Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/855/2024 du 29.08.2024 ( LCI ) , REJETE
ATTAQUE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 29 août 2024
|
dans la cause
A______ SA, représentée par Me Pascal PÉTROZ, avocat, avec élection de domicile
contre
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
1. A______ SA (ci-après : A______), sise ______[GE], a pour but l’exploitation et la mise en valeur d’ateliers horlogers ainsi que tous immeubles commerciaux ou industriels ; acquisition, administration, location et gestion de biens immobiliers.
2. B______ (ci-après : B______) est une société anonyme, dont le but est la création, production, fabrication et commercialisation, aussi au détail, de produits d'horlogerie, de bijouterie, d'orfèvrerie et de composants horlogers et industriels; achat, vente ______.
3. A______ est propriétaire des parcelles nos 1______, 2______, 3______, 4______, 5______, 6______, feuilles 3 et 6, de la commune de F______, d’une surface totale de 123’849 m2, situées en 5ème zone.
4. Sur la parcelle n° 4______, d'une surface de 4'116 m2 sont érigés deux bâtiments : n° 7______ (bureaux) et n° 8______ (bureaux) à l'adresse ______[GE], ainsi qu'une véranda-bureau au sud-ouest des bâtiments précités.
5. C______ SA (ci-après : C______) est locataire de la véranda-bureau.
6. Le 18 septembre 2019, B______, par l'intermédiaire de son mandataire professionnellement qualifié (ci-après : MPQ) de l'époque, a déposé auprès du département du territoire (ci-après : le département ou DT) une demande d'autorisation de construire enregistrée sous DD 9______ pour la construction d'une véranda-bureau sur la parcelle précitée.
À teneur des plans produits, cette construction comprendrait un espace paysager de 228 m2 permettant d'accueillir 300 personnes (réception), deux bureaux d'une surface de 11,60 m2, un bureau de 11,40 m2, un bureau de 11,25 m2 et une cafétéria de 22,50 m2.
7. Par courrier du 4 décembre 2019, l'OAC a communiqué à la requérante la teneur des préavis recueillis, dont les deux préavis défavorables, lui impartissant un délai de trente jours pour lui indiquer les suites qu'elle entendait donner au dossier et lui faire parvenir les documents requis dans le même délai.
8. Après avoir été saisi d'une dénonciation, alors que la requête précitée était en cours d'instruction, le département a ouvert une procédure d'infraction I-10_____ le 23 février 2021, la véranda-bureau ayant été édifiée sur la parcelle n° 4______ sans autorisation de construire. L'objet de la DD 9______ a donc été modifié afin d'intégrer le fait qu'il s'agissait d'une tentative de régularisation, notamment de l'infraction I-10_____.
9. Le 25 février 2021, B______ a informé le département qu'en raison des problèmes de santé de son architecte, il mettait un terme aux mandats qui les liaient et indiquait qu'elle faisait désormais appel à Monsieur D______.
10. Le 15 mars 2021, B______ a notamment signalé au département qu'une demande d'inscription au tableau des MPQ de M. D______ avait été déposée et que ce dernier avait repris le dossier I-10_____/ DD 9______ relatif à la véranda.
11. Par courrier du 27 avril 2021 adressé à B______, le département a pris note du fait que M. D______ était le nouveau MPQ pour les dossiers en cours, dont la DD 9______.
12. Le 19 octobre 2022, le département a imparti un délai au 10 novembre 2022 à la requérante pour répondre à l'intégralité de sa demande de compléments du 4 décembre 2019. Passé ce délai et sans nouvelles de sa part, il classerait le dossier.
13. Le 3 novembre 2022, exposant ses difficultés pour recueillir tous les documents utiles, le MPQ a sollicité un délai au 28 février 2023, lequel lui a été accordé par le département le 15 novembre 2022.
14. Le 23 février 2023, le MPQ a sollicité un dernier délai au 15 avril 2023.
15. Le 13 mars 2023, le département lui a accordé un ultime délai au 15 avril 2023.
16. Dans le cadre de procédures d'infractions (notamment I-10_____) visant des parcelles appartenant à A______ (parcelle n° 4______ notamment), une visite sur place a eu lieu le 20 juin 2023, en présence d'un représentant de l'office des autorisations de construire (ci-après : OAC) et du MPQ de A______.
17. Par courriel du 20 juillet 2023 adressé à A______, l'OAC, se référant à sa visite sur place du 20 juin précédent, a relevé d'une part, que les plans conformes relatifs aux bâtiments nos 8______ et 7______ ne lui avaient pas été transmis. D'autre part, concernant la véranda-bureau, construite sans autorisation en 2009, selon les photographies aériennes disponibles sur le SITG, les compléments requis dans le cadre de la procédure de régularisation (DD 9______) n'avaient toujours pas été communiqués malgré les délais octroyés. Compte tenu de sa persistance à ne pas coopérer, aucun nouveau délai ne lui serait octroyé concernant le traitement de cette demande d'autorisation de construire. En outre, divers aménagements extérieurs, notamment un chemin d'accès à la façade nord-est de la véranda, un parking et un aménagement paysager avaient été constatés. Il invitait A______ à se déterminer sur les points précités, dans le cadre du droit d'être entendu, dans un délai de dix jours.
18. Par courriel du 18 août 2023, le MPQ a informé l'OAC qu'il n'avait été en mesure de prendre connaissance de son mail du 25 juillet 2023 que le 15 août 2023, soit à la rentrée des vacances horlogères, raison pour laquelle il sollicitait une prolongation du délai jusqu'au 17 septembre 2023, ce qui lui permettrait d'obtenir la documentation auprès de la famille de l'ancien MPQ, décédé dans l'intervalle.
19. En réponse à ce courriel, le même jour, l'OAC, relevant que son mail datait du 20 juillet et non du 25 juillet et déplorant n'être informé qu'à ce stade des vacances horlogères, a prolongé le délai au 25 août 2023.
20. Le même jour, le MPQ a indiqué que les vacances avaient été abordées lors de la visite sur place du mois de juin 2023 et qu'il avait été mentionné que les délais impartis ne pourraient manifestement pas être respectés.
21. Aucune suite n'ayant été donnée à son courriel du 20 juillet 2023, le département, par décision du 30 août 2023, a ordonné à A______, l'exécution des mesures suivantes d'ici au 29 septembre 2023 :
- fournir des plans conformes à la réalité des bâtiments nos 8______ et 7______ ;
- requérir une autorisation de construire complète et en bonne et due forme, concernant l'intégralité des aménagements extérieurs sis sur la parcelle n° 4______. Cette requête devrait clairement stipuler « demande de régularisation I-11_____ », suivi du détail.
Pour le surplus, s'agissant de la véranda-bureau, cette construction n'étant pas au bénéfice d'une autorisation de construire en force, il lui faisait interdiction d'utiliser ces locaux avec effet immédiat.
La décision mentionnait un délai de recours de dix jours.
22. Par acte du 11 septembre 2023, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette décision en ce qu'elle ordonnait, avec effet immédiat, l'interdiction d'utiliser la véranda-bureau.
23. Par jugement du ______ 2024, le tribunal a admis le recours de A______ (JTAPI/13______/2024) à l’encontre de l'interdiction immédiate d'utiliser la véranda-bureau du 30 août 2023 ; la décision du 30 août 2023 étant confirmée pour le surplus.
24. A______, par l'intermédiaire de son conseil (lequel représentait également B______), a sollicité divers délais pour donner suite aux injonctions du DT la concernant.
25. Par décision du 21 novembre 2023 adressée à B______, le département a refusé de délivrer l'autorisation de construire visant la régularisation de la construction de la véranda-bureau (I-12_____ et I-10_____).
26. Par décision du 21 novembre 2023 également, le DT a ordonné à A______ la remise en l'état de la parcelle en procédant à la démolition de la véranda-bureau et à la restitution du terrain naturel.
27. Selon le suivi des envois mis en place par la Poste, cette décision a été notifiée le 24 novembre 2023 à la recourante.
28. B______ a recouru le 9 janvier 2024 auprès du tribunal contre le refus d'autorisation de construire visant la véranda-bureau. Cette procédure a été enregistrée sous A/14______/2024.
29. Par jugement de ce jour, le tribunal (JTAPI/15______/2024) a rejeté le recours précité.
30. Par acte, déposé à la Poste le 9 janvier 2024, A______, sous la plume de son conseil, a recouru contre l'ordre de démolition du 21 novembre 2023. Elle a conclu principalement à l'annulation de la décision, subsidiairement à ce que le tribunal ordonne le maintien à titre précaire de la véranda-bureau ; le tout sous suite de frais et dépens. Cette procédure a été enregistrée sous A/136/2024.
Les photographies aériennes disponibles sur le SITG permettaient de constater que la véranda-bureau avait été érigée entre 2005 et 2009. En ordonnant sa démolition, alors qu'il avait toléré cette situation depuis près de 20 ans, le département faisait preuve d'une mauvaise foi inadmissible. Il ne pouvait aujourd'hui ordonner la démolition de cette construction au prétexte que l'autorisation de construire était refusée sans laisser la possibilité à la recourante de s'exprimer.
Cette décision contrevenait au principe de proportionnalité. Le département n'était pas intervenu depuis plus de quinze ans. Cette longévité et l'absence de plainte relative à la construction litigieuse montrait que cette dernière n'avait jamais provoqué de nuisances ni posé de problème particulier. Il était en outre prouvé que son utilisation était essentielle à l'activité du groupe E______ ce qui ne pouvait pas être négligé. La mesure contestée ne constituait pas la mesure la moins incisive à disposition si le département souhaitait le dépôt de documents complémentaires dans le cadre de la DD 9______. Le refus du département suite à sa proposition d'organiser une séance afin de faire le point sur les nombreuses questions en suspens reflétait le traitement que lui réservait le DT, consistant à lui opposer un refus systématique de trouver des solutions pratiques permettant la poursuite de l'activité du groupe. Cela était d'autant plus vrai que le département avait fait fi des vacances horlogères pourtant notoires.
Si l'autorisation de construire ne devait pas être délivrée, elle concluait à ce que le maintien à titre précaire de la véranda soit ordonné. Avec les années, la véranda-bureau était devenue un élément essentiel pour le développement du groupe E______. Sa démolition aurait des conséquences non négligeables sur son activité.
Par ailleurs, l'impact sur l'environnement était très limité, pour ne pas dire nul, vu que la construction était uniquement composée de bureaux. En outre la construction litigieuse ne nuisait de toute évidence pas à la sécurité et/ou à la salubrité et elle n'était pas inesthétique pour le public dès lors qu'elle était située, sans verticalité, au fond de la parcelle, entourée d'une végétation abondante. Compte tenu des intérêts en présence, le tribunal devrait prononcer le maintien à titre précaire de cette construction.
31. Le 26 mars 2024, le département a transmis ses observations au tribunal. Il a conclu, dans la mesure de sa recevabilité, au rejet du recours et à la condamnation de la recourante aux dépens de l'instance.
Il avait été informé de l'existence de la véranda-bureau dans le cadre de l'instruction de la DD 9______ et à cette occasion en examinant les orthophotos, il s'était rendu compte que celle-ci était édifiée depuis plusieurs années.
Il n'avait aucunement toléré ladite construction et les conditions de la protection de la bonne foi n'étaient pas remplies ce d'autant qu'il n'avait à aucun moment donné d'assurance quant à la possibilité d'édifier ou de maintenir la véranda-bureau.
L'ordre de démolition se justifiait pleinement dans la mesure où la véranda-bureau n'avait pas été autorisée et ne pouvait pas l'être au regard de sa décision de refus du 21 novembre 2023. Comme cette construction ne pouvait pas être légalisée, elle ne pouvait subsister.
Il ne s'agissait en l'espèce pas d'une dérogation mineure à la règle et un intérêt purement économique de la recourante ne pouvait avoir le pas sur l'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit.
Quant aux conséquences prétendument désastreuses pour l'activité du groupe E______, celles-ci n'étaient ni exposées ni prouvées. D'ailleurs, ladite société disposait de nombreux autres locaux d'exploitation dans les environs proches et il était plus que probable qu'une solution pourrait être trouvée pour déplacer l'activité dans l'un de ces bâtiments, voire dans un autre emplacement du canton. Ce d'autant plus que celui qui plaçait l'autorité devant le fait accompli devait s'attendre à ce que celle-ci se préoccupe plus de rétablir une situation conforme au droit que d'éviter les inconvénients qui en découleraient pour lui.
Quant à la bonne foi, la recourante ne démontrait pas avoir procédé à la construction de la véranda en se pensant de bonne foi autorisée à le faire. Au contraire, au vu de la zone d'affectation, de l'historique de la propriétaire et de son statut de professionnelle de l'immobilier, elle ne pouvait prétendre avoir été fondée à faire édifier la construction litigieuse sans autorisation de construire. Le fait que la construction soit sur place depuis plus d'une dizaine d'années ou encore qu'elle n'aurait jamais posé de problème particulier n'étaient pas des éléments de nature à nier ce qui précédait et à modifier la décision litigieuse.
Enfin, la question du maintien à titre précaire de la construction étant du ressort du Conseil d'État, cette conclusion n'avait pas à être examinée dans la présente cause.
32. Après avoir sollicité et obtenu plusieurs délais, la recourante a transmis sa réplique le 17 mai 2024. Pour l'essentiel, elle a persisté dans son argumentation.
33. Le 11 juin 2024, le département a dupliqué, campant sur sa position.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).
2. Interjeté en temps utile, vu la suspension des délais entre le 18 décembre et le 2 janvier et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).
3. Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.
Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2).
4. Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).
5. L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/1218/2017 du 22 août 2017 consid. 3b et l'arrêt cité). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer (ATA/1218/2017 du 22 août 2017 consid. 3b ; ATA/421/2017 du 11 avril 2017 consid. 5 et les arrêts cités ; ATA/1145/2015 du 27 octobre 2015 consid. 4b).
6. Aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l'autorité compétente (art. 22 al. 1 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin 1979 - LAT - RS 700).
7. Aux termes de l'art. 1 al. 1 let. a LCI, sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail.
8. Aucun travail ne doit être entrepris avant que l'autorisation ait été délivrée (art. 1 al. 7 LCI).
9. La recourante estime que l’ordre de remise en état serait contraire aux principes de la bonne foi et de la proportionnalité, et que son intérêt privé à permettre le maintien de son usage par les employés du groupe E______ serait prépondérant.
10. Selon l’art. 129 let. e LCI, dans les limites des dispositions de l’art. 130 LCI, le département peut ordonner, à l’égard des constructions, des installations ou d’autres choses, la remise en état. L’art. 130 LCI dispose que ces mesures peuvent être ordonnées par le département lorsque l’état d’une construction, d’une installation ou d’une autre chose n’est pas conforme aux prescriptions de la présente loi, des règlements qu’elle prévoit ou des autorisations délivrées en application de ces dispositions légales ou réglementaires. Les propriétaires doivent se conformer aux mesures ordonnées par le département en application des art. 129 et 130 LCI (art. 131 LCI).
11. De jurisprudence constante, pour être valable, un ordre de mise en conformité doit respecter cinq conditions. Premièrement, il doit être dirigé contre le perturbateur. Les installations en cause ne doivent ensuite pas avoir été autorisées en vertu du droit en vigueur au moment de leur réalisation. Un délai de plus de trente ans ne doit par ailleurs pas s’être écoulé depuis l’exécution des travaux litigieux ; les constructions illégales hors de la zone à bâtir ne bénéficient cependant pas de ce délai de péremption (ATF 147 II 309 consid. 5.7). L’autorité ne doit en outre pas avoir créé chez l’administré concerné, par des promesses, des informations, des assurances ou un comportement, des conditions telles qu’elle serait liée par la bonne foi ; en particulier, les installations litigieuses ne doivent pas avoir été tolérées par l’autorité d’une façon qui serait constitutive d’une autorisation tacite ou d’une renonciation à faire respecter les dispositions transgressées. Finalement, l’intérêt public au rétablissement d’une situation conforme au droit doit l’emporter sur l’intérêt privé de l’intéressé au maintien des installations litigieuses (ATA/225/ 2023 du 7 mars 2023 consid. 3b).
12. Le perturbateur est celui qui a occasionné un dommage ou un danger par lui-même ou par le comportement d'un tiers relevant de sa responsabilité (perturbateur par comportement), mais aussi celui qui exerce sur l'objet qui a provoqué une telle situation un pouvoir de fait ou de droit (perturbateur par situation ; ATF 139 II 185 consid. 14.3.2 ; 136 I 1 consid. 4.4.3 ; 122 II 65 consid. 6a ; ATA/1334/2019 du 3 septembre 2019 consid. 2c ; ATA/70/2018 du 23 janvier 2018 consid. 7d et les arrêts cités). Le perturbateur par situation correspond avant tout au propriétaire, le critère déterminant étant le pouvoir de disposition, qui permet à celui qui le détient de maintenir la chose dans un état conforme à la réglementation en vigueur (cf. ATA/1334/2019 du 3 septembre 2019 consid. 2c et les arrêts cités).
13. S'agissant de la condition relative au fait que l'autorité ne doit pas avoir créé chez l'administré concerné des conditions telles qu'elle serait liée par la bonne foi, il faut rappeler que ce principe, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst., exige que l’administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l’administration doit s’abstenir de toute attitude propre à tromper l’administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_341/2019 du 24 août 2020 consid. 7.1).
14. À certaines conditions, le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu’il a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration (ATF 141 V 530 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_626/ 2019 du 8 octobre 2020 consid. 3.1 ; 2C_136/2018 du 24 septembre 2018 consid. 3.2). Conformément au principe de la confiance, qui s’applique aux procédures administratives, les décisions, les déclarations et comportements de l’administration doivent recevoir le sens que l’administré pouvait raisonnablement leur attribuer en fonction des circonstances qu’il connaissait ou aurait dû connaître (arrêt du Tribunal fédéral 1P.292/2004 du 29 juillet 2004 consid. 2.1 ; ATA/1299/2019 du 27 août 2019 consid. 3d).
Le droit à la protection de la bonne foi peut également être invoqué en présence simplement d’un comportement de l’administration, notamment en cas de silence de l’autorité dans une situation de fait contraire au droit, susceptible d’éveiller chez l’administré une attente ou une espérance légitime (ATF 129 II 361 consid. 7.1). Entre autres conditions, l’autorité doit être intervenue à l’égard du citoyen dans une situation concrète et celui-ci doit avoir pris, en se fondant sur les promesses ou le comportement de l’administration, des dispositions qu’il ne saurait modifier sans subir de préjudice (arrêt du Tribunal fédéral 9C_628/2017 du 9 mai 2018 consid. 2.2).
La précision que l’attente ou l’espérance doit être « légitime » est une autre façon de dire que l’administré doit avoir eu des raisons sérieuses d’interpréter comme il l’a fait le comportement de l’administration et d’en tirer les conséquences qu’il en a tirées. Tel n’est notamment pas le cas s’il apparaît, au vu des circonstances, qu’il devait raisonnablement avoir des doutes sur la signification du comportement en cause et se renseigner à ce sujet auprès de l’autorité (ATF 134 I 199 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_138/2015 du 6 août 2015 consid. 5.1).
S'agissant de l'application du principe de la bonne foi en matière de constructions illicites, l’inaction de l’autorité face à une construction illicite ne lie cette dernière que si elle peut être assimilée à une tolérance « active ». Pour cela, certains auteurs considèrent que l’autorité a dû rester passive pendant une période prolongée – de l’ordre d’une dizaine d’années au moins – alors qu’elle avait connaissance de la construction illicite, ou aurait dû en avoir connaissance si elle avait agi avec diligence (Nicolas WISARD/Samuel BRÜCKNER/Milena PIREK, Les constructions « illicites » en droit public - notions, mesures administratives, sanctions, Journées suisses du droit de la construction, Fribourg 2019, p. 223).
Le Tribunal fédéral a déjà considéré que des délais de plus de quatre ans et même de plus de treize ans ne suffisaient pas pour retenir que l’autorité administrative aurait toléré des constructions et installations durant de longues années et que son intervention violerait le principe de la bonne foi (arrêts 1C_114/2011 du 8 juin 2011 consid. 4.2 ; 1C_181/2009 du 24 juin 2009 consid. 3.3). Des délais de vingt-quatre voire vingt ans peuvent suffire (arrêt du Tribunal fédéral 1C_176/2009 du 28 janvier 2010 consid. 2.2.2 et les références citées).
Récemment, la chambre administrative a retenu une telle violation dans le cadre de la présence d’un paddock et d’un marcheur dans un manège pendant plus de vingt ans (ATA/77/2023 du 24 janvier 2023).
15. Par ailleurs, la dernière des cinq conditions auxquelles est soumis un ordre de remise en état concerne l'application du principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst. Celui-ci exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et qu’ils ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive. En outre, ce principe interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 145 I 297 consid. 2.4.3.1 et les références citées).
16. Plus spécifiquement, l’art. 129 let. e LCI reconnaît une certaine marge d’appréciation à l’autorité dans le choix de la mesure adéquate pour rétablir une situation conforme au droit, dont elle doit faire usage dans le respect des principes de proportionnalité, de l’égalité de traitement et de la bonne foi, et en tenant compte des divers intérêts publics et privés en présence (ATA/1399/2019 du 17 septembre 2019 consid. 3c et l’arrêt cité ; ATA/336/2011 du 24 mai 2011 consid. 3b).
17. L'ordre de démolir une construction ou un ouvrage édifié sans permis et pour lequel une autorisation ne pouvait être accordée n'est en principe pas contraire au principe de la proportionnalité. Celui qui place l'autorité devant un fait accompli doit en effet s'attendre à ce que celle-ci se préoccupe plus de rétablir une situation conforme au droit que d'éviter les inconvénients qui en découlent pour lui (ATF 123 II 248 consid. 4a et les références ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_114/2018 du 21 juin 2019 consid. 5.1.2 ; 1C_237/2018 du 29 janvier 2019 consid. 2.3 ; 1C_418/2016 du 28 février 2017 consid. 5.1 ; 1C_29/2016 du 18 janvier 2017 consid. 7.1 ; 1C_122/2016 du 7 septembre 2016 consid. 6.1).
18. La proportionnalité au sens étroit implique une pesée des intérêts. C’est à ce titre que le département peut renoncer à ordonner la remise en conformité si les dérogations à la règle sont mineures, si l’intérêt public lésé n’est pas de nature à justifier le dommage que la démolition causerait au maître de l’ouvrage, sachant que son intérêt purement économique ne saurait avoir le pas sur l’intérêt public au rétablissement d’une situation conforme au droit (arrêt du Tribunal fédéral 1C_ 544/2014 du 1er avril 2015 consid. 4.2), si celui-ci pouvait de bonne foi se croire autorisé à construire ou encore s’il y a des chances sérieuses de faire reconnaître la construction comme conforme au droit (cf. ATF 132 II 21 consid. 6 ; 123 II 248 consid. 3a/bb ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_60/2021 du 27 juillet 2021 consid. 3.1 ; ATA/1399/2019 du 17 septembre 2019 consid. 3c), si les frais de démolition et de remise en état des lieux engendreraient des charges excessives que l’intéressé ne serait pas en mesure de prendre en charge (arrêts du Tribunal fédéral 1C_370/2015 du 16 février 2016 consid. 4.4 ; 1C_537/2011 du 26 avril 2012). Néanmoins, un intérêt purement économique ne saurait avoir le pas sur l’intérêt public au rétablissement d’une situation conforme au droit (arrêt du Tribunal fédéral 1C_544/ 2014 du 1er avril 2015 consid. 4.2).
19. Le postulat selon lequel le respect du principe de proportionnalité s’impose même envers un administré de mauvaise foi est relativisé, voire annihilé, par l’idée que le constructeur qui place l’autorité devant le fait accompli doit s’attendre à ce que cette dernière se préoccupe davantage de rétablir une situation conforme au droit que des inconvénients qui en découlent pour lui constructeur (Nicolas WISARD/Samuel BRÜCKNER/Milena PIREK, op. cit., p. 218).
20. En l'occurrence, propriétaire de la parcelle n° 4______ sur laquelle est réalisée la véranda-bureau litigieuse, la recourante est - à tout le moins - perturbatrice par situation.
La construction querellée n'a pas été autorisée en vertu du droit en vigueur au moment de sa réalisation et le département a refusé sa régularisation, décision qu'a confirmée le tribunal par jugement de ce jour JTAPI/15______/2024.
Erigée à une date avoisinant l'année 2009, la prescription trentenaire ne s'applique pas.
Contrairement à ce qu'elle tente de soutenir, la recourante ne saurait se prévaloir du principe de la bonne foi pour s’opposer à l’ordre de remise en état. En effet, aucun élément du dossier ne permet de retenir que l’autorité intimée aurait créé, par des promesses, des informations, des assurances ou un comportement, des conditions telles qu’elle serait liée par la bonne foi s’agissant de la construction litigieuse non autorisée. Au contraire, force est de constater que dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation de construire, déposée en septembre 2019, et avant même qu'il ait décidé d'ouvrir une procédure d'infraction, le département a sans tarder (soit le 4 décembre 2019) fait part à la requérante des éléments problématiques du dossier, lui transmettant à ce sujet les préavis des instances concernées avec leurs demandes de compléments ainsi que les deux préavis qui étaient d'emblée négatifs. Aucun élément du dossier ne permet ainsi de considérer que le département aurait exprimé une quelconque assurance que la construction serait sans autre autorisée. Le fait que la construction ait été réalisée, sans droit, vers 2009, ne permet pas une autre conclusion, la recourante ne démontrant aucunement que le département aurait eu connaissance de son existence et encore moins qu'il l'aurait tolérée d'une façon ou d'une autre.
Par ailleurs, la construction litigieuse ne saurait être qualifiée de mineure. En effet, elle porte sur une surface de plus de 296 m2 affectée exclusivement à l'activité professionnelle de C______ alors qu'elle prend place en zone villa. En outre, compte tenu de l'attitude de la recourante, laquelle n'a cessé de requérir des délais successifs durant les quatre ans qu'a duré la procédure visant la régularisation de cette construction, force est de constater qu'elle a adopté un comportement contraire au devoir de collaboration attendu dans le cadre d'une mise en conformité, de sorte que le département n'a eu d'autre choix que de refuser l'autorisation requise, notamment en raison du fait qu'il n'a jamais pu obtenir les éléments et documents dûment sollicités dans le cadre de l'instruction de la demande.
En outre, la pesée entre l'intérêt privé de la recourante, qui se contente de soutenir sans le démontrer que la véranda-bureau est indispensable à l'activité du groupe, consistant à permettre à sa locataire l'usage de la construction érigée sans droit et l'intérêt public à rétablir une situation ne contrevenant pas au but poursuivi par la LCI, dont en particulier le respect des règles applicables dans la zone 5, conduit à privilégier ce dernier.
Dans la mesure où la recourante a placé l'autorité devant le fait accompli, elle ne peut pas se prévaloir de sa bonne foi, puisque tout montre qu'elle a sciemment procédé à la construction sans être au bénéfice d'une autorisation de construire, laquelle s'avérait de toute évidence indispensable, ce qu'elle ne pouvait pas ignorer compte tenu de son statut de professionnelle de l'immobilier, et elle devait s'attendre à ce que l'autorité se préoccupe davantage de rétablir une situation conforme au droit que des inconvénients qui pourraient en découler pour elle, d'autant plus que la possibilité de tenter de régulariser la situation en requérant une autorisation dans le respect des exigences légales et réglementaire lui a largement été donnée. La renonciation à l'ordre querellé constituerait ainsi une prime à l'illégalité et au fait accompli, ce que rien ne justifie. Enfin, la recourante ne se prévaut ni de coûts de remise en état disproportionnés et/ou qu'elle ne serait pas en mesure de supporter (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_370/2015 du 16 février 2016 consid. 4.4), ni d'une éventuelle impossibilité technique, ou d'un autre ordre, qui empêcherait la remise en état de son bien. Elle ne conteste pas davantage le délai imparti pour procéder à la remise en état.
Dans ces conditions, force est d'admettre que le prononcé de la décision entreprise, qui repose sur la préservation d'un intérêt public suffisant, demeure proportionné et ne laisse pas apparaître, d'une autre façon, un excès ou un abus du pouvoir d'appréciation du département.
21. La recourante conclut à titre subsidiaire à ce que la construction litigieuse devrait être maintenue à titre précaire.
22. L'art. 139 al. 1 LCI donne à l'autorité exécutive la latitude de s'incliner devant le fait accompli et d'accorder par un acte de souveraineté une dérogation générale quant à la nature des constructions (ATA/403/2002 du 23 juillet 2002, consid. 17).
La jurisprudence a par ailleurs confirmé qu'à Genève, le maintien à titre précaire suppose une requête et une décision du Conseil d'État (cf. consid. 6).
23. En l'occurrence, la recourante n'a pas déposé une telle demande basée sur l'art. 139 al. 1 LCI. La décision querellée étant circonscrites à l'ordre de remise en état, le tribunal ne saurait entrer en matière sur la question du maintien à titre précaire de la construction litigieuse dans la mesure où cette question ne relève pas de la compétence du tribunal et où elle ne constitue pas l'objet du litige.
Partant, le grief est rejeté.
24. Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté et l'ordre de démolition confirmé.
25. En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1'500.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 9 janvier 2024 par A______ SA contre la décision du département du territoire du 21 novembre 2023 ;
2. le rejette ;
3. met à la charge de la recourante, un émolument de CHF 1’500.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais ;
4. dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant : Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST, présidente, Julien PACOT et Carmelo STENDARDO, juges assesseurs.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
| La greffière |