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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/560/2005

ATA/552/2005 du 16.08.2005 ( JPT ) , ADMIS

Parties : GROUPE POUR UNE SUISSE SANS ARMEE (GSSA) / DEPARTEMENT DE JUSTICE, POLICE ET SECURITE
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/560/2005-JPT ATA/552/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 16 août 2005

dans la cause

 

GROUPE POUR UNE SUISSE SANS ARMEE (GSSA)
représenté par Me Yves Bertossa, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE JUSTICE, POLICE ET SÉCURITÉ


 


1. Le 24 février 2005, l’association « Groupe pour une Suisse sans armée » (ci-après : GSSA) a présenté au département de justice, police et sécurité (ci-après : DJPS) une demande d’autorisation pour organiser, le 18 mars 2005 de 12h00 à 14h00, un rassemblement devant la mission permanente des Etats-Unis d’Amérique, sise route de Pregny 11. Le but était de commémorer le deuxième anniversaire du début de la guerre en Irak ainsi que de faire connaître sa désapprobation tant avec la guerre qu’avec l’occupation de l’Irak.

2. Lors d’un entretien téléphonique du 3 mars 2005, le centre « opérations et planifications » de la police a informé le GSSA de son préavis négatif quant à l’organisation d’une telle manifestation. En effet, aucune manifestation n’était admise aux abords des missions diplomatiques ou consulaires.

3. Par télécopie du 4 mars 2005, le GSSA a demandé au DJPS de lui indiquer sur quelle base légale reposait l’interdiction de manifester devant une mission diplomatique tout en précisant que des actions similaires avaient déjà eu lieu tant devant le consulat de France contre la commémoration de la première guerre mondiale que devant la mission permanente de la Fédération de Russie contre la guerre en Tchétchénie.

4. Par télécopie du 9 mars 2005, le DJPS a refusé d’accorder à la Coalition genevoise contre la guerre (ci-après : la Coalition) l’autorisation sollicitée conformément à l’article 22 al. 2 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961. Le DJPS a toutefois précisé être disposé à réexaminer une nouvelle demande visant un autre lieu tel que la place des Nations.

5. Le 11 mars 2005, le GSSA a recouru auprès du Tribunal administratif contre la décision du DJPS du 9 mars 2005.

Le refus d’autoriser une manifestation devant la mission permanente des Etats-Unis d’Amérique violait les principes de la liberté d’expression et d’opinion, notamment dans la mesure où la réunion prévue visait un rassemblement de quelques dizaines de personnes seulement et ne présentait ainsi aucun danger pour la mission américaine. Le GSSA a également invoqué à l’appui de son recours qu’une manifestation tout à fait similaire, organisée par la section bernoise du GSSA le 19 mars 2005 devant l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Berne, avait été autorisée par la police bernoise.

6. Dans ses observations reçues le 25 avril 2005, le DJPS a précisé que, par décision du 18 mars 2005, ladite manifestation a été autorisée à la place des Nations et s’est déroulée sans incident en présence d’une dizaine de personnes.

Le GSSA disposait de la qualité pour recourir contre le refus du DJPS en raison notamment de sa qualité de membre de la Coalition et de participante à la manifestation. Le DJPS a également exposé refuser de pratique constante les manifestations à proximité des missions diplomatiques ou consulaires. Il a encore ajouté que les différentes manifestations évoquées par le recourant n’avaient fait l’objet d’aucune demande d’autorisation.

7. Lors de l’audience de comparution personnelle des parties du 10 juin 2005, Monsieur Tobias Schnebli, représentant du GSSA, a exposé que la cause conservait son objet dans la mesure ou, eu égard à la politique étrangère des Etats-Unis d’Amérique, il sera très probablement amené à redemander une autorisation pour tenir le piquet devant cette mission permanente. Il a également précisé avoir tenu le piquet devant d’autres missions diplomatiques et se souvenir que ces manifestations avaient été autorisées.

Le représentant du DJPS a précisé que le type de manifestation ne jouait aucun rôle dans la délivrance d’autorisation. Il a également relevé qu’un très grand nombre de tracts avait été distribué en vue de participer à ce piquet. D’autre part, il a affirmé qu’entre le 1er avril 1999 et le 31 juillet 2004, aucune manifestation de ce genre n’avait été admise, étant lui-même la personne compétente pour délivrer de telles autorisations.

8. Par courrier du 8 juillet 2005, le DJPS a confirmé au tribunal n’avoir trouvé aucune autorisation de manifester devant une mission ou un consulat diplomatique.

9. Le 15 juillet 2005, le Tribunal administratif a fait savoir aux parties que la cause était gardée à juger.

1. Le refus du DJPS d’autoriser une manifestation constitue une décision administrative au sens de l’article 4 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA- E5 10).

Cette décision est sujette à recours auprès du Tribunal administratif dans un délai de trente jours à compter de sa notification (art. 56A et ss de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 (LOJ – E 2 05) et 63 al. 1 let. a et al. 4 LPA).

2. Selon la jurisprudence, la qualité pour recourir contre une décision est subordonnée à l’existence d’un intérêt actuel (ATF 123 II 285 consid. 4 p. 286 ss ; 118 Ia 46 consid. 3c p. 53; 111 Ib 58 consid. 2 p. 52 et les références citées ; ATA/270/2001 du 24 avril 2001 ; ATA/731/1999 du 5 décembre 2000 ; ATA/295/1997 du 6 mai 1997).

En l’espèce, le recourant n’a plus d’intérêt actuel et pratique à requérir l’annulation de l’acte attaqué, puisque la date de la manifestation est passée.

Cependant, il est renoncé à faire d’un tel intérêt une condition de recevabilité du recours lorsque cette exigence ferait obstacle au contrôle de la constitutionnalité d’un acte qui peut se reproduire en tout temps et qui échapperait toujours à la censure (Arrêt du Tribunal fédéral du 7 août 2001, IP.70/2001 consid. 2 ; ATF 124 I 231 consid. 1b p. 233 et les arrêts cités ; ATA/270/2001 précité).

Le GSSA a exposé son intention de commémorer le début de la guerre en Irak tant que celle-ci durera. La même situation pourrait se reproduire le 18 mars 2006 dans la mesure où rien ne laisse présager une fin prochaine de la guerre. L’éventuel refus d’une autorisation interviendrait très certainement à une date qui rendrait à nouveau impossible le contrôle de sa constitutionnalité avant la date de la manifestation de sorte que la condition de l’intérêt actuel ne sera jamais remplie.

Dans ces circonstances, la qualité pour agir du recourant doit être admise.

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est donc recevable.

3. Le recourant se plaint d’une violation de sa liberté d’expression et d’opinion.

Selon l’article 16 alinéa 1er de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), la liberté d’opinion et la liberté d’information sont garanties. Cette disposition consacre le droit de toute personne de former, d’exprimer et de répandre librement son opinion (art. 16 al. 2 Cst.), de recevoir librement des informations, de se les procurer aux sources généralement accessibles et de les diffuser (art. 16 al. 3 Cst.). En droit conventionnel, cette garantie découle de l’article 10 § 1 CEDH qui dispose que toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière.

4. A teneur de l’article 69 alinéa 1er LPA, le tribunal n’est pas lié par les motifs que les parties invoquent ; c’est pourquoi il y a également lieu d’examiner si le refus d’autorisation est contraire à la liberté de réunion.

Bien qu’étant une personne morale, le GSSA peut se prévaloir de la liberté de réunion s’il entend, comme en l’espèce, organiser une réunion publique (A. AUER/G. MALINVERNI/M. HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, Berne 2000, p. 407 n° 811). Au demeurant, la qualité pour agir du recourant n’est pas contestée par l’intimé.

Selon l’article 22 alinéa 2 Cst., toute personne a le droit d’organiser des réunions. Cette liberté consacre le droit de toute personne de se rassembler avec d’autres, notamment en vue d’échanger des idées et de les communiquer à des tiers (A. AUER/G. MALINVERNI/M. HOTTELIER, op. cit., p. 403 n° 800). Elle est également garantie par l’article 11 § 1 CEDH, qui dispose que toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association.

Le droit à la liberté de réunion est un droit fondamental dans une société démocratique et, à l’instar du droit à la liberté d’expression, l’un des fondements de pareille société. Dès lors, il ne doit pas faire l’objet d’une interprétation restrictive (ATF 103 Ia 310 consid. 5 p. 315 ; Rassemblement jurassien et Unité jurassienne c. Suisse, décision de la Commission du 10 octobre 1979, n° 8191/78, DR 17, p. 93 ; Rai et autres c. Royaume-Uni, décision de la Commission du 6 avril 1995, n° 25522/94, DR 81-B, p. 146). Comme tel, ce droit couvre à la fois les réunions privées et celles tenues sur la voie publique, ainsi que les réunions statiques et les défilés publics (Chrétiens contre le racisme et le fascisme c. Royaume-Uni, décision de la Commission du 16 juillet 1980, n° 8440/78, DR 21, p.138, § 162A ; ACEDH Djavitan AN c. Turquie du 20 février 2003, recueil des arrêts et décisions (ci-après : recueil), § 56 ss.).

Selon la jurisprudence, les Etats doivent non seulement protéger le droit de réunion pacifique mais également s’abstenir d’apporter des restrictions indirectes abusives à ce droit (ACEDH Djavit AN précité, § 57 ; Chrétiens contre le racisme et le fascisme précité, p. 162).

5. Malgré son rôle autonome et la spécificité de sa sphère d’application, la liberté de réunion doit s’examiner à la lumière de la liberté d’expression, car la protection des opinions et la liberté de les exprimer constitue l’un des objectifs premiers de cette liberté (ATF 111 Ia 322 consid. 6a p. 322 ; ACEDH Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie du 2 octobre 2001, recueil 2001-IX, § 85ss., Djavit AN précité, § 39).

Toutefois, lorsque la décision attaquée statue spécifiquement sur le droit des personnes de se réunir, il n’y a pas lieu de considérer la question séparément sous l’angle de la liberté d’expression (ACEDH Maestri c. Italie du 17 février 2004, non publié, § 23, Djavit AN précité, § 39).

En l’espèce, la décision attaquée refuse au GSSA d’organiser un piquet de quelques dizaines de personnes devant la mission permanente des Etats-Unis d’Amérique. Partant, elle sera examinée au regard de la liberté de réunion uniquement.

6. Conformément à la jurisprudence, un tel refus doit s’examiner comme une restriction à la liberté de réunion et respecter les conditions posées par l’article 36 Cst., à savoir l’existence d’une base légale, d’un intérêt public et le respect de la proportionnalité (ATF 107 Ia 226 consid. 4baa p. 229 ; ATA/288/2004 du 6 avril 2004).

7. Selon l’article 13 de la loi sur le domaine public (LDP – L1 05), toute utilisation du domaine public excédant l’usage commun est subordonnée à l’octroi d’une permission.

Lorsque l’usage accru du domaine public vise à permettre l’exercice d’une liberté, la jurisprudence tant européenne que fédérale a admis que le régime d’autorisation est conforme à la Constitution et à la CEDH en raison de la diversité des intérêts en présence et de la nécessité de procéder, de cas en cas à leur évaluation et à la pesée objectives (Kokkinakis c. Grèce, décision de la Commission du 25 mai 1993, non publiée, § 31-33 ; ATA/288/2004 du 6 avril 2004).

Cette disposition constitue une base légale valable, claire et suffisante pour refuser une autorisation.

8. Les mesures de police pouvant justifier une restriction à la liberté de réunion sont celles qui visent à protéger l’ordre public, soit la sécurité, la tranquillité, la santé et la moralité publique, ainsi que la bonne foi dans les affaires (ATF 110 Ia 99, consid 5a, p. 102 ; ATF 108 Ia 300 consid. 3 p. 302 ; ATF 107 Ia 226 consid. 5b p. 230). En droit conventionnel, les intérêts publics pouvant justifier une restriction à la liberté de réunion sont la sécurité nationale, la sûreté publique, la défense de l’ordre et la prévention du crime, la protection de la santé ou de la morale (art. 11 § 2 CEDH).

En l’espèce, le DJPS motive son refus par son obligation spéciale de prendre toutes les mesures appropriées afin d’empêcher que les locaux de la mission ne soient envahis ou endommagés, la paix de la mission troublée ou sa dignité amoindrie conformément à l’article 22 alinéa 2 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 (CV – RS 0.191.01).

Il apparaît ainsi que le motif invoqué par le DJPS constitue indéniablement un intérêt public énuméré ci-dessus.

En revanche, le motif allégué par le département de « risque de créer un précédent » ne peut servir de fondement valable au refus d’octroi de la permission. Partant, il ne sera pas retenu.

9. Conformément au principe de la proportionnalité, l’autorité doit prendre des mesures propres à atteindre les buts visés tout en sauvegardant, dans la mesure du possible, l’exercice des libertés (ATF 103 Ia 310 consid. 5 p. 315). En droit conventionnel, ce principe est exprimé à l’article 11 § 2 CEDH, qui dispose que l’exercice de la liberté de réunion ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

L’adjectif « nécessaire », au sens de cette disposition, n’a pas la souplesse de termes tels qu’ « admissible », « normal », « raisonnable » ou « opportun » ; la « nécessité » implique toujours l’existence d’un « besoin social impérieux » (Znadoka c. Lettonie du 6 mars 2003, décision de la Cour, 1ère section, non publiée, § 108 ; ACEDH Vogt c. Allemagne du 26 septembre 1995, série A n°202, § 52).

10. L’autorité, dans le cadre de son pouvoir général de police, doit faire un pronostic sur le déroulement de la réunion afin de déterminer si elle menace directement l’ordre public au point qu’il se justifie de l’interdire ou de la limiter.

En l’espèce, le GSSA a clairement fait connaître au DJPS la nature de la réunion envisagée devant la mission permanente américaine. En effet, seule une présence pacifique de quelques dizaines de personnes avec pancartes et drapeaux et quelques prises de paroles était sollicitée. Le cadre de cette réunion a très nettement été respecté par le GSSA lors de la manifestation du 18 mars 2005, qui a été autorisée à la place des Nations. Celle-ci n’a réuni qu’une dizaine de personnes et s’est déroulée sans incident. Il n’y a ainsi eu aucune menace de l’ordre public.

S’agissant du respect que la Suisse doit aux missions étrangères, il apparaît difficile de voir en quoi une manifestation pacifique de quelques dizaines de personnes seulement peut leur porter atteinte, ce d’autant que l’autorité intimée disposait d’une vingtaine de jours pour interpeller, si elle le souhaitait, les organisateurs et leur fixer des conditions ou des charges, le cas échéant.

De surcroît, le recourant a exposé n’avoir jamais connu de débordements dans le cadre des manifestations qu’il a organisées et qu’il avait en outre prévu, pour la réunion du 18 mars 2005, un service d’ordre composé de 7 personnes.

Enfin, il est vrai qu’une manifestation devant la mission permanente américaine n’a pas le même impact qu’une manifestation sur le vaste espace de la place des Nations, surtout lorsqu’il ne s’agit que d’une réunion de quelques dizaines de personnes. Il convient ainsi de retenir que le GSSA dispose d’un réel intérêt à pouvoir manifester devant la mission permanente américaine et non pas en un autre lieu au risque de voir la manifestation perdre son caractère symbolique.

Le DJPS ne pouvait valablement refuser l’autorisation de manifester au GSSA sans violer la liberté de réunion.

11. Au vu de ce qui précède le recours sera admis, la décision attaquée constituant une violation grave de la liberté de réunion du GSSA.

Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du DJPS, qui succombe (art. 87 LPA).

Aucune indemnité ne sera allouée, le recourant n’en ayant pas demandé.

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 mars 2005 par l’association Groupe pour une Suisse sans armée (GSSA) contre la décision du département de justice, police et sécurité du 9 mars 2005 ;

au fond :

l’admet;

met à la charge du département de justice, police et sécurité un émolument de CHF 500.- ;

communique le présent arrêt à Me Yves Bertossa, avocat du recourant ainsi qu'au département de justice, police et sécurité.

Siégeants : M. Paychère, président, M. Thélin, Mme Junod, juges, MM. Torello et Bellanger, juges suppléants


Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :