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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/860/2024

ATA/718/2024 du 14.06.2024 ( PRISON ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/860/2024-PRISON ATA/718/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 juin 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée

 



EN FAIT

A. a. A______ est en détention provisoire à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le 26 août 2023.

b. Selon un rapport d’incident du 15 février 2024, à la suite d’une alarme feu déclenchée dans une cellule de la prison, les détenus qui étaient à la salle de sport avaient été « stockés » devant les ascenseurs sud en attendant la remontée de la promenade. A______ et quatre autres personnes détenues s’étaient alors mis à « hurler et taper contre les vitres » afin d’attirer l’attention de personnes détenues remontant de la promenade. Deux agents de détention avaient été contraints de recadrer les cinq personnes détenues. Celles-ci avaient toutefois ignoré les injonctions des agents et continué leurs agissements. Ces faits étaient confirmés par les images de vidéosurveillance.

A______ a été entendu le même jour par le sous-chef responsable de l’unité.

c. Par décision du 15 février 2024, le responsable de l’unité a notifié à A______ une sanction de quinze jours de « suppression du sport petite et grande salle ». L’intéressé a refusé de signer cette décision.

B. a. Par acte posté le 12 mars 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant implicitement à son annulation.

Il n’était « pas vrai » qu’il avait crié et fait du bruit dans le couloir en allant au sport et en revenant. La chambre administrative était invitée à « visionner les caméras ». La sanction consistant à lui interdire de faire du sport pendant quinze jours n’était « pas normale ».

b. Par réponse du 11 avril 2024, la prison a conclu au rejet du recours.

La version des faits telle qu’établie dans le rapport d’incident du 15 février 2024 par un agent de détention assermenté était attestée par les images de vidéosurveillance. La suppression des activités sportives était parfaitement proportionnée et en adéquation au vu des faits reprochés. Elle était apte et nécessaire pour garantir la sécurité et la tranquillité de l’établissement.

Elle a produit la clef USB contenant les images de vidéosurveillance.

c. Le recourant n’a pas répliqué dans le délai imparti à cet effet, si bien que la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.              

2.1 L'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (art. 65 al. 2 1ère phr. LPA).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait que ces dernières ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas en soi un motif d’irrecevabilité, pourvu que le tribunal et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant. Une requête en annulation d’une décision doit par exemple être déclarée recevable dans la mesure où le recourant a de manière suffisante manifesté son désaccord avec la décision ainsi que sa volonté qu’elle ne développe pas d’effets juridiques (ATA/20/2022 du 11 janvier 2022 consid. 2b et les arrêts cités).

2.2 En l'espèce, le recourant n'a pas pris de conclusions formelles en annulation de la décision querellée. Cela étant, il a expliqué les raisons pour lesquelles il estimait qu’elle devait être modifiée, ce qui est suffisant pour comprendre qu'il est en désaccord avec cette décision et souhaite son annulation.

2.3 Bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celle-ci, dès lors qu'il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire ou de demande de libération conditionnelle (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 2 ; ATA/498/2022 du 11 mai 2022 consid. 2 ; ATA/50/2022 du 18 janvier 2022 consid. 2).

Le recours est donc recevable.

3.             L’objet du litige porte sur la conformité avec le droit de la décision qui sanctionne le recourant de quinze jours de suppression d’accès à la grande et à la petite salle de sport.

4.             Le recourant se plaint implicitement d’une constatation inexacte des faits, puisqu’il conteste s’être mis à hurler et à taper contre les vitres et avoir ignoré les injonctions des agents de détention.

4.1 Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

4.2 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

4.3 Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, notamment, d'une façon générale, de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement (art. 45 let. h RRIP).

Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer a) la suppression de visite pour 15 jours au plus, b) la suppression des promenades collectives, c) la suppression des activités sportives, d) la suppression d’achat pour 15 jours au plus ou encore g) le placement en cellule forte pour 10 jours au plus. Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (art. 47 al. 7 RRIP).

4.4 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s'en écarter (ATA/719/2021 du
6 juillet 2021 consid. 2d ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 consid. 3b et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/738/2022 du 14 juillet 2022 consid. 3d ; ATA/36/2019 du 15 janvier 2019).

4.5 En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/498/2022 du 11 mai 2022 consid. 5f ; ATA/383/2021 du 30 mars 2021 consid. 4e).

5.             En l’espèce, les faits reprochés au recourant tels qu’ils ressortent du rapport du 15 février 2024 sont les suivants : « lors de la remontée de la promenade, les cinq détenus hurlent et frappent contre la vitre afin d’attirer l’attention des détenus remontant de la promenade ». Dans sa réponse au recours, la prison a ajouté que deux agents de détention présents avaient été contraints de recadrer les cinq personnes détenues, dont le recourant. Ces dernières avaient ignoré les injonctions des agents de détention et continué leurs agissements. Selon l’intimée, les images de vidéosurveillance attestaient effectivement du fait qu’au lieu d’attendre calmement devant l’ascenseur, le temps que les personnes détenues qui étaient en promenade remontent, le recourant et quatre autres personnes détenues avaient frappé contre la vitre et communiqué avec les personnes détenues qui remontaient de la promenade. On voyait également sur les images que les deux agents de détention s’adressaient aux personnes détenues concernées faisant des gestes induisant d’arrêter leurs agissements. Les personnes détenues semblaient ignorer les injonctions et continuaient à taper contre la vitre et échanger avec les personnes détenues remontant de la promenade.

Le visionnage des images de vidéosurveillance ne permet toutefois pas de retenir les faits tels qu’établis par l’autorité intimée. Il n’est en effet pas possible de distinguer les cinq personnes détenues qui auraient hurlé et frappé contre la vitre. On ne discerne en effet aucun mouvement brutal en direction des vitres. La vidéosurveillance n’enregistrant pas le son, il n’est pas non plus possible d’établir si, comme l’indique l’autorité intimée, le recourant et quatre autres détenus auraient hurlé et crié en direction des autres détenus. Il ressort certes du visionnage des images que les autres détenus remontant de leur promenade ont communiqué avec les détenus attendant devant l’ascenseur. La communication – verbale et visuelle – apparaît toutefois relativement calme. Il n’est, au demeurant, pas possible de distinguer les deux agents de détention qui auraient fait des gestes pour induire les détenus à cesser leur comportement. On peut, tout au plus, apercevoir un agent se mouvoir légèrement en s’adressant aux détenus. On ne discerne cependant aucune insistance de sa part, ni geste concret sommant les détenus d’arrêter leurs agissements. Enfin, il ne ressort pas des images de vidéosurveillance que les détenus auraient été invités à se déplacer vers l’ascenseur en attendant que les autres détenus remontent de leur promenade.

Les faits tels qu’ils résultent du visionnage des images de vidéosurveillance permettent ainsi de s’écarter des éléments figurant dans le rapport d’incident, et cela même en tenant compte de la valeur probante généralement accordée aux rapports établis par des agents assermentés. En effet, sur la base des éléments qui précèdent, il ne peut pas être reproché au recourant d’avoir hurlé et frappé contre la vitre afin d’attirer l’attention des détenus remontant de la promenade. C’est partant à tort qu’une sanction lui a été infligée.

La sanction ayant été exécutée, il n’est matériellement plus possible de l’annuler. La chambre de céans se limitera donc à constater son caractère illicite (ATA/63/2021 du 19 janvier 2021 ; ATA/1792/2019 du 10 décembre 2019 ; ATA/309/2016 du 12 avril 2016 ; ATA/238/2016 du 15 mars 2016).

6.             Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée au recourant, qui n’y a pas conclu et qui n’est pas représenté par un avocat (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 mars 2024 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 15 février 2024 ;

au fond :

l’admet ;

constate le caractère illicite de la sanction de quinze jours de suppression de sport petite et grande salle ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de
Champ-Dollon.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. CARDINAUX

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :