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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3194/2023

JTAPI/559/2024 du 10.06.2024 ( ICCIFD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : DÉCISION SUR OPPOSITION;REFORMATIO IN PEJUS;MOTIF DE RÉVISION;RÉVISION(DÉCISION);DROIT CONSTITUTIONNEL À LA PROTECTION DE LA BONNE FOI
Normes : LPFisc.39.al1; LPFisc.43.al1; LPFisc.55.al1; LIFD.147
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3194/2023 ICCIFD

JTAPI/559/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 10 juin 2024

 

dans la cause

 

Madame B______ et Monsieur A______, représentés par Me Pierre-Yves VUAGNIAUX, avocat, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le présent litige concerne l’impôt cantonal et communal (ICC) ainsi que l’impôt fédéral direct (IFD) 2018 de Madame B______ et de Monsieur A______ (ci-après : les contribuables ou les recourants).

2.             Le contribuable est actionnaire et gérant unique de la société C______ Sàrl (ci-après : la Sàrl).

3.             Par convention signée le 5 janvier 2016, la Sàrl a accordé au contribuable un prêt d’un montant de CHF 290’000.-, rémunéré à un taux de 1,5% et remboursable au plus tard au 31 décembre 2026.

4.             Au 31 décembre 2018, la Sàrl avait versé CHF 173'130.- au contribuable sur la base du prêt précité.

5.             Le bilan 2018 de la Sàrl faisait également état d'un compte courant d'associé de CHF 608'795.-.

6.             Selon sa déclaration fiscale 2018, le contribuable a perçu, durant l’année en question, un salaire brut de CHF 372'480.-, une rémunération variable de CHF 106'012.- et des avantages en nature de CHF 8'836.-, soit CHF 487’238.- au total.

7.             Le 19 février 2020, les contribuables se sont vu notifier leurs bordereaux d’ICC et d’IFD 2018.

8.             A la suite d’une réclamation des contribuables concernant leurs frais de garde, l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC-GE) a établi, le 11 mars 2020, des bordereaux rectificatifs d’ICC et d’IFD 2018 s’élevant respectivement à CHF 72’941.20 et CHF 28’059.05. Ces bordereaux ont été notifiés le lendemain et sont entrés en force.

9.             Le 14 octobre 2020, l’AFC-GE a taxé la Sàrl pour l’ICC et l’IFD 2018, en opérant une reprise de CHF 89’057.- à titre de salaire excessif versé au contribuable. Elle a refusé la déduction de ce montant et l’a réintégré dans le bénéfice 2018 de la Sàrl.

10.         A la suite de cette décision, les contribuables ont demandé à l’AFC-GE, par courrier du 26 octobre 2020, de « rouvrir » leurs taxations 2018 et d’appréhender la part de salaire excessif du contribuable en CHF 89’057.- comme une prestation appréciable en argent. Un certificat de salaire 2018 mentionnant un salaire brut de CHF 283'423.- (soit CHF 372'480.- – CHF 89’057.-) et un bonus de CHF 106'012.- était joint en annexe.

11.         Par pli du 22 mars 2022, l’AFC-GE a qualifié le courrier des contribuables du 26 octobre 2020 de « réclamation » et les a informés qu’elle entendait rectifier les taxations 2018 en leur défaveur. Un montant de CHF 150’488.-, correspondant à l’augmentation du prêt octroyé par la Sàrl au contribuable entre les exercices 2017 et 2018, devait être considéré comme un prêt simulé et, partant, être imposé comme une prestation appréciable en argent. Un délai de vingt jours leur était imparti pour se positionner sur la reformatio in peius envisagée.

12.         Les contribuables se sont opposés à cette reformatio in peius par lettre du 12 avril 2022.

13.         Par décisions du 31 août 2023, l’AFC-GE a admis la réclamation du 26 octobre 2020 en ce sens que le salaire 2018 du contribuable était arrêté à CHF 283’423.-.

Considérant que le prêt octroyé au précité par la Sàrl était simulé et qu’il s’agissait dès lors d’une prestation appréciable en argent au sens de l’art. 22 al. 1 let. c de la loi sur l’imposition des personnes physiques (LIPP - D 3 08), elle a cependant ajouté le montant de CHF 150’488.- au revenu imposable des contribuables. L’ICC était ainsi porté à CHF 88’859.65 et l’IFD à 35’689.65.

14.         Par acte du 2 octobre 2023, sous la plume de leur conseil, les contribuables ont recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).

Ils ont conclu, principalement et avec suite de dépens, à l’annulation des décisions de l’AFC-GE du 31 août 2023 concernant l’ICC et l’IFD 2018 en tant qu’elles péjoraient leur situation, à la confirmation desdites décisions pour le surplus et à l’annulation des bordereaux de taxation ICC et IFD rectificatifs 2018 du 31 août 2023. Cela fait, ils ont conclu à ce qu’il soit ordonné à l’AFC d’émettre de nouveaux bordereaux de taxation rectificatifs pour l’ICC et l’IFD 2018 en ne tenant compte que d’un salaire rectifié du contribuable de CHF 398’271.-, d’un salaire excessif de CHF 89’057.- valant prestation appréciable en argent, et en excluant la reprise d’un prêt simulé de CHF 150’488.- valant prestation appréciable en argent.

Les bordereaux ICC et IFD 2018 du 11 mars 2020 étaient entrés en force de sorte qu’ils ne pouvaient plus faire l’objet d’une réclamation dans le cadre de laquelle une reformation in peius était possible. Seule la voie de la révision était ouverte à leur encontre. C’était dès lors à tort que l’AFC-GE avait qualifié leur courrier du 26 octobre 2020 de réclamation et avait revu l’intégralité de leur taxation 2018, en partie en leur défaveur.

15.         Par pli du 19 décembre 2023 adressé au Tribunal, l’AFC-GE a indiqué que les contribuables faisaient valoir à juste titre que leur courrier du 26 octobre 2020 aurait dû être appréhendé comme une demande de révision et non comme une réclamation. Elle s’engageait dès lors à annuler les bordereaux litigieux et à se prononcer en bonne et due forme sur leur demande de révision. Le recours était par conséquent sans objet et la cause pouvait être rayée du rôle.

16.         Par courrier du 19 janvier 2024, les contribuables ont refusé de retirer leur recours. L’AFC-GE ne s’était ni engagée à requalifier la partie de salaire excessif en prestation appréciable en argent ni à verser des dépens. Elle souhaitait en outre revoir le courrier du 26 octobre 2020 sous l’angle de la révision alors qu’elle avait déjà rendu une décision sur révision le 31 août 2023. Elle devait dès lors émettre de nouveaux bordereaux 2018 intégrant les conclusions du recours.

17.         Dans sa réponse du 19 janvier 2024, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Etant donné que les contribuables refusaient de retirer leur recours, il lui incombait de se prononcer sur leur demande de révision. Dans le cas d’espèce, il apparaissait que la qualification du salaire excessif à l’occasion de la taxation de la Sàrl était intervenue postérieurement aux taxations 2018 des contribuables qui étaient entrées en force. Il s’ensuivait que la condition de l’existence de faits nouveaux antérieurs à la décision attaquée ouvrant la voie de la révision n’était pas réalisée. La jurisprudence avait d’ailleurs confirmé ce point de vue dans des cas similaires. La demande de révision des contribuables devait dès lors être rejetée.

18.         Les recourants ont répliqué le 12 février 2024 et persisté dans leurs conclusions.

Au vu de la jurisprudence constante en la matière, il n’était probablement pas possible de retenir que la réintégration du salaire excessif opérée par l’AFC-GE dans le cadre de la taxation de la Sàrl constituait un fait nouveau et donc un motif de révision. Cette démonstration n’était toutefois d’aucune aide à l’AFC-GE. En admettant dans un premier temps la demande de révision avant de rejeter dans un second temps ladite demande dans sa réponse au tribunal, l’AFC-GE avait adopté un comportement contradictoire et contraire à la bonne foi. Admettre le contraire leur serait dommageable dès lors qu’ils avaient déposé leur recours en considérant la décision de l’AFC-GE en matière de salaire excessif comme acquise. Les prétentions de l’AFC-GE devaient dès lors être rejetées et le recours admis.

19.         Par courrier du 21 février 2024, l’AFC-GE a renoncé à dupliquer et persisté dans ses conclusions.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi sur l’impôt fédéral direct - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il n’est lié ni par les motifs invoqués par les parties (cf. art. 69 al. 1 LPA cum art. 2 al. 2 LPFisc ; cf. également art. 51 al. 1 LPFisc), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/585/2015 du 9 juin 2015 ; ATA/285/2013 du 7 mai 2013 ; ATA/402/2012 du 26 juin 2012).

4.             A teneur de l’art. 39 al. 1 LPFisc, le contribuable peut adresser à l’autorité de taxation une réclamation écrite contre la décision de taxation dans les 30 jours qui suivent sa notification.

Selon l’art. 43 al. 1 LPFisc, le département prend, après instruction, une décision sur la réclamation. Il peut déterminer à nouveau tous les éléments de l’impôt et, après avoir entendu le contribuable, également modifier la taxation au désavantage de celui-ci.

A teneur de l’art. 55 al. 1 LPFisc, une décision ou un prononcé entré en force ne peut en revanche être révisé qu’en faveur du contribuable, à sa demande ou d’office. Cette disposition ne laisse pas de place pour une révision au détriment de l’administré, sur requête du fisc. L’art. 147 LIFD va dans le même sens (ATA/754/2015 du 28 juillet 2015 consid. 3).

5.             Selon l’art. 67 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), applicable par renvoi de l’art. 2 al. 2 LPFisc, dès le dépôt du recours, le pouvoir de traiter l’affaire qui en est l’objet passe à l’autorité de recours (effet dévolutif du recours).

L’art. 67 al. 2 LPA prévoit toutefois que l’autorité de première instance peut, en cours de procédure, reconsidérer ou retirer sa décision et qu’en pareil cas, elle notifie sans délai sa nouvelle décision aux parties et en donne connaissance à l’autorité de recours.

Cette pratique répond à l’intérêt lié à l’économie de la procédure : si, sur le vu du recours, l’autorité administrative intimée s’aperçoit qu’elle s’est trompée dans l’application du droit, il se justifie qu’elle ait la possibilité de se raviser et de rendre une nouvelle décision plutôt que de persister dans une position qu’elle-même considère comme erronée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_653/2012 du 28 août 2012 consid. 4.2.3 ; cf. aussi ATF 127 V 228 consid. 2b/bb et les références citées).

L’autorité de recours continue alors à traiter le recours dans la mesure où la nouvelle décision ne l’a pas rendu sans objet (art. 67 al. 3 LPA).

Si la nouvelle décision aggrave la situation du recourant (reformatio in peius), elle ne remplace pas la première, mais est considérée comme constituant le chef de conclusions de l’autorité intimée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_653/2012 du 28 août 2012 consid. 4.3.1 et les références citées ; ATA/240/2016 du 15 mars 2016 consid. 5 ; voir également Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 866 p. 230).

6.             Par économie de procédure, le tribunal de céans statue lui-même sur une demande de révision, lorsque l'AFC traite cette demande comme une réclamation, sous condition qu'elle se prononce sur les chances de succès de cette demande au stade du recours (JTAPI/947/2023 du 4 septembre 2023 consid. 10 ; JTAPI/635/2021 du 21 juin 2021 consid. 8; JTAPI/75/2014 du 20 janvier 2014 consid. 4 et les jugements cités).

7.             En l’espèce, l’AFC-GE a émis le 11 mars 2020 des bordereaux rectificatifs concernant l’ICC et l’IFD 2018 des recourants, lesquels sont entrés en force. Il s’ensuit que lorsque les recourants se sont adressés à l’AFC-GE par courrier du 26 octobre 2020, à la suite de la réintégration d’une partie du salaire du recourant dans le bénéfice de la Sàrl, ces bordereaux ne pouvaient plus faire l’objet d’une réclamation. Seule la voie de la révision était ouverte à leur encontre.

Il découle de qui précède que l’AFC-GE n’était pas habilitée à traiter le courrier des recourants du 26 octobre 2020 comme une réclamation autorisant une éventuelle reformatio in peius. Si elle souhaitait revoir la taxation 2018 des recourants en défaveur de ces derniers, il lui appartenait d’entamer une procédure de rappel d’impôts, ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce.

L’AFC-GE est par conséquent revenue à tort, dans sa décision du 31 août 2023, sur la question du contrat de prêt conclu entre le recourant et la Sàrl. C’est également à tort qu’elle a ajouté au revenu imposable du recourant un montant de CHF 150’488.- correspondant à l’augmentation en 2018 du prêt que celui-ci avait contracté auprès de sa société. L’AFC-GE a du reste expressément admis ce qui précède dans le cadre de la présente procédure, dès lors qu’elle s’est engagée, par courrier du 19 décembre 2023, à annuler les bordereaux attaqués et à se prononcer en bonne et due forme sur la demande de révision du 26 octobre 2020.

Au vu de ce qui précède, c’est à bon droit que les recourants ont demandé, dans le cadre de leur recours, l’annulation des décisions sur réclamation du 31 août 2023 – ainsi que des bordereaux ICC et IFD 2018 y relatifs – en tant que ces décisions assimilaient le prêt octroyé au recourant par la Sàrl à une prestation appréciable en argent et ajoutaient le montant de CHF 150’488.- à son revenu imposable.

Ce constat ne saurait toutefois emporter un renvoi du dossier à l’AFC-GE afin que celle-ci statue sur la demande de révision du 26 octobre 2020 tendant à ce que la part de salaire excessif du recourant soit imposée comme un dividende. L’AFC-GE a en effet d’ores et déjà fait valoir, dans sa réponse au recours, qu’il n’existait pour elle aucun motif de révision des bordereaux du 11 mars 2020 et que la demande des recourants devait être rejetée (s’agissant de la conformité de cette démarche avec les règles de la bonne foi, cf. infra consid. 15). Par économie de procédure, le tribunal de céans statuera dès lors lui-même sur cette demande.

8.             À teneur des art. 55 al. 1 LPFisc et 147 al. 1 LIFD, qui instituent un cas de reconsidération obligatoire, une décision ou un prononcé entré en force peut être révisé (par quoi il faut entendre « reconsidéré », le terme de révision étant en effet destiné au réexamen des décisions judiciaires ; cf. ATA/920/2019 du 21 mai 2019 consid. 2d et la référence citée) en faveur du contribuable, à sa demande ou d’office, lorsque des faits importants ou des preuves concluantes sont découverts (let. a), lorsque l’autorité qui a statué n’a pas tenu compte de faits importants ou de preuves concluantes qu’elle connaissait ou devait connaître, ou qu’elle a violé de quelque autre manière l’une des règles essentielles de la procédure (let. b) ou lorsqu’un crime ou un délit a influé sur la décision ou le prononcé (let. c).

Est nouveau le fait qui était inconnu, mais qui existait déjà au moment de la décision. Les faits en question sont donc des événements antérieurs au prononcé dont la révision est demandée, mais qui ont été découverts par la suite. Les faits et moyens postérieurs à la décision sont donc en principe exclus. S’ils existaient de manière latente dès le début, ils peuvent toutefois justifier une révision en ce qu’ils rétroagissent au jour où la décision a été prise et font apparaître l’appréciation des faits effectuée à cette époque comme inexacte (arrêt du Tribunal fédéral 2C_245/2019 du 27 septembre 2019 consid. 5.2 et les références citées).

9.             La révision est en revanche exclue lorsque le requérant invoque des motifs qu’il aurait déjà pu faire valoir au cours de la procédure ordinaire s’il avait fait preuve de toute la diligence qui pouvait raisonnablement être exigée de lui (art. 147 al. 2 LIFD, art. 51 al. 2 LHID, art. 55 al. 2 LPFisc).

En d’autres termes, même en présence d’un motif de révision, si le contribuable ou son représentant omet, de manière négligente, de faire valoir celui-ci dans la procédure ordinaire, la révision n’est pas possible. La jurisprudence souligne qu’il faut se montrer strict à cet égard. Le seul facteur décisif est donc celui de savoir si le contribuable aurait déjà pu présenter le motif de révision dans la procédure ordinaire. Le but de la procédure extraordinaire de révision n’est en effet pas de réparer les omissions évitables du contribuable commises au cours de la procédure ordinaire. Cette limitation importante à la révision s’explique par le caractère subsidiaire de cette voie de droit et par les exigences de la sécurité du droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_245/2019 précité consid. 5.3 et les références citées).

Une nouvelle pratique ou un changement de jurisprudence n’ouvre pas la voie de la révision. En effet, il ne s’agit pas d’événements antérieurs au prononcé de la décision dont la révision est demandée, qui auraient été découverts par la suite (arrêt du Tribunal fédéral 2C_134/2007 du 20 septembre 2007 consid. 2.3). De même, l’erreur dans l’application du droit ne constitue pas un motif de révision (arrêt du Tribunal fédéral 2P.273/2006, 2A.617/2006 du 17 avril 2007 consid. 3.3).

10.         Dans un arrêt du 27 août 2013 (ATA/529/2013), la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a eu à connaître d’un litige similaire au cas d’espèce, à savoir une taxation pour laquelle l’AFC avait opéré une reprise à titre de salaire excessif versé à un associé, par ailleurs actionnaire majoritaire et gérant d’une société.

La chambre administrative a jugé que la décision concernant la taxation de la société était postérieure à celle dont la révision était demandée ; il ne s’agissait pas d’un fait survenu antérieurement à la décision dont la révision était requise et qui serait parvenu ensuite à la connaissance du recourant. Cette décision ne constituait dès lors pas un fait nouveau permettant l’ouverture d’une procédure de révision.

Au demeurant, la décision que le recourant invoquait à l’appui de sa demande de révision portait sur la qualification juridique des versements effectués par la société à son employé et administrateur. Elle ne faisait donc qu’apporter un éclairage juridique nouveau sur les faits fondant la taxation du recourant. À l’instar d’un changement de pratique ou de jurisprudence, le changement ultérieur dans la manière d’apprécier une situation factuelle pour en tirer une conséquence juridique n’était pas un motif de révision d’une décision entrée en force. Cela l’était d’autant moins qu’en l’espèce, la décision de la commission invoquée comme motif de révision avait été rendue dans le cadre d’une procédure concernant la société, qui était un tiers à la procédure de révision engagée par le recourant contre la décision concernant son imposition à la source.

Le tribunal de céans s’est depuis toujours conformé à cette jurisprudence (parmi plusieurs : JTAPI/1193/2015 du 12 octobre 2015 ; JTAPI/585/2014 du 26 mai 2014 confirmé par ATA/207/2015 du 24 février 2015).

11.         Saisie d’une demande de réexamen, l’autorité doit procéder en deux étapes : elle examine d’abord la pertinence du fait nouveau invoqué, sans ouvrir d’instruction sur le fond du litige, et décide ou non d’entrer en matière. Un recours contre cette décision est ouvert, le contentieux étant limité uniquement à la question de savoir si le fait nouveau allégué doit contraindre l’autorité à réexaminer la situation (ATF 117 V 8 consid. 2a ; 109 Ib 246 consid. 4a ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_172/2013 du 21 juin 2013 consid. 1.4 ; 2C_504/2013 du 5 juin 2013 consid. 3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 1428 ss p. 480). Si la juridiction de recours retient la survenance d’une modification des circonstances, elle doit renvoyer le dossier à l’autorité intimée afin que celle-ci entre cette fois en matière et examine si cette modification des circonstances est propre, sous l'angle juridique, à entraîner une modification de la décision initiale (Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 2148 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 1429).

12.         En l’espèce, les recourants ont fondé leur demande de révision sur la taxation de la Sàrl intervenue en date du 14 octobre 2020, soit postérieurement aux décisions dont la révision est sollicitée. Cette circonstance ne constitue dès lors pas un fait qui s’est produit antérieurement à la procédure de taxation des recourants et que ces derniers ont été empêchés, sans leur faute, d’invoquer dans ce cadre. Partant, elle ne constitue pas un motif de révision.

Par ailleurs – et comme le tribunal de céans l’a déjà exposé dans le jugement du 12 octobre 2015 mentionné ci-avant qui portait sur une affaire similaire –, la taxation de la société opère une nouvelle qualification juridique de la rémunération du recourant, initialement intégralement considérée comme du salaire, puis partiellement qualifiée de prestation appréciable en argent. Or, le changement ultérieur dans la manière d’apprécier une situation factuelle pour en tirer une conséquence juridique ne représente pas non plus un motif de révision d’une décision entrée en force.

Les recourants ont du reste concédé, dans leur réplique du 12 février 2024, que la taxation de la Sàrl ne constituait probablement pas un fait nouveau ouvrant la voie de la révision.

Au vu de ce qui précède, c’est à juste titre que l’AFC-GE a conclu, dans sa réponse, à ce que le tribunal « rejette », plus précisément n’entre pas en matière sur la demande de révision des taxations 2018 formée par les recourants.

13.         Reste à examiner si ce revirement de l’AFC-GE doit être considéré comme contraire à la bonne foi.

14.         Aux termes de l’art. 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), les organes de l’État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. Cela implique notamment qu’ils s’abstiennent d’adopter un comportement contradictoire ou abusif (ATF 136 I 254 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_266/2020 du 27 mai 2020 consid. 4). De ce principe général découle notamment le droit fondamental du particulier à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l’État, consacré à l’art. 9 in fine Cst. (ATF 138 I 49 consid. 8.3.1 et les arrêts cités ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_626/2019 du 8 octobre 2020 consid. 3.1 ; 1C_277/2020 du 27 août 2020 consid. 2.2 ; 1C_267/2019 du 5 mai 2020 consid. 4.1). Le principe de la confiance, découlant de celui de la bonne foi, commande également à l’administration d’adopter un comportement cohérent et dépourvu de contradiction; la jurisprudence y a recours parfois pour corriger les conséquences préjudiciables aux intérêts des administrés qui en découleraient (ATF 111 V 81 consid. 6 ; 108 V 84 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_153/2015 du 23 avril 2015 consid. 4).

Valant pour l’ensemble de l’activité étatique, le principe de la bonne foi exige que l’administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l’administration doit s’abstenir de toute attitude propre à tromper l’administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 précité, ibidem ; 129 I 161 consid. 4 ; 129 II 361 consid. 7.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_18/2015 du 22 mai 2015 consid. 3).

Selon la jurisprudence, les assurances ou les renseignements erronés donnés par les autorités confèrent des droits aux justiciables lorsque les cinq conditions cumulatives suivantes sont remplies. Tout d’abord, une promesse concrète doit avoir été émise à l’égard d’une personne déterminée. Il faut ensuite que l’autorité ait agi dans le cadre et dans les limites de sa compétence, que la personne concernée n’ait pas été en mesure de se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement fourni, qu’elle se soit fondée sur ce renseignement pour prendre des dispositions qu’elle ne peut ensuite modifier sans subir de préjudice et, enfin, que la loi n’ait pas subi de changement depuis le moment ou la promesse a été faite (ATF 141 V 530 consid. 6.2 ; ATA/420/2017 du 11 avril 2017 consid. 5c et les références citées).

Le droit fiscal est toutefois dominé par le principe de la légalité, de telle sorte que le principe de la bonne foi ne saurait avoir qu’une influence limitée en cette matière (ATF 131 II 627 consid. 6.1 ; 118 Ib 312 consid. 3b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1120/2015 du 26 avril 2017 consid. 6.3.2 ; ATA/162/2021 du 9 février 2021 consid. 5b). La règle de l’application limitée du principe de la bonne foi en droit fiscal implique que les conditions de la protection qu’il entraîne soient strictement réalisées (arrêt du Tribunal fédéral 2C_99/2010 du 6 septembre 2010 consid. 4.2.3 ; ATA/1264/2015 du 24 novembre 2015 consid. 5c).

15.         En l’espèce, les conditions qui permettraient aux recourants de se prévaloir de leur bonne foi pour contraindre l’AFC-GE à maintenir ses décisions du 31 août 2023, dans la mesure où celles-ci leur étaient profitables, ne sont à l’évidence pas réunies.

Au terme des décisions susmentionnées, l’AFC-GE a traité la demande de révision des bordereaux du 11 mars 2020 comme une réclamation et a fait droit aux prétentions des recourants. Indépendamment du bien-fondé de cette démarche (cf. supra consid. 12), l’AFC-GE n’a émis, à cette occasion, aucune promesse concrète à l’égard des recourants de ne pas revenir sur ces décisions dans le cadre d’une éventuelle procédure de recours, ainsi que l’art. 67 al. 2 LPA lui en confère la faculté. Les recourants ne soutiennent d’ailleurs rien de tel devant le tribunal.

A cette absence de promesse concrète de l’AFC-GE s’ajoute le fait que les recourants n’ont pris, sur la base des décisions du 31 août 2023, aucune disposition qu’ils ne pourraient modifier sans subir de préjudice. A la suite du recours interjeté contre ces décisions, l’AFC-GE a en effet accepté d’annuler les bordereaux litigieux. Il est certes compréhensible que la position exprimée par l’autorité précitée, selon laquelle les recourants ne pouvaient in fine pas prétendre à une « réouverture » de leurs taxations 2018, ait déçu leurs attentes. Il n’en demeure pas moins que ceux-ci se retrouvent aujourd’hui au même stade que celui qui prévalait au moment de la notification des bordereaux initiaux (cf. infra consid. 16). Partant, ils n’ont subi aucun préjudice.

Dès lors qu’à ce stade de l’examen, deux des cinq conditions cumulatives susmentionnées ne sont pas réalisées, il y a lieu de considérer que le principe de la bonne foi n’a pas été violé in casu. Le grief sera donc écarté.

16.         En conclusion, et comme déjà relevé ci-avant, l’AFC-GE n’était pas fondée à traiter la demande de révision des taxations du 11 mars 2020 comme une réclamation et à procéder à une reformatio in peius de celles-ci, en ajoutant au revenu imposable du recourant le prêt que ce dernier avait obtenu de la Sàrl. Les décisions sur réclamation que l’AFC-GE a rendues le 31 août 2023, ainsi que les bordereaux ICC et IFD y afférents, seront par conséquent annulés. Le recours doit dès lors être admis en tant qu’il tend à l’annulation des décisions précitées, ainsi que des bordereaux ICC et IFD 2018, en tant que ces décisions assimilent le prêt octroyé au recourant par la Sàrl à une prestation appréciable en argent et ajoutent la somme de CHF 150’488.- au revenu imposable des contribuables.

Les recourants ne pouvant se prévaloir d’aucun motif de révision des taxations du 11 mars 2020, c’est au surplus à juste titre que l’AFC-GE a conclu à ce que le tribunal n’entre pas en matière sur la demande de révision formée par les précités. Il s’ensuit que le recours doit être rejeté en tant qu’il tend à la confirmation des décisions du 31 août 2023 « pour le surplus » – à savoir dans la mesure où celles-ci acceptaient d’imposer la part de salaire excessif du recourant comme un dividende – et à ce qu’il soit ordonné à l’AFC-GE d’émettre de nouveaux bordereaux de taxation pour l’ICC et l’IFD 2018, ne tenant compte que d’un salaire rectifié du contribuable de CHF 398’271.- et d’un salaire excessif de CHF 89’057.- valant prestation appréciable en argent.

17.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui obtiennent partiellement gain de cause, sont condamnés au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 750.-. Le solde de l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours leur sera par conséquent restitué.

18.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 500.- à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l’AFC-GE, sera allouée aux recourants (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 2 octobre 2023 par Madame B______ et Monsieur A______ contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale du 31 août 2023 ;

2.             l’admet partiellement ;

3.             annule les décisions susmentionnées ainsi que les bordereaux ICC et IFD 2018 du 31 août 2023 ;

4.             dit qu’il n’est pas entré en matière sur la demande de révision des taxations du 11 mars 2020 formée le 26 octobre 2020 par Madame B______ et Monsieur A______ ;

5.             rejette le recours pour le surplus ;

6.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 750.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;

7.             ordonne la restitution aux recourants du solde de l’avance de frais de CHF 750.-;

8.             condamne l’État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser aux recourants une indemnité de procédure de CHF 500.- ;

9.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Marielle TONOSSI, présidente, Laurence DEMATRAZ et Jean-Marc WASEM, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier