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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/436/2024

ATA/439/2024 du 27.03.2024 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/436/2024-PRISON ATA/439/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 mars 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

PRISON B______ intimée



EN FAIT

A. a. A______ est détenu depuis le 2 février 2024 à la prison B______, en exécution de peine.

b. Il ressort des rapports d’incidents du 2 février 2024 qu’à la suite de la promenade, le détenu avait refusé de réintégrer sa cellule. Averti de ces faits, le gardien chef adjoint avait décidé de la mise en cellule forte du détenu. Le transfert s’était effectué sans contrainte. La fouille avait eu lieu sous la contrainte, le détenu la refusant. Lors de la fouille, il avait déclaré que : «Maintenant, je vous avertis, le prochain que je croise, sans rien, je lui rentre dedans ».

c. Entendu au sujet des faits, le détenu les avait reconnus et avait présenté des excuses. Il s’était ensuite vu remettre la sanction d’un jour de cellule forte pour refus d’obtempérer et menaces envers le personnel.

B. a. Par acte daté du 5 février 2024 adressé à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre cette décision.

Il avait été transféré de la prison de Bellevue sans pouvoir prendre ses affaires ni son pécule. Se trouvant démuni, il avait refusé de réintégrer sa cellule, mais n’avait en aucun cas menacé le personnel. Il demandait que la sanction relative à la menace soit supprimée. Il était d’accord que la chambre administrative visionne les images de vidéosurveillance. Il était incarcéré depuis neuf ans et aucun détenu ayant menacé le personnel ne « prendrait » qu’un jour de cellule forte. La sanction était alors de trois, quatre, voire cinq jours de cellule forte dans les cas gravissimes.

b. La prison a conclu au rejet du recours. Les faits reprochés ressortaient du rapport d’incident et des images de vidéosurveillance qu’elle produisait.

c. Dans sa réplique, le recourant a répété son souhait que la chambre administrative visionne les images de vidéosurveillance. La fouille ne s’était pas passée en deux temps, comme l’indiquait la prison, mais en trois temps, de sorte qu’il s’était retrouvé complètement nu. Tout s’était passé vite et il avait éprouvé un sentiment de honte, comme s’il avait subi un viol. Ce n’était qu’à la suite de cette fouille inhumaine qu’il avait, peut-être, tenu des propos menaçants, car il était choqué.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

e. La chambre de céans a visionné les images de vidéosurveillance. Il en ressort qu’après avoir fouillé le haut du corps du recourant qui avait enlevé son pullover et son t-shirt, celui-ci a été invité à remettre son t-shirt, ce qu’il a fait. Il a ensuite suivi les instructions des agents de détention en enlevant ses chaussettes et en se prêtant au contrôle des pieds. La caméra de la bodycam a ensuite été floutée, seul le son permettant de suivre la fouille. L’intéressé a été invité à enlever son caleçon, puis à procéder à une inflexion. Il a ensuite été invité à la répéter dans un autre sens. C’est alors qu’il a refusé de le faire, malgré la mise en garde des agents qu’en cas de nouveau refus, la fouille se poursuivrait sous la contrainte. Le recourant s’énervant et persistant dans ce refus, la dernière partie de la fouille a été effectuée sous la contrainte. Il ressort de l’enregistrement du son que le détenu était énervé et a déclaré que « je vous avertis, le prochain que je croise, sans rien, je lui rentre dedans ». Il n’a été à aucun moment complètement nu.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑-E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celles-ci, dès lors qu'il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire ou de demande de libération conditionnelle (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 2 ; ATA/498/2022 du 11 mai 2022 consid. 2).

Le recours est donc recevable.

3.             Le recourant ne conteste pas le refus d’obtempérer, mais le fait d’avoir tenu des propos menaçants.

3.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

3.2 Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence d'une faute (ATA/412/2022 du 13 avril 2022 consid. 4a ; ATA/43/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1108/2018 du 17 octobre 2018 et les références citées).

3.3 Les détenus doivent observer les dispositions du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), les instructions du directeur général de l'office cantonal de la détention ainsi que les ordres du directeur et du personnel pénitentiaire (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ils doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, d’une façon générale, de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP). En tout temps, la direction peut ordonner des fouilles corporelles et une inspection des locaux (art. 46 RRIP).

3.4 Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

3.5 À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer a) la suppression de visite pour 15 jours au plus, b) la suppression des promenades collectives, c) la suppression des activités sportives, d) la suppression d’achat pour 15 jours au plus, e) suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour 15 jours au plus f) la privation de travail ou encore g) le placement en cellule forte pour 10 jours au plus. Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (art. 47 al. 7 RRIP).

3.6 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 5.4 ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

3.7 En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation, le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limitant à l'excès ou l'abus de ce pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/97/2020 précité consid. 4f et les références citées).

3.8 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/284/2020 précité consid. 4f et les références citées).

3.9 3.9.1 L'art. 180 al. 1 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) réprime le comportement de celui qui, par une menace grave, aura alarmé ou effrayé une personne.

Sur le plan objectif, cette infraction suppose la réalisation de deux conditions : il faut que l'auteur ait émis une menace grave, soit une menace objectivement de nature à alarmer ou à effrayer la victime (ATF 122 IV 97 consid. 2b ; 99 IV 212 consid. 1a), et que la victime ait été effectivement alarmée ou effrayée (arrêts du Tribunal fédéral 6B_578/2016 du 19 août 2016 consid. 2.1 ; 6B_871/2014 du 24 août 2015 consid. 2.2.2). Le contexte dans lequel des propos sont émis est un élément permettant d'en apprécier le caractère menaçant ou non (arrêts du Tribunal fédéral 6B_593/2016 du 27 avril 2017 consid. 3.1.3 ; 6B_307/2013 du 13 juin 2013 consid. 5.2).

3.9.2 Dans sa casuistique, la chambre de céans a considéré que constituaient une menace les propos : « je vais trouver toutes vos adresses et je vais vous retrouver dehors » (ATA/670/2015 du 23 juin 2015) ou encore « fais attention à ta femme et tes enfants, quand je sortirai je m'en occuperai » (ATA/13/2015 du 6 janvier 2015).

En revanche, l’exclamation « Je ne suis pas détenu ici. Je ne suis pas malade. Vous devez arrêter le cigare ! Vous allez voir » n’atteignaient pas une intensité telle qu’elles pouvaient constituer une menace objectivement de nature à alarmer ou à effrayer un ou des agents de détention (ATA/731/2018 du 10 juillet 2018). De même, elle a retenu que l'expression « Genève, c'est petit » ne constituait pas, d’un point de vue objectif, une menace grave au sens de l’art. 180 al. 1 CP (ATA/1242/2018 précité consid. 9).

3.10 Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé des sanctions d’arrêts de deux, voire trois jours de cellule forte pour des menaces d’intensité diverse (voir la casuistique exposée dans l’ATA/136/2019 du 12 février 2019 consid. 9b).

4.             En l’espèce, le recourant conteste avoir menacé le personnel de la prison.

Il ressort de l’enregistrement des images et sons par la bodycam d’un agent de détention que le recourant a refusé de procéder à une seconde flexion lors de la fouille de la partie basse de son corps. La chambre de céans relève qu’elle n’a pas décelé lors du visionnement des images de vidéosurveillance et de l’écoute du son enregistré à cette occasion que le personnel pénitentiaire aurait procédé lors de la fouille corporelle de manière disproportionnée ou aurait adopté une attitude inadéquate. En particulier, aucun élément ne permet de retenir que le fait de demander au détenu de procéder à une nouvelle inflexion relevait d’une attitude chicanière ou irrespectueuse.

À l’issue de la fouille, celui-ci a déclaré : « je vous avertis, le prochain que je croise, sans rien, je lui rentre dedans ». Ces propos, bien qu’ayant été prononcés alors que le recourant était très énervé et fâché de la manière dont s’était déroulée la fouille, étaient de nature à effrayer les agents de détention. Ils ont ainsi, à juste titre, été qualifiés de menaces. Or, le fait de menacer des agents de détention contrevient à l’obligation du recourant d’observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire (art. 44 RRIP).

Il n’est, par ailleurs, pas contesté que le recourant n’a pas obtempéré ni pour réintégrer sa cellule ni aux instructions reçues lors de la seconde partie de la fouille corporelle. Ce dernier refus a nécessité l’usage de la force pour procéder à la fouille. Le fait de refuser d’obtempérer aux instructions données est susceptible de troubler l'ordre, la sécurité et la tranquillité de l'établissement. De ce fait, le recourant a violé ses obligations de détenu, telles que figurant aux art. 42 ss RRIP, en particulier aux art. 42, 44 et 45 let. h et 46 RRIP. Il s'ensuit que l'autorité intimée était fondée à le sanctionner pour ces faits.

5.             Se pose encore la question de savoir si la sanction respecte le principe de la proportionnalité.

La sanction de cellule forte est la forme de sanction la plus sévère prévue par le RRIP. Bien que sa détention soit récente, il faut porter au crédit du recourant qu’il n’a pas d’antécédents disciplinaires. Les manquements disciplinaires retenus à son encontre sont le double refus d’obtempérer et la menace envers le personnel.

Au vu de l’ensemble de ces circonstances, la sanction d’un jour de cellule forte respecte le principe de la proportionnalité. Celle-ci doit permettre au recourant de prendre conscience de l’importance de se soumettre aux instructions données par le personnel pénitentiaire et de s’abstenir de proférer des menaces envers celui-ci, tout en tenant compte de l’absence d’antécédents disciplinaires.

La sanction est ainsi conforme au droit et ne consacre pas un abus du pouvoir d’appréciation de l’autorité intimée. Le recours sera ainsi rejeté.

6.             La procédure étant gratuite, il ne sera pas perçu d’émolument. Le recourant plaidant en personne et succombant, il ne peut se voir alloué d’indemnité de procédure (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 février 2024 par A______ contre la décision de la prison B______ du 2 février 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison B______.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. DESCHAMPS

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :