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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1595/2022

ATA/686/2022 du 28.06.2022 ( EXPLOI ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1595/2022-EXPLOI ATA/686/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 28 juin 2022

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

A______ SÀRL
représentée par Me Ivan Huguet, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR

 



Attendu, en fait, que :

1) A______ Sàrl (ci-après : A______) est une société à responsabilité limitée sise à Genève, enregistrée au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Genève le 10 mai 2017. Son but statutaire est : « exploitation de toutes activités dans le domaine de la restauration et toutes activités commerciales et financières liées directement ou indirectement à son but principal ». Son unique associé gérant, avec signature individuelle, est Monsieur B______.

2) Par décision du 31 mai 2019, le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) a autorisé A______ et M. B______ à exploiter l'établissement public à l'enseigne « C______ », sis avenue D______ à Genève. L'exploitant en était Monsieur E______.

3) Par courrier du 6 octobre 2021, M. E______ a informé le PCTN qu'il était absent depuis le 9 août 2021. Il a fourni deux certificats médicaux prononçant un arrêt de travail à 100 %, l'un du 9 août 2021 pour la période du 9 au 22 août 2021, l'autre du 23 septembre 2021 pour une période commençant le 1er octobre 2021.

4) Le 24 mars 2022, le PCTN a informé A______ de son intention de prononcer la caducité de l'autorisation d'exploiter délivrée en mai 2019. Selon un rapport d'inspecteurs du service, l'absence de M. E______ avait été constatée au mois d'août 2021. Le prononcé d'une amende ou de mesures pour diverses infractions à la loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22) était réservé. Un délai au 25 avril 2022 était imparti à A______ pour se déterminer et pour désigner le cas échéant un nouvel exploitant.

5) Par courrier du 4 avril 2022, M. E______ a informé le PCTN de la cessation de son activité à partir du 1er avril 2022.

6) Par publication dans la feuille officielle suisse du commerce (ci-après : FOSC), les pouvoirs de M. E______ ont été radiés.

7) Le 25 avril 2022, A______ a déposé une requête de changement d'exploitant.

8) Par courrier du 6 mai 2022, le PCTN a déclaré ne pas pouvoir entrer en matière sur cette demande, la requête étant incomplète.

9) Par décision du 11 mai 2022 déclarée exécutoire nonobstant recours, le PCTN a constaté la caducité de l'autorisation délivrée le 31 mai 2019, le « C______ » n'ayant plus d'exploitant.

10) Par acte posté le 18 mai 2022, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours à titre superprovisoire et provisoire, à l'octroi d'un délai pour compléter le recours, à l'audition de MM. E______ et B______, et principalement à l'annulation de la décision attaquée « avec suite de frais et dépens ».

L'état de santé de M. E______ avait connu des améliorations suivies de rechutes. Il n'avait cependant jamais renoncé à l'exploitation de l'établissement, faisant simplement appel à un remplaçant lorsque sa santé ne lui permettait pas de venir sur place. M. E______ ayant informé le PCTN le 4 avril 2022 de la résiliation de ses fonctions dès le 1er avril 2022, A______ avait réussi à trouver un nouvel exploitant en la personne de Monsieur F______, mais la requête avait été déclarée incomplète de manière très formaliste. L'interdiction matérielle d'exploiter lui coûtait CHF 1'065.- par jour, et risquait la faillite.

Le PCTN ne motivait aucunement le retrait de l'effet suspensif dans sa décision, si bien que ce dernier devait être restitué à titre superprovisoire. Face au simple intérêt à la mise en application directe de la décision, le dommage quotidien subi par la société rendait manifeste l'intérêt de celle-ci à voir l'effet suspensif restitué. De plus, M. B______ assumait provisoirement le rôle et les tâches d'un exploitant pour le « C______ ».

Sur le fond, le PCTN avait constaté les faits de manière inexacte en retenant que M. E______ aurait dû solliciter une autorisation à titre précaire, fait preuve de formalisme excessif dans le traitement de la demande de changement d'exploitant et « violé la loi ».

11) Le 1er juin 2022, le PCTN a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif.

La LRDBHD prévoyait les conditions dans lesquelles un exploitant devait demander la poursuite de l'exploitation à titre précaire. Elle précisait également que l'autorisation d'exploiter était caduque lorsque son titulaire y renonçait par écrit.

En l'espèce, M. E______ avait informé de sa cessation d'activité par courrier du 12 avril 2022, actée par la suite auprès du RC. Une requête complète en changement d'exploitant n'avait pas été transmise dans le délai imparti, si bien que la constatation de la caducité de l'autorisation s'imposait. L'intérêt public à l'exécution immédiate de la décision attaquée prévalait sur l'intérêt privé à la poursuite de l'exploitation de l'établissement.

12) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur la question de l'effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) Selon l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, les décisions sur effet suspensif sont prises par la présidente de ladite chambre ou par le vice-président, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par un juge.

2) a. Aux termes de l'art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsqu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3).

b. L’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).

c. Selon la jurisprudence, un effet suspensif ne peut être restitué lorsque le recours est dirigé contre une décision à contenu négatif, soit contre une décision qui porte refus d'une prestation. La fonction de l'effet suspensif est de maintenir un régime juridique prévalant avant la décision contestée. Si, sous le régime antérieur, le droit ou le statut dont la reconnaissance fait l'objet du contentieux judiciaire n'existait pas, l'effet suspensif ne peut être restitué car cela reviendrait à accorder au recourant d'être mis au bénéfice d'un régime juridique dont il n'a jamais bénéficié (ATF 127 II 132 ; 126 V 407 ; 116 Ib 344).

Lorsqu'une décision à contenu négatif est portée devant la chambre administrative et que le destinataire de la décision sollicite la restitution de l'effet suspensif, il y a lieu de distinguer entre la situation de celui qui, lorsque la décision intervient, disposait d'un statut légal qui lui était retiré de celui qui ne disposait d'aucun droit. Dans le premier cas, il peut être entré en matière sur une requête en restitution de l'effet suspensif, aux conditions de l'art. 66 al. 2 LPA, l'acceptation de celle-ci induisant, jusqu'à droit jugé, le maintien des conditions antérieures. En revanche, il ne peut être entré en matière dans le deuxième cas, vu le caractère à contenu négatif de la décision administrative contestée. Dans cette dernière hypothèse, seul l'octroi de mesures provisionnelles, aux conditions cependant restrictives de l'art. 21 LPA, est envisageable (ATA/70/2014 du 5 février 2014 consid. 4b ; ATA/603/2011 du 23 septembre 2011 consid. 2 ; ATA/280/2009 du 11 juin 2009 ; ATA/278/2009 du 4 juin 2009).

d. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1112/2020 du 10 novembre 2020 consid. 5 ; ATA/1107/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

e. L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

3) Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

4) a. L'exploitation de tout établissement régi par la LRDBHD est soumise à l'obtention préalable d'une autorisation d'exploiter délivrée par le département de l'emploi et de la santé (art. 8 LRDBHD et 3 al. 1 du règlement d'exécution de la LRDBHD, du 28 octobre 2015 - RRDBHD - I 2 22.01). Le PCTN reçoit et instruit les requêtes et délivre les autorisations prévues par la LRDBHD (art. 3 al. 2 RRDBHD).

b. Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a jugé à plusieurs reprises qu'un exploitant ne peut se voir accorder par le biais de mesures provisionnelles un régime juridique dont il n’a pas bénéficié auparavant, en l’occurrence l’autorisation d’exploiter, le maintien d'une situation antérieure illégale n'apparaissant pas comme un intérêt digne d'être protégé et donc prépondérant ; accorder une telle autorisation reviendrait à admettre à titre préjudiciel que les conditions de l'autorisation sont satisfaites, ce qui n'est normalement possible qu'à l'issue du litige, un éventuel préjudice financier ne pouvant du reste faire échec à ce constat (ATA/418/2018 du 3 mai 2018 consid. 9 ; ATA/15/2014 du 8 janvier 2014 et ATA/967/2014 du 5 décembre 2014 rendu dans des cas portant sur la condition personnelle d'honorabilité ; ATA/1036/2014 du 19 décembre 2014).

Elle a aussi rejeté les demandes de mesures provisionnelles de restaurants fermés par ordre du PCTN dans des cas où ce dernier avait révoqué l'autorisation d'exploiter du précédent exploitant – décision non contestée –, où les restaurants avaient continué à être exploités et où les requêtes d'autorisation déposées par le nouvel exploitant étaient incomplètes (ATA/1313/2017 du 21 septembre 2017).

Elle a rejeté la demande d'effet suspensif, traitée comme demande de mesures provisionnelles, d'un cabaret-dancing qui avait été fermé suite à un constat d'activités contraires à l'ordre public par la police, considérant notamment que les deux requêtes en autorisation d'exploiter déposées par le propriétaire avaient fait l'objet d'une non-entrée en matière parce que de nombreux documents et renseignements manquaient, et que même avec un dossier complet, on ne pouvait spéculer sur une issue favorable au vu des nombreux problèmes de respect de la législation soulevés par le rapport de police (ATA/1343/2017 du 3 octobre 2017 consid. 9).

Dans cas de constatation de la caducité de l'autorisation d'exploiter, la chambre de céans a rappelé qu'il n'était en principe pas possible d'attribuer par voie de mesures provisionnelles une autorisation d'exploiter de fait, sans pouvoir être raisonnablement sûr que les conditions d'octroi soient remplies ; elle a néanmoins invité le PCTN à faire preuve de diligence dans le traitement de la requête en autorisation d'exploiter (ATA/1205/2018 du 12 novembre 2018).

5) Pour effectuer la pesée des intérêts en présence qu’un tel examen implique, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

6) En l'espèce, l'ancien exploitant de l'établissement public concerné a déclaré par écrit mettre fin à ses fonctions, et il apparaît qu'aucun changement d'exploitant n'a pour l'instant été autorisé par l'intimé. Dès lors, conformément à la jurisprudence constante de la chambre de céans – selon laquelle il n'est en principe pas possible d'attribuer par voie de mesures provisionnelles une autorisation d'exploiter de fait, sans pouvoir être raisonnablement sûr que les conditions d'octroi soient remplies –, on ne saurait admettre la poursuite de l'exploitation du « C______ » sans exploitant, et sans être sûr que le nouvel exploitant remplisse les conditions légales – ce qui fait l'objet d'une autre procédure.

Par ailleurs, les chances de succès du recours apparaissent à première vue insuffisantes pour envisager une restitution de l'effet suspensif, le premier grief – au sujet de l'obligation ou non de demander une autorisation d'exploiter à titre précaire – ayant prima facie perdu son objet de par la déclaration écrite de l'ancien exploitant du 12 avril 2022, le second grief – de formalisme excessif – étant a priori exorbitant au litige dès lors qu'il concerne la non-entrée en matière sur le changement d'exploitant et non la décision de constat de caducité présentement attaquée, et le troisième grief relatif à la violation de la loi étant dépourvu de toute motivation.

La restitution de l'effet suspensif au recours sera dès lors refusée.

7) Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse de restituer l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Ivan Huguet, avocat de la recourante ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

 

 

La présidente :

 

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :