Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/489/2025 du 30.04.2025 ( FPUBL ) , REFUSE
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE A/1114/2025-FPUBL ATA/489/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Décision du 30 avril 2025 sur effet suspensif
|
dans la cause
A______ recourante
représentée par Me Stéphanie FULD, avocate
contre
DÉPARTEMENT DE L'ÉCONOMIE ET DE L'EMPLOI intimé
Attendu, en fait, que A______ (ci-après : la fonctionnaire ou la recourante), a été nommée fonctionnaire depuis le 1er janvier 2013 ; que, depuis le 1er mai 2021, elle a occupé la fonction de conseillère B______ au sein du département de l'économie et de l'emploi (ci-après : le département), située en classe de traitement 23 ; qu'elle y assumait le rôle de responsable C______ (C______) au sein de la direction de D______ (D______) ;
que, par décision du 21 février 2025, déclarée exécutoire nonobstant recours, le département a constaté l'existence d'un motif fondé de résiliation des rapports de service de la fonctionnaire, l'a reclassée à la fonction d'adjointe scientifique 3, en classe de traitement 21, position 22, au sein de la direction de E______ (E______) de l'office cantonal de l'emploi (OCE) dès le 1er mars 2025 et lui a fixé un délai de six mois pour lui permettre d'assumer sa nouvelle fonction ; qu'une insuffisance des prestations, telle que résultant notamment d'un rapport d'audit externe, était retenue, à laquelle s'ajoutait une problématique importante de posture et de comportement vis-à-vis de la hiérarchie, s'écartant sensiblement de ce qui était attendu d'une cadre supérieure ; l'existence d'un motif fondé de résiliation étant ainsi établi, les possibilités de reclassement devaient être examinées, étant précisé que le changement d'affectation pouvait, conformément à l'art. 12 al. 3 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), entraîner une diminution de traitement ; la fonctionnaire elle-même avait à cet égard requis le 6 décembre 2024 que son détachement provisoire au sein de la E______ soit confirmé au plus vite, et cette autorité n'était pas opposée à ce que cette affectation devienne permanente ; il convenait donc de l'affecter formellement à la E______ à compter du 1er mars 2025 en qualité d'adjointe scientifique 3, fonction correspondant à ses nouvelles responsabilités, et un délai de six mois devait lui être accordé pour lui permettre d'assumer ses nouvelles fonctions ; au vu de sa nouvelle classe de traitement (classe 21, position 22), elle subirait certes une perte salariale, mais aucune assurance ne lui avait été donnée quant à un reclassement sans diminution de traitement ; une décision de résiliation des rapports de service devrait être rendue en cas de constatation de l'échec du reclassement ;
que, par acte adressé le 27 mars 2025 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), A______ a formé recours contre la décision du 21 février 2025, concluant, sur le fond, à la constatation de sa nullité, subsidiairement à son annulation et à la constatation de l'absence de motifs fondés de résiliation ;
que, faute d'avoir été précédée d'une décision motivée d'ouverture de la procédure de reclassement rendue par l'autorité compétente pour résilier les rapports de service, la décision contestée était affectée de nullité ; elle était constitutive d'une violation des principes de la bonne foi et de l'interdiction de l'abus de droit du fait que le détachement provisoire de la recourante au sein de la E______, comme celui l'ayant précédé au sein du département de l'instruction publique (DIP), s'inscrivait dans un processus de transfert de poste « poste/francs/fonction/personne », soit sans diminution de salaire, ce qui avait été confirmé par le secrétaire général du département ; qu'enfin le département avait excédé et abusé de son pouvoir de représentation en retenant l'existence de motifs fondés de résiliation ;
que la recourante a par ailleurs préalablement requis, à titre superprovisionnel et provisionnel, la restitution de l'effet suspensif au recours ; l'exécution immédiate de la décision contestée lui causait un préjudice économique, soit une diminution « substantielle » de son traitement, qui ne pourrait que difficilement être réparé en cas d'issue favorable de la procédure ; cette exécution immédiate entraînerait de même une atteinte difficilement réparable, voire irréversible, à sa réputation professionnelle, avec le risque que son autorité sur des personnes hiérarchiquement inférieures s'en trouve amoindrie ; enfin, l'exécution immédiate de la décision contestée risquait de vider le recours de sa substance, puisqu'un délai de six mois lui était imparti pour assumer ses nouvelles fonctions, sous peine de résiliation des rapports de service, alors qu'il paraissait peu probable que la procédure de recours soit terminée dans ce délai ; or, même en cas d'issue favorable, une révision ultérieure des fonctions serait pratiquement impossible au regard des tâches déjà assignées et des changements effectués ; cela faisait huit mois qu'elle accomplissait auprès de la E______ les tâches qui lui étaient confiées, sans que cela ne pose de problèmes, et le seul intérêt économique de l'État ne justifiait pas les atteintes portées à ses intérêts privés ;
que, par lettre du 31 mars 2025, le juge délégué a rejeté la requête de mesures superprovisionnelles ; la diminution de traitement encourue à compter du 1er mars 2025, s'élevant prima facie à CHF 421.15, ne semblait de prime abord pas entraîner de dommage irréparable pour la recourante ; il en allait de même, selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, du préjudice réputationnel invoqué ;
que, dans ses observations du 9 avril 2025, le département a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif ; aucun préjudice économique immédiat et difficilement réparable ne pouvait être retenu, la recourante ne donnant aucune indication concrète sur sa situation financière et la différence de salaire pouvant sans difficulté lui être rétroactivement remboursée au cas où l'issue du recours lui serait favorable ; le préjudice réputationnel invoqué ne pouvait non plus, selon la jurisprudence de la chambre de céans, être considéré comme irréparable ; l'exécution immédiate de la décision contestée n'avait pas pour effet d'empêcher la recourante de faire valoir ses droits dans l'hypothèse d'une résiliation des rapports de service ; elle ne paraissait au demeurant pas opposée à sa nouvelle affectation, seules les modalités du changement étant litigieuses ; sur le fond, les griefs invoqués n'étaient pas fondés ; aucune disposition légale ou règlementaire n'imposait le prononcé d'une décision incidente ouvrant la procédure de reclassement ; dans le cas d'espèce, cette procédure avait bien été conduite, dans le respect du droit d'être entendu de la recourante ; les motifs fondés de résiliation invoqués étaient dûment établis par les pièces du dossier et aucune assurance n'avait été donnée à la recourante concernant le maintien de son salaire en cas d'affectation au E______, après l'échec de la tentative de réaffectation au DIP ; il existait un intérêt public important à l'exécution immédiate de la décision contestée, de manière à ce que l'affectation provisoire de la recourante au E______, en cours depuis plusieurs mois, puisse le cas échéant être formalisée au terme du délai de six mois imparti ; l’intérêt financier de l'État devait également être pris en considération ;
que, répliquant le 22 avril 2025, la recourante a persisté dans ses conclusions en restitution de l'effet suspensif ; les règles régissant la procédure de reclassement avaient été violées, en particulier en tant qu'aucune décision incidente motivée ouvrant une telle procédure n'avait été rendue, avec pour conséquence qu'elle avait été privée de la possibilité de contester le principe même du reclassement ; son changement d'affectation était intervenu à sa demande, laquelle était fondée sur la promesse d'un transfert « poste/francs/fonction/personne » qui lui avait été faite par le secrétaire général du département, et ce n'est que plusieurs mois après la prise de ses nouvelles fonctions que le reclassement litigieux avait été prononcé ;
que, par écriture spontanée du 22 avril 2025, la recourante a par ailleurs allégué des faits nouveaux et produit des pièces nouvelles ;
que la cause a été gardée à juger sur effet suspensif le 23 avril 2025 ;
Considérant, en droit, que le recours a été interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) ;
que l'examen des autres conditions de recevabilité sera en l'état réservé ;
que les décisions sur effet suspensif et mesures provisionnelles sont prises par le président, respectivement par la vice-présidente, ou en cas d’empêchement par un ou une juge (art. 21 al. 2 LPA ; 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 20 juin 2023) ;
qu’aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3) ;
que selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1244/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2 ; ATA/1110/2015 du 16 octobre 2015 consid. 3 ; ATA/997/2015 du 25 septembre 2015 consid. 3) ;
qu’elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, p. 265) ;
que l’octroi de mesures provisionnelles présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405 du 18 septembre 2018) ;
que lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution ; elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire ; la restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;
que, selon l'art. 21 al. 3 LPAC, l'autorité compétente peut résilier les rapports de service du fonctionnaire pour un motif fondé ; elle est toutefois tenue, préalablement à la résiliation, de rechercher si un autre poste au sein de l'administration cantonale correspond aux capacités de l'intéressée ; les modalités sont fixées par règlement ;
que, selon l'art. 46A du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01), lorsque les éléments constitutifs d'un motif fondé de résiliation sont dûment établis, un reclassement selon l'art. 21 al. 3 LPAC est proposé pour autant qu'un poste soit disponible au sein de l'administration et que l'intéressé au bénéfice d'une nomination dispose des capacités nécessaires pour l'occuper (al. 1) ; l'intéressé, qui peut faire des suggestions, est tenu de collaborer (al. 3) ; il bénéficie d'un délai de dix jours ouvrables pour accepter ou refuser une proposition de reclassement (al. 4) ; en cas de reclassement, un délai n'excédant pas six mois est fixé pour permettre à l'intéressé d'assumer sa nouvelle fonction (al. 5) ; en cas de refus, d'échec ou d'absence de reclassement, une décision motivée de résiliation des rapports de service pour motif fondé intervient (al. 6) ; le service des ressources humaines du département concerné, agissant d'entente avec l'office du personnel de l'état, est l'organe responsable de la procédure de reclassement ;
qu'en l'espèce la recourante fait valoir en premier lieu que l'exécution immédiate de la décision contestée lui causerait un préjudice économique sous la forme d'une diminution de son traitement ; que toutefois, s'il résulte effectivement du dossier que son salaire a diminué d'un montant mensuel de l'ordre de CHF 500.- depuis le 1er mars 2025, rien ne permet de penser que cette perte ne pourrait être réparée dans l'hypothèse où elle obtiendrait gain de cause, puisque la différence devrait alors lui être rétroactivement versée ; qu'elle n'a au surplus ni allégué ni rendu vraisemblable que la réduction temporaire de son traitement pendant la durée de la procédure l'exposerait à des difficultés financières ;
qu'elle invoque en deuxième lieu une atteinte à sa réputation, qu'une éventuelle admission de son recours ne pourrait complètement réparer ; qu'un tel préjudice réputationnel ne constitue cependant en principe pas, selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, un dommage irréparable, dès lors qu'une décision finale donnant par hypothèse entièrement raison à la personne concernée est en principe de nature à réparer les atteintes subies (ATA/1143/2024 consid. 8.9) ; que la recourante n'explique pas pour quelle raison il en irait différemment dans le cas d'espèce ;
qu'enfin la recourante soutient si on la comprend bien que, dans la mesure où l'exécution immédiate de la décision contestée pourrait la contraindre à accepter, avant la fin de la procédure de recours, le reclassement proposé, elle se verrait privée de la possibilité de faire vérifier l'existence de motifs fondés de résiliation ainsi que le respect des dispositions régissant la procédure de reclassement ; qu'il est à cet égard exact que, selon la jurisprudence de la chambre administrative, les recours dirigés contre les décisions (incidentes) ouvrant une procédure de reclassement sont en principe irrecevable dès lors que de telles décisions conduisent soit à un succès du reclassement soit à une décision (finale) de résiliation des rapports de service, contre laquelle il est possible de recourir ; qu'une exception à ce principe entre toutefois en considération lorsque, comme cela pourrait éventuellement être le cas de la recourante selon l'évolution de la procédure de reclassement en cours, le reclassement entraîne pour la personne concernée un déclassement professionnel, personnel et salarial, l'idée étant qu'il ne peut être exigé d'elle qu'elle se voie contrainte de refuser le reclassement et de provoquer ainsi la résiliation des rapports de service dans le seul but de faire vérifier l'existence d'un motif fondé de résiliation (ATA/299/2025 consid. 3.6 ; ATA/1043/2023 consid. 2.8) ;
qu’ainsi, prima facie, l’exécution immédiate de la décision contestée, notamment en tant qu’elle fixe un délai de six mois à la recourante pour assumer sa nouvelle fonction, n’aura pas d’effet sur la cognition de la chambre de céans ;
qu'il doit pour le surplus être relevé qu’à lire ses écritures, la recourante ne paraît pas être désireuse de retrouver son ancien poste de C______ au sein de la D______, qu'elle n'assume plus depuis bientôt une année, le litige semblant plutôt se concentrer sur les conditions liées à sa nouvelle affectation au sein de la E______ ; qu'aucune urgence à statuer sur ce point n'est toutefois établie ;
que les préjudices invoqués par la recourante en relation avec l'exécution immédiate de la décision attaquée doivent donc être fortement relativisés ;
que par ailleurs, de jurisprudence constante l'intérêt public à la préservation des finances de l’État est important et prime l’intérêt financier du recourant à percevoir le salaire non-diminué durant la procédure (ATA/1377/2023 du 21 décembre 2023 ; ATA/227/2023 du 7 mars 2023 ; ATA/466/2021 du 28 avril 2021 et les références citées) ;
que doit également être pris en considération l'intérêt public à un déroulement normal de la procédure de reclassement, en particulier quant à sa durée, étant relevé que la recourante assume déjà ses fonctions au sein de la E______ depuis plus de huit mois ;
que la comparaison des intérêts en jeu doit ainsi conduire au rejet de la requête de restitution de l'effet suspensif, étant relevé que les chances de succès du recours n’apparaissent, prima facie et sans préjudice de l’examen au fond, pas à ce point manifestes qu’elles justifieraient à elles seules la restitution de l’effet suspensif ;
qu’il sera statué sur les frais de la présente décision avec la décision sur le fond ;
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
refuse de restituer l’effet suspensif au recours ;
réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;
communique la présente décision à Me Stéphanie FULD, avocate de la recourante, ainsi qu'au département de l'économie et de l'emploi.
| Le président :
C. MASCOTTO |
|
Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.
Genève, le
|
| la greffière : |