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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1636/2024

JTAPI/473/2024 du 17.05.2024 ( MC ) , CONFIRME

Descripteurs : MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS);DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION
Normes : LEI.76.al1.letb.ch1; LEI.75.al1.letb; LEI.75.al1.letc
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1636/2024 MC

JTAPI/473/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 17 mai 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Paul COSMOVICI, avocat

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1996, est ressortissant du Nigéria. Il est titulaire d'un permis de séjour italien (FAMILIARI UE ART 10 DIR 2004/38/CE) et d'un passeport nigérian valables.

2.             Le 15 février 2023, le commissaire de police lui a notifié une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois.

3.             Selon l’extrait de son casier judiciaire du 8 mai 2024, il a été condamné le 20 juillet 2023, par le Ministère public de Genève, à une peine privative de liberté de 180 jours, avec sursis, délai d’épreuve 3 ans, pour infraction à l’art. 19 al. 1 let. c de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121), entrée et séjour illégal (art. 115 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et non-respect d’une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 al. 1 LEI).

4.             Le 26 décembre 2023, M. A______ a été interpellé par les services de police après avoir été mis en cause par trois toxicomanes pour la vente, depuis plusieurs mois, de cocaïne. Durant son audition par-devant la police, il a déclaré faire des allers-retours entre B_______ [France] et Genève, vendre de la nourriture sur Genève pour des personnes défavorisées, être marié et avoir un enfant de six mois qui vivait avec sa maman en Italie. Il n'avait pas de liens particuliers avec la Suisse et était démuni de moyens de subsistance.

5.             Par jugement du 7 mai 2024, le Tribunal de police a reconnu M. A______ coupable d'infraction à l'art. 19 al. 1 let c LStup, de non-respect d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art 119 al. 1 LEI) et d’entrées illégales (art. 115 al. 1 let. a LEI) et l'a condamné à une peine privative de liberté de 8 mois, avec sursis, délai d'épreuve 4 ans. Il a également ordonné son expulsion de Suisse pour une durée de 3 ans (art. 66abis du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0)).

6.             Le 8 mai 2024, les autorités suisses ont soumis à l'Italie la demande de réadmission de M. A______ sur son territoire conformément aux dispositions de l'Accord du 10 septembre 1998 entre la Confédération suisse et la République italienne relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière (RS 0.142.114.549).

7.             Le 14 mai 2024, M. A______ a été libéré de détention pénale et remis aux services de police.

8.             Le 14 mai 2024, à 14h35, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de six semaines. Dès réception de la réponse des autorités italiennes, l'intéressé serait conduit à Chiasso et remis aux autorités italiennes. Cette procédure durait environ deux semaines.

Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il s'opposait à son renvoi en Italie car il devait y purger une peine de prison de quatre ans en lien avec un litige avec son ancienne épouse. Incarcéré à Genève, il n’avait pas pu contester sa condamnation.

9.             Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour.

10.         Entendu ce jour par le tribunal, M. A______ a déclaré qu’il était d'accord de rentrer en Italie. Il avait changé d'avis après avoir été en contact avec son avocat en Italie. Quand il eut terminé son job d'été en Italie en octobre 2023, il était venu à B_______ [France]. Dans cette ville, il cherchait du travail au noir et vaquait avec ses amis. Il n’avait pas de lien avec Genève mais s’y rendait depuis B_______ [France]. Il ne faisait rien de particulier à Genève.

La représentante du commissaire de police a indiqué qu’ils n'avaient pas encore reçu de réponse des autorités italiennes qu’ils attendaient dans les dix prochains jours. Il a conclu à la confirmation de l’ordre de mise en détention administrative pour une durée de six semaines.

Le conseil de l’intéressé a plaidé et s’en est rapporté à justice.

EN DROIT

1.            Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner d'office la légalité et l’adéquation de la détention administrative en vue de renvoi ou d’expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

Il doit y procéder dans les nonante-six heures qui suivent l'ordre de mise en détention (art. 80 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20 ; anciennement dénommée loi fédérale sur les étrangers - LEtr ; 9 al. 3 LaLEtr).

2.            En l'espèce, le tribunal a été valablement saisi et respecte le délai précité en statuant ce jour, la détention administrative ayant débuté le 14 mai 2024 à 14h.

3.            La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) (cf. ATF 135 II 105 consid. 2.2.1) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale. Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne soit prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_105/2016 du 8 mars 2016 consid. 5.1 ; 2C_951/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2.1).

4.            Selon l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI (cum art. 75 al. 1 let. b LEI), après notification d'une décision de première instance de renvoi ou d'une décision de première instance d'expulsion au sens des art. 66a ou 66abis du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée notamment si elle ou pénètre dans une zone qui lui est interdite en vertu de l’art. 74 LEI.

5.            Elle peut également la mettre en détention lorsqu'elle franchit la frontière malgré une interdiction d'entrer en Suisse et ne peut pas être renvoyée immédiatement (art. 76 al. 1 let. b LEI cum art. 75 al. 1 let. c LEI.) ou lorsqu'elle menace sérieusement d'autre personnes ou met gravement en danger leur vie ou leur intégrité corporelle et fait l'objet d'une poursuite pénale ou a été condamnée pour ce motif (art. 76 al. 1 let. ch. 1 LEI cum l'art. 75 al. 1 let. g LEI).

6.            De même, une mise en détention administrative est envisageable si des éléments concrets font craindre que la personne entend se soustraire au renvoi ou à l'expulsion, en particulier parce qu'elle ne se soumet pas à son obligation de collaborer en vertu de l'art. 90 LEI (art. 76 al. 1 let. b ch. 3 LEI), ou encore si son comportement permet de conclure qu'elle se refuse à obtempérer aux instructions des autorités (art. 76 al. 1 let. b ch. 4 LEI).

7.            Ces deux dernières dispositions décrivent toutes deux des comportements permettant de conclure à l'existence d'un risque de fuite ou de disparition, de sorte que les deux éléments doivent être envisagés ensemble (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_381/2016 du 23 mai 2016 consid. 4.1 ; 2C_128/2009 du 30 mars 2009 consid. 3.1 ; ATA/740/2015 du 16 juillet 2015 ; ATA/943/2014 du 28 novembre 2014 ; ATA/616/2014 du 7 août 2014).

8.            Selon la jurisprudence, un risque de fuite - c'est-à-dire la réalisation de l'un des deux motifs précités - existe notamment lorsque l'étranger a déjà disparu une première fois dans la clandestinité, qu'il tente d'entraver les démarches en vue de l'exécution du renvoi en donnant des indications manifestement inexactes ou contradictoires ou encore s'il laisse clairement apparaître, par ses déclarations ou son comportement, qu'il n'est pas disposé à retourner dans son pays d'origine. Comme le prévoit expressément l'art. 76 al. 1 let. b ch. 3 LEtr, il faut qu'il existe des éléments concrets en ce sens (ATF 140 II 1 consid. 5.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_381/2016 du 23 mai 2016 consid. 4.1 ; 2C_105/2016 du 8 mars 2016 consid. 5.2 ; 2C_951/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2.2 ; 2C_658/2014 du 7 août 2014 consid. 1.2).

9.            Lorsqu'il existe un risque de fuite, le juge de la détention administrative doit établir un pronostic en déterminant s'il existe des garanties que l'étranger prêtera son concours à l'exécution du refoulement, soit qu'il se conformera aux instructions de l'autorité et regagnera son pays d'origine le moment venu, c'est-à-dire lorsque les conditions seront réunies ; dans ce cadre, il dispose d'une certaine marge d'appréciation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_935/2011 du 7 décembre 2011 consid. 3.3 ; 2C_806/2010 du 21 octobre 2010 consid. 2.1 ; 2C_400/2009 du 16 juillet 2009 consid. 3.1 ; ATA/740/2015 du 16 juillet 2015 ; ATA/739/2015 du 16 juillet 2015 ; ATA/682/2015 du 25 juin 2015 ; ATA/261/2013 du 25 avril 2013 ; ATA/40/2011 du 25 janvier 2011).

10.        Comme cela ressort du texte même de l'art. 76 al. 1 LEI et de la jurisprudence constante, une mise en détention administrative n'implique pas que la décision de renvoi ou d'expulsion qui la sous-tend soit entrée en force et exécutoire (cf. ATF 140 II 409 consid. 2.3.4 ; 140 II 74 consid. 2.1 ; 130 II 377 consid. 1 ; 129 II 1 consid. 2 ; 122 II 148 consid. 1 ; 121 II 59 consid. 2a ; ATA/252/2015 du 5 mars 2015 consid. 6a ; Grégor CHATTON/Laurent MERZ in Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE [éd.], Code annoté de droit des migrations, vol. II [Loi sur les étrangers], 2017, n. 5 p. 779).

11.        Selon le texte de l'art. 76 al. 1 LEI, l'autorité « peut » prononcer la détention administrative lorsque les conditions légales sont réunies. L'utilisation de la forme potestative signifie qu'elle n'en a pas l'obligation et que, dans la marge d'appréciation dont elle dispose dans l'application de la loi, elle se doit d'examiner la proportionnalité de la mesure qu'elle envisage de prendre.

12.        Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 Cst., se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de la personne concernée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

13.        Il convient dès lors d'examiner, en fonction des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi au sens de l'art. 5 par. 1 let. f CEDH est adaptée et nécessaire (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 ; 134 I 92 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_26/2013 du 29 janvier 2013 consid. 3.1 ; 2C_420/2011 du 9 juin 2011 consid. 4.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 ; 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1).

14.        Par ailleurs, les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi doivent être entreprises sans tarder par l'autorité compétente (art. 76 al. 4 LEI). Il s'agit, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; cf. aussi ATA/315/2010 du 6 mai 2010 ; ATA/88/2010 du 9 février 2010 ; ATA/644/2009 du 8 décembre 2009 et les références citées).

15.        Enfin, selon l'art. 79 al. 1 LEI, la détention ne peut excéder six mois au total. Cette durée maximale peut néanmoins, avec l’accord de l’autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus, lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l’autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI) ou lorsque l’obtention des documents nécessaires au départ auprès d’un État qui ne fait pas partie des États Schengen prend du retard (art. 79 al. 2 let. b LEI).

16.        En l’espèce, M. A______ fait l’objet d’une décision d’expulsion de Suisse prononcée le 7 mai 2024. Son comportement laisse apparaître qu’il n’entend pas se conformer aux décisions de l’autorité. En effet, il a clairement indiqué devant le commissaire de police ne pas souhaiter être refoulé en Italie, n’a pas respecté l’interdiction de pénétrer sur le territoire genevois prise à son encontre et a été condamné à deux reprises pour trafic de stupéfiants. Certes, par-devant le tribunal ce jour, il a indiqué être d’accord de retourner en Italie. Toutefois, ce revirement apparaît avoir été dicté par des raisons procédurales et sa détention. Démuni de moyens de subsistance, de domicile et d’attaches en Suisse, le risque qu’il disparaisse dans la clandestinité est élevé.

17.        Partant, les conditions des art. 76 al. 1 let. b ch. 1 en lien avec l’art. 75 al. 1 let. b et g, ch. 3 et 4 sont réalisées.

18.        L’assurance du départ de Suisse de M. A______ répond par ailleurs à un intérêt public certain et toute autre mesure moins incisive que la détention administrative serait vaine pour assurer sa présence au moment où l’intéressé devra être reconduit en Italie, étant rappelé que le risque qu’il se soustraie à son renvoi par un passage dans la clandestinité est élevé.

19.        Concernant les démarches entreprises, l'autorité chargée du renvoi a agi avec diligence et célérité, dès lors qu'elle a adressé, le 8 mai 2024, une demande de réadmission aux autorités italiennes dont elle attend une réponse.

20.        Ainsi, eu égard à l'ensemble des circonstances, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative pour une durée de six semaines, qui respecte en soi l'art. 79 LEI et n'apparaît pas disproportionnée, étant rappelé que la réponse des autorités italiennes n’est pas encore intervenue, qu’il s’agira, en cas de réponse positive, d’organiser le transfert de l’intéressé et que dans l’hypothèse où la réponse serait négative ou si M. A______ s’opposait à son renvoi, d’entreprendre de nouvelles démarches.

21.        Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative de M. A______ pour une durée de six semaines.

22.        Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l’ordre de mise en détention administrative pris par le commissaire de police le 14 mai 2024 à 14h35 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée de six semaines, soit jusqu'au 24 juin 2024 inclus ;

2.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le 17 mai 2024

 

La greffière