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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3640/2024

JTAPI/528/2025 du 19.05.2025 ( ICCIFD ) , REJETE

Descripteurs : SALAIRE USUEL;RÉMUNÉRATION ABUSIVE;PRESTATION APPRÉCIABLE EN ARGENT;BONUS
Normes : LIFD.58.al1.letb; LIPM.12.leth
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3640/2024 ICCIFD

JTAPI/528/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 19 mai 2025

 

dans la cause

 

A______ Sàrl, représentée par Me Etienne CAMPICHE, avocat, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne la taxation 2023 de A______ Sàrl (ci-après : la société), créée en 2016 et active dans l’éducation des enfants et des adultes, ainsi que dans la formation continue. Son siège se situe à Genève.

Madame B______ détenait alors l’intégralité du capital de l’entreprise, dont elle était à l’époque l’unique associée gérante avec signature individuelle.

2.             Dans sa déclaration fiscale 2023, la société a indiqué qu’elle avait versé à la précitée un salaire de brut de CHF 380'000.- (incluant un bonus de CHF 200'000.-) et net de CHF 332'202.-.

3.             Le 11 juin 2024, la société a répondu à une demande de renseignements que l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) lui avait adressée le 13 mai précédent et qui portait sur l’activité et la rémunération de son associée.

4.             Par bordereaux datés du 20 juin 2024, l’AFC-GE a taxé la société pour l’année 2023 sur la base d’un bénéfice et d’un capital imposables de respectivement CHF 100'985.- et de CHF 122'580.-. Ce faisant, elle a ajouté CHF 80'771.- à son bénéfice, considérant qu’une partie du salaire de Mme B______ devait être qualifiée d’excessive. En annexe était fourni le détail du calcul de la reprise, effectuée au moyen de la méthode dite valaisanne.

5.             Le 31 juillet 2024, la société a élevé réclamation à l’encontre de ces bordereaux, contestant la reprise de CHF 80'771.-.

6.             Par décisions du 17 septembre 2024, l’AFC-GE a rejeté la réclamation. Elle a confirmé l’application de la méthode valaisanne, dont l’utilisation avait été admise par la jurisprudence. Dès lors, il était permis de conclure que la rémunération fixée selon ce procédé était conforme au principe de pleine concurrence.

7.             Par acte du 30 octobre 2024, la société, sous la plume de son conseil, a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à l’encontre des décisions du 17 septembre précédent en concluant à l’annulation de la reprise de CHF 80'771.-, sous suite de frais et dépens.

L’AFC-GE avait violé son droit d’être entendu en ce sens que les décisions attaquées n’indiquaient pas les critères sur lesquels elle s’était fondée pour déterminer le salaire de base pris en compte dans les taxations litigieuses.

De surcroît, les conditions cumulatives pour reconnaître une distribution dissimulée de bénéfices n’étaient pas remplies.

Outre Mme B______ (ci-après : l’associée), la société employait une assistante administrative et faisait appel à des intervenants pour dispenser des cours. Une comparaison interne n’était donc pas possible. De plus, il n’existait pas d’autre entreprise opérant dans un domaine directement comparable. Cependant, le recours à la méthode valaisanne ne se justifiait pas. En effet, le rôle de Mme B______ ne correspondait pas à un métier traditionnel dans le domaine de l’éducation. Ses responsabilités se distinguaient nettement de celles d’une directrice d’école. Elle prenait en charge une grande diversité de tâches, telles l’élaboration de stratégies, la gestion du budget, la recherche de clients, la gestion des parties prenantes, l’innovation, le marketing, le suivi des performances, l’allocation de ressources et le respect des normes. Cette pluralité de missions était bien éloignée des fonctions habituellement associées à un métier de l’éducation. Il convenait d’admettre que les tâches de la prénommée se rapprochaient bien plus de celles dévolues à un dirigeant travaillant dans le secteur financier, tel un business developer ou à celle confiées à un courtier en assurances.

Or, la rémunération existant dans ces deux secteurs était souvent fluctuante et dépendait du nombre de clients amenés et des revenus générés. Cela se confirmait par le certificat de salaire de son associée, délivré par son précédent employeur C______. En outre, la rémunération de son associée avait été fixée comme rattrapage des parts variables non versées lors des années précédentes, ce qui se justifiait car elle avait généré un chiffre d’affaires de CHF 1'292'295.- en 2023. Il n’existait aucune justification de la traiter moins favorablement qu’un courtier en assurance ou qu’un business developer.

Par conséquent, l’emploi de la méthode valaisanne ne se justifiait pas. La rémunération litigieuse aurait été accordée dans les mêmes conditions à un tiers. L’une des conditions cumulatives permettant de retenir l’existence d’une prestation appréciable en argent n’était pas remplie. Pour cette raison également, le recours devait être admis.

Même si l’on admettait que l’utilisation de la méthode valaisanne était fondée, celle-ci devrait l’être de manière appropriée aux circonstances. Son associée était l’unique employée de la recourante et exerçait seule des fonctions de gestion et de direction. Elle travaillait 60 heures par semaine. Un salaire médian mensuel brut dans le secteur financier se montait à CHF 32'190.-, soit à CHF 386'290.- par année. La participation au chiffre d’affaires se montait à CHF 25'261.-. Au total, la rémunération maximale admissible se chiffrait à CHF 411'541.-, montant excédant le salaire effectivement versé à son associée en 2023. Aucune reprise à titre de salaire excessif n’avait lieu d’être.

L’AFC-GE avait constaté les faits de manière inexacte, en ce sens qu’elle n’avait fourni aucune explication au sujet du montant retenu dans les décisions entreprises.

Au total, de 2019 à 2022, si la recourante avait fait application de la méthode valaisanne, son associée aurait perçu une rémunération supplémentaire de CHF 350'700.-. Le rattrapage versé en 2023 était largement inférieur à cette somme puisqu’il ne s’élevait qu’à CHF 200'000.-.

8.             Dans sa réponse du 7 février 2025, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

La violation du droit d’être entendu de la recourante était guérie par la production de son dossier, comprenant la feuille de calcul du montant de la reprise.

La contribuable admettait dans son recours l’impossibilité d’appliquer le critère de comparaison externe et celui d’exemple comparable sur le marché. Par ailleurs, elle n’avait produit aucun document qui aurait permis de comprendre comment elle avait déterminé la rémunération versée à son associée et pourquoi son salaire devrait être assimilé à celui d’un dirigeant travaillant dans le secteur financier, dont la rémunération était fondée sur ses performances commerciales. Pour cette raison, il se justifiait d’appliquer la méthode valaisanne. Le succès commercial généré par son associée était déjà pris en compte dans le supplément lié au chiffre d’affaires et la part au bénéfice.

La société comparait la rémunération versée à son associée avec celle perçue par cette dernière alors qu’elle travaillait pour C______. Ce faisant, elle plaidait pour la mise en œuvre du critère de comparaison externe. Or, il n’était pas possible de comparer la politique salariale d’un grand groupe avec celle d’une petite société. De surcroît, la recourante admettait qu’aucun exemple semblable n’existait sur le marché.

En raison du principe de périodicité, seules les rémunérations versées en 2023 devaient être examinées. La société ne pouvait se prévaloir du fait que le salaire 2023 incorporait un rattrapage des salaires des années 2019 à 2022. En se fondant sur le calculateur du secrétariat d’État à l’économie (ci-après : SECO) et en application de la méthode valaisanne, l’AFC-GE avait tenu compte d’une durée hebdomadaire de travail de 60 heures et avait pris en considération le salaire médian et non pas le salaire supérieur. Il n’y avait, selon la jurisprudence, pas lieu de prendre en considération le bonus provisionné pour déterminer le montant effectivement versé. Enfin, la méthode valaisanne visait exclusivement à déterminer un salaire excessif. Une compensation n’était pas possible avec les périodes des années précédentes.

9.             Par réplique du 4 mars 2025, la société a maintenu son recours.

Contrairement à ce que soutenait l’AFC-GE, elle n’avait jamais prétendu comparer le salaire versé à son associée avec celui que celle-ci avait perçu auprès de C______. Cette référence visait uniquement à démontrer que dans des secteurs où la performance jouait un rôle-clé, la rémunération était fortement corrélée au chiffre d’affaires généré. En outre, il convenait de prendre en compte la fonction réelle de la personne concernée, plutôt que d’imposer une comparaison strictement limitée à son secteur d’activité. Lorsqu’il n’existait pas de comparaisons pertinentes au sein d’un secteur, il était essentiel de se référer aux domaines économiques présentant des fonctions analogues.

La preuve d’une prestation sans contre-prestation en faveur de Mme B______ n’avait pas été apportée par l’AFC-GE. La société n’avait ainsi pas effectué une distribution dissimulée de bénéfice et la méthode valaisanne ne s’appliquait pas.

Enfin, une augmentation de salaire était admissible lorsqu’elle était liée à la croissance et aux résultats de l’entreprise. La rémunération litigieuse ne pouvait être considérée comme excessive.

10.         Dans sa duplique du 28 mars 2025, l’AFC-GE a persisté dans les conclusions de sa réponse.

11.         Le détail des pièces et des arguments des parties sera repris, ci-après, dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             La recourante fait grief à la société d’avoir violé son droit d’être entendu.

4.             Garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101), le droit d’être entendu implique, pour l’autorité, l’obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit que celle-ci mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que son destinataire puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l’attaquer en connaissance de cause. L’autorité n’a pas l’obligation d’exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties ; elle peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents. Dès lors que l’on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l’autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut pour le reste être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 1C_415/2019 du 27 mars 2020 consid. 2.1 et les arrêts cités).

5.             En l’espèce, la société fait valoir que l’autorité intimée a enfreint son droit d’être entendu en ce sens que les décisions attaquées n’indiquent pas les critères sur lesquels elle s’est fondée pour déterminer le salaire de base pris en compte dans les taxations litigieuses.

La contribuable ne peut être suivie. En effet, en annexe aux bordereaux du 20 juin 2024, l’AFC-GE a produit le détail du calcul de la reprise effectuée selon la méthode valaisanne, ainsi qu’un extrait du calculateur national de salaires du SECO, au moyen duquel elle a déterminé le salaire de base. Ce dernier document mentionne tous les éléments retenus par l’autorité intimée à savoir : la branche économique, l’âge, les années de service, la formation, la position dans l’entreprise, le groupe de profession, l’horaire hebdomadaire, ainsi que le canton concerné.

Même s’il était admis que la société n’avait pas eu connaissance de ces deux pièces au moment où elle a rédigé son recours, une violation de son droit d’être entendu ne peut être retenue, car l’intéressée a été en mesure de contester les décisions du 17 septembre 2024 en présentant une argumentation juridique complète. Quoi qu’il en soit, les deux documents susmentionnés figurent dans le chargé de pièces annexé à la réponse de l’AFC-GE. Dès lors, la contribuable a nécessairement pu y avoir accès.

6.             La recourante conteste la reprise de CHF 80'771.- effectuée par l’AFC-GE. Dans un premier grief, elle soutient que la rémunération versée à son associée se révèle conforme au prix du marché, si bien que l’application de la méthode valaisanne ne se justifie pas.

7.             Selon l’art. 58 al. 1 let. b LIFD, sont considérés comme bénéfice imposable tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultat, qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l’usage commercial, tels que, notamment, les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l’usage commercial.

Bien que rédigé autrement, l'art. 12 let. h de la loi genevoise sur l'imposition des personnes morales (LIPM - D 3 15) est d’une teneur équivalente, puisqu’il prévoit que les tantièmes, ainsi que les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l’usage commercial sont considérés comme bénéfice imposable.

8.             Les dispositions précitées visent notamment les distributions dissimulées de bénéfice, soit des prélèvements qui ne sont pas conformes au droit commercial (ATA/182/2024 du 6 février 2024 consid. 7.1).

Selon la jurisprudence, il y a distribution dissimulée de bénéfice lorsque les quatre conditions cumulatives suivantes sont remplies : 1) la société fait une prestation sans obtenir de contre-prestation correspondante ; 2) cette prestation est accordée à un actionnaire ou à une personne la touchant de près ; 3) elle n'aurait pas été accordée dans de telles conditions à un tiers ; 4) la disproportion entre la prestation et la contre-prestation est manifeste, de telle sorte que les organes de la société auraient pu se rendre compte de l'avantage qu'ils accordaient (ATF 140 II 88 consid. 4.1 ; 138 II 57 consid. 2.2).

9.             Les prestations appréciables en argent peuvent apparaître de diverses façons. Ainsi, le versement d’un salaire disproportionné accordé à un actionnaire-directeur constitue une situation classique de distribution dissimulée de bénéfice (ATA/778/2016 du 13 septembre 2016). Bien qu’il n’appartienne pas à l'administration de substituer sa propre appréciation en matière de salaire à celle de la société, la liberté de l’employeur n’est pas sans limite sous l’angle fiscal. En effet, la rémunération doit correspondre à celle qui aurait été octroyée à une tierce personne dans des circonstances identiques. Il s’agit, de la sorte, de s’assurer que le montant de la rémunération soit justifié par des fins commerciales et non par le fait qu’il existe une étroite relation économique ou personnelle (actionnaire ou proche) entre le bénéficiaire de la prestation et la société (ATA/94/2016 du 2 février 2016).

L'élément déterminant est donc la rémunération conforme au marché. Pour déterminer si la rémunération est excessive et constitue une distribution dissimulée de bénéfice, il convient de prendre en compte l'ensemble des circonstances du cas d'espèce (arrêt du Tribunal fédéral 2C_421/2009 du 11 janvier 2010 consid. 3.1 et 3.3). La pratique des autorités fiscales a maintenu cette solution, en ne recourant en quelque sorte qu'à titre subsidiaire à la méthode « valaisanne » (Revue fiscale, n° 4/2003, p. 296). Parmi les critères pertinents, on peut notamment citer la rémunération des personnes de rang et de fonction identiques ou similaires, les salaires versés par d'autres entreprises opérant dans le même domaine, la taille de l'entreprise, sa situation financière, ainsi que la position du salarié dans l'entreprise, sa formation et son expérience (arrêt du Tribunal fédéral 2C_660/2014 du 6 juillet 2015 consid. 6.1).

10.         En l’absence de points de comparaison suffisants avec le marché, la méthode la plus communément appliquée pour déterminer le salaire admissible d’employés actionnaires est la « méthode valaisanne », qui a reçu l'aval de l'administration fédérale des contributions et a été confirmée par la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_660/2014 du 6 juillet 2015 consid. 6.2 et les références citées). Elle consiste à déterminer un salaire de base moyen, puis à l’augmenter d’une participation au chiffre d’affaires de la société (1 % jusqu’à 1 million, 0.9 % jusqu’à 5 millions et 0.8 % au-delà, la participation étant doublée pour les sociétés de services, afin de tenir compte de la marge brute élevée de ce type de sociétés), ainsi qu’une part au bénéfice (1/3 pour les sociétés employant moins de vingt collaborateurs et 1/4 pour les entreprises plus grandes), (ATA/778/2016 du 13 septembre 2016 consid. 10c et les arrêts cités). Enfin, le salaire de base annuel, la participation au chiffre d'affaires et la part au bénéfice sont additionnés et constituent le salaire conforme aux usages commerciaux, c'est-à-dire fiscalement admissible. La différence avec le salaire effectivement versé par la société constitue la part excessive qu'il convient de reprendre au titre de distribution dissimulée de bénéfice.

11.         Afin de déterminer le salaire de base de la méthode valaisanne, la jurisprudence (ATA/144/2022 du 8 février 2022 consid. 7e) admet de se fonder sur le calculateur national des salaires. Cet outil, publié en ligne à l’adresse : « https://entsendung.admin.ch/Calculateur-de-salaires/lohnberechnung » par le SECO permet d'obtenir à la fois des résultats spécifiques au marché du travail genevois ainsi que pour l'ensemble de la Suisse. Il repose sur un modèle statistique établi à l'aide des données de l’enquête suisse sur la structure des salaires, menée tous les deux ans par l’office fédéral de la statistique auprès d’un échantillon d’entreprises. La dernière enquête reflète la situation du secteur privé en 2020.

Une fois les données pertinentes entrées dans le calculateur, celui-ci détermine trois rémunération : le salaire inférieur, médian ou supérieur. En principe, il convient de retenir le salaire médian. La jurisprudence a admis l'application du salaire supérieur uniquement à des cas manifestement exceptionnels (arrêt du Tribunal fédéral 2C_209/2013 du 16 janvier 2014 consid. 3.1). 

Dans un arrêt du 1er novembre 2011, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) a appliqué le salaire supérieur du calculateur à des administrateurs d’une entreprise d'architecture qui avaient un rayonnement international avec la conclusion de contrats de grande ampleur (ATA/674/2011 du 1er novembre 2011). Dans un arrêt subséquent, une société active dans la serrurerie s'est vue appliquer le salaire supérieur compte tenu des responsabilités exceptionnelles de l'administrateur. Le salaire repris, même avec la marque supérieure du calculateur, restait très élevé (ATA/25/2013 du 15 janvier 2013, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 2C_2010/2013 du 16 février 2014). Dans le cas de deux sociétés de gestion de fortune, la chambre administrative a retenu l’application du salaire supérieur. Les actionnaires/employés de la première disposaient de responsabilités particulièrement importantes (ATA/736/2013 du 5 novembre 2013). Dans la situation de la seconde, de neuf à dix-huit ans dans la gestion de fortune avait justifié l’application d’une telle rémunération (ATA/138/2014 du 11 mars 2014).

12.         L'autorité fiscale doit établir les faits qui justifient l'assujettissement et qui augmentent la taxation, tandis que le contribuable doit prouver les faits qui diminuent la dette ou la suppriment. Si les preuves recueillies par l'autorité fiscale apportent suffisamment d'indices révélant l'existence d'éléments imposables, l'existence d'une prestation appréciable en argent peut être présumée et il appartient alors au contribuable d'établir l'exactitude de ses allégations et de supporter le fardeau de la preuve du fait qui justifie son exonération. Tel est notamment le cas lorsqu'une prestation en argent présente un caractère insolite. En pareille situation, le contribuable est tenu de prouver que la prestation en cause est justifiée par l'usage commercial (arrêt du Tribunal fédéral 9C_686/2022 du 14 mars 2023 consid. 4.3).

13.         En l’espèce, la recourante fait valoir que la rémunération versée à son associée en 2023 aurait été versée à un tiers placé dans les mêmes circonstances. De la sorte, la méthode valaisanne utilisée par l’AFC-GE ne s’appliquait pas. Elle soutient qu’au vu des tâches exercées par son associée, celle-ci ne peut être assimilée comme travaillant dans un métier de l’éducation. Ses fonctions la rapprochent bien davantage d’un business developer ou d’un courtier en assurances, dont la rémunération dépend du nombre de clients amenés et du revenu généré.

14.         La recourante ne peut être suivie.

En effet, dans son recours, elle explique qu’elle n’emploie qu’une assistante administrative et qu’elle fait appel à des intervenants externes pour dispenser des cours. Dès lors, le critère de comparaison interne ne peut être mis en œuvre afin de vérifier si la rémunération incriminée respecte le principe de pleine concurrence. La contribuable indique également qu’il n’existe pas d’autre entreprise opérant directement comparable au sien. Par conséquent, il n’est pas possible d’avoir recours au critère de comparaison externe.

La contribuable prétend que son associée s’occupe de l’élaboration de stratégies, de la gestion du budget, de la recherche de clients, de la gestion des parties prenantes, de l’innovation, du marketing, du suivi des performances, de l’allocation de ressources et du respect des normes, tâches s’approchant de celles d’un dirigeant dans le secteur financier ou d’un courtier en assurances. Cependant, elle n’apporte aucune preuve à l’appui de ses allégués, telles que des courriers ou des documents contractuels échangés avec des tiers indépendants. Le descriptif des tâches susmentionnées a été rédigé par la société elle-même dans sa lettre à l’AFC-GE du 11 juin 2024, ainsi que dans son recours.

Étant donné que la société n’a pas établi que la rémunération qu’elle a versée à son associée se révèle conforme au prix du marché, il y a lieu de faire application de la méthode valaisanne.

15.         Subsidiairement, la recourante se prévaut d’une mauvaise application de la méthode valaisanne.

16.         Elle fait valoir que son associée travaille 60 heures par semaine. Un salaire médian mensuel brut dans le secteur financier se montait à CHF 32'190.-, soit à CHF 386'290.- par année. Une participation au chiffre d’affaires se monte à CHF 25'261.-. La rémunération maximale admissible se chiffre à CHF 411'541.-, montant excédant le salaire versé effectivement à la prénommée en 2023. Enfin, de 2019 à 2022, si elle avait fait application de la méthode valaisanne, son associée aurait perçu une rémunération supplémentaire de CHF 350'700.-. Or, le rattrapage de 2023 était inférieur à cette somme puisqu’il ne s’élevait qu’à CHF 200'000.-.

17.         À nouveau, la recourante ne peut être suivie.

En effet, c’est à tort qu’elle demande la prise en compte des salaires du secteur financier, dès lors que – comme il a été exposé supra – elle n’a pas apporté la démonstration que son associée exerçait des tâches pouvant être qualifiées de financières. C’est dès lors à juste titre que l’AFC-GE, en appliquant le calculateur du SECO, a retenu qu’elle travaillait dans le domaine de l’enseignement. Ainsi qu’il résulte de ce document et de la feuille de calcul d’application de la méthode valaisanne, l’autorité intimée a tenu compte d’une durée de travail hebdomadaire de 60 heures, comme demandé par la contribuable. Pour le surplus, la société ne conteste pas les autres critères du calculateur du SECO retenus par l’AFC-GE, à savoir l’âge (47 ans), les années de service (7 ans), la formation (haute école universitaire), la position dans l’entreprise (cadre supérieur), le groupe de professions (directeurs généraux, cadres supérieurs et membres de l’exécutif des corps législatifs) et le canton (Genève). À juste titre, l’AFC-GE a pris en compte le salaire médian déterminé par le calculateur, ainsi que le prescrit la jurisprudence. La recourante ne démontre en effet pas, pièces à l’appui, que les tâches et les responsabilités exercées par son associée se révèlent à ce point exceptionnelles qu’il se justifie d’appliquer le salaire supérieur en lieu et place du salaire médian. Pour le surplus, la contribuable ne conteste pas les calculs effectués par l’AFC-GE, qui aboutissent à un salaire excessif de CHF 80'771.-.

18.         Cela étant, elle soutient que le bonus de CHF 200'000.- versé en 2023 à son associée constitue un rattrapage en ce sens qu’il se rapporte aux années précédentes.

19.         Dans sa jurisprudence, la chambre administrative a eu à traiter de plusieurs cas relatifs à des bonus dans le cadre de la détermination du salaire admissible d'actionnaire-salarié, d'associé-gérant ou d'administrateur de sociétés.

Dans l'ATA/389/2014 du 27 mai 2014, l'AFC-GE s'était fondée sur la déclaration fiscale de la société et les pièces produites, soit le certificat de salaire de l'actionnaire-salarié, l'annexe C « prestations versées aux membres de l'administration et aux autres organes » et les comptes sociaux produits. Aucun de ces documents ne faisait état de modalités particulières de détermination de la rémunération de celui-ci. Aucune rubrique du compte de profits et pertes ou du bilan n'était détaillée et les annexes aux comptes ne comportaient pas d'éléments sur ce point. Il n'avait par ailleurs pas été allégué que le certificat de salaire ne correspondrait pas aux montants effectivement versés, pendant l'année litigieuse, à l'actionnaire-employé. La chambre administrative n'a pas suivi le raisonnement de la société sur la prise en considération comme bonus du seul montant ressortant de ses comptes produits, car ceux-ci ne permettaient pas de déterminer la nature et le sort comptables de la différence entre le bonus provisionné et décaissé – sans au demeurant que l'on sache sur quelle base – et le montant effectivement versé durant l'exercice litigieux, lequel coïncidait avec l'année fiscale. Dans ces circonstances, c'était bien le montant clairement déterminé par un document ayant force probante et corrélé par une annexe présumée exacte de la déclaration fiscale en question de la société, qui seul devait être pris en compte pour la détermination du salaire admissible. Cet arrêt a été confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_660/2014 du 6 juillet 2015.

Dans un autre arrêt (ATA/623/2014 du 12 août 2014), l'AFC-GE s'était fondée sur la déclaration fiscale de la société et les pièces produites, soit le certificat de salaire de l'associé-gérant, l'annexe C et le bilan au 31 décembre 2008. Aucun de ces documents ne faisait état de modalités particulières de détermination de la rémunération de l'intéressé. Aucune rubrique du bilan n'était détaillée à ce sujet et le paragraphe 2 consacré aux « provisions pour risques et charges » de l’annexe B « dettes et provisions 2008 » à la déclaration fiscale ne comportait pas d'éléments sur ce point. L'associé-gérant ne contestait au demeurant pas le montant de CHF 446'000.- figurant sur le certificat de salaire établi pour l'année 2008 et que celui-ci correspondait à une part du salaire de base de CHF 160'000.- et à un bonus de CHF 286'000.- provisionné en 2007. La chambre administrative n'a pas non plus suivi le raisonnement de la société sur la prise en considération comme bonus versé en 2008 du seul montant ressortant de la provision du bonus de CHF 60'000.- versé en 2009 et figurant sur l’extrait du Grand-Livre de 2008, car celui-ci ne permettait pas d’expliquer le salaire brut de CHF 446'000.- effectivement versé à l’associé-gérant durant l'exercice 2008. Dans ces circonstances, c'était bien le montant clairement déterminé par un document ayant force probante et corrélé par une annexe présumée exacte de la déclaration fiscale 2008 de la société, qui seul devait être pris en compte pour la détermination du salaire admissible.

Enfin, dans l'ATA/94/2016 du 2 février 2016, l'AFC-GE s'était fondée sur la déclaration fiscale de la société et les pièces produites, soit le certificat de salaire de l'administrateur et les comptes de l’entreprise. Aucun de ces documents ne faisait état de modalités particulières de détermination de la rémunération de l'intéressé. Le certificat de salaire établi pour l’année 2011 ne mentionnait pas l’existence d’un bonus et aucune rubrique du compte d’exploitation ou du bilan n'était détaillée à ce sujet. De même, le paragraphe 2 consacré aux « provisions pour risques et charges » de l’annexe B « dettes et provisions 2010 » à la déclaration fiscale 2010 ne comportait aucun élément sur ce point. Or, il incombait à la société, conformément à la répartition du fardeau de la preuve découlant de la jurisprudence, d’apporter la démonstration des éléments qui étaient, selon elle, susceptibles d’influencer la taxation. En l’absence d’explication, l'AFC-GE n'avait pas à envisager et à retenir un autre montant que celui qui figurait dans les certificats de salaires 2011. En cours de procédure la société avait expliqué qu’une provision avait été créée en 2010, en vue de gratifier l’administrateur d’un bonus en 2011. Elle avait cherché à démontrer cela par la production des extraits du compte 2002 « divers à payer » établi pour l’année 2010 et du compte 4001 « salaire du concerné ». Y était mentionnée la création, le 31 décembre 2010, d’une provision pour gratification brute 2010 de CHF 300'000.-. Or, l’existence d’une telle provision ne ressortait pas des états financiers 2010 de la société et de l’annexe B à sa déclaration 2010. Par contre, le bonus tout comme le salaire versé à l’administrateur avaient été prélevés sur l’exercice 2011 et avaient diminué le résultat 2011 de la société. C'était dès lors à juste titre que l'AFC-GE s'était fondée sur le certificat de salaire produit et le salaire effectivement versé lors de l’année en cours pour déterminer si le salaire était excessif. D’ailleurs, le bonus ne pouvait pas être affecté à la taxation 2010, dès lors que tant qu’il n’était pas versé, son montant n’était pas définitivement connu. L'AFC-GE avait ainsi correctement tenu compte du montant figurant sur le certificat de salaire pour déterminer le salaire admissible, document ayant force probante et corrélé par une annexe présumée exacte de la déclaration fiscale 2011 de la société.

20.         En l’espèce, afin de déterminer l’admissibilité du salaire versé à l’associée de la recourante, l’AFC-GE s’est fondée sur sa fiche de salaire, qui fait état d’un salaire proprement dit (CHF 180’00.-), ainsi que de la part variable (CHF 200'000.-), soit un montant total brut et net de respectivement CHF 380'000.- et CHF 332'202.-. Cette somme ressort également de l’annexe C de la déclaration fiscale de la société. Cette dernière n’a produit aucune pièce permettant de comprendre la détermination des bonus. Ses comptes ne comportent pas de poste relatif au bonus en question. Le compte de charges « salaires » n’est pas détaillé. Certes, une rubrique « salaires et charges sociales » figure dans la catégorie des passifs transitoires. Toutefois, la société n’indique pas si celle-ci concerne les bonus à payer. Enfin, le solde de ce poste a augmenté entre la fin 2022 et la fin 2023. Il est dès lors douteux qu’il concerne le bonus. Partant, c’est à juste titre que l’AFC-GE s’est fondée sur le certificat de salaire et la déclaration fiscale susmentionnés.

21.         Ne reposant sur aucun motif valable, le recours doit être rejeté.

22.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1'200.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais de CHF 700.- versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 30 octobre 2024 par A______ Sàrl contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 17 septembre 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1'200.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais de CHF 700.- ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Kristina DE LUCIA, présidente, Pascal DE LUCIA et Caroline GOETTE, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Kristina DE LUCIA

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière