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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/56/2022

ATA/866/2022 du 30.08.2022 ( AMENAG ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/56/2022-AMENAG ATA/866/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 août 2022

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me François Bellanger, avocat

contre

COMMISSION FONCIÈRE AGRICOLE

 



EN FAIT

1) Madame A______ est propriétaire des parcelles nos 10'169 (3'288 m2), 11'154 (4'408 m2) et 12'961 (3'232 m2) de la commune de B______, situées en zone agricole, chemin C______ 32, 32A et 34.

2) Le 26 octobre 2021, elle a adressé à la commission foncière agricole
(ci-après : CFA) une requête en non assujettissement des parcelles au droit foncier rural.

Celles-ci n’étaient pas appropriées à l’agriculture.

3) Par décision du 9 novembre 2021, la CFA a rejeté la requête.

Les parcelles étaient sises en zone agricole. Elles étaient assujetties à la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11). Elles étaient cultivées et appropriées à l’agriculture.

4) Par acte remis au greffe le 10 janvier 2022, Mme A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation et au prononcé du désassujettissement partiel à la LDFR de la partie ouest des parcelles. Préalablement, la suspension de la procédure devait être ordonnée jusqu’à droit connu sur la requête tendant à obtenir une exception à l’interdiction de morceler portant sur la partie ouest des parcelles, qui serait prochainement déposée auprès de la CFA.

La parcelle n° 11'154 comprenait un atelier d’une surface de 153 m2 se trouvant également sur la parcelle n° 10'169. La parcelle n° 10'169 comprenait plusieurs bâtiments, dont une habitation d’un logement se trouvant également sur la parcelle n° 12'961, d’une surface de 51 m2, une habitation d’un logement de 104 m2, un atelier d’une surface de 108 m2, l’atelier, déjà mentionné, et un autre bâtiment, de 43 m2, se trouvant également sur la parcelle n° 12'961. La parcelle n° 12'961 comprenait plusieurs bâtiments, dont une habitation d’un logement d’une surface de 247 m2, une habitation de logement et le bâtiment de 43 m2 mentionné. Une partie importante des parcelles était ainsi occupée par ces bâtiments, soit en particulier trois habitations ainsi que par un jardin d’agrément et des arbres. Sur les parcelles se trouvaient également des champs cultivés. La disposition était déjà visible sur des images aériennes de 1963 et 1972. Les parcelles se trouvaient en zone agricole et depuis le 9 juin 2021, une partie accueillait des surfaces d’assolement. Selon l’inventaire agricole, les parcelles appartenaient sur la partie ouest de leur surface, aux catégories « habitations et prolongements : pelouses, jardins » et « artisanat, industrie, dépôt, chenil, etc. », et cela à compter au moins du 30 septembre 1994. L’inventaire agricole délimitait ainsi les parties ouest et est, cette dernière appartenant à la catégorie « grandes cultures, prés, pâturages, cultures maraîchères ». L’inventaire agricole avait pour objectif d’obtenir une vue d’ensemble de l’utilisation de la zone agricole afin notamment de distinguer les secteurs qui avaient gardé un caractère agricole de ceux qui l’avaient perdu.

Les faits avaient été constatés de manière inexacte. La CFA avait retenu à tort que les parcelles étaient cultivées et appropriées à l’agriculture. Elles ne l’étaient pas dans la totalité de leur surface ainsi que le relevait l’inventaire agricole et les images aériennes, mais seulement sur leur partie est.

La décision attaquée violait la loi. Les conditions du désassujettissement étaient remplies s’agissant de la partie ouest des parcelles. Celle-ci était occupée par des immeubles n’appartenant plus à une exploitation agricole depuis plusieurs dizaines années. Elle devait partant être considérée comme impropre à l’agriculture.

La décision violait le principe de proportionnalité en rejetant la requête portant sur la totalité des parcelles sans prendre en considération l’absence d’affectation et d’usage agricole des bâtiments et jardins d’agrément sur la partie ouest des parcelles.

La procédure devait être suspendue jusqu’à droit connu sur la demande d’exception à l’interdiction de morceler qu’elle s’apprêtait à déposer. La LDFR permettait des exceptions à l’interdiction de partager en parcelles de moins de 25 ares lorsque l’immeuble agricole était divisé en une partie relevant de la LDFR et une autre n’en relevant pas, par exemple car les bâtiments qu’il contenait n’étaient plus nécessaires à l’exploitation agricole ou servaient à d’autres fins, notamment d’habitation.

5) Le 28 février 2022, la CFA a conclu au rejet du recours.

Les parcelles étaient en grande partie cultivées et étaient entourées de parcelles agricoles cultivées, lesquelles étaient également en zone d’assolement, de sorte qu’elles se trouvaient dans un ensemble cohérent et actuel, propice à un usage agricole.

La recourante ne justifiait pas le désassujettissement et admettait que les parcelles étaient affectées aux cultures courantes. Son grief de constatation inexacte des faits était manifestement infondé.

Les conditions du désassujettissement total des parcelles, visé par la requête, n’étaient pas remplies. Ce n’était qu’au stade de la procédure de recours que la recourante avait conclu à un désassujettissement partiel. La seule question était de savoir si les parcelles pouvaient, dans leur intégralité, être désassujetties.

Les parcelles étaient en grande partie cultivées et la moitié environ de leurs surfaces était recensée comme surface d’assolement. Elles se prêtaient à l’agriculture. Leur qualité de surface d’assolement indiquait que le canton les considérait comme propices à l’agriculture et ne devant pas être affectées à un autre usage que l’exploitation agricole ou horticole. La protection des surfaces d’assolement figurait parmi les principes cardinaux de l’aménagement du territoire. Les bâtiments, composés en partie d’ateliers, semblaient constituer des bâtiments agricoles.

Le critère de l’aptitude sous l’angle subjectif, en l’espèce l’usage effectif des bâtiments, n’avait pas à être pris en compte dès lors que l’usage agricole des parcelles perdurait à ce jour.

Les allégations de la recourante ne permettaient pas de retenir que la légalité des constructions était réalisée. Or, la CFA ne se prononçait que s’il existait une décision exécutoire fondée sur le droit de l’aménagement du territoire et constatant la légalité de l’affectation de la construction ou de l’installation. L’interdiction du morcellement des parcelles supposait la mise en œuvre d’une procédure d’autorisation, aspect qui n’avait pas été abordé dans la requête.

La CFA s’en rapportait à justice concernant la suspension de la procédure. La requête objet de la décision querellée portait sur un désassujettissement complet. Aucune requête tendant à l’octroi d’un désassujettissement partiel n’avait été déposée. Elle tendrait au prononcé d’une solution autre que celle objet de la procédure.

6) Le 24 mai 2022, soit dans le délai prolongé pour la dernière fois au 1er juin 2022, la recourante a persisté dans ses conclusions.

Un transport sur place aurait permis à la CFA de constater par elle-même que la partie ouest des parcelles devait être désassujettie. Par sa requête, elle avait « manifesté son intention de soustraire à tout le moins une partie de ses parcelles à la LDFR, soit en sous-entendant que les parcelles n’étaient plus affectées intégralement à l’agriculture ». La rubrique « affectation/type de culture » du formulaire ne pouvait que l’induire en erreur. Constatant qu’elle n’était pas assistée d’un avocat et qu’elle souhaitait désassujettir des parcelles malgré l’existence de cultures, la CFA, qui avait semble-t-il considéré que la demande contenait une contradiction flagrante, aurait dû lui adresser un courrier lui demandant des précisions. Dans une autre procédure, la CFA avait effectué un transport sur place et constaté que la parcelle concernée était composée de deux parties d’utilité distincte, si bien qu’elle avait indiqué être d’accord pour le désassujettissement d’une partie de la parcelle et invité la requérante à lui soumettre un projet de division en deux sous-parcelles. L’affectation des bâtiments ressortait des extraits du registre foncier annexés à la requête. En considérant que les bâtiments semblaient agricoles, la CFA avait à nouveau violé la maxime inquisitoire en ne lui demandant pas une simple confirmation ou en procédant à un transport sur place. La distinction claire entre les parties est et ouest des parcelles figurait sur le site d’information du territoire genevois (ci-après : SITG). Le principe de la maxime inquisitoire avait été violé.

Dans le cadre d’un transport sur place en été 2020 concernant une autre procédure, la CFA lui avait indiqué qu’un désassujettissement de ses parcelles était envisageable car il était évident que les bâtiments présents n’avaient plus aucune affectation agricole. Lorsqu’elle avait par la suite appelé la CFA pour obtenir le formulaire de désassujettissement, rien de particulier ne lui avait été indiqué et elle avait à juste titre considéré que la demande partielle pouvait être effectuée au moyen du formulaire. Il était choquant que la CFA lui reproche une méprise.

La CFA aurait dû admettre partiellement la requête, ce qu’elle n’avait pas fait, en violation de la LDFR. Si le recours était admis, la décision annulée et la cause renvoyée à la CFA pour nouvelle décision, cette dernière devrait rendre une décision de désassujettissement partiel, sous peine de violer le principe de la proportionnalité. Si la procédure parallèle en cours devait aboutir à l’octroi d’une exception à l’interdiction de morcellement, elle pourrait adresser à la CFA une requête en désassujettissement uniquement pour l’actuelle partie ouest des parcelles et la procédure devant la chambre administrative deviendrait sans objet. Les conditions pour une suspension étaient remplies.

7) Le 24 mai 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 6 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La recourante sollicite la suspension de la procédure jusqu'à droit connu sur la requête en délivrance d’une autorisation exceptionnelle de morceler les parcelles qu’elle dit avoir soumise à la CFA.

a. Lorsque le sort d'une procédure administrative dépend de la solution d'une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d'une autre autorité et faisant l'objet d'une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu'à droit connu sur ces questions (art. 14 al. 1 LPA). Cette disposition est une norme potestative et son texte clair ne prévoit pas la suspension systématique de la procédure chaque fois qu'une autorité civile, pénale ou administrative est parallèlement saisie (ATA/1493/2019 du 8 octobre 2019 consid. 3b et l'arrêt cité).

b. En l’espèce, il sera vu plus loin que l’objet de la procédure est le désassujettissement total des trois parcelles et non un désassujettissement partiel. La cause est en état d’être jugée et sa solution juridique ne dépend pas d’un éventuel morcellement futur, si bien qu’il n’y a pas lieu de donner suite à la demande de suspension.

3) Le litige a pour objet le rejet, par la CFA le 9 novembre 2021, de la requête de la recourante du 26 octobre 2021 tendant au prononcé du désassujettissement du droit foncier rural des parcelles nos 10'169, 11'154 et 12'961 de la commune de B______.

a. L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions de la recourante et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'elle ou il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/1301/2020 du 15 décembre 2020 consid. 2b). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer.

L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si une recourante ou un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, elle ou il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/1301/2020 précité consid. 2b).

Ainsi, l'autorité de recours n'examine pas les prétentions et les griefs qui n'ont pas fait l'objet du prononcé de l'instance inférieure, sous peine de détourner sa mission de contrôle, de violer la compétence fonctionnelle de cette autorité-ci, d'enfreindre le principe de l'épuisement des voies de droit préalables et, en définitive, de priver les parties d'un degré de juridiction (ATA/1390/2021 du 21 décembre 2021 consid. 2a et les références citées).

b. En l’espèce, la requête de la recourante portait sur le désassujettissement des trois parcelles dans leur totalité ainsi qu’il ressort du sens littéral du formulaire, que la recourante ne conteste pas en tant que tel. La décision querellée s’est limitée à refuser de prononcer le désassujettissement de l’intégralité des parcelles. Il suit de là que la conclusion n° 5 du recours, tendant au prononcé du « désassujettissement partiel à la LDFR de la partie ouest des parcelles nos 10'169, 11'154 et 12'961 », commune de B______, n’est pas l’objet de la procédure, en particulier n’a pas été soumise à la CFA, et est partant irrecevable.

La recourante soutient dans sa réplique que la CFA aurait cependant dû comprendre le formulaire comme réclamant en réalité un désassujettissement partiel et compléter l’instruction dans ce sens. Elle invoque une constatation inexacte des faits ainsi que la violation des principes de la maxime inquisitoire et de la maxime d’office. Elle ne peut être suivie.

Selon la maxime inquisitoire, qui prévaut en particulier en droit public, l'autorité définit les faits pertinents et ne tient pour existants que ceux qui sont dûment prouvés ; cette maxime oblige notamment les autorités compétentes à prendre en considération d'office l'ensemble des pièces pertinentes qui ont été versées au dossier. Elle ne dispense pas pour autant les parties de collaborer à l'établissement des faits ; il incombe à celles-ci d'étayer leurs propres thèses, de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuves disponibles, spécialement lorsqu'il s'agit d'élucider des faits qu'elles sont le mieux à même de connaître (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_649/2020 du 10 novembre 2020 consid. 6.4).

En l’espèce, si la limite actuelle entre les jardins d’agrément bordant les bâtiments et les surfaces cultivées peut éventuellement être observée sur les images aériennes, elle n’a à ce jour fait l’objet d’aucun remaniement parcellaire et en particulier d’aucun morcellement qui serait cartographié publiquement, par exemple sur le système d’information du Territoire à Genève (ci-après : SITG). La recourante explique s’appuyer sur l’inventaire de la zone agricole, dont elle reproduit un extrait dans son recours. Si l’objectif de ce dernier est de recenser l’affectation des terrains situés en zone agricole et de compléter les instruments à disposition pour l’examen des requêtes dans cette zone, il ne constitue toutefois qu’une étude de base du plan directeur cantonal et n’a aucune portée légale, comme le rappelle la notice d’information sur les métadonnées publiée par le SITG et produite par la recourante.

Il suit de là que la référence à la « partie ouest » pourrait en toute hypothèse manquer de la précision nécessaire pour délimiter l’objet d’une éventuelle décision de désassujettissement partiel. Un éventuel transport sur place n’aurait pas été en mesure d’apporter plus d’informations que celles disponibles sur le SITG. Une interpellation de la recourante n’aurait dans ces circonstances pas non plus eu d’utilité.

La recourante semble consciente du problème préalable de la délimitation légale des surfaces, puisqu’elle dit avoir sollicité de la CFA dans une procédure parallèle une dérogation aux fins de procéder à un morcellement et qu’elle demande la suspension de la présente procédure dans l’attente du résultat de cette démarche.

Cela étant, la recourante n’a pas évoqué dans sa requête l’inventaire agricole, pas plus qu’elle n’a désigné ou délimité une fraction des parcelles ni spécifié qu’elle réclamait un désassujettissement partiel seulement, visant les bâtiments et les jardins les entourant, ou encore un désassujettissement en tout ou en partie, alors que cela lui était loisible (ATA/487/2022 du 10 mai 2022 ; ATA/2044/2021 du 21 septembre 2021 ; ATA/998/2021 du 28 septembre 2021). Rien ne l’empêchait de compléter le formulaire dans ce sens, et en particulier pas son statut de profane, lequel ne devait pas inciter la CFA à interpréter une requête dont elle pouvait de bonne foi tenir le sens objectif pour inéquivoque.

Il reste encore à examiner la conclusion en annulation de la décision attaquée.

4) a. La LDFR a pour but notamment d’encourager la propriété foncière rurale et en particulier de maintenir des entreprises familiales comme fondement d’une population paysanne forte et d’une agriculture productive, orientée vers une exploitation durable du sol, ainsi que d’améliorer les structures (art. 1 al. 1 let. a LDFR ; Yves DONZALLAZ, Pratique et jurisprudence du droit foncier rural 1994-1998, n. 497 p. 192) ; de renforcer la position de l’exploitant à titre personnel, y compris celle du fermier, en cas d’acquisition d’entreprises et d’immeubles agricoles (let. b), et de lutter contre les prix surfaits des terrains agricoles (let. c).

La LDFR s'applique aux immeubles agricoles isolés ou aux immeubles agricoles faisant partie d'une entreprise agricole : qui sont situés en dehors d'une zone à bâtir au sens de l'art. 15 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (Loi sur l’aménagement du territoire - LAT - RS 700 ; art. 2 let. a LDFR), et dont l'utilisation agricole est licite (let. b).

Selon l'art. 6 al. 1 LDFR, est agricole l'immeuble approprié à un usage agricole ou horticole (ATF 132 III 515 consid. 3.2 ; 128 III 229 consid. 2), à savoir celui qui, par sa situation et sa composition, peut être exploité sous cette forme (ATF 139 III 327 consid 2.1 ; Eduard HOFER, in Christoph BANDLI et al., Le droit foncier rural, Commentaire de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991, 1998, n. 7 ss ad art. 6 LDFR). En faisant abstraction des aires forestières, toutes les surfaces qui ne sont pas boisées et qui disposent d'une couche de terre suffisante pour produire de la végétation se prêtent à un usage agricole (ATF 139 III 327 consid. 2.1 ; Yves DONZALLAZ, op. cit., p. 49) ; parmi
celles-ci, on trouve les prairies, les champs, les surfaces cultivables, les cultures fruitières et les pâturages (arrêts du Tribunal fédéral 2C_14/2020 du 18 juin 2020 consid. 5.1 ; 2C_1068/2019 du 26 mai 2020 consid. 2.1). Cette notion est identique à celle des terrains se prêtant à une exploitation agricole au sens de l'art. 16 al. 1 LAT (ATF 125 III 175 consid. 2b).

Si, du point de vue des plans d'affectation locaux, l'on admet qu'un immeuble non bâti est potentiellement soumis au régime de la LDFR, il conviendra encore d'examiner dans quelle mesure l'immeuble concerné est effectivement approprié à une utilisation agricole. Dès lors, ce n'est pas seulement l'admissibilité de l'utilisation agricole au sens de la LAT qui doit être donnée, mais aussi l'aptitude concrète d'un immeuble à cette utilisation (Yves DONZALLAZ, Traité de droit agraire suisse : droit public et droit privé, vol. 2, 2006, n. 2033 p. 176).

La caractéristique de l'aptitude est d'abord d'ordre objectif (ATF 139 III 327 consid. 2.1). Elle est néanmoins tempérée par une composante d'ordre subjectif, à savoir la prise en compte de l'usage effectif qui est fait de l'immeuble. Cette composante ne revêt qu'une portée subsidiaire. Elle ne doit pas conduire à contourner la LDFR (ATF 139 III 327 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 5A.2/2007 du 15 juin 2007 consid. 3.4 ; 5A.14/2006 du 16 janvier 2007 consid. 2.2.3). Dès lors qu'elle est de nature à faire perdre au terrain sa nature agricole, elle ne peut être déterminante qu'à trois conditions cumulatives strictes : l'usage non agricole doit durer depuis quelques dizaines d'années, il ne doit plus être envisageable pour l'avenir et les installations qui ont été érigées sur le terrain doivent l'avoir été de manière légale (ATF 139 III 327 consid. 2.2 et 3).

Dans un premier temps, l’usage non agricole doit durer depuis plusieurs années (ATF 139 III 327 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A.4/2000 du 1er septembre 2000 consid. 2b ; Message du Conseil fédéral du 19 octobre 1988 à l’appui des projets de loi fédérale sur le droit foncier rural [LDFR] et de la loi sur la révision partielle du code civil [droits réels immobiliers] et du code des obligations [vente d’immeuble], FF 1998 III 917 n. 221.3 ; Yves DONZALLAZ, Pratique et jurisprudence de droit foncier rural, op. cit., n. 62 p. 51-52 ; Eduard HOFER, op. cit., n. 16 ad art. 6 LDFR ; Yves DONZALLAZ, Commentaire de la LDFR, 1993, n. 81 p. 44). Ce critère doit être appliqué de façon stricte afin d’éviter tout comportement abusif. Le Tribunal fédéral a renoncé à fixer cette durée de manière abstraite. Il a toutefois établi qu’elle ne saurait être inférieure à quelques dizaines d’années (ATF 139 III 327 consid. 3.1). En particulier, un usage non agricole d’une dizaine d’années n’est pas suffisant (arrêt du Tribunal fédéral 5A.4/2000 précité consid. 2b).

Il faut ensuite que l’usage agricole ne soit pas non plus envisageable pour l’avenir. Dans ce cas, une approche concrète est privilégiée. Il faut en particulier que l’évaluation repose sur des éléments objectifs autres que la nature du sol. Le long usage non agricole passé permet souvent de présumer, à défaut d’éléments nouveaux, qu’il en sera de même pour l’avenir. Il suffit donc qu’un tel usage non agricole futur soit seulement vraisemblable (ATF 139 III 327 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A.4/2000 précité consid. 2b).

Finalement, les installations qui ont été érigées sur le terrain doivent l’avoir été de manière légale, que ce soit par le biais d'une autorisation au sens des art. 22 et 24 ss LAT, ou encore qu'elles aient été implantées avant l'entrée en force de cette loi, respectivement lorsque l'immeuble se trouvait dans une zone alors constructible au sens de l’art. 24c LAT (ATF 139 III 327 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_458/2021 du 2 décembre 2021 consid. 4.1).

Le fait que l’environnement général soit agricole n’est pas propre, à lui seul, à empêcher la soustraction d’un immeuble au champ d’application de la LDFR. Il est ainsi insuffisant de retenir l’existence d’immeubles agricoles plus ou moins proches pour faire obstacle à la soustraction du champ d’application de la LDFR en partant de la présomption qu’un usage agricole futur demeure possible (ATF 139 III 327 consid. 4).

Est ainsi approprié à l’agriculture l’immeuble effectivement exploité selon un mode agricole et ne l’est pas celui qui, objectivement apte à un tel usage, n’a plus été utilisé pour l’agriculture depuis de nombreuses années et ne le sera vraisemblablement plus à l’avenir (Yves DONZALLAZ, Traité de droit agraire suisse, op. cit., p. 176-177). L’usage effectif n’est en résumé pas déterminant dans la mesure où il est récent. Par contre, son existence prolongée ferait perdre au terrain sa nature objectivement agricole (ATA/807/2012 du 27 novembre 2012 consid. 3b).

b. En l'espèce, les parcelles sont situées en zone agricole. Elles sont effectivement, pour la moitié au moins de leurs surfaces, exploitées à des fins agricoles et recensées dans la même mesure comme surfaces d’assolement. Elles sont entourées de parcelles également situées en zone agricole et effectivement cultivées. La recourante ne le conteste pas.

Les parcelles sont partant appropriées à un usage agricole ou horticole au sens de l’art. 6 al. 1 LDFR. Cette qualité ne peut en l’espèce s’examiner qu’à l’échelle de leur totalité, conformément à l’objet de la requête. Elle a été admise par la CFA à bon droit.

La présente procédure n’ayant pas pour objet un désassujettissement partiel mais la totalité des parcelles, il ne peut être reproché à la CFA d’avoir violé le principe de proportionnalité pour n’avoir pas distingué les zones est et ouest. Pour les mêmes motifs, la qualification des constructions contenues sur les parcelles et la question de leur légalité sont sans portée dans la présente procédure et les griefs de constatation inexacte des faits ou de violation de la maxime inquisitoire adressés à la CFA sur ces points tombent à faux.

5) La recourante se plaint enfin de ce que la CFA lui aurait donné des assurances sur la possibilité de désassujettissement de ses parcelles et aurait violé le principe de la bonne foi en rejetant par la suite sa requête.

Elle se borne toutefois à l’alléguer dans sa réplique, sans le documenter d’aucune manière. Elle ne rend pas vraisemblable qu’elle se serait de bonne foi fiée à des assurances concrètes de l’autorité pour orienter son comportement – étant rappelé qu’il s’agissait en l’espèce du dépôt d’une demande soumise à des conditions juridiques précises et qu’il était quoi qu’il en soit loisible à la recourante de restreindre sa demande aux bâtiments et aux jardins.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

6) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 janvier 2022 par Madame A______ contre la décision de la commission foncière agricole du 9 novembre 2021 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me François Bellanger, avocat de la recourante, à la commission foncière agricole, à l’office fédéral de la justice, à l’office fédéral du développement territorial ainsi qu'à l'office fédéral de l'agriculture.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mmes Payot Zen-Ruffinen, Lauber et Michon Rieben, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Marmy

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :