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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1602/2025

ATA/1218/2025 du 04.11.2025 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1602/2025-PRISON ATA/1218/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 4 novembre 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée

 



EN FAIT

A. a. A______ est incarcéré à la prison de Champ-Dollon depuis le 15 avril 2025 en détention avant jugement.

B. a. Selon le rapport d'incident du 3 mai 2025, ce jour-là dans l’après-midi, un agent de détention avait informé A______ qu’il lui avait infligé un avertissement pour le comportement qu’il avait adopté la veille, soit d’avoir exprimé son mécontentement parce qu’un tabouret surnuméraire avait été retiré de sa cellule. A______ lui avait alors demandé si cela lui faisait plaisir de jouer au « Rambo », lui avait dit qu’il voulait aller en cellule forte s’il ne récupérait pas le tabouret, puis il s’était énervé et lui avait dit à plusieurs reprises « je t’encule par trois fois » et qu’il n’en avait « rien à foutre ».

b. Le gardien-chef adjoint avait été averti et il avait décidé la mise en cellule forte à 17h00 le même jour.

c. Entendu à 18h05, A______ avait partiellement reconnu les faits mais ne comprenait pas pourquoi il avait été placé en cellule forte.

d. Par décision notifiée le même jour à 18h10, le gardien chef adjoint l'a sanctionné de deux jours de cellule forte pour injures envers le personnel. A______ a refusé de signer cette décision, dont une copie lui a été remise le même jour à 18h30.

C. a. Par acte remis à la poste le 8 mai 2025, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette sanction, concluant à son annulation.

C’était bien le contraire qui s’était passé : l’agent lui avait manqué de respect et l’avait traité de « sale Arabe ». Deux témoins étaient présents et n’avaient pas entendu l’insulte qu’on lui imputait. Un surveillant lui avait dit que le chef lui en voulait personnellement. Il souhaitait déposer plainte contre l’agent. Il était vraiment choqué par la manière dont celui-ci s’était comporté.

b. Le 5 juin 2025, l’intimée a conclu au rejet du recours et produit les images de vidéosurveillance.

c. Le recourant n’a pas répliqué dans le délai imparti au 14 juillet 2025.

d. Le 17 juillet 2025, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

e. Il ressort des images de vidéosurveillance des caméras fixes qu’un agent se dirige vers une cellule, ouvre sa porte et fait sortir un détenu, puis entame avec lui, dans le couloir, une discussion, à laquelle personne d’autre ne semble assister dans le champ de vision et durant laquelle le détenu commence soudain à gesticuler et montrer de l’agitation, avant de se calmer. Les images des bodycams montrent le placement en cellule forte, qui s’effectue sans incident.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Sans conclure expressément à leur audition, le recourant évoque deux témoins des faits.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour la personne intéressée de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. Il n'empêche toutefois pas l'autorité de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_359/2022 du 20 avril 2023 consid. 3.1 et les références citées).

2.2 En l'espèce, le recourant s’est vu offrir l'occasion à trois reprises, une fois devant l'autorité et deux fois devant la chambre administrative, de s'exprimer de manière circonstanciée sur les éléments du dossier. Devant l’autorité, il a partiellement reconnu les faits. Dans son recours, il nie toute injure et affirme avoir lui-même été insulté. Il évoque deux témoins, sans autre précision (notamment sur leur identité et leur emplacement). Il affirme que ceux-ci n’ont rien entendu. Les images le montrent seul en discussion avec un agent dans un couloir. Il n’apparaît ainsi pas que des témoins avaient assisté à la discussion.

Il ne sera donc pas ordonné l’audition de témoins.

3.             La procédure a pour seul objet le bien-fondé de la sanction infligée au recourant.

Le souhait, exprimé par le recourant, de se plaindre de l’agent de détention, s’il devait être compris comme une conclusion, serait exorbitant de l’objet du litige et la chambre de céans ne pourrait en connaître.

3.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

3.2 Les détenus doivent observer les dispositions du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), les instructions du directeur général de l'office cantonal de la détention ainsi que les ordres du directeur et du personnel pénitentiaire.

3.3 En toute circonstance, ils doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). D’une façon générale, il leur est interdit de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP).

3.4 Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, les sanctions peuvent être la suppression de visite pour quinze jours au plus (let. a), la suppression des promenades collectives, des activités sportives, d’achat pour quinze jours au plus ou la suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus (let. c à e), la privation de travail (let. f) ou encore le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g).

3.5 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s’en écarter (ATA/487/2025 du 29 avril 2025 consid. 2.4 ; ATA/719/2021 du 6 juillet 2021 consid. 2d ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 consid. 3b et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/487/2025 précité ; ATA/738/2022 du 14 juillet 2022 consid. 3d ; ATA/36/2019 du 15 janvier 2019).

3.6 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –  de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/439/2024 du 27 mars 2024 consid. 3.6 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 5.4 ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

3.7 En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limitant à l’excès ou l’abus de ce pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/439/2024 précité consid. 3.7 ; ATA/97/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4f et les références citées).

3.8 Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé une sanction de deux jours de cellule forte infligée à un détenu qui avait traité un agent de détention de « sale fils de pute » (ATA/502/2018 du 22 mai 2018). Elle a également confirmé une sanction d'un jour de cellule forte prononcée en raison des propos de « sale fils de chiottes » désignant un infirmier de l'établissement pénitentiaire (ATA/1066/2015 du 6 octobre 2015) ainsi qu’une sanction de deux jours de cellule forte à un détenu ayant traité les agents de détention de « fils de pute » (ATA/383/2021 du 30 mars 2021). Le terme de « zobi » signifiant « mon cul » à l’attention d’un gardien a été sanctionné d’un jour de cellule forte (ATA/679/2023 du 26 juin 2023).

Sept jours de cellule forte ont été confirmés par la chambre de céans pour trouble à l’ordre de l’établissement, refus d’obtempérer (remonter à l’étage), insultes à l’encontre du personnel pendant plusieurs minutes notamment, le détenu ayant précédemment fait l’objet de huit sanctions disciplinaires (ATA/1189/2018 du 6 novembre 2018).

Récemment, la chambre administrative a confirmé des sanctions de trois jours de cellule forte à l'encontre d'un détenu ayant deux antécédents disciplinaires et ayant tenu des propos injurieux à l'encontre d'un agent de détention (ATA/729/2025 du 26 juin 2025), d'un jour de détention à l'encontre d'un détenu sans antécédents disciplinaires ayant traité à deux reprises un agent de détention de « kehba », terme signifiant « salope » ou « prostituée » en arabe (ATA/942/2025 du 1er septembre 2025) et de deux jours de cellule forte pour un détenu, déjà sanctionné à deux reprises, ayant dit à deux reprises à un agent de détention « nik mok », soit « nique ta mère » en arabe (ATA/1087/2025 du 7 octobre 2025).

3.9 En l’espèce, le recourant conteste avoir prononcé les propos qui lui ont valu la sanction querellée et se plaint d’avoir lui-même été insulté. Il ne le rend toutefois pas vraisemblable. Il a partiellement admis les faits lors de son audition à la prison et les images de surveillance – qui le montrent en tête-à-tête avec un agent dans un couloir sans la présence d’autres personnes – ne permettent pas de rendre vraisemblable son affirmation selon laquelle deux témoins n’auraient rien entendu des propos qu’on lui reproche. Rien ne permet donc de s’écarter de la description des agissements faite par l’agent assermenté, lesquels seront considérés comme établis.

Il ne fait pour le surplus pas de doute que, adressée à un membre du personnel de la prison, l’expression « je t’encule par trois fois », par sa grossièreté et son caractère menaçant autant que méprisant, constitue une violation de l'art. 44 al. 1 RRIP faisant obligation aux détenus d'observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire. Les détenus se trouvent à l'égard de l'état dans un rapport de puissance publique particulier justifiant l'application de règles de comportement adaptées, telles l'obligation d'adopter à l'égard du personnel une attitude correcte et respectueuse.

Le manquement étant ainsi réalisé, reste à examiner la proportionnalité de sa sanction.

La violation du RRIP reprochée au recourant ne peut être qualifiée de peu de gravité. Elle porte atteinte à l'intérêt public au bon fonctionnement de la prison, dont le maintien de relations correctes et respectueuses entre le personnel et les détenus, ainsi qu'entre les détenus eux-mêmes, constitue une condition essentielle. Le recourant a eu les agissements qui lui sont reprochés alors même que l’agent de détention venait l’informer qu’il avait fait l’objet d’un avertissement pour le comportement qu’il avait adopté la veille.

L’intimée n'a pas abusé de son pouvoir d'appréciation dans le choix de la sanction et la fixation de sa quotité, qui se situe au bas de la fourchette fixée par l'art. 47 al. 3 let. g RRIP, et est par ailleurs conforme à la jurisprudence rappelée ci- dessus.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             La procédure étant gratuite, il ne sera pas perçu d’émolument. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 mai 2025 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 3 mai 2025 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

A.S. SUDAN PEREIRA

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.


Genève, le 

 

 


la greffière :