d'affectation, ni de modification de l'aspect extérieur des bâtiments, ni d'augmentation du volume bâti intérieur ou extérieur existant, puisqu'il s'agissait de simples travaux de rafraîchissement compte tenu de l'état de vétusté des bâtiments. Ils n'étaient par ailleurs pas soumis à autorisation de construire, selon l'art. 1 al. 2 LCI.

Les demandes de régularisation des bâtiments et de mise en conformité des lieux selon l'autorisation de construire DD 4______ n'étaient pas justifiées. Elle sollicitait du département qu'il rendre une nouvelle décision de constat de renonciation de la remise en état des bâtiments litigieux ou, à défaut, une décision concernant le sort de ces derniers, sujette à recours.

16.         Par décision du 7 juillet 2023, le département a constaté qu'aucune autorisation de construire définitive concernant les bâtiments litigieux n'avait été déposée et a considéré qu'A______ n'avait pas souhaité régulariser la situation par ce biais.

Suite à l'arrêt du Tribunal fédéral du 8 avril 2021 (1C_469/2019 et 1C_483/2019), l'obligation de rétablir un état conforme au droit ne s'éteignait pas après 30 ans pour les constructions érigées en dehors de la zone à bâtir. Quant à la décision du 4 octobre 2017, elle mentionnait uniquement la renonciation de la démolition des bâtiments litigieux.

En application des art. 129 ss LCI, il était ordonné à A______ de rétablir une situation conforme au droit dans un délai de 120 jours dès notification, en procédant à la remise en état des bâtiments litigieux, conformément à la DD 4______ et de revenir à leur affectation d'origine. Elle a attiré l'attention d'A______ sur la perte de droits acquis du bâtiment de liaison entre les bâtiments n° 3______ et n° 9______, qui ne pouvait être rebâti.

Dans le même délai, un reportage photographique ou tout autre élément attestant de manière univoque de la remise en état devait parvenir au département. De plus, l'utilisation des bâtiments litigieux était immédiatement interdite dans la mesure où ils n'étaient pas conformes à la DD 4______.

En cas de non-respect et/ou sans nouvelles dans le délai imparti, A______ s'exposait à toutes nouvelles mesures et/ou sanctions justifiées par la situation.

17.         Par acte déposé le 11 septembre 2023 auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le tribunal), sous la plume de son conseil, A______ a interjeté recours à l'encontre de la décision rendue par le département le 7 juillet 2023 et conclu à son annulation.

Elle ne contestait pas que l'objet du litige était l'affectation illicite des bâtiments litigieux, dès lors qu'ils comportaient une partie dédiée à l'habitation et un espace de bureaux. Cette affectation était toutefois inchangée depuis plus de 30 ans et dès l'origine, elle ne respectait pas l'autorisation de construire DD 4______ qui portait sur la construction d'une étable et d'une remise.

Selon la jurisprudence fédérale, la prescription trentenaire n'était certes plus applicable aux constructions illicites en zone agricole. Toutefois, des modifications législatives étaient en cours. Dans le cadre du projet de révision partielle de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (LAT2), une disposition réglant le droit au rétablissement de la situation conforme au droit pour les utilisations non autorisées hors de la zone à bâtir, se prescrit après 30 ans, était prévue (art. 25 al. 5 LAT2). En l'espèce, il n'était toutefois pas envisageable d'appliquer de manière anticipée le nouveau régime voulu par le législateur, qui n'était pas encore en vigueur.

Sa bonne foi était manifeste. Au moment de l'acquisition de la parcelle en 2019, la prescription trentenaire pour les constructions illicites sises en zone agricole était toujours applicable. Elle était donc légitimée à penser que si l'affectation d'origine des bâtiments litigieux n'avait pas été remise en cause par le département, cela signifiait qu'elle était tolérée par les autorités et que la remise en état ne pouvait plus être exigée. D'ailleurs, dans sa décision du 4 octobre 2017, le département avait déjà constaté l'affectation des bâtiments litigieux contraire à la zone agricole, il s'en était accommodé et avait renoncé à en exiger la remise en état, considérant que la prescription trentenaire était applicable. C'était sur cette base qu'elle avait acquis la parcelle en 2019 et elle ne se serait jamais engagée à défaut de cette assurance. Sans pouvoir faire usage des bâtiments dans la continuité de leur exploitation, son opération financière d'achat aurait été dépourvue de tout intérêt.

La décision litigieuse, dans la mesure où elle révoquait celle du 4 octobre 2017, était choquante et constitutive d'un abus de droit. Par celle-ci, le département revenait sur des assurances données, il adoptait une position contradictoire, trompait sa confiance légitime et l'objectif visé ne pouvait être compris autrement que dans un but punitif.

Finalement, au regard de la proportionnalité au sens étroit et de la pesée des intérêts, le département ne pouvait se prévaloir de l'importance de l'intérêt public à la séparation de la zone à bâtir de la zone inconstructible, dès lors que le législateur entendait réinstaurer la prescription trentenaire en zone agricole. L'intérêt privé de la recourante était prépondérant au vu de sa bonne foi, de celle de l'administration, ainsi que de la protection de la confiance vouée aux autorités, de l'interdiction de l'abus de droit et du principe de proportionnalité.

18.         Le 17 novembre 2023, le département a transmis son dossier au tribunal, accompagné de ses observations. Il a conclu au rejet du recours, ainsi qu'à la confirmation de la décision litigieuse.

Le tribunal était en droit d'exiger un retour à l'affectation d'origine des bâtiments, telle que prévue par l'autorisation de construire initiale (DD 4______). En tant que propriétaire de la parcelle, la recourante était à tout le moins devenue perturbatrice par situation.

Quant au changement d'affectation des bâtiments, il était illicite dans la mesure où une partie de ceux-ci était dédiée à l'habitation et une autre à un espace de bureaux, ce qui n'était par ailleurs pas contesté par la recourante. Tel que cela ressortait de la DD 4______, la construction devait pourtant comprendre une remise, sur sa partie gauche (bâtiment n° 3______), et une étable sur sa partie droite (bâtiment n° 2______), toutes deux destinées à l'exploitation d'une activité agricole. Les travaux entrepris par la recourante, qui consistaient à réaménager le logement en deux appartements, ne changeait rien à l'illicéité de l'affectation.

La recourante ne pouvait se prévaloir de sa bonne foi et n'avait pas démontré que l'opération d'achat de la parcelle litigieuse se serait basée sur les informations contenues dans le courrier du 4 octobre 2017, dont elle n'était pas destinataire. Elle aurait par ailleurs préalablement pu s'informer au sujet de l'affectation des bâtiments auprès des autorités administratives avant de s'engager.

S'agissant de la prescription trentenaire, le projet de modification de loi autorisant le maintien de bâtiments construits illégalement en dehors de la zone à bâtir n'était pas encore entré en vigueur. Le département ne pouvait pas l'appliquer de manière anticipée, ce que la recourante ne contestait pas. Quant à l'inaction du département, elle était insuffisante, à elle seule, pour faire échec à l'ordre d'établir une situation conforme.

Finalement, l'intérêt public au respect de la séparation stricte entre la zone à bâtir et la zone non à bâtir devait l'emporter sur l'intérêt privé de la recourante au maintien d'une affectation illicite.

19.         Le 18 janvier 2024, sous la plume de son conseil, la recourante a répliqué, persistant dans ses développements juridiques et conclusions.

La décision du 4 octobre 2017 était claire et se référait au procès-verbal de constat du 18 août 2015, dressé par un huissier judiciaire, lequel attestait des constructions existantes, qui par ailleurs n'avaient subi aucune transformation entre ces deux dates. Le département connaissait donc la nature des bâtiments litigieux, ainsi que leur affectation non agricole, d'autant plus lorsqu'il avait constaté, par exemple, la piscine et la pergola situées contre le bâtiment n° 2______, à l'instar d'autres aménagements extérieurs sans vocation agricole. La décision du 4 octobre 2017 faisait par ailleurs référence à l'art. 4a de l'ordonnance sur le droit foncier rural du 4 octobre 1993 (ODFR - RS 211.412.110), dont l'al. 2 prévoyait que l'autorité compétente en matière d'autorisation au sens de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11) ne se prononçait que s'il existait une décision exécutoire fondée sur le droit de l'aménagement du territoire et constatant la légalité de l'affectation de la construction ou de l'installation. L'examen du département avait donc bien porté sur l'affectation des constructions litigieuses. Il n'avait toutefois pas abouti à la conclusion de la légalité de l'affectation des bâtiments, mais à son illicéité, dès lors que le département avait renoncé à exiger la démolition des constructions et installations recensées, par une décision de constatation.

S'agissant du reproche qui lui était fait de ne pas avoir démontré que l'acquisition de la parcelle litigieuse était dictée par les assurances contenues dans la décision du 4 octobre 2017, cette preuve était impossible à apporter dans la mesure où son représentant n'avait pas tenu un compte rendu écrit des éléments l'ayant confortée à s'engager dans l'opération d'achat.

Quant à la modification législative, le nouveau texte de loi avait été publié dans la Feuille Fédérale le 7 novembre 2023 (FF 2023 2488), le délai référendaire arrivait à échéance le 15 février 2024 et la date d'entrée en vigueur était fixée au 1er février 2025. En l'espèce, il n'était pas question d'une application directe anticipée de la nouvelle base légale. En revanche, il était nécessaire d'en tenir compte, sous l'angle matériel, au regard du principe de proportionnalité et de l'absence d'intérêt public à la mise en œuvre de la décision litigieuse.

20.         Le 13 février 2024, le département a dupliqué, persistant dans ses conclusions.

Dans le cadre de la procédure de désassujettissement (dossier CFA n° 6______), avait indiqué renoncer à exiger la démolition des bâtiments litigieux car il avait par erreur considéré que ceux-ci avaient été érigés depuis plus de trente ans, alors qu'en réalité, ils étaient déjà au bénéfice d'une autorisation de construire (DD 4______), délivrée le ______ 1978, pour l'aménagement d'une étable et d'une remise. Le fait qu'il avait renoncé à la démolition de ces bâtiments ne permettait pas à la recourante de prétendre qu'elle pouvait conserver une affectation qui n'était pas celle autorisée à l'origine, ce d'autant plus qu'elle y avait depuis lors entrepris des travaux sans autorisation. La procédure de désassujettissement s'était limitée à la légalité des bâtiments en ce qui concernait leur construction et non pas leur affectation.

21.         Le 28 mars 2024, sur interpellation du tribunal, le département a expliqué que la raison pour laquelle les bâtiments n° 7______, 8______ et 9______, sis sur la parcelle litigieuse, étaient aujourd'hui affectés à du logement, était qu'ils avaient fait l'objet de deux autorisations de construire (DD 5______/1 et DD 5______/2), dans le cadre desquelles la transformation et l'agrandissement de la ferme principale avaient été autorisés.

Cette situation ne pouvait être comparée à celle des bâtiments litigieux. Quant à la possibilité de transformer des bâtiments agricoles existants, le droit applicable, plus particulièrement les art. 24 ss de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700), étaient des plus stricts.

22.         Le 4 avril 2024, sur demande du tribunal, la recourante a produit un tirage du procès-verbal de constat du 18 août 2015, établi par huissier judiciaire.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 179 n. 515).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

5.             La recourante estime que l’ordre de remise en état serait contraire aux principes de la bonne foi et de proportionnalité, et que son intérêt privé à maintenir son activité professionnelle serait prépondérant.

6.             De jurisprudence constante, pour être valable, un ordre de mise en conformité doit respecter cinq conditions. Premièrement, il doit être dirigé contre le perturbateur. Les installations en cause ne doivent ensuite pas avoir été autorisées en vertu du droit en vigueur au moment de leur réalisation. Un délai de plus de trente ans ne doit par ailleurs pas s’être écoulé depuis l’exécution des travaux litigieux ; les constructions illégales hors de la zone à bâtir ne bénéficient cependant pas de ce délai de péremption (ATF 147 II 309 consid. 5.7). L’autorité ne doit en outre pas avoir créé chez l’administré concerné, par des promesses, des informations, des assurances ou un comportement, des conditions telles qu’elle serait liée par la bonne foi ; en particulier, les installations litigieuses ne doivent pas avoir été tolérées par l’autorité d’une façon qui serait constitutive d’une autorisation tacite ou d’une renonciation à faire respecter les dispositions transgressées. Finalement, l’intérêt public au rétablissement d’une situation conforme au droit doit l’emporter sur l’intérêt privé de l’intéressé au maintien des installations litigieuses (ATA/225/ 2023 du 7 mars 2023 consid. 3b).

7.             S'agissant de la condition relative au fait que l'autorité ne doit pas avoir créé chez l'administré concerné des conditions telles qu'elle serait liée par la bonne foi, il faut rappeler que ce principe, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst., exige que l’administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l’administration doit s’abstenir de toute attitude propre à tromper l’administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_341/2019 du 24 août 2020 consid. 7.1).

À certaines conditions, le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu’il a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration (ATF 141 V 530 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_626/ 2019 du 8 octobre 2020 consid. 3.1 ; 2C_136/2018 du 24 septembre 2018 consid. 3.2). Conformément au principe de la confiance, qui s’applique aux procédures administratives, les décisions, les déclarations et comportements de l’administration doivent recevoir le sens que l’administré pouvait raisonnablement leur attribuer en fonction des circonstances qu’il connaissait ou aurait dû connaître (arrêt du Tribunal fédéral 1P.292/2004 du 29 juillet 2004 consid. 2.1 ; ATA/1299/2019 du 27 août 2019 consid. 3d).

Le droit à la protection de la bonne foi peut également être invoqué en présence simplement d’un comportement de l’administration, notamment en cas de silence de l’autorité dans une situation de fait contraire au droit, susceptible d’éveiller chez l’administré une attente ou une espérance légitime (ATF 129 II 361 consid. 7.1). Entre autres conditions, l’autorité doit être intervenue à l’égard du citoyen dans une situation concrète et celui-ci doit avoir pris, en se fondant sur les promesses ou le comportement de l’administration, des dispositions qu’il ne saurait modifier sans subir de préjudice (arrêt du Tribunal fédéral 9C_628/2017 du 9 mai 2018 consid. 2.2).

La précision que l’attente ou l’espérance doit être « légitime » est une autre façon de dire que l’administré doit avoir eu des raisons sérieuses d’interpréter comme il l’a fait le comportement de l’administration et d’en tirer les conséquences qu’il en a tirées. Tel n’est notamment pas le cas s’il apparaît, au vu des circonstances, qu’il devait raisonnablement avoir des doutes sur la signification du comportement en cause et se renseigner à ce sujet auprès de l’autorité (ATF 134 I 199 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_138/2015 du 6 août 2015 consid. 5.1).

8.             S'agissant de l'application du principe de la bonne foi en matière de constructions illicites, l’inaction de l’autorité face à une construction illicite ne lie cette dernière que si elle peut être assimilée à une tolérance « active ». Pour cela, certains auteurs considèrent que l’autorité a dû rester passive pendant une période prolongée – de l’ordre d’une dizaine d’années au moins – alors qu’elle avait connaissance de la construction illicite, ou aurait dû en avoir connaissance si elle avait agi avec diligence (Nicolas WISARD/Samuel BRÜCKNER/Milena PIREK, Les constructions « illicites » en droit public - notions, mesures administratives, sanctions, Journées suisses du droit de la construction, Fribourg 2019, p. 223).

Le Tribunal fédéral a déjà considéré que des délais de plus de quatre ans et même de plus de treize ans ne suffisaient pas pour retenir que l’autorité administrative aurait toléré des constructions et installations durant de longues années et que son intervention violerait le principe de la bonne foi (arrêts 1C_114/2011 du 8 juin 2011 consid. 4.2 ; 1C_181/2009 du 24 juin 2009 consid. 3.3). Des délais de vingt-quatre voire vingt ans peuvent suffire (arrêt du Tribunal fédéral 1C_176/2009 du 28 janvier 2010 consid. 2.2.2 et les références citées).

Récemment, la chambre administrative a retenu une telle violation dans le cadre de la présence d’un paddock et d’un marcheur dans un manège pendant plus de vingt ans (ATA/77/2023 du 24 janvier 2023).

9.             Par ailleurs, la dernière des cinq conditions auxquelles est soumis un ordre de remise en état concerne l'application du principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst. Celui-ci exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et qu’ils ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive. En outre, ce principe interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 145 I 297 consid. 2.4.3.1 et les références citées).

Plus spécifiquement, l’art. 129 let. e LCI reconnaît une certaine marge d’appréciation à l’autorité dans le choix de la mesure adéquate pour rétablir une situation conforme au droit, dont elle doit faire usage dans le respect des principes de proportionnalité, de l’égalité de traitement et de la bonne foi, et en tenant compte des divers intérêts publics et privés en présence (ATA/1399/2019 du 17 septembre 2019 consid. 3c et l’arrêt cité ; ATA/336/2011 du 24 mai 2011 consid. 3b).

10.         La proportionnalité au sens étroit implique une pesée des intérêts. C’est à ce titre que le département peut renoncer à ordonner la remise en conformité si les dérogations à la règle sont mineures, si l’intérêt public lésé n’est pas de nature à justifier le dommage que la démolition causerait au maître de l’ouvrage, sachant que son intérêt purement économique ne saurait avoir le pas sur l’intérêt public au rétablissement d’une situation conforme au droit (arrêt du Tribunal fédéral 1C_ 544/2014 du 1er avril 2015 consid. 4.2), si celui-ci pouvait de bonne foi se croire autorisé à construire ou encore s’il y a des chances sérieuses de faire reconnaître la construction comme conforme au droit (cf. ATF 132 II 21 consid. 6 ; 123 II 248 consid. 3a/bb ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_60/2021 du 27 juillet 2021 consid. 3.1 ; ATA/1399/2019 du 17 septembre 2019 consid. 3c), si les frais de démolition et de remise en état des lieux engendreraient des charges excessives que l’intéressé ne serait pas en mesure de prendre en charge (arrêts du Tribunal fédéral 1C_370/2015 du 16 février 2016 consid. 4.4 ; 1C_537/2011 du 26 avril 2012). Néanmoins, un intérêt purement économique ne saurait avoir le pas sur l’intérêt public au rétablissement d’une situation conforme au droit (arrêt du Tribunal fédéral 1C_544/ 2014 du 1er avril 2015 consid. 4.2).

Le postulat selon lequel le respect du principe de proportionnalité s’impose même envers un administré de mauvaise foi est relativisé, voire annihilé, par l’idée que le constructeur qui place l’autorité devant le fait accompli doit s’attendre à ce que cette dernière se préoccupe davantage de rétablir une situation conforme au droit que des inconvénients qui en découlent pour lui constructeur (Nicolas WISARD/Samuel BRÜCKNER/Milena PIREK, op. cit., p. 218).

11.         Dans un arrêt du 28 avril 2021, le Tribunal fédéral a précisé qu’à l’inverse de ce qui prévalait pour les zones à bâtir, et contrairement à ce qu'il avait admis durant de nombreuses années, l’obligation de rétablir un état conforme au droit ne s’éteignait pas après trente ans s’agissant de bâtiments et installations érigés illégalement en dehors de la zone à bâtir (ATF 147 II 309 consid. 4 et 5). En particulier, s’il pouvait certes être tenu compte de situations exceptionnelles par le biais de solutions spécifiques, notamment par la fixation d’un délai de remise en état plus long, une utilisation illégale, qui contrevient au principe fondamental en matière d’aménagement du territoire de la séparation des zones à bâtir des zones non constructibles, ne doit pas se poursuivre indéfiniment sur la base du simple écoulement du temps (ATF 147 II 309 consid. 5.5 et 5.6 ; arrêt 1C_60/2021 du 27 juillet 2021 consid. 3.2.1).

Cette jurisprudence est régulièrement appliquée par la chambre administrative (cf. ATA/225/2023 du 7 mars 2023 consid. 5).

12.         En l'occurrence, s'agissant de savoir si, comme le soutient la recourante, la décision litigieuse serait contraire au principe de la bonne foi, l'autorité intimée considère tout d'abord que la recourante n'aurait pas démontré avoir tenu compte des informations contenues dans le courrier du 4 octobre 2017 lors de l'achat de la parcelle. Cependant, il s'agit là, comme l'a relevé la recourante, d'un fait dont la preuve peut être impossible à apporter dans la mesure où il correspond à un simple savoir. Par ailleurs, le seul fait que la recourante s'est elle-même fondée sur ce document dans la présente procédure démontre qu'elle était en possession des informations qu'il contenait et il n'y a a priori aucune raison de considérer, en l'absence de tout indice contraire, que ces dernières lui seraient parvenues seulement postérieurement à la vente.

Ensuite, l'autorité intimée considère que la recourante aurait pu s'informer préalablement au sujet de l'affectation des bâtiments litigieux auprès des autorités administratives avant de s'engager. Cet argument revient toutefois à ignorer le contenu et la portée de l'acte du 4 octobre 2017, que l'autorité intimée avait elle-même qualifiée de décision constatatoire et qui avait pour objet de renoncer à la démolition des bâtiments litigieux en raison de leur réalisation très vraisemblablement antérieure à 1986, soit datant de plus de trente ans. Compte tenu de ces informations, la recourante n'avait strictement aucune raison de requérir des informations complémentaires auprès de l'autorité litigieuse.

Enfin, l'autorité intimée soutient que le fait qu'elle avait renoncé à exiger la démolition des bâtiments litigieux ne permettait pas à la recourante de prétendre qu'elle pouvait conserver l'affectation qui n'était pas celle autorisée à l'origine. Cet argument se heurte cependant au fait que la décision du 4 octobre 2017 faisait expressément référence au constat d'huissier du 18 août 2015, lequel, produit dans la présente procédure, démontrait sans aucune ambiguïté l'affectation non agricole desdits bâtiments. L'autorité intimée ne saurait donc aujourd'hui s'écarter d'éléments auxquels elle s'était elle-même référée à l'époque, soit en laissant entendre qu'elle n'en avait alors pas pris connaissance, soit en prétendant qu'il n'y aurait pas (ou plus) lieu d'en tenir compte, sauf à adopter un comportement clairement contraire au principe de la bonne foi.

Il faut encore préciser, concernant la durée au terme de laquelle l'inaction de l'autorité permet à un propriétaire de se prévaloir du principe de la bonne foi, que la présente espèce présente une caractéristique tout à fait spécifique, puisque l'affectation non agricole des bâtiments litigieux était non seulement portée à la connaissance de l'autorité (depuis 2015), mais que celle-ci a ensuite expressément renoncé à en obtenir le rétablissement conforme au droit par une décision formelle. Cet élément implique une dimension de sécurité du droit qui renforce en l'espèce le besoin de protection de l'administré dans la confiance qu'il doit pouvoir faire à l'autorité administrative.

13.         Au vu de ce qui précède, force est de constater que l'une des conditions permettant à l'autorité intimée de prononcer un ordre de remise en état n'est pas réalisée.

14.         A cela, le tribunal ajoutera à titre supplémentaire que le principe de la proportionnalité s'oppose lui aussi à la décision litigieuse. Certes, la modification de la LAT annoncée dans la FF 2023 2488, qui rétablit la prescription trentenaire qu'avait supprimé l'ATF 147 II 309, n'entrera en vigueur qu'en 2025 et il ne saurait donc en être fait une application anticipée. Cependant, cette modification législative très prochaine doit être prise en considération dans le cadre du principe de la proportionnalité, sauf à faire abstraction du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité et à s'en tenir à une application purement mécanique du droit.

15.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision litigieuse annulée.

16.         Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). L'émolument versé par la recourante lui sera restitué.

17.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 2'000.-, à la charge de l'Etat de Genève, soit pour lui l'autorité intimée, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 7 novembre 2023 par A______ SA contre la décision I-10______ prononcée par le département du territoire le 7 juillet 2023 ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision I-10______ prononcée par le département du territoire le 7 juillet 2023 ;

4.             ordonne la restitution à la recourante de son avance de frais de CHF 900.- ;

5.             condamne l'Etat de Genève, soit pour lui le département du territoire, à verser à A______ SA une indemnité de procédure de CHF 2'000.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Aurèle MÜLLER et Saskia RICHARDET VOLPI, juges assesseurs

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière