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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3599/2018

ATA/1205/2018 du 12.11.2018 ( EXPLOI ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3599/2018-EXPLOI ATA/1205/2018

 

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 12 novembre 2018

sur effet suspensif et mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

A______ SÀRL
représentée par Me Laurent Winkelmann, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR

 



Attendu, en fait, que :

1. Par décision du service du commerce, devenu entretemps le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN), du 10 janvier 2013, Monsieur B______ a été mis au bénéfice d'une autorisation d'exploiter le restaurant « C______ » sis rue D______ à Genève, restaurant dont la société E______ Sàrl était propriétaire.

2. La société A______ Sàrl (ci-après : A______), est une société à responsabilité limitée inscrite au registre du commerce du canton de Genève le 26 septembre 2017. Elle est sise rue D______ et a pour buts statutaires l'acquisition, la vente, la gestion et l'exploitation d'établissements publics tels que cafés, hôtels, restaurants, snack-bars, bars à café, tea-rooms ou entreprises analogues, ainsi que les conseils, services, prestations et activités dans les domaines de la restauration et des services traiteurs.

3. Le 5 décembre 2017, A______ a déposé une requête en autorisation d'exploiter l'établissement à l'enseigne « F______ », sis à la rue D______ et remplaçant l'ancien restaurant « C______ ». Le propriétaire de l'établissement était A______ (dont M. G______ exerçait la direction) et l'exploitant serait Monsieur H______.

4. Le 20 décembre 2017, le PCTN a retourné la requête à A______ au motif qu'elle était incomplète.

5. Le 24 janvier 2018, le PCTN s'est adressé au directeur et à l'exploitant du restaurant « C______ ». À ce jour, ils n'avaient toujours pas formé de requête en vue d'obtenir une autorisation d'exploiter et n'avaient pas donné suite à ses demandes suite au refus d'entrer en matière sur leur première requête (sic).

Un ultime délai de trente jours, non prolongeable, leur était imparti pour déposer une requête complète accompagnée de toutes les pièces nécessaires. À défaut, il serait constaté la caducité de l'ancienne autorisation d'exploiter et une sommation de fermeture serait émise, qui serait déclarée exécutoire nonobstant recours. Dans le même délai, ils pouvaient faire usage de leur droit d'être entendus.

6. Par décision du 3 octobre 2018, déclarée exécutoire nonobstant recours et remise en mains propres à une personne travaillant pour le restaurant « F______ », le PCTN a ordonné la fermeture immédiate de l'établissement jusqu'à l'obtention d'une autorisation d'exploiter. En cas de refus d'obtempérer, il serait procédé à la fermeture avec apposition de scellés.

7. Le 9 octobre 2018, A______ a déposé une nouvelle requête en autorisation d'exploiter l'établissement à l'enseigne « F______ » ; l'exploitant serait Monsieur I______. Le formulaire était entièrement rempli ; il manquait néanmoins, selon le PCTN, encore trois pièces, à savoir : l'attestation de paiement des assurances sociales ; une copie du contrat de sous-location, avec attestation du bailleur, et deux exemplaires des plans du restaurant. Des plans du restaurant et le contrat de sous-location figuraient néanmoins dans les pièces remises.

8. Par acte déposé le 15 octobre 2018, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l'ordre de fermeture, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif et à l'annulation de l'effet exécutoire de la décision attaquée, et principalement à son annulation et au renvoi de la cause au PCTN.

Le renvoi de la demande comme incomplète n'avait pas été contesté car la société avait l'intention de soumettre une requête complète dès que possible, mais elle avait dû faire face à de nombreux imprévus pour monter un dossier complet, étant notamment précisé que M. G______ résidait encore, au début de l'année 2018, au Vietnam. Le PCTN ne lui avait jamais envoyé de courrier lui impartissant un délai afin de procéder aux démarches nécessaires. Le restaurant « F______ » fonctionnait depuis une année environ et avait atteint un « plein régime ». De plus, la demande d'autorisation complète et assortie des pièces nécessaires avait été déposée auprès du PCTN entretemps. L'ordre de fermeture s'avérait dans ces conditions disproportionné, et l'effet suspensif devait être restitué.

9. Le juge délégué a invité le PCTN à répondre, en lui demandant d'indiquer dans quel délai, vu les circonstances – la presse annonçant la fermeture potentielle d'environ deux cent quatre-vingts établissements publics –, une autorisation pourrait être délivrée si les conditions d'octroi étaient remplies.

10. Le 23 octobre 2018, le PCTN a conclu au rejet de la demande d'effet suspensif.

Dans la mesure où une décision de sommation de fermeture impliquait une exploitation sans autorisation, c'est-à-dire avec un exploitant et un propriétaire nouveaux, il entendait traiter une requête déposée en cours de procédure de la même manière et dans les mêmes délais que toute requête de création d'un nouvel établissement. Aucun délai n'était par ailleurs donné en réponse à la question du juge délégué.

Le maintien du statu quo, c'est-à-dire le maintien de l'absence d'autorisation d'exploiter, ne permettant pas à A______ d'obtenir ce qu'elle souhaitait, sa demande d'effet suspensif devait s'examiner en tant que demande de mesures provisionnelles. L'octroi de telles mesures anticiperait ce qu'elle demandait au fond, soit l'octroi de l'autorisation d'exploiter. Conformément à la jurisprudence de la chambre administrative, il y avait un intérêt public important à ce qu'un établissement public dispose d'une autorisation d'exploiter. Le PCTN avait bien envoyé un courrier de relance le 24 janvier 2018, or A______ avait attendu jusqu'au 9 octobre 2018 pour déposer une nouvelle requête en autorisation, soit après l'ordre de fermeture querellé. Tant que l'autorisation d'exploiter n'était pas délivrée, A______ ne pouvait exploiter le restaurant, et le fait que cela la mettrait dans une situation financière difficile n'était pas pertinent.

11. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est, prima facie, recevable sans qu’il soit nécessaire en l’état de trancher d’autres questions de recevabilité (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

2. Les décisions sur effet suspensif et sur mesures provisionnelles sont prises par le président de la chambre administrative, respectivement par le vice-président, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par un juge (art. 21 LPA et 9 al. 1 du règlement de la chambre administrative du 26 septembre 2017).

3. Sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (art. 66 al. 1 LPA).

Lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (art. 66 al. 3 LPA).

4. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/306/2018 du 4 avril 2018 et les arrêts cités).

5. L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_720/2016 du 18 janvier 2017 consid. 2.1).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsogliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess, RDS 1997 II 253-420, p. 265).

6. a. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

b. Pour effectuer la pesée des intérêts en présence, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

7. a. Selon la jurisprudence et la doctrine, un effet suspensif ne peut être restitué lorsque le recours est dirigé contre une décision à contenu négatif, soit contre une décision qui porte refus d’une prestation. La fonction de l’effet suspensif est de maintenir un régime juridique prévalant avant la décision contestée. Si, sous le régime antérieur, le droit ou le statut dont la reconnaissance fait l’objet du contentieux judiciaire n’existait pas, l’effet suspensif ne peut être restitué car cela reviendrait à accorder au recourant d’être mis au bénéfice d’un régime juridique dont il n’a jamais bénéficié (ATF 127 II 132 ; 126 V 407 ; ATA/1343/2017 du 29 septembre 2017 consid. 7a ; ATA/354/2014 du 14 mai 2014 consid. 4).

b. Lorsqu’une décision à contenu négatif est portée devant la chambre administrative et que le destinataire de la décision sollicite la restitution de l’effet suspensif, il y a lieu de distinguer entre la situation de celui qui, lorsque la décision intervient, disposait d’un statut légal qui lui était retiré de celui qui ne disposait d’aucun droit. Dans le premier cas, la chambre administrative pourra entrer en matière sur une requête en restitution de l’effet suspensif, aux conditions de l’art. 66 al. 3 LPA, l’acceptation de celle-ci induisant, jusqu’à droit jugé, le maintien des conditions antérieures. Elle ne pourra pas en faire de même dans le deuxième cas, vu le caractère à contenu négatif de la décision administrative contestée. Dans cette dernière hypothèse, seul l’octroi de mesures provisionnelles, aux conditions cependant restrictives de l’art. 21 LPA, est envisageable (ATA/1343/2017 précité consid. 7b et les arrêts cités).

8. a. L'exploitation de tout établissement régi par la loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22) est soumise à l'obtention préalable d'une autorisation d'exploiter délivrée par le département de l'emploi et de la santé (art. 8 LRDBHD et 3 al. 1 du règlement d'exécution de la LRDBHD, du 28 octobre 2015 - RRDBHD - I 2 22.01). Le PCTN reçoit et instruit les requêtes et délivre les autorisations prévues par la LRDBHD (art. 3 al. 2 RRDBHD).

b. Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a jugé à plusieurs reprises qu'un exploitant ne peut se voir accorder par le biais de mesures provisionnelles un régime juridique dont il n’a pas bénéficié auparavant, en l’occurrence l’autorisation d’exploiter, le maintien d'une situation antérieure illégale n'apparaissant pas comme un intérêt digne d'être protégé et donc prépondérant ; accorder une telle autorisation reviendrait à admettre à titre préjudiciel que les conditions de l'autorisation sont satisfaites, ce qui n'est normalement possible qu'à l'issue du litige, un éventuel préjudice financier ne pouvant du reste faire échec à ce constat (ATA/418/2018 du 3 mai 2018 consid. 9 ; ATA/15/2014 du 8 janvier 2014 et ATA/967/2014 du 5 décembre 2014 rendu dans des cas portant sur la condition personnelle d'honorabilité ; ATA/1036/2014 du 19 décembre 2014).

Elle a aussi rejeté les demandes de mesures provisionnelles de restaurants fermés par ordre du PCTN dans des cas où ce dernier avait révoqué l'autorisation d'exploiter du précédent exploitant – décision non contestée –, où les restaurants avaient continué à être exploités et où les requêtes d'autorisation déposées par le nouvel exploitant étaient incomplètes (ATA/1313/2017 du 21 septembre 2017).

Enfin, elle a rejeté la demande d'effet suspensif, traitée comme demande de mesures provisionnelles, d'un cabaret-dancing qui avait été fermé suite à un constat d'activités contraires à l'ordre public par la police, considérant notamment que les deux requêtes en autorisation d'exploiter déposées par le propriétaire avaient fait l'objet d'une non-entrée en matière parce que de nombreux documents et renseignements manquaient, et que même avec un dossier complet, on ne pouvait spéculer sur une issue favorable au vu des nombreux problèmes de respect de la législation soulevés par le rapport de police (ATA/1343/2017 précité consid. 9).

9. En l'espèce, la décision attaquée, soit l'ordre de fermer un établissement public, n'a pas en soi un contenu négatif mais plutôt un contenu positif défavorable à l'administrée. Elle découle néanmoins d'un constat d'absence d'autorisation, si bien qu'un effet suspensif n'aurait ici pas de sens, dès lors que le maintien du statu quo, c'est-à-dire l'absence d'autorisation d'exploiter, ne permettrait pas à la recourante d'obtenir ce qu'elle souhaite, soit d'exploiter l'établissement public en cause.

Sa demande de restitution de l'effet suspensif au recours doit ainsi s'examiner comme une demande de mesures provisionnelles au sens de l'art. 21 LPA (ATA/1343/2017 précité consid. 8).

10. Le présent cas se distingue de celui que réglait l'arrêt précité, puisque la fermeture ne résulte pas d'une révocation de l'autorisation d'exploiter due à des manquements particuliers, mais d'une situation administrative non réglée, ce depuis environ un an.

Cela étant, conformément à la jurisprudence constante de la chambre de céans, il n'est en principe pas possible d'attribuer par voie de mesures provisionnelles une autorisation d'exploiter de fait, sans pouvoir être raisonnablement sûr que les conditions d'octroi soient remplies.

Deux éléments doivent néanmoins être pris en compte dans la présente espèce, à savoir que la relance du PCTN du 24 janvier 2018 a été mal adressée (le courrier a été envoyé au propriétaire et à l'exploitant du restaurant « C______ », alors qu'il se référait à la requête déposée en décembre 2017 par la recourante), et d'autre part qu'une requête en autorisation d'exploiter, complète à l'exception peut-être d'une ou deux pièces, a été déposée en date du 8 octobre 2018. Par ailleurs, le PCTN n'a pas répondu à la question du juge délégué sur le délai dans lequel l'autorisation pourrait être accordée, se contentant de déclarer vouloir se prononcer comme sur n'importe quelle demande initiale d'ouverture d'un café-restaurant.

Au vu de l'exploitation tolérée pendant plusieurs mois du restaurant « F______ » et de l'importante atteinte à la liberté économique de la recourante que constitue la décision attaquée, combinée aux éléments qui précèdent, le PCTN ne peut se reposer sur la jurisprudence de la chambre de céans pour examiner la requête d'autorisation déposée en octobre 2018 sans se fixer aucun délai, ceci dans le contexte particulier de l'annonce de la fermeture de nombreux établissements publics.

Dès lors, la requête d'effet suspensif, traitée comme demande de mesures provisionnelles, doit en l'état être refusée, l'autorité intimée étant néanmoins invitée à faire preuve de diligence dans le traitement de la requête en autorisation d'exploiter au vu des enjeux économiques et humains de la présente cause.

11. Le sort des frais de la procédure sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.


 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la demande de restitution de l'effet suspensif au recours, traitée comme demande de mesures provisionnelles ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Laurent Winkelmann, avocat de la recourante, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

 

 

La vice-présidente :

 

 

 

F. Krauskopf

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :