Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/422/2025 du 15.04.2025 sur JTAPI/37/2024 ( DOMPU ) , PARTIELMNT ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/176/2024-DOMPU ATA/422/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 15 avril 2025 |
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dans la cause
VILLE DE GENÈVE recourante
contre
A______ intimée
et
DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS
ET DU NUMÉRIQUE appelé en cause
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 janvier 2024 (JTAPI/37/2024)
A. a. B______ (ci-après : B______) rassemble des personnes et associations qui soutiennent l’appel de la société civile palestinienne de juillet 2005 au boycott, au désinvestissement et aux sanctions contre Israël. Elle relaie des campagnes internationales dans le contexte suisse, en organisant notamment des actions et des événements.
b. A______ et C______ sont salariés de B______.
B. a. En vue de l'organisation, le 20 janvier 2024, d'une manifestation en soutien au peuple palestinien « pour un cessez-le-feu à Gaza », A______ et C______, pour le compte de B______, ont déposé une demande d'autorisation le 22 décembre 2023, auprès du service de l'espace public de la Ville de Genève (ci-après : la ville).
Selon la requête, la manifestation devait se dérouler en ville, de 16h00 à 19h00 environ, et réunir entre 5'000 et 8'000 manifestants, avec l'usage d'un véhicule (camionnette), d'une « sono » et d'un service d'ordre.
b. Une séance s'est déroulée le 8 janvier 2024 en présence d'C______ et de représentants de la police cantonale, du service d'incendie et de secours (ci‑après : SIS), des Transports publics genevois (ci-après : TPG) et de la ville.
Selon le procès-verbal de la séance, le parcours prévu avait été validé par la police cantonale, les TPG et le SIS, mais la ville n'y était pas favorable.
c. À une date indéterminée, quelques jours après le 8 janvier 2024, l'État de Genève, soit pour lui le département des institutions et du numérique (ci-après : DIN), a délivré à B______ l'autorisation sollicitée.
d. Par décision du 12 janvier 2024, la ville a refusé d'octroyer à B______ l'autorisation (ou permission) sollicitée.
C. a. Le 17 janvier 2024, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) contre cette décision, concluant notamment à son annulation. Elle a assorti son recours d'une demande de mesures superprovisionnelles consistant en la « restitution de l'effet suspensif ».
b. Par jugement du 18 janvier 2024, sans avoir invité la ville à se déterminer sur le recours, le TAPI a admis celui-ci et constaté la nullité de la décision de la ville. Il a mis à sa charge un émolument de CHF 900.-.
Seul le DIN était compétent pour délivrer une autorisation de manifester sur le domaine public, à l'exclusion des communes. Ces dernières pouvaient participer aux discussions et donner leur préavis au département. Elles étaient en effet directement touchées par l'usage accru de leur domaine public et par la participation de leur administration à la bonne tenue des manifestations. Toutefois, elles n'avaient pas la compétence pour délivrer ou refuser une autorisation de manifester, qui pouvait être prise uniquement par le DIN en application de la loi sur les manifestations sur le domaine public du 26 juin 2008 (LMDPu - F 3 10), et non de la loi sur le domaine public du 24 juin 1961 (LDPu - L 1 5) ou de la loi sur les routes du 28 avril 1967 (LRoutes - L 1 10),
c. La manifestation prévue a eu lieu le 20 janvier 2024.
D. a. Par acte déposé au greffe le 16 février 2024, la ville a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement du TAPI, concluant principalement à son annulation et subsidiairement à l'annulation de l'émolument de CHF 900.- mis à sa charge.
Le TAPI avait violé son droit d'être entendu en statuant en moins de 24 heures sans lui donner la possibilité de faire valoir son point de vue.
Depuis des décennies, elle délivrait, en concours avec celles octroyées par l'État, des permissions pour toutes les manifestations impliquant un usage accru de son domaine public. L'entrée en vigueur de la LMDPu n'avait pas changé cette pratique et rien ne permettait de retenir que le législateur avait voulu un tel changement, celui-ci ayant souhaité traiter toutes les manifestations, qu'elles soient politiques ou non, de la même manière. La LMDPu ne différenciait pas non plus les manifestations impliquant uniquement la présence de personnes de celles qui nécessitaient aussi la pose d'installations. Bien qu'incluant toutes les manifestations, elle se concentrait sur celles visant à exprimer une opinion et revêtant la forme d'un cortège, afin de permettre la préservation de l'ordre public. Si, en soi, le principe de l'autorisation unique par le DIN pour les manifestations politiques pouvait éventuellement se comprendre, il en allait différemment des autres manifestations.
Si le raisonnement du TAPI devait être confirmé, elle ne serait plus habilitée à lancer des appels à projets en vue de la délivrance d'une autorisation pour l'organisation de manifestations sur son domaine public, comme la Lake Parade ou la course de l'Escalade. En outre, à suivre le TAPI, aucune taxe ne pourrait être perçue lors de l'organisation d'une manifestation. Or, il était impensable que le législateur ait voulu un tel résultat, qui priverait les communes d'une manne financière et consacrerait une inégalité de traitement par rapport à tous les autres types d'usage accru du domaine public.
b. A______ a conclu à l'irrecevabilité du recours.
c. Par décision du 5 juin 2024, la chambre administrative a appelé en cause le DIN.
d. Celui-ci a conclu au rejet du recours.
Il était seul compétent pour délivrer les autorisations en vue des manifestations qui relevaient de la LMDPu. Il convenait toutefois de nuancer certains considérants du jugement du TAPI. En effet, certaines conditions d'utilisation du domaine public dans le cadre de manifestations, telles que la pose et l'utilisation d'installations fixes, l'évacuation des déchets ou la vente de nourriture, relevaient de la compétence exclusive des communes. Celles-ci conservaient ainsi un pouvoir décisionnel pour permettre notamment la pose d'une installation fixe, même provisoire, sur son territoire lors d'une manifestation. Par ailleurs, il évaluait l'ensemble des intérêts avant d'autoriser une manifestation, ainsi que son emplacement ou son itinéraire et ses horaires. Il se fondait notamment sur les analyses de la ville. Dans le cadre de manifestations à caractère politique, les communes pouvaient faire valoir leurs intérêts et leur avis était pris en compte.
e. Dans sa réplique, la ville a relevé qu'en modifiant le projet d'art. 2 LMDPu pour étendre le champ d'application de la loi à tous les types de manifestations, le législateur avait permis la survenance de la situation faisant l'objet du présent litige. Soit le DIN était compétent pour autoriser seul toutes les formes de manifestations, soit les différents régimes légaux d'autorisation coexistaient. Le découpage préconisé par le DIN quant à l'autorisation des manifestations ne reposait sur aucun élément, aucune des lois applicables n'établissant une distinction entre la nature et la composition des manifestations susceptibles d'être autorisées sur le domaine public.
Au vu de la complexité de la cause et du manque de clarté du système genevois, il ne pouvait être question d'incompétence manifeste ou facilement décelable susceptible de constituer un cas de nullité.
f. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.
1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).
1.1 Se pose la question de l'intérêt actuel au recours, la manifestation dont la ville a refusé le déroulement ayant eu lieu.
1.2 Ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (art. 60 al. 1 let. b LPA). Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2 ; ATA/471/2024 du 16 avril 2024 consid. 2.1).
1.3 Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l'annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid. 1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1157/2014 du 3 septembre 2015 consid. 5.2). L'existence d'un intérêt actuel s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1) ; si l'intérêt s'éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4).
Il est toutefois exceptionnellement renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d'un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l'autorité de recours (ATF 140 IV 74 consid. 1.3.3 ; 139 I 206 consid. 1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1157/2014 du 3 septembre 2015 consid. 5.2). Le Tribunal fédéral ajoute une condition supplémentaire, à savoir qu'en raison de sa portée de principe, il existe un intérêt public suffisamment important à la solution de la question litigieuse (ATF 137 I 23 consid. 1.3.1 ; 136 II 101 consid. 1.1 et les arrêts cités) ou lorsqu'une décision n'est pas susceptible de se renouveler mais que les intérêts des recourants sont particulièrement touchés avec des effets qui perdureront (ATF 136 II 101 ; 135 I 79).
1.4 En l'espèce, la manifestation litigieuse a eu lieu le 20 janvier 2024, soit avant même le dépôt du recours devant la chambre de céans, si bien que la recourante n'a pas d'intérêt actuel à l'annulation du jugement attaqué.
Cependant, il n'aurait pas été possible, ou seulement très difficilement, de faire contrôler le bien-fondé du jugement attaqué avant que la manifestation n'ait lieu, puisque ledit jugement a été prononcé deux jours seulement avant celle-ci. En outre, la même situation, à savoir le refus par une commune d'autoriser une manifestation sur le domaine public, est de nature à se reproduire à l'avenir. Compte tenu notamment du nombre non négligeable de manifestations à caractère politique se déroulant sur le domaine public genevois et des débats publics que celles-ci suscitent, il existe un intérêt important à déterminer qui sont la ou les autorités compétentes pour statuer sur des demandes similaires à celle déposée par l'intimé, le TAPI ayant considéré que seul le DIN était compétent. À cela s'ajoute que le jugement attaqué nie à la recourante des prérogatives qui pourraient lui appartenir, si bien que ses intérêts pourraient être particulièrement touchés, avec des effets qui perdureront.
Il sera donc renoncé à l'exigence de l'intérêt actuel et la qualité pour recourir de la recourante sera admise.
Pour le surplus, le recours est recevable, si bien qu'il convient d'entrer en matière.
2. La recourante se plaint de la violation de son droit d'être entendue par le TAPI.
2.1 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision touchant sa situation juridique ne soit prise (ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références citées). Cependant, l'autorité, soit aussi bien les autorités administratives que les juridictions administratives (art. 1 al. 2 LPA), n'est pas tenue d'entendre les parties avant de rendre des décisions lorsqu'il y a péril en la demeure (art. 43 let. d LPA). L’autorité peut également d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).
2.2 L’autorité qui a pris la décision attaquée et toutes les parties ayant participé à la procédure de première instance sont invitées à se prononcer sur le recours (art. 73 al. 1 LPA).
2.3 Le droit d'être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation doit en principe entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances du recourant sur le fond. Selon la jurisprudence, une telle violation peut néanmoins être considérée comme réparée lorsque l'intéressé jouit de la possibilité de s'exprimer librement devant une autorité de recours disposant du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure et pouvant ainsi contrôler librement l'état de fait et les considérations juridiques de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2).
Une telle réparation doit rester l'exception et n'est admissible, en principe, que dans l'hypothèse d'une atteinte aux droits procéduraux de la partie lésée qui n'est pas particulièrement grave (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 135 I 276 consid. 2.6.1). Elle peut également se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; 136 V 117 consid. 4.2.2.2). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. La partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/51/2025 du 14 janvier 2025 consid. 3.3 et l'arrêt cité).
2.4 En l'espèce, le jugement querellé a été rendu sans que la ville, alors intimée, ait été invitée à se déterminer sur le recours. L'impossibilité d'organiser la manifestation à la suite du refus de la ville d'autoriser la manifestation en cause ne constituait pas un cas de péril en la demeure, faute pour A______, alors recourante, de subir un dommage, ou à tout le moins un dommage grave, en raison de ce refus. De surcroît, le TAPI, qui a estimé que la décision de refus de la ville était nulle, aurait pu d'office ordonner, sur mesures provisionnelles, la tenue de la manifestation, ce d'autant plus qu'il a été saisie par A______ d'une demande d'octroi de mesures provisionnelles qui pouvait être interprétée en ce sens.
Le TAPI ne pouvait donc pas statuer au fond sans entendre la ville (art. 73 al. 1 LPA). Il a ainsi violé le droit d'être entendue de celle-ci, le vice étant par ailleurs grave.
Cela étant, la violation doit être considérée comme ayant été réparée devant la chambre de céans. D'une part, une telle réparation est, sur le principe, admissible puisque la chambre de céans dispose du même pouvoir d'examen que le TAPI (art. 61 LPA ; ATA/194/2024 du 13 février 2024 consid. 3.10 ; ATA/11/2024 du 9 janvier 2024 consid. 2). D'autre part, la recourante a pu, à l'occasion de plusieurs échanges d'écritures, faire valoir ses arguments devant celle-là aussi efficacement qu'elle aurait pu le faire devant le TAPI et le renvoi constituerait une vaine formalité aboutissant à un allongement inutile de la procédure, ce d'autant plus que le DIN a été appelé en cause.
Le grief sera donc écarté.
3. Le litige porte sur la conformité au droit du jugement du TAPI constatant la nullité de la décision du 12 janvier 2024, par laquelle la ville a refusé de délivrer à A______ une autorisation de manifester sur le domaine public.
L'objet du litige consiste ainsi exclusivement à déterminer si la recourante était compétente pour statuer sur la demande d'autorisation déposée pour la manifestation projetée, le TAPI s'étant limité à statuer sur ce point et y ayant répondu par la négative. Dès lors, le bien‑fondé matériel du refus de la ville est exorbitant à l'objet du litige et ne sera donc pas analysé.
4. La recourante s'estime compétente pour délivrer les autorisations telles que celle sollicitée par A______ et se prévaut d'une violation de son autonomie communale ainsi que des art. 13 al. 1 LDPu et 56 al. 1 LRoutes.
4.1 Sauf exceptions non pertinentes en l'espèce, la réglementation de l'usage du domaine public est de la compétence des cantons. La définition des différents types d'usage relève donc du droit cantonal (ATF 135 I 302 consid. 3.1).
L'usage commun du domaine public est celui qui permet à tous les usagers d'utiliser le domaine public et d'y pratiquer des activités sans restriction pour les tiers. La limite de l'usage commun est dépassée lorsque l'utilisation excède, par sa nature ou son intensité, le cadre de ce qui est usuel ou conforme, ou entrave l'utilisation par d'autres utilisateurs du domaine public. L’usage accru se caractérise par l’exclusion de l’usage commun pour les tiers d’une certaine partie du domaine public, pour une durée déterminée ; cette utilisation va à l’encontre de la destination ordinaire de la chose et est soumise à autorisation (ATF 135 I 302 consid. 3.2 = JdT 2010 I p. 263, 268 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_975/2017 du 15 mai 2018 consid. 4.1 ; ATA/132/2025 du 4 février 2025 consid. 5.1.2 et les références citées).
4.2 Unilatérale, l'autorisation d'usage du domaine public s'apparente à une autorisation de police lorsque la loi confère aux particuliers un droit à un certain usage du domaine public si certaines conditions sont remplies. Elle constitue une autorisation sui generis lorsque le destinataire ne dispose pas d'un droit à l'utilisation qu'il revendique et que l'autorité compétente jouit d'une liberté d'appréciation pour accorder ou non l'autorisation (Thierry TANQUEREL, Les instruments de mise à disposition du domaine public, in Le domaine public, 2004, p. 120). L'autorisation sui generis doit être distinguée de l'autorisation de police et des concessions. Elle ne sert pas seulement à protéger les biens de police, mais également à coordonner et fixer les priorités entre toutes les utilisations des biens publics (ATF 135 I 302 consid. 3.2 et les références citées ; 126 I 133 consid. 4d = JdT 2001 I p. 738 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_975/2017 du 15 mai 2018 consid. 4.1 ; ATA/132/2025 du 4 février 2025 consid. 8.4).
4.3 L’utilisation du domaine public communal est régie par la LDPu, la LRoutes ainsi que, notamment, par le règlement concernant l'utilisation du domaine public du 21 décembre 1988 (RUDP - L 1 10.12).
4.3.1 La LDPu est entrée en vigueur le 4 août 1961. Selon son art. 1 let. a, constituent le domaine public notamment les voies publiques cantonales et communales dès leur affectation par l’autorité compétente à l’usage commun et dont le régime est fixé par la LRoutes. Son art. 12 prévoit que chacun peut, dans les limites des lois et des règlements, utiliser le domaine public conformément à sa destination et dans le respect des droits d’autrui.
L'établissement de constructions ou d'installations permanentes ou non permanentes sur le domaine public, son utilisation à des fins industrielles ou commerciales ou toute autre occupation de celui-ci excédant l'usage commun sont subordonnés à une permission (art. 13 al. 1 LDPu). Les permissions sont accordées par l’autorité cantonale ou communale qui administre le domaine public (art. 15 LDPu). Les permissions, concessions ou autorisations sont soumises au paiement des émoluments, redevances et taxes fixés par les législations spéciales (art. 26 al. 1 LDPu).
4.3.2 Conformément à la LDPu, les voies publiques cantonales et communales affectées par l’autorité compétente à l’usage commun font partie du domaine public (art. 1 LRoutes). Selon l'art. 4 LRoutes, les voies publiques sont divisées du point de vue administratif en voies publiques cantonales et voies publiques communales (al. 1). Les voies publiques cantonales comprennent les routes cantonales, selon carte annexée à la LRoutes, ainsi que les quais, ponts, places et tunnels (al. 2). Les voies publiques communales comprennent les voies qui ne sont pas classées comme voies publiques cantonales ou qui n’appartiennent pas à des propriétaires privés (al. 3).
Chacun peut, dans les limites des lois et règlements, utiliser les voies publiques conformément à leur destination et dans le respect des droits d’autrui (art. 55 LRoutes). L'art. 56 LRoutes prévoit que toute utilisation des voies publiques qui excède l’usage commun doit faire l’objet d’une permission ou d’une concession préalable, conformément à la LRoutes et aux dispositions de la LDPu (al. 1). Est notamment visé par l'art. 56 al. 1 LRoutes tout empiétement, occupation, travail, installation, dépôt ou saillie sur ou sous la voie publique dont les modalités sont fixées par le règlement d’application (al. 2).
Selon l'art. 57 LRoutes, les permissions sont accordées par l’autorité communale s’il s’agit d’une voie communale et par l’autorité cantonale dans tous les autres cas (al. 1). L’autorité compétente peut assortir de conditions et même refuser les permissions d’occupation de la voie publique ou d’exécution de travaux qui peuvent être une cause de gêne ou de danger pour la circulation publique (notamment rues étroites) ainsi que pour tout autre motif d’intérêt général (al. 3). Les permissions ne sont délivrées que contre paiement d’un émolument administratif et d’une taxe fixe, d’une redevance annuelle ou d’une redevance périodique (art. 59 al. 1 LRoutes).
4.3.3 Selon l'art. 1 al. 1 RUDP, toute utilisation du domaine public excédant l’usage commun, au sens des art. 13 LDPu et 56 LRoutes, doit faire l’objet d’une permission octroyée, sous réserve de celles qui sont de la compétence du Conseil d’État, par le département de la santé et des mobilités pour les voies publiques cantonales au sens de l'art. 4 de LRoutes (let. a) et par l’autorité communale pour les voies publiques communales au sens de l’art. 4 LRoutes (let. b). Lors de l’octroi de la permission, l’autorité compétente tient compte des intérêts légitimes du requérant, de ceux des autres usagers du domaine public et des voisins, de ceux découlant des concessions ou droits d’usage exclusifs concédés par les autorités compétentes, ainsi que du besoin d’animation de la zone concernée (art. 1 al. 3 RUDP). Aucune rue, route ou place ouverte à la circulation publique ne peut être barrée, même partiellement ou temporairement, sans la permission du département chargé de la sécurité (art. 7 al. 5 RUDP).
4.4 La LMDPu, entrée en vigueur le 1er novembre 2008, régit l'organisation et la tenue de manifestations sur le domaine public (art. 1 LMDPu). La loi entend par manifestation tout rassemblement, cortège, défilé ou autre réunion sur le domaine public (art. 2 LMDPu). L'organisation d'une manifestation sur le domaine public est soumise à une autorisation délivrée par le DIN (art. 3 LMDPu). Celui-ci peut percevoir un émolument par autorisation (art. 4 al. 4 LMDPu). Selon l'art. 5 LMDPu, lorsqu'il est saisi d'une demande d'autorisation, le DIN évalue l'ensemble des intérêts touchés, et notamment le danger que la manifestation sollicitée pourrait faire courir à l'ordre public. Le DIN se fonde notamment sur les indications contenues dans la demande d'autorisation, sur les expériences passées et sur la corrélation qui existe entre le thème de la manifestation sollicitée et les troubles possibles (al. 1). Lorsqu’il délivre l’autorisation, le DIN fixe les modalités, charges et conditions de la manifestation en tenant compte de la demande d’autorisation et des intérêts privés et publics en présence. Il détermine en particulier le lieu ou l'itinéraire de la manifestation ainsi que la date et l'heure du début et de fin prévues de celle-ci (al. 2). À cet effet, le DIN s’assure notamment que l’itinéraire n’engendre pas de risque disproportionné pour les personnes et les biens et permet l’intervention de la police et de ses moyens sur tout le parcours. Il peut prescrire que la manifestation se tienne en un lieu déterminé, sans déplacement (al. 3). Lorsque la pose de conditions ou de charges ne permet pas d’assurer le respect de l’ordre public ou d’éviter une atteinte disproportionnée à d’autres intérêts, le DIN refuse l’autorisation de manifester (al. 5).
4.4.1 Selon les travaux préparatoires, la LMDPu a été adoptée dans le but de rassembler en un seul texte toutes les dispositions relatives à l'exercice du droit de manifester (MGC 2007-2008/X A 10282) ainsi qu'à la suite des événements qui se sont déroulés à Genève en marge du sommet du G8 en 2003. Selon les auteurs du premier projet de loi y relatif (PL 9'126), ces événements avaient démontré que l'arsenal législatif à disposition des autorités dans ces occasions, notamment le règlement concernant la tranquillité publique et l'exercice des libertés publiques (F 3 10.03), la LDPu et le RUDP, avait atteint ses limites. Les manifestations anti‑G8 avaient montré la nécessité de doter le canton d'une loi claire qui encadrât ce type d'expression de l'opinion (MGC 2003-2004/IV A 1342) et définît clairement les conditions d'intervention des forces de l'ordre (MGC 2003-2004/IV D/16 775).
4.4.2 Initialement, le PL 9'126 définissait, à son art. 2, la manifestation comme tout rassemblement, cortège, défilé ou autre réunion sur le domaine public visant à exprimer une opinion ou une revendication (PL 9'126 MGC 2003-2004/IV A 1337). Cette définition permettait d'exclure un certain nombre d'événements qui n'étaient pas visés par la LMDPu. Il s'agissait en particulier de tous les événements de type commercial (marchés, foires), culturel (fanfares, fête de la musique), festif (cortège de l'Escalade) ou sportif (courses à pied, de vélo ou autre). Les déplacements en groupes, notamment de classes scolaires, n'étaient pas non plus soumis à LMDPu (MGC 2003-2004/IV A 1343 et 1344). Le premier projet a été renvoyé en commission parlementaire. En particulier, un député a relevé qu'il y aurait à Genève deux régimes, l'un pour les manifestations culturelles, sportives et artistiques notamment, et l'autre pour les manifestations politiques (MGC 2003‑2004/IV D/17 802).
4.4.3 Dans sa séance du 26 janvier 2006, le Grand Conseil a renvoyé le second projet de loi (PL 9'126-A) à la commission judiciaire et de police, à la demande du Conseil d'État. Ce dernier souhaitait étendre le champ d'application du projet de loi aux manifestations qui n'auraient pas pour seul objectif d'exprimer une opinion ou une revendication et mieux garantir la défense des libertés individuelles. Le premier amendement, portant sur l'art. 2 du projet de loi (suppression de : « visant à exprimer une opinion ou une revendication »), avait pour objectif de faire de la LMDPu une véritable loi-cadre, et non une loi spéciale visant spécifiquement les manifestations à caractère politique. Le représentant de la commission du secrétariat général du département de justice, police et sécurité, avait indiqué que le département traitait déjà toutes les demandes d'autorisation de manifester sur un pied d'égalité, que la manifestation revête ou non un caractère politique. Il craignait la complexité découlant d'un double régime et estimait au contraire qu'une loi-cadre recouvrant toutes les situations possibles apporterait une unification bienvenue (MGC 2007-2008/X A 10280). Après le renvoi en commission et l'approbation à l'unanimité de l'amendement portant sur l'art. 2 du projet de loi, le rapporteur a relevé, en plénière, que le projet offrait désormais un véritable cadre législatif (« loi cadre ») à toutes les manifestations ayant lieu sur le domaine public, et non pas seulement celles qui revêtaient un caractère politique. Il y aurait une meilleure prise en compte de tous les intérêts, parmi lesquels le risque d'atteinte à l'ordre public (MGC 2007-2008/X D/52 4305). Le rapporteur a également relevé, sur la question de l'utilité de la nouvelle loi, que la question des manifestations était traitée, à cette époque, par le règlement concernant la tranquillité publique et l'exercice des libertés publiques, soit une base légale insuffisante pour traiter correctement de la question des manifestations (MGC 2007-2008/X D/52 4306).
4.5 Selon la jurisprudence de la chambre de céans, la LMDPu est une loi spéciale, plus récente que la LDPu, et qui doit donc primer cette dernière (ATA/274/2020 du 10 mars 2020 consid. 4a).
5. Les libertés d'opinion et d'information sont garanties par l'art. 16 al. 1 Cst. Toute personne a le droit de former, d'exprimer et de répandre librement son opinion (art. 16 al. 2 Cst.). Selon l'art. 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), la liberté d'expression comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière (arrêt du Tribunal fédéral 6B_138/2023 du 18 octobre 2023 consid. 3.3.1). Vu la portée reconnue à la liberté d'expression, seules des conditions restrictives peuvent justifier une ingérence de l'État, en particulier lorsqu'il intervient à titre préventif (arrêts du Tribunal fédéral 1C_360/2019 du 15 janvier 2020 consid. 3.2 ; 1C_9/2012 du 7 mai 2012 consid. 2.2 = RDAF 2014 I 284).
5.1 L'art. 22 Cst. garantit la liberté de réunion (al. 1), toute personne ayant le droit d'organiser des réunions et d'y prendre part ou non (al. 2). Sont considérées comme des réunions les formes les plus diverses de regroupements de personnes dans le cadre d'une organisation déterminée, dans le but, compris dans un sens large, de former ou d'exprimer mutuellement une opinion (ATF 147 I 161 consid 4.2 = JdT 2021 I 107 ; ATF 144 I 281 consid. 5.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_477/2023 du 17 avril 2024 consid. 7.1.1 et les arrêts cités). Condition essentielle de la libre formation de l’opinion démocratique et de l’exercice des droits politiques, la liberté de réunion est un élément indispensable de tout ordre constitutionnel démocratique. Les manifestations se distinguent d’autres réunions par un objectif de sensibilisation spécifique en ceci qu’elles tendent à rendre le public attentif à une revendication des participants (ATF 148 I 33 consid. 6.3 = JdT 2022 I p. 146, 148 et les références citées). À l'exception de celles qui ont lieu dans les locaux privés, les réunions impliquent régulièrement un usage accru du domaine public (ATF 132 I 256 consid. 3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 211). Elles ont lieu notamment dans la rue, sur les places et les trottoirs, dans les parcs publics, voire dans des salles communales. L'autorité peut exiger une autorisation pour l'organisation d'une réunion qui doit se dérouler sur le domaine public (Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKGER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 4e éd., 2021, n. 761 s. et 766).
5.2 Selon la jurisprudence, les manifestations sont protégées par les libertés de réunion et d’opinion (art. 22 et 16 Cst.). La liberté de réunion est au premier chef concernée car la liberté d’opinion est un droit fondamental subsidiaire par rapport à la protection des formes spécifiques de la communication (ATF 148 I 33 consid. 6.1 = JdT 2022 I p. 146, 147 ; ATF 144 I 281 consid 5.3.1 = JdT 2019 I 71). En rapport avec les manifestations, le Tribunal fédéral a depuis toujours souligné l’importance que revêt la liberté de réunion de par son rôle central dans la formation de l’opinion dans un État de droit libéral et démocratique, en particulier aussi dans les périodes de troubles politiques (ATF 148 I 33 consid. 7.7.1 = JdT 2022 I p. 146, 152).
Dans le langage courant, le terme « manifestation » s'applique à de nombreuses situations différentes. Une fête, un cortège, une course à pied, une exposition en plein air, un exercice des pompiers ou encore d'autres événements peuvent être des manifestations. La notion de manifestation en droit constitutionnel est beaucoup moins large que celle du langage courant. Selon la jurisprudence et la doctrine, une manifestation se caractérise par le rassemblement public de nombreuses personnes avec l'intention de faire appel au public, même contre la volonté de celui-ci, ce qui implique régulièrement un usage plus intense du domaine public. On compte donc quatre critères : un rassemblement, un grand nombre de personnes, l'appel délibéré au public et l'usage (généralement accru) du domaine public (Peter UEBERSAX, La liberté de manifestation, in RDAF 2006 I p. 25, 28 ; dans le même sens : Giorgio MALINVERNI in Vincent MARTENET/Jacques DUBEY [éd.], Commentaire romand de la Constitution fédérale, 2021, n. 21 ss ad art. 22 Cst.).
5.3 Il existe en principe, sur la base de la liberté d'opinion, d'information et de réunion, un droit conditionnel à l'usage accru du domaine public pour des manifestations avec appel au public (ATF 144 I 50 consid. 6.3 ; 138 I 274 consid. 2.2.2 ; 132 I 256 consid. 3). De telles manifestations impliquent la mise à disposition d'une partie du domaine public, en limitent l'usage simultané par des non‑manifestants et ne permettent plus, localement et temporairement, un usage commun. Cette situation exige qu'un ordre de priorité soit fixé entre les divers usagers et cela implique de soumettre la tenue de telles réunions à autorisation (ATF 132 I 256 consid. 3). Dans le cadre de l'octroi de ces autorisations, l'autorité doit tenir compte d'une part des intérêts des organisateurs à pouvoir se réunir et s'exprimer et, d'autre part, de l'intérêt de la collectivité et des tiers à limiter les nuisances, notamment à prévenir les actes de violence (ATF 127 I 164 consid. 3). Plus simplement, il s'agit d'assurer l'utilisation adéquate des installations publiques disponibles dans l'intérêt de la collectivité et du voisinage ainsi que de limiter l'atteinte portée par la manifestation aux libertés des tiers non-manifestants (ATF 143 I 147 consid. 3 ; 132 I 256 consid. 3). L'autorité dispose ainsi d'une certaine liberté d'appréciation lorsqu'elle décide de l'octroi ou du refus d'une autorisation de manifester (ATF 132 I 256 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_246/2022 du 12 décembre 2022 consid. 3.2.2).
5.4 En vertu de l'art. 11 par. 1 CEDH, qui offre des garanties comparables à celles de l'art. 22 Cst. (ATF 132 I 256 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1098/2022 du 31 juillet 2023 consid. 6.1.2), toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association. Au regard de son importance, le droit à la liberté de réunion ne doit pas faire l'objet d'une interprétation restrictive. Néanmoins, son exercice est soumis aux restrictions qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (art. 11 par. 2 CEDH ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_477/2023 du 17 avril 2024 consid. 7.1.2 et les arrêts cités).
Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (ci‑après : CourEDH), l'exigence d'une autorisation n'est pas contraire à l'art. 11 CEDH pour autant que le but de la procédure est de permettre aux autorités de prendre des mesures raisonnables et adaptées permettant de garantir le bon déroulement des événements de ce type. La CourEDH a néanmoins précisé que, si les règles régissant les réunions publiques, telles qu'un système d'autorisation, sont essentielles pour le bon déroulement des manifestations publiques, leur mise en œuvre ne doit pas devenir une fin en soi (ACEDH Bumbes c. Roumanie du 3 mai 2022, réq. n° 18079/15, § 100 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_246/2022 du 12 décembre 2022 consid. 3.2.2 et les arrêts cités). La CourEDH a souligné à plusieurs reprises l’importance cruciale de la liberté de réunion pacifique, qui, à l’instar de la liberté d’expression, constitue un des fondements d’une société démocratique (ACEDH Communauté genevoise d’action syndicale c. Suisse du 15 mars 2022, réq. no 21881/20, § 10 ; ACEDH Dinçer c. Turquie du 16 janvier 2018, réq. n°17843/11, § 20 et les références citées).
5.5 Les libertés d’opinion et de réunion peuvent être restreintes d’abord par des mesures directes telles que des interdictions ou des sanctions. Des restrictions indirectes existent aussi, en ce sens qu'à la suite d’une réaction de l’autorité, l’individu sera dissuadé d’exercer à nouveau les droits fondamentaux. La jurisprudence et la doctrine envisagent à cet égard un effet répulsif (« chilling effect ») L’exercice des droits fondamentaux ne doit pas être restreint par des mesures connexes négatives engendrant un effet de répulsion ou d’intimidation (ATF 143 I 147 consid. 3.3 = JdT 2017 I p. 107, 110).
5.6 Selon Thierry TANQUEREL, l'usage accru du domaine public peut faire l'objet d'une taxe d'utilisation (voir en ce sens l'art. 59 al. 1 LRoutes notamment). Toutefois, s'agissant de l'exercice de droits comme la liberté de réunion ou les droits politiques, la perception de taxe allant au-delà d'un émolument pour l'octroi de l'autorisation constituerait une entrave contraire au principe de la proportionnalité (Thierry TANQUEREL, op.cit., n. 216).
6. Aux termes de l’art. 50 al. 1 Cst., l’autonomie communale est garantie dans les limites fixées par le droit cantonal. Selon la jurisprudence, une commune bénéficie de la protection de son autonomie dans les domaines que le droit cantonal ne règle pas de manière exhaustive mais laisse en tout ou en partie dans la sphère communale, lui accordant une liberté de décision importante. L’existence et l’étendue de l’autonomie communale dans une matière concrète sont déterminées essentiellement par la constitution et la législation cantonales (ATF 147 I 433 consid. 4.1 = SJ 2022 13 ; ATF 146 I 83 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_224/2023 et 1C_8/2024 du 16 janvier 2025 consid. 4.1).
Selon l’art. 132 al. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst‑GE - A 2 00), l'autonomie des communes est garantie dans les limites de la constitution et de la loi (al. 2). L’art. 133 Cst-GE prévoit que la répartition des tâches est régie par les principes de proximité, de subsidiarité, de transparence et d’efficacité (al. 1). La loi fixe les tâches qui sont attribuées au canton et celles qui reviennent aux communes. Elle définit les tâches conjointes et les tâches complémentaires (al. 2). Le droit cantonal peut répartir la souveraineté du domaine public entre le canton et les communes et en régler l’usage (ATA/132/2025 du 4 février 2025 consid. 6.9 ; ACST/6/2017 du 19 mai 2017 consid. 8a et les références citées).
7. De jurisprudence constante, la chambre administrative est habilitée à revoir, à titre préjudiciel et à l’occasion de l’examen d’un cas concret, la conformité des normes de droit cantonal au droit fédéral. Cette compétence découle du principe de la primauté du droit fédéral, ancré à l’art. 49 Cst. (ATF 138 I 410 consid. 3.1). D’une manière générale, les lois cantonales ne doivent rien contenir de contraire à la Cst., aux lois et ordonnances du droit fédéral (ATF 145 IV 10 consid. 2.1). Le contrôle préjudiciel permet de déceler et de sanctionner la violation par une loi ou une ordonnance cantonale des droits garantis aux citoyens par le droit supérieur. Dans le cadre d'un contrôle concret, seule la décision d'application de la norme viciée peut être annulée (ATA/132/2025 du 4 février 2025 consid. 3.1 et l'arrêt cité).
8. Trois règles classiques principales s'appliquent en cas de conflit de normes : lex superior derogat inferiori (la norme supérieure prime la norme inférieure), lex specialis derogat generali (la norme spéciale prime la norme générale), et lex posterior derogat anteriori (la norme postérieure prime la norme antérieure ; ATA/1296/2023 du 5 décembre 2023 consid. 7.3.1).
8.1 La primauté du droit supérieur découle du principe de la hiérarchie des normes (arrêt du Tribunal fédéral 2C_736/2010 du 23 février 2012 consid. 6.3). Ainsi, en présence de règles de droit contradictoires de rangs différents, le juge est tenu de se conformer à la règle supérieure et, partant, de faire abstraction de la règle inférieure, ce qui signifie notamment que les dispositions d'une loi formelle ont toujours préséance par rapport aux dispositions réglementaires qui leur sont contraires (ATF 137 V 410 consid. 4.2.1 ; 129 V 335 consid. 3.3 ; 128 II 112 consid. 8a). Il en découle également que cette règle de conflits de norme, même si elle n'est pas absolue en Suisse (not. en ce qui concerne la relation entre la Cst. et les lois fédérales), prévaut sur les deux autres (ATA/1296/2023 du 5 décembre 2023 consid. 7.3.1 et l'arrêt cité ; Bernd RÜTHERS/Christian FISCHER/Axel BIRK, Rechtstheorie mit juristischer Methodenlehre, 7e éd., 2013, n. 773).
Selon l'art. 49 al. 1 Cst., le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire. Le principe constitutionnel de la primauté du droit fédéral fait obstacle à l'adoption ou à l'application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu'elles mettent en œuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive (ATF 150 I 213 consid. 4.1 ; 148 II 121 consid. 8.1 ; 146 II 309 consid. 4.1).
Il n'existe entre les principes lex specialis derogat generali et lex posterior derogat anteriori pas de hiérarchie stricte (ATF 134 II 329 consid. 5.2). Il est néanmoins incontesté que le rapport de spécialité entre deux normes n'est pas toujours facile à déterminer, et qu'il doit le cas échéant être dégagé selon les règles classiques de l'interprétation juridique (Peter FORSTMOSER/Hans-Ueli VOGT, Einführung in das Recht, 5e éd., 2012, n. 279 ; Bernd RÜTHERS/Christian FISCHER/Axel BIRK, op. cit., n. 771). Par ailleurs, si la question du caractère postérieur d'une norme par rapport à une autre est généralement plus facile à établir, il n'en est pas moins nécessaire de se demander le cas échéant si le nouveau droit visait bien à matériellement « abroger » l'ancien (ATA/1296/2023 du 5 décembre 2023 consid. 7.3.1 et l'arrêt cité ; Peter FORSTMOSER/Hans-Ueli VOGT, op. cit., n. 282 ; Hansjörg SEILER, Einführung in das Recht, 3e éd., 2009, n. 17.4.6.2).
8.2 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 150 V 12 consid. 4.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_383/2023 du 20 février 2025 consid. 5.2). La chambre de céans suit la même approche (ATA/1394/2024 du 28 novembre 2024 consid. 3.8 et l'arrêt cité).
9. En l'espèce, le TAPI a constaté la nullité de la décision de la ville par laquelle celle‑ci a refusé de délivrer à l'intimée la permission d'usage accru du domaine public en vue d'une manifestation. Il a estimé que seul le DIN, à l'exclusion des communes, était compétent pour délivrer une autorisation de manifester sur le domaine public.
9.1 La manifestation organisée le 20 janvier 2024 par l'intimée était une manifestation à caractère exclusivement politique entraînant un usage accru du domaine public communal. En effet, elle impliquait la formation d'un cortège de manifestants et le blocage à la circulation de routes et de rues, afin d'en réserver l'accès et le passage aux manifestants. Elle tombait ainsi sous le coup de l'art. 2 LMDPu et était soumise à une autorisation que le DIN était compétent pour délivrer (art. 3 LMDPu). Il n'est pas contesté que, selon la seule LMDPu, la ville n'avait en revanche pas la compétence de délivrer l'autorisation, la LMDPu ne réservant pas une telle compétence aux communes. La ville soutient toutefois que la délivrance, par le DIN, d'une telle autorisation laisserait subsister une compétence des communes en matière d'octroi des permissions pour la même manifestation, sur la base de la LDPu et de la LRoutes.
Il sied de préciser que dans le cas d'espèce, la manifestation n'impliquait que le rassemblement de manifestants ainsi que leur déplacement à travers la ville. Seule cette situation particulière doit ainsi faire l'objet d'une analyse. Le litige est donc limité à la question de savoir si les communes sont privées ou non de la compétence de délivrer une autorisation lorsqu'est déposée une demande d'organiser une manifestation à caractère politique, avec un appel au public, n'impliquant que le rassemblement de personnes ainsi que leur déplacement et entrant dans le champ d'application de la LMDPu.
9.2 Il ressort de la jurisprudence précitée que les réunions comme celles qui a eu lieu en l'espèce impliquent régulièrement un usage accru du domaine public, en particulier une occupation des routes qui, notamment, empêche les personnes ne participant pas à la manifestation de les emprunter. L'occupation des voies publiques excédant l'usage commun est une hypothèse expressément prévue aux art. 13 al. 1 LDPu et 56 al. 2 LRoutes. Dès lors, lorsqu'il s'agit d'une voie communale, les communes sont, à rigueur de texte, compétentes pour accorder l'autorisation, conformément aux art. 15 LDPu et 57 al. 1 LRoutes.
Cette analyse fait apparaître un conflit de normes, puisque, comme on l'a vu, le département est également compétent pour accorder l'autorisation (art. 3 LMDPu). Or, aucune loi ne prévoit ni n'exclut le cumul des autorisations et les travaux préparatoires ne fournissent aucune information sur ce point. Ledit conflit doit ainsi être résolu à l'aune des trois règles classiques, exposées ci-avant, en commençant par le principe de la primauté du droit supérieur.
Il ressort de ce qui précède que l'application cumulée de la LMDPu, d'une part, et des LDPu et LRoutes, d'autre part, est susceptible de créer un régime de double autorisation, y compris, comme en l'occurrence, pour les manifestations à caractère politique n'impliquant que le rassemblement de manifestants ainsi que leur déplacement. La commune expose que le régime de double autorisation a toujours prévalu et que l'entrée en vigueur de la LMDPu n'a pas changé cette pratique, une telle volonté ne ressortant du reste pas des travaux préparatoires.
Il est vrai qu'aucune des parties ne conteste l'existence d'un double régime d'autorisation, et ce même avant l'entrée en vigueur de la LMDPu, qui paraît du reste encore subsister. L'existence de ce double régime apparaît confirmée par le fait qu'avant ce moment-là, la compétence du canton pour autoriser une manifestation était déjà prévue par l'art. 11B du règlement concernant la tranquillité publique et l'exercice des libertés publiques (F 3 10.03 état au 20 février 2007), qui disposait que l'organisation d'une réunion ou d'une manifestation faisait l'objet d'une autorisation du département des institutions qui en fixait les modalités, autant que possible d'entente avec les organisateurs. Par ailleurs, le législateur, contrairement aux dépositaires du premier projet de loi, a certes voulu que toutes les manifestations, comprises dans un sens très large ne se limitant pas aux manifestations à caractère politique, soient soumises à autorisation du DIN, mais n'a manifestement pas remis en cause les compétences des communes en matière de délivrance d'autorisation pour les manifestations.
Cela étant, quand bien même la commune devrait être suivie en ce sens que le législateur n'a pas voulu écarter l'application de la LDPu et de la LRoutes au profit de la LMDPu, un régime de double autorisation pour les manifestations à caractère politique impliquant uniquement le rassemblement de personnes ainsi que leur déplacement apparaît contraire au droit supérieur, en particulier aux art. 11 CEDH ainsi que 16 et 22 Cst. En effet, les manifestations à caractère politique, impliquant un appel délibéré au public, sont protégées par les libertés de réunion et d’opinion (d'expression), lesquelles constituent des fondements d’une société démocratique et bénéficient d'une protection particulière, qui s'est renforcée au cours de ces dernières années. Une restriction à ces libertés ne doit ainsi être admise qu'à des conditions restrictives et pour des motifs importants. Dans ce cadre, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des intérêts touchés et l'autorité doit veiller à la coordination des priorités. Certes, conformément à l'art. 5 al. 1 LMDPu et comme cela ressort des travaux préparatoires, le DIN doit principalement veiller au danger que la manifestation sollicitée pourrait faire courir à l'ordre public. Toutefois, son analyse ne se limite pas à cet examen et le DIN est tenu d'évaluer également l'ensemble des intérêts touchés (MGC 2007-2008/X A 10281) privés et publics (notamment circulation, transports publics, accès aux hôpitaux, intérêts des commerçants et des particuliers ; MGC 2003-2004/IV A 1346). Il doit notamment évaluer l'impact de la manifestation sur le domaine communal, dans la mesure où il détermine en particulier le lieu ou l'itinéraire de la manifestation ainsi que la date et l'heure du début et de fin prévues de celle-ci, en s'assurant notamment que l’itinéraire n’engendre pas de risque disproportionné pour les personnes et les biens (art. 5 al. 2 et 3 LMDPu). Il peut également, lorsque la pose de conditions ou de charges ne permet pas d’assurer le respect de l’ordre public ou d’éviter une atteinte disproportionnée à d’autres intérêts, refuser l’autorisation de manifester (art. 5 al. 5 LMDPu). Ainsi, bien qu'elle ait été adoptée principalement pour l'évaluation du danger que la manifestation sollicitée pourrait faire courir à l'ordre public, la LMDPu enjoint au DIN de tenir compte de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être touchés, y compris ceux des communes, ce qui implique nécessairement un devoir de coordination et de collaboration avec celles-ci.
Dans ces conditions, instaurer un régime de double autorisation revient à poser sans motif pertinent une limitation supplémentaire à l'exercice des droits fondamentaux, rendant celui-ci encore plus difficile, les intérêts dont les communes doivent tenir compte en application de la LRoutes (art. 57 al. 3) et du RUDP (art. 1 al. 3), y compris les leurs, lorsqu'elles délivrent une permission d'usage accru du domaine public devant de toute façon être pris en considération par le DIN également. Autrement dit, dans ce cadre particulier, les intérêts protégés par la LMDPu ne divergent pas de ceux protégés par la LRoutes et le RUDP. Un double régime apparaît donc superflu et comme une fin en soi. Son existence ne se justifie donc pas, ce d'autant moins qu'au vu de ce qui précède, il pourrait très vraisemblablement constituer une mesure engendrant un effet de répulsion ou d’intimidation (« chilling effect ») envers des potentiels manifestants. À cela s'ajoute qu'un régime de double autorisation comporte nécessairement un risque de décisions contradictoires – comme en l'espèce –, alors que celles-ci porteraient sur un seul et même objet (la demande d'autorisation), ce qui apparaîtrait contraire à la sécurité juridique.
9.3 La commune soutient que si le principe de l'autorisation unique par le département pour les manifestations politiques pourrait éventuellement se comprendre, il en irait différemment des autres manifestations, à caractère festif ou sportif en particulier. Cet argument est toutefois exorbitant au présent litige, celui‑ci étant circonscrit aux manifestations à caractère politique n'impliquant que le rassemblement de manifestants et leur déplacement à travers la ville, comme exposé ci-avant. Il n'y a donc pas lieu d'examiner dans le présent arrêt si une autorisation communale d'usage accru du domaine public demeurerait nécessaire pour d'autres types de manifestations, par exemple en cas d'événements sportifs ou festifs.
Au demeurant, un régime de double autorisation n'est prima facie pas à exclure pour ces événements, puisque ces derniers ne sont pas nécessairement couverts par les mêmes droits fondamentaux que les manifestations à caractère politique et, surtout, peuvent notamment impliquer la pose d'installations, régie spécifiquement par la LDPu et le RUDP. Il sera également relevé que le principe d'une double autorisation, l'une, cantonale, portant sur le principe même de la manifestation et l'autre, communale, concernant les conditions d'utilisation du domaine public, est expressément admis par le département, celui-ci ayant indiqué que les communes conservaient un pouvoir décisionnel pour permettre une installation fixe, même provisoire, sur son territoire communal lors d'une manifestation.
Enfin, la commune considère également qu'à suivre le TAPI, aucune taxe ne pourrait être perçue lors de l'organisation d'une manifestation sur le domaine public, ce qui priverait les communes d'une manne financière et consacrerait une inégalité de traitement injustifiable par rapport à tous les autres types d'usage accru. Or, d'une part, le DIN peut percevoir un émolument par autorisation (art. 4 al. 4 LMDPu). D'autre part, s'agissant de l'exercice de la liberté de réunion et d'expression, la perception de taxes allant au-delà d'un émolument pour l'octroi de l'autorisation constitue une entrave contraire au principe de la proportionnalité se rapprochant d'un « chilling effect ». La ville n'est donc pas fondée à se plaindre d'une perte financière sur ce point.
Enfin, les usages accrus du domaine public non soumis à la LMDPu (la ville cite l'exemple de l'exploitant d'un food truck) ne sont pour la plupart couverts ni par la liberté de réunion ni par celle d'expression, si bien qu'il s'agit de situations différentes de celle de la présente cause pouvant justifier un traitement différencié. En tant que la ville soutient finalement qu'il ne serait pas acceptable que l'organisateur de la Lake Parade soit exempté de frais, cet argument n'apparaît prima facie pas fondé puisque, comme exposé ci-avant, un régime de double autorisation n'est pas à exclure en cas d'événements sportifs ou festifs.
9.4 Un double régime d'autorisation étant contraire au droit supérieur, pourrait encore se poser la question de savoir qui du DIN ou de la commune est compétent pour autoriser ou refuser une manifestation à caractère politique n'impliquant que le rassemblement de manifestants et leur déplacement sur le domaine public communal. Cette question doit être résolue selon la règle de la lex specialis. Bien que la LMDPu soit une loi-cadre en matière de manifestations sur le domaine public, les manifestations constituent un cas particulier d'usage accru du domaine public, spécifiquement abordé par la LMDPu, qui est exclusivement consacrée à toutes les manifestations. La LDPu et la LRoutes traitent en revanche, de manière générale, de tous les usages accrus du domaine public, sans d'ailleurs mentionner expressément les manifestations. Ainsi, il y a lieu de confirmer, pour cette situation particulière en tout cas, la jurisprudence de la chambre de céans selon laquelle la LMDPu est une loi spéciale qui doit ainsi primer la LDPu. C'est donc le DIN qui est seul compétent (art. 3 LMDPu) pour autoriser ou refuser une manifestation à caractère politique n'impliquant que le rassemblement de manifestants et leur déplacement sur le domaine public communal.
9.5 Il ressort de ce qui précède que la commune n'était pas compétente pour autoriser ou refuser la manifestation litigieuse, celle-ci ne portant que sur le rassemblement de personnes et sur leur déplacement à travers la ville. Le TAPI a donc à juste titre constaté la nullité la décision de la ville. Dès lors, et pour les motifs exposés ci-avant, le jugement attaqué ne consacre aucune violation du droit ni de l'autonomie communale.
9.6 Pour le surplus, la ville allègue, pour la première fois dans sa réplique, que son incompétence n'étant ni manifeste ni facilement décelable, il ne pouvait être question d'incompétence manifeste susceptible de constituer un cas de nullité.
Or, de jurisprudence constante, le mémoire de réplique ne peut contenir qu’une argumentation de fait et de droit complémentaire, destinée à répondre aux arguments nouveaux développés dans le mémoire de réponse. Il ne peut en principe pas être utilisé afin de présenter de nouvelles conclusions ou de nouveaux griefs qui auraient déjà pu figurer dans l’acte de recours (arrêt du Tribunal fédéral 1C_130/2015 du 20 janvier 2016 consid. 2.2 = SJ 2016 I 358 ; ATA/102/2025 du 28 janvier 2025 consid. 2.2 et l'arrêt cité). Par conséquent, en tant que ce grief aurait pu en l'occurrence figurer dans l'acte de recours, la recourante n'expliquant du reste pas pour quel motif tel n'aurait pas pu être le cas, il est tardif et ne sera pas examiné.
En toute hypothèse, même à retenir que le grief serait recevable et que l'incompétence de la ville n'était ni manifeste ni facilement décelable (cf. infra consid. 10.3), le résultat auquel est parvenu le TAPI sur le fond ne serait pas différent en l'occurrence, dans la mesure où la décision entreprise aurait quand même été annulée. L'admission du grief n'aurait donc aucune incidence sur l'issue du litige au fond.
Au vu de ce qui précède, le grief sera écarté.
10. La recourante conclut à l'annulation de l'émolument de CHF 900.- mis à sa charge par le TAPI.
10.1 La juridiction administrative qui rend la décision statue sur les frais de procédure et émoluments. En règle générale, l’État, les communes et les institutions de droit public ne peuvent se voir imposer de frais de procédure si leurs décisions font l’objet d’un recours (art. 87 al. 1 LPA). À titre exceptionnel, et dans la mesure où cette règle peut connaître des exceptions (ATA/986/2014 du 10 décembre 2014 consid. 8) des frais peuvent être mis à charge de ces autorités, lorsque leurs décisions font l’objet d’un recours, en raison d'une erreur de procédure particulièrement grave (arrêt du Tribunal fédéral 5A_72/2013 du 19 mars 2013) ou de violation d'une règle clairement établie ou réitérée du droit d'être entendu (Stéphane GRODECKI, Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative, 2017, n° 1035).
10.2 Les frais de procédure, émoluments et indemnités arrêtés par la juridiction administrative peuvent faire l’objet d’une réclamation dans le délai de trente jours dès la notification de la décision ; les dispositions des art. 50 à 52 LPA sont alors applicables (art. 87 al. 4 LPA). À teneur de l'art. 67 al. 1 LPA, dès le dépôt du recours, le pouvoir de traiter l'affaire qui en est l'objet passe à l'autorité de recours (effet dévolutif du recours). Si l'art. 87 al. 4 LPA prévoit la voie de la réclamation pour contester les frais de procédure, les émoluments et les indemnités arrêtés par la juridiction administrative, selon la jurisprudence de la chambre de céans, l'art. 87 al. 4 LPA ne déroge cependant pas à l'art. 67 LPA lorsque les griefs du recourant ne se limitent pas aux frais de procédure, émoluments et indemnités mais qu'ils portent également sur la validité matérielle de la décision attaquée. Dans ce cas, la chambre de céans est compétente pour statuer sur toutes les questions litigieuses, y compris sur l'émolument et l'indemnité (ATA/1367/2021 du 14 décembre 2021 consid. 2a ; ATA/1178/2021 du 2 novembre 2021 consid. 7d ; ATA/190/2016 du 1er mars 2016 consid. 3).
10.3 En l'espèce, les griefs de la ville ne se limitent pas à l'émolument mis à sa charge par le TAPI mais portent également sur la validité matérielle du jugement attaqué. La chambre de céans est donc compétente pour statuer sur le bien-fondé de cet émolument.
Le recours interjeté devant le TAPI par A______ l'était contre la décision de la ville, soit une commune genevoise. Ainsi, en application de l'art. 87 al. 1 LPA, celle-ci ne pouvait se voir imposer d'émolument qu'à titre exceptionnel. Le TAPI n'a toutefois pas indiqué le motif pour lequel il a mis à la charge de la ville un émolument, même après avoir été invité par la chambre de céans à lui faire parvenir ses éventuelles observations. On ne voit pas non plus quel motif permettait de déroger au principe de l'exemption des frais de procédure posé par l'art. 87 al. 1 2e phr. LPA. En effet, compte tenu des spécificités de la législation genevoise en matière de manifestation et d'usage accru du domaine public, la nullité de la décision de la ville n'était pas évidente ni ne relevait d'une erreur particulièrement grave de celle‑ci, ce d'autant moins que le régime de double autorisation pour toutes les manifestations prévaut depuis de nombreuses années. Il s'en ensuit que le TAPI ne pouvait pas mettre un émolument à la charge de la ville, si bien que celui‑ci devra être annulé.
Le grief est dès lors bien fondé, ce qui conduit à l'admission partielle du recours.
11. Vu la qualité de la recourante et l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 2e phr. LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée à l'intimée, celle-ci, agissant en personne, n’alléguant pas avoir exposé de frais pour sa défense (art. 87 al. 2 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 16 février 2024 par la Ville de Genève contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 janvier 2024 ;
au fond :
l'admet partiellement ;
annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 janvier 2024 en tant qu'il met à la charge de la Ville de Genève un émolument du CHF 900.- ;
confirme ledit jugement pour le surplus ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, av. du Tribunal-Fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, indiqués comme moyens de preuve, doivent être joints au recours ;
communique le présent arrêt à la Ville de Genève, à A______, au département des institutions et du numérique ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
M. RODRIGUEZ ELLWANGER |
| le président siégeant :
C. MASCOTTO |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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la greffière :
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