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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1197/2022

ATA/739/2022 du 15.07.2022 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1197/2022-PRISON ATA/739/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 juillet 2022

En section

 

dans la cause

 

M. A______

contre

PRISON B______



EN FAIT

1) M. A______ est incarcéré en détention provisoire à la prison B______ depuis le 6 janvier 2022. En dernier lieu, le Tribunal des mesures de contrainte a prolongé sa détention jusqu’au 5 octobre 2022.

2) Le 22 mars 2022, il a été sanctionné de sept jours de suppression de « sport petite salle » pour trouble à l’ordre de l’établissement, car il avait dégagé volontairement trois ballons par-dessus le grillage de la promenade, alors qu’il avait déjà été averti pour des faits similaires le 25 janvier 2022. Il a refusé de signer cette sanction mais n’a pas recouru contre la décision.

3) Selon le rapport d’incident du 24 mars 2022, M. A______ avait refusé d’être conduit au Ministère public où il devait être entendu par la Procureure. Le gardien-chef adjoint lui avait alors expliqué les répercussions que son refus pourrait avoir si la magistrate souhaitait qu’il soit présent. M. A______ avait persisté dans son refus et lui avait dit « Tu te prends pour qui, je vais te casser la gueule ». Le gardien-chef adjoint avait alors décidé de son transfert en cellule forte, ce à quoi le détenu s’était opposé par une résistance active. Un gardien et un appointé avaient alors été obligés de le prendre en escorte pour le conduire en cellule forte, où il avait refusé de se déshabiller pour la fouille d’usage, en sorte que les deux agents avaient dû l’amener au sol en « clé d’épaule ». Pendant la fouille, effectuée sous contrainte, M. A______ leur avait dit « fils de pute, enculé ».

4) Le même jour, une sanction de trois jours de cellule forte lui a été infligée, après l’avoir entendu, pour menaces et injures envers le personnel, refus d’obtempérer, attitude incorrecte envers le personnel et trouble à l’ordre de l’établissement. M. A______ a refusé de signer la notification de cette sanction. La décision était signée par le gardien-chef adjoint et le directeur de la prison.

5) Par acte daté du 27 mars mais reçu à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) le 14 avril 2022, M. A______ a recouru contre cette sanction.

Il ne niait pas avoir proféré des injures et des menaces et avoir adopté une attitude incorrecte envers le personnel mais les justifiait par le sentiment de ne pas pouvoir dialoguer avec le gardien-chef dans le contexte de son refus de se présenter à l’audience du Ministère public et l’impression d’avoir lui-même été menacé de sanction injustifiée et s’être senti humilié. Il avait proféré de nombreuses insultes « trou du cul, nique ta mère, comment tu me parles sale merde » mais n’avait pas opposé de résistance autre que d’avoir été un peu « rigide ». Il n’avait pas refusé de se déshabiller pour être fouillé, mais avait tout de même été mené au sol, avec « clé de poignet » et « clé de jambe », maintenu visage au sol et poignet tordu. Il avait eu des ecchymoses au visage, les poignets et l’épaule longtemps endoloris, sans recevoir de soins. Plus tard, il avait admis les menaces et insultes, mais n’avait rien pu signer. Il demandait une indemnité pour ses habits et ses lunettes endommagés, une indemnité pour tort moral, des explications sur la sévérité des violences subies et la reconnaissance de ce que ses droits avaient été bafoués. Il estimait que la sanction était disproportionnée et faisait suite à un abus d’autorité et des humiliations à son encontre.

6) La direction de la prison a conclu au rejet du recours.

Le recourant avait reconnu les insultes et il ressortait des images de vidéosurveillance qu’il avait opposé une résistance active tout du long de son transfert en cellule forte. Il avait pu donner sa version des faits avant d’être sanctionné. Son comportement était contraire au règlement de la prison, en ce qu’il troublait fortement l’ordre, l’organisation et la sécurité de l’établissement pénitentiaire, et constituait un évènement sérieux et inadmissible. La sanction était donc fondée et proportionnée.

7) Le recourant ne s’est pas manifesté dans le délai imparti pour répliquer.

8) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celle-ci, dès lors qu'il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire ou de demande de libération conditionnelle (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/50/2022 du 18 janvier 2022 consid. 2 ; ATA/719/2021 du 6 juillet 2021 consid. 1).

Le recours est donc recevable.

3) Le recourant sollicite une indemnité concernant des vêtements et des lunettes endommagées, une indemnité pour tort moral et la reconnaissance de ce que ses droits ont été bafoués pendant son placement en cellule forte.

Ces points, qui ne font pas l’objet de la décision attaquée, ne peuvent être examinés par la chambre de céans. Celle-ci ne peut, en effet, que se prononcer sur le bien-fondé de la décision de sanction, qui relève de sa compétence. Les prétentions en responsabilité civile sont, en effet, de la compétence du Tribunal civil de première instance (art. 7 de la loi sur la responsabilité de l'État et des communes du 24 février 1989 - LREC - A 2 40)

4) Le recourant conteste le bien-fondé de la sanction, se plaignant d'une constatation inexacte des faits pertinents et sa proportionnalité.

a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, notamment, d'une façon générale, de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement (art. 45 let. h RRIP). En tout temps, la direction peut ordonner des fouilles corporelles et une inspection des locaux (art. 46 RRIP).

c. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer, notamment, le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (art. 47 al. 7 RRIP). L'art. 47 al. 7 RRIP prévoit que le directeur peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l'al. 3 à d'autres membres du personnel gradé. Les modalités de la délégation sont prévues dans un ordre de service. L'ordre de service B 24 de la prison prévoit une telle délégation pour le placement en cellule forte de un à cinq jours en faveur du membre « consigné » de la direction, et pour la suppression de travail en faveur du gardien-chef adjoint (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

Le placement d'une personne détenue en cellule forte pour une durée supérieure à cinq jours est impérativement prononcé par le directeur ou, en son absence, par son suppléant ou un membre du conseil de direction chargé de la permanence (art. 47 al. 8 RRIP).

d. En procédure administrative, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n’est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/1198/2021 du 9 novembre 2021 consid. 3b).

De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s'en écarter (ATA/719/2021 précité ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/36/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1242/2018 du 20 novembre 2018).

e. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

f. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/383/2021 du 30 mars 2021 consid. 4e ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c).

g. Dix jours de cellule forte ont été confirmés par arrêt de la chambre de céans (ATA/1418/2019 du 24 septembre 2019) à l’encontre d’un détenu dont l'attitude, en particulier son refus d'obéir et de se soumettre, avait entraîné un grand désordre manifeste dans l'établissement, un surveillant ayant même été blessé.

Huit jours de cellule forte ont été confirmés par la chambre de céans pour une détenue qui avait exercé de la violence physique sur le personnel, l’avait injurié, avait refusé d’obtempérer et avait troublé l’ordre de l’établissement (ATA/97/2020 du 28 janvier 2020).

Sept jours de cellule forte ont été confirmés par la chambre de céans pour trouble à l’ordre de l’établissement, refus d’obtempérer (remonter à l’étage), insultes à l’encontre du personnel pendant plusieurs minutes notamment (« Fils de pute, nique ta mère ! »), le détenu ayant précédemment fait l’objet de huit sanctions disciplinaires (ATA/1189/2018 du 6 novembre 2018).

La chambre de céans avait rejeté un recours contre une sanction disciplinaire de sept jours de cellule forte pour violence physique envers le personnel de la prison. La décision était proportionnée et cohérente par rapport aux précédentes sanctions de, respectivement deux, trois et cinq jours de cellule forte ainsi qu’en raison du refus persistant du détenu de se conformer aux instructions du personnel de la prison (ATA/1282/2015 du 1er décembre 2015).

Cinq jours de cellule forte pour avoir menacé le personnel, l'avoir insulté et avoir troublé l'ordre de l'établissement ont été confirmés par la chambre de céans (ATA/1242/2018 du 20 novembre 2018).

Cinq jours de cellule forte ont été confirmés par la chambre de céans pour injures et menaces envers le personnel de la prison (ATA/1820/2019 du 17 décembre 2019).

5) a. En l’espèce, les faits reprochés au recourant ressortent du rapport établi le 24 mars 2022. Selon ce rapport, le recourant avait refusé de déférer à une convocation de la Procureure et le gardien-chef adjoint lui avait indiqué les répercussions possibles de son refus sur la procédure pénale en cours. À cette suite, le recourant avait maintenu son refus et avait dit à son interlocuteur « tu te prends pour qui, je vais te casser la gueule ».

Le recourant confirme avoir tenu les propos rapportés, les complétant de la manière suivante « je te casse la gueule » et « tu te prends pour quoi trou du cul ». Il n’explique cependant nullement en quoi le rapport d’incident serait erroné, se contentant de justifier ses propos par une difficulté de communication avec le gardien-chef en lien avec son refus de se rendre à l’audience, ce qui permettrait tout au plus d’atténuer sa faute et non de la supprimer. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s'écarter des constatations figurant dans le rapport susmentionné, établi au demeurant par un agent assermenté et qui a une pleine valeur probante.

Il en va de même de la résistance active qu’il admet avoir opposée aux gardiens dans le cadre de son transfert en cellule forte, sous la forme d’une « rigidité » et qui avait contraint les gardiens de le prendre en « prise d’escorte » afin de l’y conduire, ce qui ressort au demeurant des images de vidéosurveillance du couloir, les cellules n’étant pas équipées d’un tel matériel.

Il conteste en revanche avoir dit aux gardiens présents « fils de pute, enculé » durant la fouille, effectuée sous contrainte. Il précise toutefois avoir tenu les propos suivants « trou du cul, nique ta mère, comment tu me parles sale merde » durant le trajet entre sa cellule et la cellule forte.

Ce sont là des propos attentatoires à l'honneur et qui ne sauraient être acceptés au sein de cet établissement, pas plus qu'à l'extérieur.

Le recourant conteste également avoir refusé de se soumettre à la fouille d’usage à son arrivée en cellule forte. Or, ce refus ayant été rapporté par le gardien-chef adjoint et nécessité l’usage de la force pour procéder à la fouille, les dénégations du recourant ne permettent pas à elles seules de s’écarter du rapport d’incident.

Le comportement consistant à s’en prendre verbalement et grossièrement à des agents de détention et à refuser d’obtempérer aux instructions données afin de permettre sa fouille corporelle sont susceptibles de troubler l'ordre, la sécurité et la tranquillité de l'établissement. De ce fait, le recourant a violé ses obligations de détenu, telles que figurant aux art. 42 ss RRIP, en particulier aux art. 44, 45 let. h et 46 RRIP. Il s'ensuit que l'autorité intimée était fondée à le sanctionner pour ces faits.

b. S'il est vrai que le placement en cellule forte constitue la sanction la plus sévère mentionnée à l'art. 47 al. 3 RRIP, il n'en demeure pas moins que le recourant, à teneur du dossier, avait fait l’objet d’une précédente sanction à peine deux jours auparavant, pour trouble à l’ordre de l’établissement. L'autorité intimée était dès lors fondée à faire preuve de sévérité en lui infligeant, pour ces faits, une sanction de trois jours de cellule forte, dont la quotité se situe au demeurant en bas de la fourchette, étant rappelé que le placement en cellule forte peut être prononcé pour dix jours au plus.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'autorité intimée n'a ni abusé ni excédé son pouvoir d'appréciation, en prononçant le 24 mars 2022 le placement du recourant en cellule forte pour trois jours.

Le recours sera donc rejeté.

6) Au vu de la nature du litige et de son issue, il ne sera pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 mars 2022 par M. A______ contre la décision de la Direction de la prison B______ du 22 mars 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à M. A______ ainsi qu'à la prison B______.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Krauskopf et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. Specker

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :