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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4143/2024

ATA/1124/2025 du 14.10.2025 ( AMENAG ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4143/2024-AMENAG ATA/1124/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 octobre 2025

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Cédric LENOIR, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE intimé



EN FAIT

A. a. A______ est propriétaire de la parcelle n° 206 de la commune B______ (ci‑après : la commune), d'une surface de 9'911 m2, située en zone d'affectation 5, ainsi que dans le périmètre protégé des rives du lac.

b. Sur cette parcelle sont érigées notamment une habitation de 237 m2, dénommée maison de maître dite C______ (bâtiment n° B 1______), et une habitation de 145 m2, dénommée dépendance (bâtiment n° B 2______). Ces bâtiments ont été construits en 1858 sur les plans de l'architecte D______.

Sont également érigés sur cette parcelle une serre de 32 m2 (bâtiment n° B 3______), un bâtiment de 9 m2 (bâtiment n° B 4______), ainsi que des murs d'enceinte et un portail, non cadastrés au registre foncier.

c. Le 7 décembre 2022, le service de l'inventaire des monuments d'art et d'histoire (ci-après : IMAH), rattaché à l'office du patrimoine et des sites (ci-après : OPS), a effectué, à la demande d'A______, une visite des bâtiments nos B 1______ et B 2______, laquelle a donné lieu à l'établissement de deux rapports de visite, rédigés par E______, historien. Il a conclu au caractère exceptionnel, au plan patrimonial, de ces bâtiments. Concernant la maison de maître, le rapport relève notamment son ancienneté, la notoriété de l'auteur et la portée de son œuvre, son architecture de première qualité et d'un grand intérêt, la qualité de sa mise en oeuvre, son excellent état de préservation extérieure et intérieure, ainsi que son environnement privilégié.

d. Dans le cadre du nouveau recensement architectural du canton de Genève (RAC‑2022), validé par la commission scientifique de suivi le 5 avril 2023, la valeur « exceptionnel » a été attribuée aux bâtiments nos B 1______ et B 2______ (fiches de recensement RAC-CLG-3015 et RAC-CLG-3016).

B. a. Le 27 janvier 2023, A______ a déposé une requête en autorisation de construire portant en substance sur la transformation et la rénovation du bâtiment n° B 1______, sur la démolition et la reconstruction d'une piscine avec pool house, et sur l'abattage et/ou élagage d'arbres hors forêt.

b. Dans le cadre de l’instruction de la requête, la commission des monuments de la nature et des sites (ci-après : CMNS) a effectué, le 8 mars 2023, une visite sur place et a établi un rapport le même jour ayant pour but de « confronter le projet à la substance patrimoniale des lieux, en particulier pour ce qui concerne les aménagements intérieurs ». Il a relevé que la maison de maître et la dépendance avaient gardé des éléments dignes de protection qui devraient être préservés.

c. Par préavis du 28 mars 2023, la CMNS a rendu un préavis favorable à l'inscription à l'inventaire des bâtiments nos B 1______ et B 2______, des murs, du portail de la parcelle n° 206 de la commune.

d. Par préavis du 11 avril 2023, la CMNS a requis la modification du projet. Elle n'était pas opposée au principe général de l'intervention relative à la maison de maître mais elle demandait que l'ensemble du système porteur du bâtiment soit impérativement préservé, à savoir : les façades et murs anciens, les éléments structurels des caves voûtées des planchers et de la charpente. Elle admettait par ailleurs l'implantation du pool house mais estimait que le parti architectural proposé, avec sa toiture inspirée de celle de la maison de maître et ses oeils‑de‑bœuf, paraissait mal accordé à l'usage de cet équipement moderne qui gagnerait en discrétion avec un toit plat intégrant.

e. Le service des monuments et des sites (ci-après : SMS), sur délégation de la CMNS, a rendu un préavis favorable sous conditions le 21 juin 2023. Il a notamment relevé qu'après analyse des modifications apportées au projet, les solutions adoptées répondaient dans une large mesure aux remarques émises par la CMNS dans son préavis du 11 avril 2023.

f. L’autorisation de construire DD 6______ a été délivrée le 10 juillet 2023 par le département du territoire (ci-après : le département) et est entrée en force. Les travaux n'ont à ce jour pas encore été exécutés.

C. a. Par décision du 22 janvier 2024, le département a ouvert une procédure d'inscription à l'inventaire des immeubles dignes d'être protégés des bâtiments nos B 1______ et B 2______, des murs, du portail et de la parcelle n° 206.

b. Le 6 février 2024, la commune a indiqué ne pas avoir d'observation particulière à formuler.

c. Par arrêté du 12 novembre 2024, le département a inscrit à l'inventaire des immeubles dignes d'être protégés les bâtiments nos B 1______ et B 2______, les murs, le portail et la parcelle n° 206.

D. a. Par acte du 13 décembre 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cet arrêté, concluant, principalement, à son annulation, subsidiairement au renvoi du dossier au département afin qu'il déclare irrecevable la demande de mise à l'inventaire, plus subsidiairement, au renvoi du dossier au département afin qu'il constate que les bâtiments nos B 1______ et B 2______ devaient être inscrits à l'inventaire des immeubles dignes d'être protégés, à l'exception du reste de la parcelle.

Le département avait délivré l'autorisation de construire DD 6______ en date du 10 juillet 2023 et ce n'était que le 22 janvier 2024 qu'il avait formellement ouvert une procédure d'inscription à l'inventaire des bâtiments sis sur la parcelle n° 206. Dès lors qu'à cette date, le SMS, sur délégation de la CMNS, avait déjà préavisé favorablement la demande d'autorisation de construire DD 6______, portant notamment sur la transformation de la maison de maître, le département aurait dû déclarer la demande de mise à l'inventaire irrecevable, en application de l'art. 7 al. 2 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05). L'arrêté querellé consacrait ainsi une violation de cette disposition.

Le principe de la bonne foi avait été violé en tant que la CMNS, représentée lors de ses visites en date des 7 décembre 2022 et 9 mars 2023 par F______, s'était engagée auprès du recourant à n'ouvrir une procédure d'inscription à l'inventaire de la parcelle qu'une fois les travaux de la DD 6______ exécutés. Elle l'avait fait savoir à son architecte, G______, ainsi qu'à H______, lequel l'assistait notamment pour la gestion de sa parcelle et de ses constructions. Ainsi, la CMNS et le département n'avaient pas tenu leur engagement selon les promesses données. Le recourant s'était fié à leurs indications pour mettre en vente sa propriété en fixant son prix sans considération de la mise à l'inventaire de l'ensemble des constructions et du terrain, et en donnant des assurances à ce propos aux acquéreurs potentiels. La perte de valeur engendrée par l'arrêté querellé lui causerait un préjudice irréparable.

D'après les considérations de la CMNS, la parcelle n° 206 ne présentait pas, en elle‑même, un intérêt digne d'être protégé au sens de l'art. 4 LPMNS. Contrairement à ce que retenait le département, il était tout à fait possible de préserver la maison de maître et la dépendance sans avoir besoin d'inscrire à l'inventaire l'ensemble du terrain qui l'entourait. Le but de la mesure serait donc atteint par la seule mise à l'inventaire de ces deux bâtiments, de sorte que le principe de proportionnalité avait été violé.

b. Le 31 janvier 2025, le département a conclu au rejet du recours.

L'art. 7 al. 2 LPMNS ne trouvait pas application lorsque, comme en l'espèce, la mise à l'inventaire était faite à l'initiative du département en l'absence d'une demande de mise sous protection. Cette disposition visait par ailleurs essentiellement les demandes faites par des associations d'importance cantonale et son but ne consistait pas à donner sans autre au requérant le droit de mener des travaux à leur terme avant qu'une décision en matière de protection ne soit prise.

La mesure litigieuse n'avait pas été rendue en violation des principes de coordination et de la bonne foi. L'autorisation de construire DD 6______ avait été délivrée alors que la protection patrimoniale était déjà prise en compte et la portée de la mesure de protection avait été appréhendée avec les travaux autorisés. Le département, tout comme les différents services et instances qui étaient intervenus, avait agi en toute connaissance de cause, sans adopter de comportements contradictoires.

À supposer que la CMNS ait tenu les propos allégués par le recourant – ce qui était contesté –, il ne lui incombait pas de prendre un tel engagement, dès lors qu'elle n'était pas l'autorité habilitée à ouvrir ou clore la procédure de mise à l'inventaire.

Le recourant ne démontrait pas un préjudice subi, dès lors que sous l'angle des travaux autorisés, il avait été démontré qu'ils pourraient être menés sans qu'un traitement différent leur soit donné du fait de la mise sous protection. En toute hypothèse, il ne faisait aucun doute qu'au moment du dépôt de sa requête en autorisation de construire, le recourant n'ignorait pas qu'une mesure de protection était examinée et allait être prise à l'endroit de ses immeubles.

Les spécialistes avaient confirmé le caractère digne d'intérêt de la parcelle et des éléments non cadastrés protégés. Assurer la protection de la parcelle ainsi que celle de ses éléments caractéristiques dignes d'intérêt répondait à un intérêt public évident, et leur mise sous protection par une inscription à l'inventaire était parfaitement adéquate pour atteindre le but de protection fixé. Il s'agissait par ailleurs d'une mesure de moindre intensité que le classement. Le recourant conservait ses prérogatives liées au droit de propriété, notamment celles autorisées par la DD 6______. Le seul fait qu'il ne pouvait pas disposer librement de son bien et devait consulter la CMNS ou le SMS pour tout projet ne pouvait être considéré comme une entrave insupportable à la garantie de la propriété.

c. Dans sa réplique du 3 avril 2025, le recourant a persisté dans ses conclusions.

Les aménagements paysagers et extérieurs n'avaient cessé d'évoluer au fil du temps et encore récemment, et n'avaient ainsi aucune valeur patrimoniale spécifique. Cette protection étendue à la parcelle entière entraînerait des conséquences évidentes pour le recourant dans la mesure où le département pourrait s'appuyer sur la décision querellée pour interdire tout futur projet de construction sur la parcelle au motif qu'elle dénaturerait la substance patrimoniale du jardin qui devrait demeurer intact.

Le 13 décembre 2024, le recourant avait déposé une requête en autorisation de construire portant sur la transformation et la rénovation d'une dépendance – aménagement de deux logements, ouvert sous référence DD 7______/1, en cours d'instruction. La parcelle n° 206 étant située dans la zone de protection des rives du lac, la CMNS avait été appelée à se prononcer sur le projet et elle avait rendu son préavis en date du 3 mars 2025. Aussi, peu importait qu'une mise à l'inventaire soit prononcée pour que tout projet en lien avec la parcelle puisse être vérifié par la CMNS pour s'assurer de la protection des éléments dignes d'intérêt. Le but recherché par la mise à l'inventaire de la parcelle était donc déjà atteint par l'exigence de consultation de la CMNS en application de la loi sur la protection générale des rives du lac du 4 décembre 1992 (LPRLac - L 4 10).

Les parcelles voisines nos 207 et 208 avaient également fait l'objet d'un arrêté du département du 12 novembre 2024 inscrivant à l'inventaire des immeubles dignes d'être protégés non lesdites parcelles dans leur intégralité mais limitant leur inscription à certaines parties. Le département avait violé le principe de l'égalité de traitement puisqu'il avait statué différemment dans ces deux dossiers alors que les parcelles concernées étaient contiguës et présentaient des caractéristiques similaires.

d. À la suite à d'un échange d'écritures spontanées, les parties ont été informées que la cause restait gardée à juger.

e. Les arguments des parties et le contenu des pièces seront repris, en tant que besoin, dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 -LPA - E 5 10).

2.             Le recourant a conclu, préalablement, à la nomination d'un expert judiciaire afin de déterminer l'influence de la mise à l'inventaire de la parcelle n° 206 et de ses constructions sur la constructibilité et la valeur de celles-ci. Il s'agissait d'un élément de fait dont il ne pouvait être exigé de lui qu'il en apporte la preuve, étant précisé que les expertises privées n'avaient qu'une valeur d'allégué sans force probante. Il a également sollicité l'audition d'G______, de H______ et de F______ afin que la chambre de céans puisse être renseignée sur les assurances données par le département quant au fait que la procédure de mise à l'inventaire ne débuterait pas avant l'exécution des travaux de la DD 6______.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour la personne intéressée de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. Il n'empêche toutefois pas l'autorité de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_359/2022 du 20 avril 2023 consid. 3.1 et les références citées).

2.2 Comme cela découle des considérants qui suivent, les actes d’instruction sollicités sont sans incidence sur l’issue du litige. Par ailleurs, les pièces au dossier, notamment les reportages photographiques, ainsi que la consultation du système d’information du territoire genevois (ci-après : SITG) permettent de visualiser la parcelle en question et de se faire une idée précise de ses caractéristiques et de son environnement.

Il ne sera ainsi pas donné suite à la requête d’actes d'instruction, le dossier de la chambre de céans étant en état d’être jugé.

3.             Le litige porte sur la conformité au droit de la mise à l’inventaire des immeubles dignes d'être protégés des bâtiments nos B 1______ et B 2______, des murs, du portail et de la parcelle n° 206.

3.1 Le recourant estime tout d'abord que le département a violé l'art. 7 al. 2 LPMNS en ne déclarant pas irrecevable la demande de mise à l'inventaire dès lors qu'à la date de l'ouverture de la procédure d'inscription à l'inventaire par le département, soit le 22 janvier 2024, le SMS, sur délégation de la CMNS, avait déjà préavisé favorablement la demande d'autorisation de construire DD 6______.

3.2 Selon l'art. 7 LPMNS, il est dressé un inventaire de tous les immeubles dignes d’être protégés au sens de l'art. 4. Si une demande d’inscription à l’inventaire est faite sous forme d’une requête motivée par la commune du lieu de situation de l’immeuble en cause ou par une association au sens de l’art. 63 de la loi, l’autorité compétente pour dresser l’inventaire est tenue de statuer. Sa décision est motivée (al. 1). Si la demande de mise à l’inventaire porte sur un immeuble dont la démolition ou la transformation a fait l’objet d’un préavis favorable de la CMNS et est prévue par une autorisation de construire ou de démolir en force, elle est sans délai déclarée irrecevable (al. 2).

3.3 L’art. 7 al. 2 LPMNS règle la question de la concurrence entre une procédure d’autorisation de construire et la procédure de mise à l’inventaire. Elle a pour but d’éviter les demandes de mise à l’inventaire dilatoires, ainsi qu’il ressort de l’exposé des motifs lié à la modification de la loi du 23 janvier 2004 (PL 8'705), dont la teneur était très proche du texte actuel entré en vigueur le 4 août 2005 : « Un nouvel article 7 alinéa 4 est proposé, ainsi qu'une modification de l'article 10 alinéa 3 de la loi. Ces deux articles prévoient que si la CMNS a rendu un préavis favorable et que la mesure est prévue dans une autorisation de construire ou de démolir en force, la demande de mise à l'inventaire ou la demande de classement sera déclarée sans délai irrecevable. Il ne semble effectivement pas acceptable qu’une demande de mise à l’inventaire ou de classement puisse remettre en cause des autorisations de démolir ou des plans d’affectations du sol récemment entrés en vigueur et ayant fait l’objet d’un préavis favorable » de la CMNS (MGC 2002/X pp. 4663 et ss).

Sauf à rendre illusoire la protection fondée sur l’art. 7 LPMNS, il s’agit d’admettre, avec la jurisprudence et la doctrine, qu’une mesure de protection puisse intervenir justement au moment où un propriétaire prend des dispositions susceptibles de porter atteinte à la substance patrimoniale d’un bâtiment (ATA/434/2018 du 8 mai 2018 consid. 4 ; ATA/360/2010 du 1er juin 2010 consid. 5 ; RDAF 1984 142 ; Gabriel AUBERT, Protection du patrimoine architectural : tendances récentes du droit de la construction - le cas de Genève », in DC 1984/3 p. 44 à 48).

3.4 Selon l'art. 12 du règlement d’application de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 mars 2023 (RPMNS - L 4 05.01), la procédure au sens de l'art. 7 LPMNS est ouverte sur décision du département (al. 1). Le dossier est transmis, pour préavis, à la commission et à la commune du lieu de situation, à moins qu'elle ne soit requérante, la demande valant alors préavis favorable (al. 3)

L'art. 47 LPMNS prévoit que l'avis de la CMNS est consultatif. Elle donne son préavis sur tous les objets qui, en raison de la matière, sont de son ressort. Elle se prononce en principe une seule fois sur chaque demande d’autorisation, les éventuels préavis complémentaires étant donnés par l’OPS et des sites par délégation de la CMNS (al. 1). Elle peut déléguer ses pouvoirs à des sous‑commissions permanentes ainsi qu’à l’OPS (al. 3).

3.5 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1 ; 135 II 416 consid. 2.2). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 135 II 243 consid. 4.1 ; 133 III 175 consid. 3.3.1).

3.6 La chambre administrative a déjà eu l'occasion de se pencher sur la conformité avec l'art. 7 al. 2 LPMNS d'un arrêté de mise à l'inventaire d'un immeuble. Dans un premier arrêt, le bâtiment en question avait fait l'objet d'une demande d'autorisation de construire (ainsi que d'une demande complémentaire d'autorisation de construire) et dans ce cadre, le SMS avait initié l’ouverture de la procédure en vue de l’inscription à l’inventaire. La chambre de céans a retenu que les conditions entraînant l’irrecevabilité de la demande de mise à l’inventaire selon l'art. 7 al. 2 LPMNS n'étaient pas réalisées dans la mesure où « la CMNS ne s’est pas prononcée dans le cadre de la procédure principale puis complémentaire en autorisation de construire » (ATA/360/2010 du 1er juin 2010 consid. 5).

Dans un second cas, la chambre de céans avait retenu que « les conditions qui entraîneraient l’irrecevabilité de la demande de mise à l’inventaire ne sont pas réalisées, dans la mesure où la CMNS a demandé un projet modifié dans le cadre de la DD 102'558 et ne s’est pas à nouveau prononcée sur ce projet. La recourante a obtenu une autorisation de construire le 7 août 2009 dans le cadre de cette procédure et elle a donc pu exécuter les travaux projetés. Quant à la procédure DP 8______, la CMNS avait rendu un préavis défavorable au projet et les procédures DD 9______/1 et 10______/2 sont postérieures à la requête de mise à l’inventaire et ne se sont pas avérées incompatibles avec la mesure » (ATA/434/2018 consid. 4).

3.7 En l'espèce, le recourant a déposé le 27 janvier 2023 une demande d'autorisation de construire DD 6______ portant notamment sur la transformation et la rénovation de la maison de maître. Le 11 avril 2023, la CMNS a rendu, dans le cadre de l'instruction de cette demande, un préavis demandant un projet modifié. Le 21 juin 2023, sur délégation de la CMNS au sens de l'art. 47 LPMNS précité, le SMS a rendu un préavis favorable, précisant que les solutions adoptées répondaient dans une large mesure aux remarques émises par la CMNS dans son préavis. Il convient de retenir que la CMNS a rendu un préavis favorable à la requête en autorisation de construire en application de l'art. 47 LPMNS, ce que le département admet d'ailleurs dans le cadre de sa réponse.

Le 10 juillet 2023, le département a délivré l'autorisation de construire sollicitée, entrée en force, et c'est le 22 janvier 2024 qu'il a ouvert formellement la procédure d'inscription à l'inventaire des bâtiments et de la parcelle n° 206, à la suite du préavis favorable à l'inscription à l'inventaire rendu par la CMNS le 28 mars 2023.

3.8 Selon le département, l'art. 7 al. 2 LPMNS n'est pas applicable dans le cas d'espèce, dès lors qu'il n'y avait pas eu de « demande » de mise sous protection telle que mentionnée à l'al. 1 de cette disposition. Elle avait été ouverte à son initiative seulement, et non à la demande d'une commune du lieu de situation de l’immeuble en cause ou d'une association. L'art. 7 al. 2 LPMNS résultait de l'intention du législateur d'éviter une intervention inopportune, émanant d'entités non rattachées à l'administration cantonale, en particulier les associations précitées, propre à entraver des projets déjà approuvés par la CMNS et validés par l'autorité de décision.

Il ressort en effet du texte clair de la loi que l'art. 7 al. 2 LPMNS ne traite que de la recevabilité d'une « demande » d'inscription à l'inventaire provenant de la commune ou d'une association d'importance cantonale au sens de l'art. 63 LPMNS, et non lorsque le département procède d'office comme ici, sur proposition de la CMNS. On ne voit d'ailleurs guère comment l'autorité pourrait rendre une décision d'irrecevabilité sur une demande qui n'a jamais été faite.

Il sera encore précisé que le préavis favorable de la CMNS à l'inscription à l'inventaire, datant du 28 mars 2023, est antérieur à la délivrance de la DD 6______, intervenue le 10 juillet 2023. Rien n'aurait par ailleurs empêché le recourant de mettre en oeuvre l'autorisation de construire après son entrée en force, soit près de cinq mois avant l'ouverture de la procédure en inscription à l'inventaire le 22 janvier 2024.

Il n'est par ailleurs pas contesté que la mesure de protection n'a pas été rendue en violation du principe de coordination et que la portée de cette mesure de protection a été appréhendée avec les travaux autorisés, comme le fait valoir le département.

En conséquence, le grief lié à la violation de l'art. 7 al. 2 LPMNS sera rejeté.

4.             Le recourant reproche ensuite une violation du principe de la bonne foi en tant que la CMNS, représentée lors de ses visites en date des 7 décembre 2022 et 9 mars 2023 par F______, s'était engagée auprès de lui à n'ouvrir une procédure d'inscription à l'inventaire de la parcelle qu'une fois les travaux de la DD 6______ exécutés. Elle l'avait fait savoir à son architecte, G______, ainsi qu'à H______, lequel l'assistait notamment pour la gestion de sa parcelle et de ses constructions. Ce nonobstant, la CMNS avait rendu un préavis favorable à l'inscription à l'inventaire en date du 28 mars 2023 alors que l'autorisation de construire n'avait pas encore été délivrée, ce qui avait conduit à l'ouverture de la procédure de mise à l'inventaire et au prononcé de l'arrêté querellé alors que les travaux n'avaient pas encore été mis en oeuvre. Ainsi, la CMNS, respectivement le SMS pour le département, n'avaient pas tenu leur engagement selon les promesses données. Il s'était fié à leurs indications pour mettre en vente sa propriété en fixant son prix sans considération de la mise à l'inventaire de l'ensemble des constructions et du terrain, et en donnant des assurances à ce propos aux acquéreurs potentiels. La perte de valeur engendrée par l'arrêté querellé lui causait un préjudice irréparable.

4.1 Aux termes de l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'État et les particuliers doivent agir conformément aux règles de la bonne foi. Cela implique notamment qu'ils s'abstiennent d'adopter un comportement contradictoire ou abusif (ATF 136 I 254 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_145/2019 du 3 juin 2020 consid. 6.3.2). De ce principe découle notamment le droit de toute personne à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l'État, consacré à l'art. 9 in fine Cst. (ATF 138 I 49 consid. 8.3.1). Le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de celles-ci. Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronés de l'administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que l'autorité soit intervenue dans une situation concrète à l'égard de personnes déterminées, qu'elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et que l'administré n'ait pas pu se rendre compte immédiatement de l'inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore qu'il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice, que la réglementation n'ait pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée et que l'intérêt à l'application correcte du droit n'apparaisse pas prépondérant (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_41/2024 du 9 décembre 2024 consid. 4.1).

4.2 La procédure de mise à l'inventaire au sens de l'art. 7 LPMNS est ouverte sur décision du département (art. 12 al. 1 LPMNS).

La décision est rendue par voie d'arrêté départemental (art. 13 RPMNS).

Selon l'art. 5 RPMNS, la CMNS a pour mission de conseiller l’autorité compétente (al. 1). L'al. 2 de cette disposition traite de ses attributions spécifiques et prévoit notamment, en lien avec les procédures de mise à l'inventaire, qu'elle a pour attributions de formuler ou d'examiner les propositions d'inscription ou de radiation d'immeubles à l'inventaire (art. 7 let. a LPMNS) et de donner son préavis sur tout projet de travaux concernant un immeuble inscrit à l'inventaire (art. 9 let. b LPMNS).

4.3 Il ressort des dispositions règlementaires précitées que c'est le département qui est compétent pour ouvrir la procédure en inscription à l'inventaire et pour prendre une décision à l'issue de l'instruction.

Or, F______ est une architecte agissant pour le compte du SMS et de la CMNS. La CMNS n'est donc pas l'autorité habilitée à ouvrir une procédure de mise à l'inventaire et dispose uniquement des compétences qui lui sont dévolues par l'art. 5 RPMNS précité. Il en va de même du SMS qui n'a aucune compétence dans le cadre d'une procédure d'inventaire au sens de la LPMNS et de son règlement et qui est intervenu s'agissant de la parcelle, propriété du recourant, uniquement dans le cadre de l'autorisation de construire DD 6______. Aussi, à supposer que F______ ait tenu les propos que lui prête le recourant, elle aurait agi hors des limites de sa compétence et un tel engagement ne lierait pas l'autorité intimée au sens de la jurisprudence précitée. Il sera au demeurant encore relevé que dans son préavis du 11 avril 2023, rendu pour le compte de la CMNS dans le cadre de la DD 6______ précitée, F______ a au contraire expressément rappelé « sa demande de mise sous protection » et s'est référée au contenu de son « préavis ad hoc relatif à l'ouverture de la mesure d'inscription à l'inventaire rendu ce jour ».

De toute manière, comme déjà relevé, les travaux de mise en oeuvre de la DD 6______ auraient pu être exécutés dès son entrée en force, alors que l'ouverture formelle de la mise à l'inventaire n'est intervenue que cinq mois plus tard. De même, la mesure de protection n'a pas été rendue en violation du principe de coordination et la portée de cette mesure de protection a été appréhendée avec les travaux autorisés.

Par conséquent, le grief est mal fondé.

5.             Le recourant reproche au département une violation du principe de la proportionnalité.

5.1 L'art. 4 LPMNS prévoit que sont protégés les monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture et les antiquités immobilières situés ou découverts dans le canton, qui présentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif, ainsi que les terrains contenant ces objets ou leurs abords (let. a) et les immeubles, les sites dignes d'intérêt, ainsi que les beautés naturelles (let. b).

5.2 La LPMNS contient des concepts juridiques indéterminés qui laissent par essence à l’autorité comme au juge une latitude d’appréciation considérable. Il apparaît en outre que, depuis quelques décennies en Suisse, les mesures de protection ne s’appliquent plus uniquement à des monuments exceptionnels ou à des œuvres d’art mais qu’elles visent des objets très divers du patrimoine architectural du pays, parce qu’ils sont des témoins caractéristiques d’une époque ou d’un style (Philip VOGEL, La protection des monuments historiques, 1982, p. 25). La jurisprudence a pris acte de cette évolution (ATF 126 I 219 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_300/2011 du 3 février 2012 consid. 5.1.1).

Tout objet construit ne méritant pas une protection, il y a lieu de procéder à une appréciation d’ensemble, en fonction des critères objectifs ou scientifiques. Pour le classement d’un bâtiment, la jurisprudence prescrit de prendre en considération les aspects culturels, historiques, artistiques et urbanistiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes. Elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d’une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (ATF 120 Ia 270 consid. 4a ; 118 Ia 384 consid. 5a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_32/2012 du 7 septembre 2012 consid. 6.1 ; ATA/1024/2019 du 18 juin 2019 consid. 3d).

5.3 De jurisprudence constante, si la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l’appréciation qu’est amenée à effectuer l’autorité de recours (ATA/559/2025 du 20 mai 2025 consid. 2.7 ; ATA/1024/2019 du 19 juin 2019 et les arrêts cités).

Le département jouit toutefois, sous réserve d'excès ou d'abus de pouvoir, d'une certaine liberté d'appréciation dans les suites à donner dans un cas d'espèce, quel que soit le contenu du préavis, celui-ci n'ayant qu'un caractère consultatif (ATA/559/2025 du 20 mai 2025 consid. 2.5 ; ATA/1024/2019 précité consid. 3d).

5.4 Le RAC, dont la réalisation incombe au service de l’IMAH, a été mis en œuvre dans le cadre de l’adoption de la LPMNS et a été conduit régulièrement jusqu’au début des années 1990. Il a ensuite porté ponctuellement sur des secteurs géographiques particuliers ou des thèmes. Depuis 2015, il s'inscrit dans le cadre de l'adoption du PDCn 2030 (fiche A 15 : Préserver et mettre en valeur le patrimoine) et vise à mettre à jour et à compléter les données recueillies dans les années 1970-2000.

5.5 Le RAC permet de déterminer la valeur patrimoniale des bâtiments et ainsi, notamment, d’orienter l’adoption des mesures de protection mais n’implique pas l’adoption automatique de ces mesures (ATA/842/2023 du 9 août 2023 consid. 5.4). L’évaluation repose sur une échelle de quatre valeurs : exceptionnel, intéressant, intérêt secondaire et sans intérêt, la valeur « non évalué » étant réservée aux bâtiments non accessibles (ATA/559/2025 du 20 mai 2025 consid. 2.9).

La valeur « intéressant » est attribuée aux bâtiments présentant au moins l’un des critères suivants : degré satisfaisant de conservation de la substance architecturale, grande qualité architecturale, structurelle ou décorative, de niveau local ou régional ; exemplarité ou originalité de son architecture (caractère constructif, stylistique, typologique) ; ancienneté ; valeur historique : témoignage d’une activité particulière ; résidence d’un personnage historique ou d’une personne morale ayant une notoriété locale ou régionale ; théâtre d’un évènement historique de portée locale ou régionale, notoriété régionale de son architecte, appartenance à un ensemble ou à un site d’intérêt, de niveau local ou régional (ATA/559/2025 précité consid. 2.9.)

5.6 Il est indéniable que l'inscription à l'inventaire de la parcelle et des bâtiments porte une atteinte importante au droit de la propriété du recourant (art. 26 Cst.) en tant qu'elle a pour effet d'en interdire la démolition et d'obliger le propriétaire à préserver et entretenir les éléments dignes de protection (art. 9 al. 1 LPMNS ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_5/2025 du 24 juillet 2025 consid. 4). Pour être admissible, une telle mesure de protection doit reposer sur une base légale, être justifiée par un intérêt public et être proportionnée au but visé (art. 36 al. 1 à 3 Cst).

D'après la jurisprudence, les restrictions de la propriété ordonnées pour protéger les monuments et les sites naturels ou bâtis sont en principe d'intérêt public (ATF 135 I 176 consid. 6.1 ; ATF 126 I 219 consid. 2c ; arrêt 1C_485/2020 du 28 juin 2021 consid. 4.1).

5.7 Il appartient de façon prioritaire aux autorités des cantons de définir les objets méritant protection (ATF 129 I 337 consid. 4.1 ; 120 Ia 270 consid. 3b). Tout objet ne méritant pas une protection, il faut procéder à un examen global, objectif et basé sur des critères scientifiques, qui prenne en compte le contexte culturel, historique, artistique et urbanistique du bâtiment concerné. Les constructions qui sont les témoins et l'expression d'une situation historique, sociale, économique et technique particulière, doivent être conservés. De plus, la mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes ; elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d'une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (arrêt 1C_5/2025 précité consid. 4.2 ; ATF 135 I 176 consid. 6.2).

5.8 Le principe de proportionnalité exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive, En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 140 I 168 consid. 4.2.1.). Sous ce dernier aspect, une mesure de protection des monuments est incompatible avec la Constitution si elle produit des effets insupportables pour le propriétaire ou ne lui assure pas un rendement acceptable. Savoir ce qu'il en est dépend notamment de l'appréciation des conséquences de la mesure, des points de vue de l'utilisation future du bâtiment et des possibilités de rendement pour son propriétaire (arrêt 1C_5/2025 précité consid. 4.3 et les références citées).

5.9 En l'espèce, la mesure de protection litigieuse se fonde sur une base légale formelle, à savoir sur les art. 4 et 7 LPMNS.

Le recourant ne remet pas en soi, à juste titre, l'intérêt digne de protection de la maison principale (bâtiment n° B 1______) et de son bâtiment de dépendance (bâtiment n° B 2______). En effet, tant le nouveau recensement architectural (RAC‑2022) que les rapports de visite du 7 décembre 2022 ont attribué la valeur « exceptionnel » à ces bâtiments.

Le recourant considère en revanche que la mise sous protection de l'ensemble de la parcelle n° 206, ainsi que les murs d'enceinte et le portail, violent le principe de la proportionnalité.

5.10 L'autorité intimée indique dans sa réponse qu'elle s'est appuyée sur le préavis de la CMNS du 28 mars 2023, favorable à une mise sous protection, ainsi que sur le recensement architectural et les rapports de visite du 7 décembre 2022. Dans ces deux rapports, il est fait mention de l'environnement privilégié et de grande qualité de ces édifices. S'agissant des aménagements extérieurs, la fiche du RAC‑2022, consacrée à la maison de maître, souligne que « les aménagements extérieurs sont de haute qualité et possèdent, en partie, des origines anciennes : les cheminements sinueux datent sans doute de l'origine ; mais on constate que leur parcours a été raccourci du côté du lac (photographie aérienne de 1932), alors que la terrasse côté jardin a changé de forme. En amont, l'accès à la propriété se fait par un grand portail à large ouverture cochère centrale, flanquée de deux colonnes les séparant d'une paire de portes piétonnes (le tout déplacé à une date récente). L'une des colonnes porte l'inscription "C______" sur une plaque métallique ». Le département précise encore dans ses écritures que le portail d'entrée a été évalué en valeur 3 (intéressant) puis en valeur « remarquable » dans les recensements architecturaux de 1992 et 1997. S'agissant des murs, il relève qu'ils sont d'origine et qu'ils bordent la rampe B______, classée voie d'importance nationale avec substance selon l'inventaire des voies de communications historiques de la Suisse (IVS).

Le préavis de la CMNS du 28 mars 2023 se réfère à la parcelle n° 206 et au portail, en exposant « le très beau jardin aménagé, ceint de murs et d'un portail avec piles, ferronnerie et porte piétonne donnant sur la rampe B______, construit en 1858 et déplacé en 2004 ». L'arrêté querellé, reprenant cette appréciation, conclut que ces bâtiments et aménagements présentent un intérêt sur le plan patrimonial et sont dignes de protection au sens de l'art. 4 LPMNS. Elle ajoute que les effets de la mesure seront étendus à l'entier de la parcelle ainsi qu'aux éléments non cadastrés dignes de protection, soit les murs d'enceinte et le portail, en tant qu'ils contribuent indéniablement à la qualité de l'environnement des bâtiments ; que la préservation des bâtiments n'avait de sens que si le terrain qui l'entourait permet leur mise en valeur.

Le recourant soutient que le fait qu'un jardin entourant des bâtiments dignes de protection soit bien entretenu et esthétiquement agréable ne suffit pas à justifier son inscription à l'inventaire au même titre que lesdits bâtiments, sauf à étendre de manière excessive et contraire à la jurisprudence le champ des biens méritant une mesure de protection. Toutefois, les appréciations faites par les spécialistes en matière de protection du patrimoine susvisées illustrent les qualités intrinsèques et paysagères dignes de protection de la parcelle et des éléments qui s'y trouvent, et le fait qu'ils n'aient pas été expressément définis comme exceptionnels n'est pas déterminant, dès lors que les autorités spécialisées insistent sur l'unité que forment les bâtiments dans leur environnement, ce dernier contribuant à leur mise en valeur.

Le recourant fait encore valoir qu'il ressort du reportage photographique de la parcelle n° 206 qu'il a produit que les extérieurs de la parcelle ont évolué au fil des ans. Notamment, un terrain de tennis était visible en 1932 et a été supprimé avant 1963. Une piscine extérieure a été construite en 1977 et entre 2001 et 2012, un jardin paysager a été aménagé devant le bâtiment n° B 1______ côté lac. Il ressort par ailleurs du dossier du département qu'en 2004, l'un des portails a été déplacé dans le cadre de la mise en œuvre de l'APA 11______. Ces éléments ne permettent toutefois pas de remettre en cause que les caractéristiques de la parcelle méritent d'être protégées ni le fait qu'une protection partielle ne pourrait pas atteindre le but de protection recherché. Le fait que la parcelle est située dans la zone de protection des rives du lac et que la CMNS sera de toute manière appelée à se prononcer sur tout projet de construction et à s'assurer de la protection des éléments s'y rapportant, comme le relève le recourant n'est pas pertinent en l'espèce, dans la mesure où la protection visée par la LPRLac n'est pas la même que celle visée par une mise à l'inventaire, dont le but est de garantir une protection de la maison et de ses alentours.

Pour toutes ces raisons, force est de constater que la parcelle dans son intégralité, le portail et les murs d'enceinte présentent des caractéristiques particulières au point de mériter une mesure de mise à l'inventaire.

5.11 S'agissant de la condition de la nécessité, la mise à l'inventaire apparaît être la mesure la moins contraignante parmi les possibilités offertes par la LPMNS pour atteindre le but d'intérêt public visé (arrêts 1C_696/2024 du 12 juin 2025 consid. 5.4.2 ; 1C_72/2017 du 14 septembre 2017 consid. 7.2). Elle entraîne certes l'obligation de maintenir l'immeuble et d'en préserver les éléments dignes d'intérêt (art. 9 al. 1 LPMNS), mais n'empêche en revanche pas le recourant d'apporter des transformations à la villa, respectivement à sa parcelle, pour autant que cela ne porte pas atteinte à ses qualités patrimoniales protégées. La chambre de céans a déjà jugé que la mesure imposant de consulter la CMNS ou le SMS lors du dépôt d’une demande en autorisation de construire n’entraînait pas un effet insupportable pour un propriétaire (ATA/352/2021 du 23 mars 2021 consid. 12) et ne représentait pas d'emblée une entrave insupportable à la garantie de la propriété. Une mesure d'inscription à l'inventaire n'exclut pas que le propriétaire puisse construire sur la parcelle. Les contraintes de la mesure sont moins lourdes que celles subies par tout propriétaire d'un bien-fonds situé en zone protégée ou soumis à une mesure de classement (ATA/559/2025 du 20 mai 2025 consid. 3.4 ; ATA/783/2012 du 20 novembre 2012 consid. 14 b).

S'agissant du dommage allégué par le recourant, comme vu ci-devant, si certes l'inscription à l'inventaire a pour effet d'en interdire la démolition et de l'obliger à préserver et entretenir les éléments dignes de protection, elle n'a pas pour effet de rendre inconstructible une parcelle au sens de la législation sur l'aménagement du territoire. D'ailleurs, le recourant a obtenu la délivrance de l'autorisation de construire sollicitée, à savoir la démolition et la reconstruction de la piscine et la construction d'un nouveau pool-house alors que la portée de cette mesure de protection avait été appréhendée avec les travaux autorisés. Le fait qu'il doive consulter la CMNS ou le SMS pour tout projet ne saurait être considéré comme une entrave insupportable à la garantie de la propriété. Il fait valoir qu'en soustrayant l'emprise des diverses constructions cadastrées, la parcelle dispose d'une surface non construite de 9'488 m2, disposant ainsi d'un potentiel constructible conséquent au regard de la zone 5. Toutefois, aucun élément ne laisse supposer que cette mesure de protection soit de nature à faire perdre leur valeur aux immeubles concernés, le recourant conservant le bénéfice de l'autorisation de construire DD 6______ et ses prérogatives liées au droit de propriété. Il conserve également la possibilité de vendre son bien, quand bien même la mesure empêche la démolition des parties inventoriées des bâtiments. Rien n'indique non plus qu'aucun tiers intéressé ne se porterait acquéreur de la parcelle et que le recourant ne pourrait pas en retirer un certain rendement avec la mesure de protection. En outre, selon la jurisprudence, la seule diminution des expectatives de rendement que pourrait entraîner l'inscription à l'inventaire n'est en elle-même pas suffisante pour empêcher la mesure de protection litigieuse, l'intérêt privé à une utilisation financière optimale de l'immeuble devant en principe céder le pas devant l'intérêt public lié à la protection des monuments et sites bâtis (ATF 126 I 219 consid. 2c ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_5/2025 du 24 juillet 2025 consid. 4.6.1 ; 1C_696/2024 du 12 juin 2025 consid. 5.4.3; 1C_72/2017 du 14 septembre 2017 consid. 7.3.2). Il n'est pas démontré que la mesure litigieuse mettrait le recourant dans une position financière insurmontable, si bien qu'il convient de retenir qu'elle ne portera pas une atteinte disproportionnée à son droit de propriété (arrêt du Tribunal fédéral 1C_5/2025 précité consid. 4.6.1).

Il appert ainsi que la mesure d’inscription à l’inventaire respecte le principe de proportionnalité.

6.             Enfin, le recourant fait valoir une violation du principe de l'égalité de traitement. Les parcelles voisines nos 207 et 208 avaient également fait l'objet d'une décision d'inscription à l'inventaire par le département le même jour mais contrairement à l'arrêté attaqué, il ne les avait pas inscrites dans leur intégralité mais les avait limitées à certaines parties. Le département n'aurait pas dû statuer différemment dans ces deux dossiers vu que les parcelles concernées étaient contiguës et présentaient des caractéristiques similaires.

6.1 Une décision viole le principe de l’égalité de traitement garanti par l’art. 8 Cst. lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances. Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante. La question de savoir si une distinction juridique repose sur un motif raisonnable peut recevoir une réponse différente selon les époques et suivant les conceptions, idéologies et situations du moment (ATF 138 V 176 consid. 8.2 ; 131 I 1 consid. 4.2 ; 129 I 346 consid. 6 ; Vincent MARTENET, Géométrie de l'égalité, 2003, p. 260 ss).

6.2 En l'espèce, par arrêté du 12 novembre 2024, le département a également inscrit les parcelles nos 207 et 208 à l'inventaire des immeubles dignes d'être protégés mais a limité l'inscription à « l'enveloppe extérieure (façades et toitures), les structures et la typologie du bâtiment n° B 5______, situé sur la parcelle n° 207 […], ainsi que les éléments intérieurs dignes d'intérêt du même bâtiment (escalier monumental, vitrail situé au-dessus de la cage d'escalier et cheminées en marbre d'origine) ». Il a précisé que les effets de l'inscription s'étendaient à la partie du mur d'enceinte développant sur la parcelle n° 208 le long d'une voie d'importance nationale avec substance, ainsi qu'un muret de soutènement de la première terrasse, également situé sur la parcelle n° 208.

Il ressort des pièces au dossier, plus particulièrement de l'arrêté du 12 novembre 2024 susvisé, de l'extrait cartographique et de l'extrait orthophoto du portail SITG, que le bâtiment n° B 5______ sis sur la parcelle n° 207 a été construit à une date et selon un style architectural différents de celui du recourant, ayant été « construit en 1912 par les architectes de renom I______ et J______ […] et est une imposante maison de campagne dont la typologie et l'architecture sont caractéristiques des maisons bourgeoises du début du XXe siècle ». Comme le département l'a relevé, il ne présente pas non plus la même orientation ni les mêmes vues remarquables à préserver.

Dans son arrêté, le département a motivé les raisons pour lesquelles seuls certains éléments devaient être protégés, à savoir ceux qui présentaient encore un intérêt patrimonial du fait de leur ancienneté et leur participation aux qualités paysagères des abords du bâtiment et a ajouté qu'aussi, bien qu'il convenait de considérer un objet digne de protection comme un tout, la portée de la mesure de protection serait limitée aux éléments les plus caractéristiques dignes de protection, pour tenir compte des circonstances particulières entourant les travaux menés sur le bâtiment.

Dans ses écritures, le département a encore exposé que la parcelle n° 206 formait un écrin paysager remarquable et indissociable de la maison de maître qui s'y trouvait, l'ensemble tenant d'un petit domaine. La situation de cette bâtisse était particulièrement privilégiée, édifiée en hauteur et dominant l'ensemble de la parcelle n° 206. Son implantation, orientée vers le lac, jouissait également d'une large perspective sur le jardin et ses aménagement extérieurs – d'origine pour certains – qui agrémentaient le terrain. Concernant les parcelles nos 207 et 208, celles-ci étaient moins étendues et plus étroites que la parcelle n° 206, la maison qui s'y trouvait étant par ailleurs implantée en contrebas de la parcelle n° 207, le long des axes routiers du quai B______.

D'ailleurs, si la commune B______, dans son préavis du 4 novembre 2019, a préavisé favorablement l'inscription sur le bâtiment n° B 5______ de la parcelle n° 207, elle s'est déclarée défavorable s'agissant des aménagements extérieurs, contrairement à la parcelle du recourant où la commune a indiqué ne pas avoir d'observation particulière à formuler sur le projet du département de l'inscrire entièrement à l'inventaire.

La proximité géographique de ces trois parcelles, sur laquelle se fonde le recourant pour soutenir qu'elles auraient dû bénéficier du même traitement, n'est pas pertinente dans la détermination du caractère digne de protection des immeubles et ne dispense pas d'une analyse des caractéristiques de chacun d'eux pour déterminer leur valeur patrimoniale intrinsèque. Or, au vu des éléments qui précèdent, le département était légitimé à traiter ces deux dossiers différemment, de sorte que le grief sera écarté.

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

7.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 décembre 2024 par A______ contre l'arrêté du département du territoire du 12 novembre 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge d'A______ un émolument de CHF 1'500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Cédric LENOIR, avocat du recourant, au département du territoire ainsi qu’à l’office du développement territorial (ARE).

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Claudio MASCOTTO, Michèle PERNET, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. MICHEL

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :