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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4793/2008

ATA/146/2009 du 24.03.2009 ( DI ) , REJETE

Descripteurs : ; CONTRÔLE DE LA DÉTENTION ; JONCTION DE CAUSES ; INTÉRÊT ACTUEL ; PROPORTIONNALITÉ ; CELLULE
Normes : LPA.70; LPA.60.letb; RRIP.42; RRIP.45; RRIP.47.al3.let.f
Résumé : Il est renoncé à l'intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de légalité d'un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui , en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l'autorité de recours. La décision de mise en cellule forte du directeur de la Prison de Champ-Dollon respecte le principe de légalité (art. 42 RRIP) et de proportionnalité vu les antécédents de l'inculpé.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4793/2008-DI ATA/146/2009

 

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 24 mars 2009

 

dans la cause

 

Monsieur T______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON


 


EN FAIT

1. Monsieur T______, né le X______, est détenu à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le 7 novembre 2007, prévenu de contrainte, séquestration, enlèvement et viol.

2. Depuis cette date, M. T______ a fait l'objet de treize sanctions disciplinaires prononcées en application de l'article 47 du règlement sur le régime intérieur et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04).

3. a. En date du 27 avril 2008, un rapport avait été établi concernant le détenu dans lequel il était indiqué que celui-ci "devenait de plus en plus ingérable de façon verbale envers le personnel" et qu'il se trouvait "aujourd'hui spécialement dans un délire total contre le personnel et les détenus de l'étage".

b. Par décision du 30 avril 2008, le directeur ad interim de la prison avait ordonné le placement en régime de sécurité renforcée de M. T______ pour une durée de deux mois, soit du 4 mai au 4 juillet 2008 inclus. Cette sanction avait été justifiée par les actes et l'attitude du détenu qui avaient fait craindre la survenance de nouveaux actes de provocations tant à l'encontre du personnel de surveillance que des autres détenus et parce qu'il représentait une menace pour l'établissement et plus particulièrement pour la sauvegarde de la sécurité collective.

c. Sur recours de l'intéressé, la sanction a été confirmée par le tribunal de céans (ATA/533/2008 du 28 octobre 2008) puis par le Tribunal fédéral (Arrêt du Tribunal fédéral 1B_332/2008 du 21 janvier 2009).

4. Le 20 décembre 2008, à 7h40, lors de la promenade haute sécurité, M. T______ a insulté le personnel de surveillance et l'a menacé.

5. Le 22 décembre 2008, la direction a ordonné le placement immédiat du prévenu en cellule forte pour deux jours. La décision remise le même jour à M. T______ comportait la mention que cette punition était exécutoire nonobstant recours, ainsi que les voie et délai de recours.

6. M. T______ a déposé un "recours" auprès du Tribunal administratif contre la décision susmentionnée par acte daté du 26 décembre 2008 et reçu le 5 janvier 2009 (cause A/4793/2008). Depuis son arrivée à la prison, les gardiens le harcelaient psychiquement en le menaçant et encourageaient les autres détenus à adopter un tel comportement à son encontre. Le 25 mai 2008, les gardiens l'avaient frappé à la tête à plusieurs reprises, alors qu'il était déjà maîtrisé à terre.

M. T______ n'ayant pas joint la décision attaquée conformément à l'article 65 alinéa 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), le tribunal de céans lui a indiqué, par courrier du 6 janvier 2009, que celle-ci était indispensable à l'instruction de la cause.

7. Les 9 et 21 janvier 2009, M. T______ a adressé deux courriers rédigés en langue polonaise au Tribunal administratif. Ceux-ci lui ont été renvoyés avec la précision que toute correspondance lui étant destinée devait l'être dans la langue officielle en vigueur à Genève, à savoir le français. De plus, le tribunal de céans lui a imparti un délai au 15 février 2009 pour lui faire parvenir la décision attaquée, faute de quoi, son recours serait déclaré irrecevable.

8. Le 17 février 2009, le directeur de la prison a répondu au recours formé par M. T______ et conclu à son rejet.

Un placement en cellule de force aurait pu intervenir immédiatement au motif que le prévenu avait contrevenu au règlement faisant obligation aux détenus d'observer une attitude correcte à l'égard du personnel de la prison. Toutefois, les difficultés comportementales du prévenu étant connues et "intégrées" par les collaborateurs de la prison, "un seuil d'acceptabilité plus élevé que la norme avait ainsi été toléré". De plus, des contraintes organisationnelles liées à un effectif insuffisant du personnel présent avaient empêché un traitement immédiat de l'indiscipline constatée.

Toutefois, suite à l'incident du 20 décembre 2008 et après avoir procédé à une pesée des intérêts en présence, notamment la nécessité de sauvegarder l'ordre et la tranquillité dans une prison surpeuplée, la direction avait ordonné le 22 décembre 2008 le placement immédiat du prévenu en cellule forte pour deux jours.

9. Le 11 janvier 2009, dès 7h00, les gardiens de la prison ont, à nouveau, été injuriés à chaque ouverture de la cellule de M. T______. Lors de la distribution des repas, à 11h20, ce dernier était encore plus excité ; il tapait violement contre la porte, abusait de la sonnette et continuait de malmener le personnel présent en le menaçant de lui "faire la peau". Après avoir informé M. T______ des faits qui lui étaient reprochés et après l'avoir entendu, le directeur de la prison a décidé de le transférer en cellule de force pour cinq jours, du 11 au 16 janvier 2009.

La punition remise le même jour à M. T______ comportait la mention que cette décision était exécutoire nonobstant recours, ainsi que les voie et délai de recours au Tribunal administratif.

10. Par courrier interne du 5 février 2009, reçu le même jour au Tribunal administratif, M. T______ a formé un recours contre la décision du 11 janvier 2009 (cause A/374/2009). A nouveau, les gardiens avaient commencé à l'insulter et à le menacer. Il n'était donc pas à l'origine de ces incidents. Le personnel de la prison encourageait les autres détenus à adopter une attitude malveillante envers lui. Il était victime d'un cercle vicieux où ses codétenus incitaient les gardiens à le harceler verbalement et ces derniers entraînaient les résidents de la prison à suivre le même comportement. En annexe, il a produit les copies des notifications des punitions des 22 décembre 2008 et 11 janvier 2009.

11. Le directeur de la prison a fait part de ses observations le 17 février 2009 et conclut à la confirmation de la décision litigieuse. La motivation était identique à celle concernant la punition infligée le 22 décembre 2008.

12. Le 26 février 2009, le Tribunal administratif a informé les parties que sans observations complémentaires dans un délai venant à échéance le 15 mars 2009, la cause serait gardée à juger.

13. Par pli daté du 13 mars et reçu par le tribunal de céans le 16 mars 2009, la direction de la prison a complété ses écritures.

En cas d'atteinte à sa personnalité et/ou de mauvais traitements, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, le détenu pouvait transmettre les rapports d'incidents au commissaire à la déontologie selon l'article 38 alinéa 3 de la loi sur la police du 26 octobre 1957 (LPol - F 1 05) ou écrire à la commission des visiteurs officiels du Grand Conseil en vertu de l'article 40 alinéa 3 RRIP. Le directeur de la prison avait transmis une plainte de M. T______ datée du 30 janvier 2008 à la commission de la déontologie qu'il a joint à ses écritures. Plusieurs plaintes pénales formées par M. T______ avaient été adressées à Monsieur le Procureur général et étaient jointes sous la procédure P/1321/2009 actuellement en cours. Au vu de la multiplication "quasi exponentielle" des plaintes dirigées contre la direction et le personnel de surveillance de la prison, ainsi qu'au vu des nombreux recours formés par l'intéressé, l'équilibre mental de celui-ci pouvait être remis en question.

14. Par courrier daté du 10 mars 2009 et reçu par le Tribunal administratif le 16 mars 2009, M. T______ s'est à nouveau exprimé en polonais, malgré les différents plis que le tribunal de céans lui avait envoyés à ce sujet. Cette missive lui a été retournée.

EN DROIT

1. L'autorité peut, d'office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune (art. 70 al. 1 LPA).

En l'occurrence, les causes A/4793/2008 et A/374/2009 se rapportant à un complexe de faits connexes et opposant les mêmes parties, le tribunal de céans procédera à leur jonction sous le n° A/4793/2008.

2. Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a LPA).

3. a. Aux termes de l’article 60 lettre b LPA, ont qualité pour recourir, toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée et modifiée.

b. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39 consid. 2 c/aa p. 43 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1A.47/2002 du 16 avril 2002, consid. 3).

Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 131 II 361 consid. 1.2 p. 365 ; 128 II 34 consid. 1b p. 36 ; Arrêts du Tribunal fédéral 1C_69/2007 du 11 juin 2007 consid. 2.2 ; 2C_74/2007 du 28 mars 2007 consid. 2 ; H. SEILER, Handkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], Berne 2007, n. 33 ad art. 89 LTF p. 365 ; K. SPUHLER/A. DOLGE/D. VOCK, Kurzkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], Zurich/St-Gall 2006, n. 5 ad art. 89 LTF p. 167). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 p. 374 ; 118 Ib 1 consid. 2 p. 7 ; Arrêt du Tribunal fédéral 2A.732/2006 du 23 avril 2007 consid. 1 ; ATA/195/2007 du 24 avril 2007 consid. 3 et 4 ; ATA/175/2007 du 17 avril 2007 consid. 2a ; ATA/915/2004 du 23 novembre 2004 consid. 2b) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 p. 286 et ss. ; 118 Ia 46 consid. 3c p. 53 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_69/2007 du 11 juin 2007 consid. 2.3 ; ATA/195/2007 du 24 avril 2007 ; ATA/640/2005 du 27 septembre 2005 ; ATA/552/2005 du 16 août 2005).

La fonction du juge n’est d'ailleurs pas de « faire de la doctrine ». Les tribunaux ne se prononcent ainsi que sur des recours dont l’admission élimine véritablement un préjudice concret (P. MOOR, Droit administratif, tome II, Berne, 2002, p. 642).

c. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 131 II 361 consid. 1.2 p. 365 ; 129 I 113 consid. 1.7 p. 119 ; 128 II 34 consid. 1b p. 36 ; 127 I 164 consid. 1a p. 166 ; Arrêt du Tribunal fédéral 2P.69/2006 du 5 juillet 2006 et les arrêts cités ; ATA/266/2007 du 22 mai 2007 consid. 2). Cela étant, l’obligation d’entrer en matière sur un recours, dans certaines circonstances, nonobstant l’absence d’un intérêt actuel, ne saurait avoir pour effet de créer une voie de recours non prévue par le droit cantonal (ATF 127 I 115 consid. 3c p.118).

Il résulte du dossier que l'intéressé a fait l'objet de treize sanctions disciplinaires et que, dans ce cadre-là, il a été placé plusieurs fois en cellule forte. Un nouvel écart de comportement du détenu ne peut donc être exclu, suite auquel celui-ci risque d'être à nouveau transféré dans une cellule forte. La durée de cette sanction étant en principe la plus courte possible, elle pourrait avoir pris fin avant que le tribunal de céans n'ait statué sur un recours, comme cela a déjà été le cas par le passé, s'agissant de l'intéressé. Dans ce contexte, le Tribunal administratif renoncera à l'exigence de l'intérêt actuel (ATA/533/2008 précité et ATA/134/2009 du 17 mars 2009).

4. Selon l'article 42 RRIP, les détenus doivent observer les dispositions du règlement, les instructions du directeur de l'office pénitentiaire, les ordres du directeur et des fonctionnaires de la prison. L'article 44 RRIP précise qu'en toutes circonstances, les détenus doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers. Aux termes de l'article 45 lettre h RRIP, qui porte la note marginale "actes prohibés", il est interdit au détenu, d'une façon générale, de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement.

Vu les différents rapports dont M. T______ fait l'objet au motif d'insultes répétées et menaces proférées à l'égard du personnel de la prison, il est établi qu'il a, par son attitude, troublé l'ordre et la tranquillité de l'établissement en contrevenant aux règles de respect qu'il devait observer. Ce faisant, il a enfreint les articles précités du RRIP.

5. L'article 47 du règlement stipule que dans un tel cas, une sanction proportionnée à sa faute ainsi qu'à la nature et la gravité de l'infraction lui est infligée (al.1). L'alinéa 3 de cette disposition énumère l'éventail des sanctions possibles. La lettre f prévoit expressément le placement en cellule forte par le directeur de la prison pour cinq jours au plus.

En l'espèce, le directeur de la prison étant l'auteur des décisions, celles-ci émanent de l'autorité compétente.

Dans ses recours, M. T______ ne nie pas avoir proféré des insultes et des menaces à l'égard du personnel ; il allègue qu'il ne faisait que répondre au harcèlement psychologique exercé par les gardiens et ses codétenus dont il est victime. Toutefois, ses indications, mêmes si elles étaient avérées, ne sauraient justifier un tel comportement et c'est à juste titre que celui-ci est qualifié d'acte prohibé selon le RRIP.

Au vu de l'ensemble des circonstances, les sanctions prononcées respectent le principe de la proportionnalité, tant par le choix de la mesure que par celui de la durée de ces dernières. En conséquence, les recours seront rejetés.

6. Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 11 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 7 janvier 2009 - RFPA - E 5 10.03)

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

préalablement :

ordonne la jonction des causes nos A/4793/2008 et A/374/2009 sous le n° A/4793/2008 ;

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 décembre 2008 par Monsieur T______ contre la décision du 22 décembre 2009 de la Prison de Champ-Dollon ;

déclare recevable le recours interjeté le 5 février 2009 par Monsieur T______ contre la décision du 11 janvier 2009 de la Prison de Champ-Dollon ;

au fond :

les rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur T______ ainsi qu'à la Prison de Champ-Dollon.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy, Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :