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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/2955/2018

ACST/22/2019 du 08.05.2019 ( ABST ) , REJETE

Rectification d'erreur matérielle : rectification d'erreur matérielle le 9 juillet 2019
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2955/2018-ABST ACST/22/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 8 mai 2019

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

GRAND CONSEIL

 



EN FAIT

1) Le 7 novembre 2017, Monsieur B______ et vingt-six autres députés au Grand Conseil, issus de trois partis différents (Les Verts, parti libéral-radical et parti démocrate-chrétien), ont déposé auprès du secrétariat du Grand Conseil un projet de loi modifiant la loi sur l'organisation des institutions de droit public du 22 septembre 2017 (LOIDP - A 2 24), loi qui règle l'organisation des institutions décentralisées cantonales de droit public, en particulier les établissements publics autonomes (ci-après : EPA).

La seule modification substantielle visait l'art. 17 al. 1 LOIDP. Était ainsi ajoutée une let. b à cette disposition, ayant la teneur suivante :

Art. 17, al. 1, lettre b (nouvelle, les lettres b et c anciennes devenant les lettres c et d)

1 La qualité de membre d'un conseil est incompatible avec celles :

b) de député au Grand Conseil.

À teneur de l'exposé des motifs, pour les auteurs du projet de loi, il était indispensable d'introduire cette incompatibilité avant la prochaine désignation des conseils d'administration, qui devait intervenir dans la foulée des prochaines élections au Grand Conseil. Le projet était dicté par le besoin d'améliorer la crédibilité des acteurs politiques, laquelle passait par la limitation du cumul des mandats. Le cumul conduisait souvent l'élu à ne pas s'investir pleinement dans chacun des mandats qui lui étaient confiés. Certains partis genevois avaient ainsi durci leur propre fonctionnement pour limiter ces cumuls.

Les mouvements issus de la société civile avaient régulièrement dénoncé l'existence d'une caste de politiciens se cooptant entre eux, s'assurant ainsi des revenus plus ou moins confortables en s'éloignant totalement de la réalité sociale et professionnelle de leurs concitoyens. Dans le cas visé, le cumul était encore plus inapproprié, car la défense des idées politiques des différents partis pour lesquelles chaque député était élu pouvaient se révéler contraires à l'intérêt de l'institution dont le député serait membre du conseil. Cela mettait le « cumulard » dans une situation de conflit d'intérêts évident : il devait choisir entre son serment d'élu du peuple et son devoir de fidélité inhérent à la participation à un conseil d'administration ou de fondation. Ce conflit était loin d'être théorique : la législature qui se terminait avait vu à maintes reprises des députés s'exprimer et voter sur des régies où ils siégeaient au conseil d'administration, ou à propos de lois relatives à l'activité de ces dernières, sans qu'il ne soit plus très clair au nom de qui ils s'exprimaient.

Ce projet de loi (ci-après : PL) a été enregistré sous numéro PL 12214.

2) Le PL 12214 reprenait une proposition contenue dans le projet initial de la LOIDP (PL 11391, art. 17 al. 1 let. b) tel que déposé le 14 février 2014 par le Conseil d'État, mais non retenue dans la version finale de la loi 11391.

3) Le 23 novembre 2017, le Grand Conseil a renvoyé, sans débats, le PL 12214 en commission législative.

4) Le 8 mai 2018, la commission législative a déposé son rapport, composé d'un rapport de majorité et de deux rapports de minorité (PL 12214-A).

Avaient été auditionnés par la commission le premier signataire du projet, soit M. B______ ; Monsieur C______, alors président du Conseil d'État ; Monsieur D______, alors président de la Cour des comptes ; ainsi que Messieurs E______ et F______, professeurs de droit administratif et constitutionnel à l'Université de Genève, lesquels avaient tous deux admis, bien que sur la base de raisonnements différents, la compatibilité du PL 12214 avec le droit supérieur, en particulier avec l'art. 83 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00).

En troisième débat, le PL 12214 avait été accepté par les commissaires par 4 voix pour, 3 voix contre et 2 abstentions.

Un amendement au texte ayant été accepté, le texte issu des travaux en commission était le suivant :

Art. 17, al. 1, lettre b (nouvelle, les lettres b et c anciennes devenant les lettres c et d)

1 La qualité de membre d'un conseil est incompatible avec celles :

b) de député au Grand Conseil. Cette restriction s'applique uniquement aux établissements de droit public principaux définis à l'article 3, alinéa 1 de la présente loi.

5) Lors de sa séance plénière du 24 mai 2018, le Grand Conseil a adopté la loi 12214 ainsi amendée en troisième débat par 54 « oui » contre 39 « non » et 2 abstentions, au moyen d'un vote nominal.

6) La loi 12214 a été publiée dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 1er juin 2018, avec indication que le délai référendaire expirait le 11 juillet 2018.

7) Le référendum n'a pas été demandé contre la loi 12214, si bien que le Conseil d'État l'a promulguée par arrêté du 25 juillet 2018, publié dans la FAO du 27 juillet 2018.

8) La loi 12214 est entrée en vigueur le lendemain, soit le 28 juillet 2018, conformément à son art. 2 souligné.

9) Par acte déposé le 31 août 2018, Monsieur A______ a interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre la loi 12214, concluant principalement à son annulation, sans prendre de conclusions préalables.

Il était député et membre d'un établissement public autonome, si bien qu'il était directement concerné par la loi 12214, laquelle le forçait à choisir entre ses deux mandats.

Le nouvel art. 17 al. 1 let. b LOIDP n'était probablement pas conforme à l'art. 83 Cst-GE, qui réglait les incompatibilités concernant les députés au Grand Conseil. Seule une interprétation extensive de cette disposition était de nature à donner une assise constitutionnelle à la loi incriminée.

La loi 12214 violait en outre l'égalité de traitement, l'incompatibilité introduite ne visant que les conseils d'administration des établissements publics autonomes importants, alors que des problèmes identiques de conflits d'intérêt existaient pour les administrateurs d'autres entités publiques décentralisées, ou encore pour les fonctionnaires admis à siéger comme députés, ou encore pour les membres de certaines professions tels qu'avocats ou entrepreneurs qui pouvaient siéger dans des commissions les concernant directement, soit respectivement la commission législative et celle des travaux. Il y avait même dans la composition actuelle du Grand Conseil un député membre du conseil d'administration de la Banque cantonale de Genève (ci-après : BCGE), dont le Conseil d'État était pourtant l'autorité de contrôle.

La loi 12214 consacrait ainsi un régime d'inégalité de traitement, au préjudice de certains députés membres d'un conseil d'une régie publique, mais favorable aux « fonctionnaires-députés ».

La loi attaquée soulevait plus de problèmes qu'elle n'en résolvait, ce qui apparaissait clairement à la lecture des deux rapports de minorité.

10) Par courrier du 3 septembre 2018, M. A______ s'est derechef adressé à la chambre constitutionnelle et a formulé une demande de restitution (recte : d'octroi) de l'effet suspensif à son recours.

Il n'existait aucune urgence imposant la mise en application immédiate de la loi 12214 avant que sa conformité au droit n'ait été, le cas échéant, confirmée.

Lui-même était titulaire d'un mandat d'administrateur d'un établissement public autonome, sur la base combinée de son appartenance politique et de sa longue expérience ainsi que de sa connaissance approfondie des institutions - critère essentiel que la loi querellée « mettait en pièces ».

11) Le 17 septembre 2018, le Grand Conseil a conclu au rejet de la demande d'effet suspensif s'en est rapporté à justice quant à la demande d'effet suspensif [1].

12) Par décision du 20 septembre 2018 (ACST/20/2018), la présidence de la chambre constitutionnelle a refusé d'octroyer l'effet suspensif au recours.

M. A______ avait déposé son acte de recours le 30 août 2018, soit plus d'un mois après la publication de l'arrêté de promulgation, ceci sans conclure à ce moment à l'octroi de l'effet suspensif, lequel avait été demandé quelques jours plus tard, soit le 3 septembre 2018, sans préciser que le Grand Conseil était appelé à élire les membres des conseils des institutions de droit public les 20 et 21 septembre 2018, ni indiquer si lui-même ou d'autres députés avaient déposé leur candidature. Il apparaissait dans ces conditions difficile de retenir une urgence à ce que la loi attaquée, qui était déjà entrée en vigueur, soit suspendue dans ses effets jusqu'à droit jugé.

S'agissant par ailleurs des chances de succès du recours, la question de la conformité à l'art. 83 Cst-GE avait été examinée lors des débats en commission parlementaire, et les différents experts entendus, qu'il s'agisse du président de la Cour des comptes ou des deux spécialistes du droit public, avaient tous considéré que la disposition considérée ne faisait pas obstacle à l'adoption de la loi 12214.

En outre, de jurisprudence constante, un arrêté de portée générale violait le principe de l'égalité lorsqu'il établissait des distinctions juridiques qui ne se justifiaient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu'il omettait de faire des distinctions qui s'imposaient au vu des circonstances, le législateur disposant toutefois d'un large pouvoir d'appréciation dans le cadre de ces principes. En fonction de ce large pouvoir d'appréciation, et dans la mesure où le recourant donnait dans son recours plus d'arguments en faveur d'un élargissement des incompatibilités qu'en faveur d'une suppression de celle retenue par le Grand Conseil dans la loi attaquée, on devait admettre, dans le cadre de l'examen prima facie qui prévalait à ce stade, que les chances de succès du recours n'étaient pas suffisamment manifestes pour permettre l'octroi de l'effet suspensif.

13) Le 18 octobre 2018, le Grand Conseil a conclu au rejet du recours sur le fond.

Les diverses méthodes d'interprétation aboutissaient à la conclusion que l'art. 83 Cst-GE n'était pas exhaustif. En particulier, il ne pouvait priver le législateur de vérifier, pour d'autres mandats ou fonctions, si ces derniers étaient incompatibles avec le mandat de député au Grand Conseil.

Le but sous-jacent à la modification de la LOIDP était d'exclure les conflits d'intérêts découlant du double rôle de « contrôleur-contrôlé » d'un membre du conseil d'administration d'un des établissements de droit public principaux, pour éviter que celui-ci se prononce sur des décisions sur lesquelles il pourrait ensuite jouer un rôle de surveillance au travers de son mandat de député au Grand Conseil. Il n'y avait ainsi pas de problème de compatibilité de la loi 12214 avec l'art. 83 Cst-GE.

S'agissant de l'égalité de traitement, aucun des exemples cités dans le recours ne présentait le même type de problématique, du point de vue du contrôle et du conflit d'intérêts, que les mandats au sein des institutions soumises à la LOIDP. Seuls les membres de ces dernières pouvaient se retrouver dans la situation délicate du « contrôleur-contrôlé », en raison des décisions à prendre en matière de surveillance (approbation des états financiers et du rapport de gestion) ou en ce qui concernait directement les prestations et leur financement, par le biais de l'approbation des contrats de prestations.

Les comptes des communes n'étaient pas votés et approuvés par le Grand Conseil. De même, il n'y avait pas de relation « contrôleur-contrôlé » pour les avocats, entrepreneurs ou encore pour les membres du conseil d'administration de la BCGE.

Quant aux fonctionnaires, la comparaison n'était pas pertinente, dès lors que les cadres supérieurs de l'État et autres collaborateurs personnels des conseillers d'État ne pouvaient être députés, la loi 12214 visant quant à elle la même catégorie des organes supérieurs au sein des établissements publics autonomes, les membres du conseil d'administration étant des membres de l'organe dirigeant de ceux-ci, et non de simples employés.

La LOIDP contenait des règles différentes entre les institutions en fonction de leur taille. Les problèmes de « contrôleur-contrôlé » se présentaient principalement dans les régies principales, si bien qu'il se justifiait de ne prévoir l'incompatibilité que pour elles. Le législateur cantonal disposait au surplus d'un large pouvoir d'appréciation dans le cadre de l'application du principe de l'égalité de traitement dans la loi.

14) Le 22 octobre 2018, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 23 novembre 2018 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

15) Aucune des parties ne s'est manifestée.

EN DROIT

1) La chambre constitutionnelle est l'autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a Cst-GE). Selon la législation d'application de cette disposition, il s'agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d'État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) a. Le recours est formellement dirigé contre une loi cantonale, à savoir la loi 12214 modifiant la loi sur l'organisation des institutions de droit public - composée d'une seule disposition -, ce en l'absence de cas d'application (ACST/16/2018 du 28 juin 2018 consid. 2a ; ACST/2/2018 du 5 mars 2018 consid. 1a ; ACST/13/2017 du 3 août 2017 consid. 2a et les références citées).

b. Interjeté dans le délai légal à compter de la promulgation de l'acte susmentionné, qui a eu lieu par arrêté du Conseil d'État du 25 juillet 2018, publié dans la FAO du 27 juillet 2018 (délai suspendu entre le 15 juillet et le 15 août 2018 inclus), et dans les formes prévues par la loi, le recours est recevable sous cet angle (art. 62 al. 1 let. d et al. 3, 63 al. 1 let. b et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

3) a. A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d'État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l'acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). Il ressort de l'exposé des motifs relatif à la loi 11311 modifiant la LOJ que l'art. 60 al. 1 let. b LPA dans sa teneur actuelle, adoptée le 11 avril 2014 et entrée en vigueur le 14 juin 2014, formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l'action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu'il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/2/2018 précité consid. 2a et les références citées).

b. En application de l'art. 111 al. 1 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le droit cantonal ne peut pas définir la qualité de partie devant l'autorité qui précède immédiatement le Tribunal fédéral de manière plus restrictive que ne le fait l'art. 89 LTF. Aux termes de cette disposition, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (al. 1 let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué (al. 1 let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (al. 1 let. c).

Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n'est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l'acte entrepris. Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés par l'acte attaqué ou pourront l'être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu'il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 141 I 78 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_196/2017 du 22 novembre 2017 consid. 2.1).

La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l'annulation de l'acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu'au moment où l'arrêt est rendu (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_437/2017 du 5 février 2018 consid. 1.4.2 et les références citées).

c. En l'espèce, le recourant, en tant que député et - au moment du dépôt de son recours - membre d'un établissement public autonome, est susceptible de se voir appliquer la disposition litigieuse, et l'aurait été du seul fait qu'il pouvait être élu ou nommé à l'une des deux fonctions incompatibles. Le recourant s'est même d'ores et déjà vu appliquer la disposition considérée, puisqu'il a dû choisir entre son mandat de député et son mandat d'administrateur. Il a dès lors qualité pour recourir.

4) À l'instar du Tribunal fédéral, la chambre constitutionnelle, lorsqu'elle se prononce dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes, s'impose une certaine retenue et n'annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu'elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l'atteinte aux droits en cause, de la possibilité d'obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d'une application conforme - ou non - au droit supérieur. Les explications de l'autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d'appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l'éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (arrêt du Tribunal fédéral 2C_380/2016 du 1er septembre 2017 consid. 2 et les arrêts cités ; ACST/16/2018 précité consid. 4 ; ACST/3/2018 du 5 mars 2018 consid. 9b et les arrêts cités).

5) Dans un premier grief, le recourant invoque une possible non-conformité du nouvel art. 17 al. 1 let. b LOIDP avec l'art. 83 Cst-GE.

a. Une incompatibilité est une règle qui prohibe l'exercice simultané par une personne de plusieurs fonctions publiques, ou d'une fonction publique et d'une activité privée (incompatibilité à raison de la fonction, ou incompatibilité d'activités), ou l'exercice de fonctions publiques identiques, ou liées entre elles, par des personnes proches (incompatibilité à raison de la personne, ou incompatibilité « de parenté ») (Benjamin SCHINDLER, in Bernhard EHRENZELLER et al., Die schweizerische Bundesverfassung - St. Galler Kommentar, 3e éd., 2014, n. 2 ad art. 144 Cst.) .

Contrairement aux cas d'inéligibilité, qui interdisent d'être élu voire de se porter candidat à une élection (ATF 136 I 207 consid. 5.5), les cas d'incompatibilité exigent que le candidat élu ou nommé choisisse laquelle des deux fonctions incompatibles il entend exercer (Jean-François AUBERT, Traité de droit constitutionnel suisse, vol. II, 1967, n. 1262). La question de l'incompatibilité ne se pose dès lors qu'en cas d'élection ou de nomination de l'intéressé.

b. L'art. 34 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) garantit de manière générale et abstraite les droits politiques, que ce soit sur le plan fédéral, cantonal ou communal. Il ne définit en revanche pas en détail leur contenu mais renvoie à cet égard aux constitutions et autres lois cantonales. La Cst. n'exclut ainsi pas que le droit d'être élu ou d'exercer une charge publique soit concrétisé selon des modalités différentes suivant les cantons. Ces derniers sont en principe libres d'établir les règles d'incompatibilité qui leur paraissent opportunes compte tenu des circonstances. Ces règles peuvent trouver leur fondement dans le principe de la séparation des pouvoirs ; elles peuvent aussi être motivées pour d'autres raisons, telles que l'indépendance d'une fonction ou le risque de collusion pouvant exister entre les membres d'une même famille. Les incompatibilités de fonction ou de parenté constituent dans tous les cas des restrictions au droit d'exercer une charge publique qui, à l'instar de celles apportées aux autres libertés individuelles, ne sont justifiées que si elles reposent sur une base légale au sens formel, répondent à un intérêt public prépondérant et respectent les principes d'égalité et de proportionnalité (arrêt du Tribunal fédéral 1P.763/2005 du 8 mai 2006 consid. 3.1).

En outre, et selon le même arrêt, tout système d'incompatibilités est le résultat d'une pondération des intérêts en présence effectuée par le constituant ou le législateur. La variété des solutions rencontrées en Suisse démontre que la pesée des intérêts peut aboutir aussi bien à une solution libérale qu'à une solution restrictive, et qu'il s'agit d'une appréciation à caractère plus politique que juridique. Même lorsque le Tribunal fédéral examine librement la validité des règles cantonales de rang inférieur à la Cst., il ne substitue pas à la solution choisie par le législateur une autre solution qui peut lui paraître plus opportune ; il n'intervient au contraire qu'en cas d'abus ou d'excès du pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 1P.763/2005 précité consid. 4.3). La chambre de céans n'est pas davantage juge de l'opportunité (art. 61 al. 2 LPA).

6) a. Le constituant genevois a fait le choix - inhabituel, comme cela sera constaté ci-dessous - de régler les incompatibilités dans plusieurs dispositions constitutionnelles, à savoir l'art. 83 Cst-GE pour le Grand Conseil, l'art. 103 Cst-GE pour le Conseil d'État et l'art. 142 Cst-GE pour les autorités communales (qui seul renvoie à la loi s'agissant d'autres cas éventuels d'incompatibilité de membres de l'exécutif communal, art. 142 al. 3 Cst-GE), tandis qu'aucune disposition constitutionnelle ne règle les cas d'incompatibilité pour les magistrats du pouvoir judiciaire (lesquels sont réglés exclusivement au niveau légal, à l'art. 6 LOJ, du moins si l'on excepte l'art. 83 al. 1 let. c Cst-GE cité ci-dessous, qui renferme une incompatibilité relative au pouvoir judiciaire, mais du point de vue de l'accès au pouvoir législatif).

b. Selon l'art. 83 Cst-GE, le mandat de membre du Grand Conseil est incompatible avec : a) un mandat au Conseil national ou au Conseil des États ; b) tout mandat électif à l'étranger ; c) une fonction au sein de la magistrature du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes (art. 83 al. 1 Cst-GE). Il est également incompatible avec les fonctions suivantes : a) collaboratrice ou collaborateur de l'entourage immédiat des membres du Conseil d'État et de la chancelière ou du chancelier ; b) collaboratrice ou collaborateur du secrétariat général du Grand Conseil ; et c) cadre supérieur de l'administration cantonale et des établissements autonomes de droit public (art. 83 al. 2 Cst-GE).

c. La Constitution de la République et canton de Genève du 24 mai 1847 (aCst-GE) ne contenait à l'origine aucune clause d'incompatibilité spécifique au Grand Conseil, à la différence de ce qui était prévu pour le Conseil d'État (la charge de conseiller d'État étant incompatible avec toute autre fonction publique salariée, art. 77 aCst-GE dans sa teneur originelle).

La question des incompatibilités entre le mandat de député et d'autres fonctions pouvant être rattachées au pouvoir exécutif ou judiciaire a néanmoins fait par la suite l'objet d'abondantes discussions et de débats animés tant devant le Grand Conseil que devant le peuple. Soulevée une première fois dès 1842, dans le cadre de la première constituante, par un amendement alors rejeté visant à rendre incompatibles les fonctions de député et de membre du conseil municipal de la Ville de Genève (Mémorial constituante, vol. II, 1393 ss), la question fut reprise en 1862, puis en 1890. Ce n'est cependant qu'en 1901 qu'une initiative populaire, adoptée par votation du 31 mars 1901 fit inscrire dans l'aCst-GE que le « mandat de député au Grand Conseil est incompatible avec toute fonction publique à laquelle est attribué un traitement permanent de l'État » (ancien art. 73 aCst-GE ; ROLG 1901 p. 134). Une seconde disposition, visée alors à l'art. 74 aCst-GE traitait au surplus de l'incompatibilité entre les fonctions de conseiller d'État et de magistrat de l'ordre judiciaire avec le mandat de député au Grand Conseil.

La modification notable suivante a eu lieu le 29 novembre 1998, de par l'acceptation d'une loi constitutionnelle (proposée à titre de contre-projet direct à une initiative populaire) abrogeant l'art. 73 aCst-GE et modifiant l'art. 74 aCst-GE (ROLG 1998 p. 596). Devenaient ainsi incompatibles avec le mandat de député les fonctions : a) de conseiller d'État et de chancelier d'État ; b) de collaborateur de l'entourage immédiat des conseillers d'État et du chancelier d'État ; c) de collaborateur du service du Grand Conseil ; d) de cadre supérieur de la fonction publique ; et e) de magistrat du pouvoir judiciaire, à l'exception des juges suppléants et des juges prud'hommes (art. 74 al. 1 aCst-GE). Cette dernière exception a été supprimée par une loi constitutionnelle (loi 9120) acceptée par le corps électoral le 24 septembre 2006 (ROLG 2006 p. 702), doublée d'une modification de la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève du 13 septembre 1985 (LRGC - B 1 01). Le 27 novembre 2005, la loi constitutionnelle portant création de la Cour des comptes avait également ajouté l'incompatibilité entre les qualités de député au Grand Conseil et de magistrat de la Cour des comptes (loi 8447 ; ROLG 2006 p. 1 ss).

À l'instar de ces questions législatives, les questions pratiques qui se sont posées depuis les années 1980 concernent principalement sinon exclusivement la compatibilité du mandat de député avec l'appartenance à la fonction publique. Le Grand Conseil et les tribunaux ont ainsi notamment eu à connaître des cas d'une assistante sociale et d'une réceptionniste médicale des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG ; arrêt du Tribunal fédéral du 9 février 1983 en la cause M., S.-R. et S.-P. c. Genève, non publié mais évoqué in MGC 1983 4/I 308-313), d'enseignants du département de l'instruction publique (arrêt du Tribunal fédéral 1P.728/1994 du 29 décembre 1994), ou d'une juriste au sein du Service pour la promotion de l'égalité entre hommes et femmes (MGC 2001-2002 D 1/I 25-29).

d. Ainsi, par rapport à la situation qui prévalait sous l'empire de l'aCst-GE, l'art. 83 Cst-GE a introduit une seule nouveauté, à savoir l'incompatibilité entre le mandat de député au Grand Conseil et celui de député aux chambres fédérales (art. 83 al. 1 let. a Cst-GE) et une précision sur un point, à savoir l'assimilation des cadres supérieurs des établissements autonomes de droit public à ceux des cadres supérieurs de l'administration cantonale (art. 83 al. 2 Cst-GE).

En 2010, une thèse proposant l'incompatibilité avec le mandat de député des fonctions de membre du personnel de l'administration cantonale ainsi que celle d'administrateur et d'employé des établissements publics et fondations de droit public cantonaux (301.83a) avait été écartée par la commission thématique 3 (rapport général 300, institutions : les trois pouvoirs, du 30 avril 2010, p. 11 ; et rapport sectoriel 301 - Législatif, du 30 avril 2010, p. 32 s.), sans être proposée à nouveau par la suite. La même commission a renoncé en 2011 à une incompatibilité générale pour les fonctionnaires de siéger au Grand Conseil, au profit du texte de l'art. 74 aCst-GE en vigueur (Rapport et annexe de la commission 3 en vue de la première lecture de l'avant-projet de constitution, juillet 2011, p. 18), ce en quoi elle a été suivie par la plénière. Enfin, la mention des cadres supérieurs des établissements publics autonomes a été insérée par un amendement proposé en plénière lors de la séance du 2 février 2012 (bulletin officiel de l'Assemblée constituante genevoise, t. XXII, p. 11162 et 11219).

e. Un cas au moins de tension entre les mandats d'administrateur d'un EPA genevois et de député au Grand Conseil a fait l'objet d'un contentieux judiciaire.

Par arrêt du 18 octobre 2010 (8C_220/2010), le Tribunal fédéral a confirmé la révocation d'un administrateur des Services industriels de Genève (ci-après : SIG) qui était également député.

Le recourant mettait l'accent sur sa qualité de député et soutenait, en substance, qu'il n'avait à rendre de comptes qu'aux élus du Grand Conseil et au peuple souverain (consid. 4.2) ; pourtant, les députés-administrateurs nommés par le Grand Conseil ne bénéficiaient pas d'un statut spécial par rapport aux autres administrateurs et avaient par conséquent le même devoir de fidélité et de réserve que ces derniers (consid. 4.5.2).

À l'évidence, le recourant avait manqué à ses devoirs de fidélité, de réserve et de discrétion, manquements qui étaient en général considérés comme de justes motifs de résiliation. Il avait porté de graves accusations relatives à la gestion des SIG, allant jusqu'à demander la révocation de tous les membres du conseil d'administration. Il avait fait état de manière plus ou moins explicite d'une connivence inadmissible du Conseil d'État ou du moins de certains de ses membres avec les organes dirigeants des SIG. Il n'avait pas non plus utilisé ou épuisé les voies internes, que ce fût au sein du conseil d'administration ou dans le cadre de la surveillance exercée par le Conseil d'État. Sans attendre les réponses aux questions qu'il posait au président du conseil d'administration, il avait déposé des interpellations urgentes devant le Grand Conseil dans le but manifeste d'amorcer à chaque fois la polémique. Enfin, la divulgation de son échange de courriels avec la Présidence du conseil sur son blog, de même que la révélation, à la commission de l'énergie du Grand Conseil du contenu des débats tenus par le Conseil d'administration lors d'une séance apparaissaient pour le moins problématiques sous l'angle du secret de fonction (consid. 4.5.3).

7) a. Au niveau fédéral, la Cst. contient une seule disposition générale sur les incompatibilités de fonctions, qui prohibe les mandats simultanés pour les membres des trois pouvoirs (art. 144 al. 1 Cst.) et renvoie à la loi pour d'autres cas d'incompatibilité (art. 144 al. 3 Cst.).

b. L'art. 14 de la loi sur l'Assemblée fédérale du 13 décembre 2002 (loi sur le Parlement - LParl - RS 171.10) prévoit ainsi d'autres cas d'incompatibilité pour les membres de l'Assemblée fédérale, notamment les membres du personnel de l'administration fédérale, y compris les unités administratives décentralisées (art. 14 let. c LParl), les membres des organes directeurs des organisations et des personnes de droit public ou de droit privé extérieures à l'administration qui sont investies de tâches administratives et dans lesquelles la Confédération occupe une position prépondérante (art. 14 let. e LParl), et les personnes qui représentent la Confédération dans les organisations ou les personnes de droit public ou de droit privé extérieures à l'administration qui sont investies de tâches administratives et dans lesquelles la Confédération occupe une position prépondérante (art. 14 let. f LParl).

Ces deux derniers cas - qui font par ailleurs l'objet de critiques en doctrine pour leur trop large portée et donc leur manque de proportionnalité (Lukas SCHAUB, in Bernhard WALDMANN/EvaMaria BELSER/ Astrid ÉPINEY, Bundesverfassung - Basler Kommentar, n. 17 ad art. 144 Cst. ; Benjamin SCHINDLER, op. cit., n. 16 ad art. 144 Cst.) - sont destinés à assurer une séparation effective des pouvoirs au niveau des personnes (Principes interprétatifs édictés par le Bureau du Conseil national et le Bureau du Conseil des États, destinés à faciliter l'application de l'art. 14 let. e et f LParl, FF 2014 3093 ; à teneur desdits principes, la qualité de membre du conseil d'administration est incluse dans la notion de membre des organes directeurs, FF 2014 3095 sous ch. 12).

8) a. De nombreuses constitutions cantonales (toutes publiées et le cas échéant traduites dans le recueil du droit fédéral : https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/13.html#131) utilisent le même schéma que celui de l'art. 144 Cst., à savoir une seule disposition constitutionnelle contenant les cas habituels d'incompatibilité fonctionnelle entre les pouvoirs, et un renvoi à la loi pour le surplus (voir not. les art. 42 Cst-ZH, 33 Cst-LU, 42 Cst-SZ, 41 Cst-NW, 75 Cst-GL, 21 Cst-ZG, 87 Cst-FR, 71 Cst-BS, 51 Cst-BL, 42 Cst-SH, 22 Cst-GR, 29 Cst-TG, 54 Cst-TI, 90 Cst-VD et 48 Cst-NE).

Les constitutions grisonne (art. 22 al. 1 Cst-GR) et thurgovienne (art. 29 al. 1 Cst-TG) prévoient par ailleurs que nul ne peut appartenir à l'autorité de surveillance dont il dépend directement, tandis que la constitution valaisanne (art. 90 al. 2 ch. 2 Cst-VS) donne mandat au législateur ordinaire de veiller à éviter que la même personne appartienne à deux organes dont l'un est subordonné à l'autre.

b. Vu son étendue et sa diversité, ainsi que la très grande marge de manoeuvre organisationnelle conférée aux cantons en la matière, il n'est pas possible de passer en revue l'ensemble des législations cantonales en matière d'incompatibilités entre le mandat de député cantonal et celui de membre du conseil d'administration d'un EPA. Au surplus, plusieurs EPA visés par l'art. 3 al. 1 let. a à f LOIDP et par contrecoup par la norme attaquée n'ont pas d'équivalent dans d'autres cantons, notamment l'AIG et l'hospice général (ci-après : l'hospice) ; quant aux Transports publics genevois (ci-après : TPG), ils n'ont que peu d'équivalents dans les autres cantons, où les entreprises de transport sont le plus souvent soit privées, soit publiques mais à un niveau infracantonal.

Il peut néanmoins être relevé que de telles clauses d'incompatibilité existent, que ce soit dans le domaine de l'énergie (art. 8 al. 1 de la Legge sull'azienda eletttrica ticinese, RS/TI 743.100), des transports publics (art. 9 al. 1ter let. a de l'Organisationsgesetz des Basler Verkehrs-Betriebs, RS/BS 953.100) ou des banques cantonales, étant précisé que le canton de Genève a quant à lui choisi de ne pas faire de sa banque cantonale un EPA (art. 14 al. 2 let. d Gesetz über die Urner Kantonalbank, RS/UR 70.1311 ; art. 11 al. 5 let. a Gesetz über die Basler Kantonalbank, RS/BS 915.200).

9) a. En l'espèce, l'art. 17 al. 1 let. b LOIDP institue une incompatibilité de fonction. Il s'agit d'une base légale formelle, dont la clarté et la densité normative ne font pas débat. Cette disposition interdit ainsi à un administrateur de l'AIG, des HUG, des TPG, des SIG, de l'hospice ou de l'institution de maintien, d'aide et de soins à domicile (ci-après : IMAD), d'être en même temps député au Grand Conseil. À cet égard, on peut se demander si l'on a bien affaire à une restriction aux droits politiques, puisqu'il s'agit de restreindre au premier chef l'accès à la fonction d'administrateur et non à celle de député ; quoi qu'il en soit, les conditions de restriction posées par la jurisprudence citée supra au consid. 5b en matière de droits politiques sont remplies, ainsi qu'il résulte du présent considérant.

b. S'agissant de l'intérêt public poursuivi, il incombe prioritairement aux autorités législatives et exécutives de déterminer l'intérêt public poursuivi par des normes qu'elles édictent ainsi que d'évaluer leur proportionnalité, mais aussi d'établir et exposer les faits étayant les réponses données à ces questions, de façon générale (art. 42 Cst-GE) et en particulier au cours du processus normatif (art. 109 al. 3 Cst-GE). La chambre constitutionnelle doit faire montre d'une certaine réserve dans la vérification de l'intérêt public poursuivi, de même que dans l'appréciation de l'adéquation et de la nécessité de restrictions. Il lui faut cependant s'assurer que l'intérêt public invoqué concerne une réelle problématique appelant une intervention étatique, et que des éléments probants suffisants soutiennent les mesures édictées (ACST/28/2018 du 12 décembre 2018 consid. 7c et les arrêts cités).

Quand bien même l'exposé des motifs fait état uniquement d'une volonté « d'améliorer la crédibilité des acteurs politiques », la norme contestée vise en fait à assurer la séparation des pouvoirs, les EPA ayant pour but de mettre en oeuvre les politiques publiques et faisant ainsi partie du pouvoir exécutif au sens large. Il s'agit notamment d'éviter les conflits d'intérêts entre le mandat politique du député et celui, plus technique et empreint de discrétion, de l'administrateur, en particulier en évitant le porte-à-faux que constitue la situation de se retrouver en même temps contrôleur et contrôlé, le Grand Conseil exerçant généralement la haute surveillance sur les EPA. Qui plus est, au cours de la décennie précédant son adoption, des cas concrets de conflits d'intérêts entre les deux fonctions se sont produits, en particulier celui décrit ci-dessus au consid. 6e. La norme contestée a également pour but de renforcer l'indépendance fonctionnelle des EPA. La norme contestée se fonde dès lors sur un intérêt public suffisant.

c. Le principe de proportionnalité (art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst.) se compose traditionnellement des règles d'aptitude (ou d'adéquation) - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés -, et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et sur le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 133 I 177 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1039/2013 du 16 avril 2014 consid. 6.1 ; ACST/22/2017 du 3 novembre 2017 consid. 7b).

La proportionnalité de la norme attaquée n'est pas mise en doute par le recourant. Le champ d'application de ladite norme est indiscutablement moins large que celui des let. e et f de l'art. 14 LParl critiqué par la doctrine ; le législateur genevois a par ailleurs limité l'incompatibilité aux plus grandes entités de l'administration décentralisée afin de ne régir que les situations posant a priori les plus gros problèmes de conflits d'intérêts.

On doit donc admettre, sur la base de l'analyse pouvant s'effectuer dans le cadre d'un contrôle abstrait, que le principe de la proportionnalité a été respecté. Le respect du principe d'égalité de traitement sera examiné infra (consid. 11).

10) S'agissant du grief mis en avant par le recourant, à savoir la contrariété avec l'art. 83 Cst-GE, force est de constater que ce dernier ne réserve pas expressément la loi pour d'autres cas d'incompatibilité.

Il convient toutefois de prendre en compte le double point de vue qui caractérise toujours l'incompatibilité de fonction. S'il se peut en effet que les deux fonctions soient incompatibles l'une avec l'autre, ou en d'autres termes dans les deux sens (comme celles de Conseiller d'État et de député), il se peut aussi que la première fonction soit incompatible avec la seconde, mais non l'inverse. Ainsi, le droit fédéral ne voit pas d'incompatibilité à être déjà député au plan cantonal lorsque l'on devient membre des chambres fédérales (art. 144 Cst. et 14 LParl cités ci-dessus), tandis que la Cst-GE introduit au contraire une clause d'incompatibilité entre les deux fonctions. Du point de vue pratique, la conséquence pour la personne concernée est la même, mais du point de vue juridique la situation ne peut pas être perçue comme identique. En l'espèce, la norme attaquée est une modification de la LOIDP portant sur l'admission aux conseils d'administration des EPA, et non une modification de la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève du 13 septembre 1985 (LRGC - B 1 01) - dont l'art. 21 reprend intégralement et sans modification l'art. 83 Cst-GE - ajoutant une incompatibilité avec le mandat de député, modification qui serait a priori plus problématique.

Certes, il ne serait pas possible de prévoir une incompatibilité non prévue par l'art. 83 Cst-GE en raison d'un silence qualifié de cette dernière disposition constitutionnelle : ainsi, il n'apparaîtrait pas possible que le législateur, par une modification des lois régissant la fonction publique cantonale, réintroduise une interdiction de siéger au Grand Conseil pour l'ensemble de la fonction publique, alors que l'art. 83 al. 2 Cst-GE est déjà le fruit d'une pesée des intérêts sur ce point et a pour portée de permettre aux agents publics non visés d'être députés. La norme attaquée ne rentre toutefois pas dans cette catégorie. En effet, si le constituant a opéré un arbitrage entre les différents membres du personnel des EPA, les cadres supérieurs de ceux-ci ne pouvant être députés à l'inverse des autres employés, rien n'indique qu'il ait voulu se prononcer sur l'accès à la fonction de membre des conseils des EPA, étant précisé que ces derniers ont, à l'instar des cadres supérieurs, une fonction dirigeante au sein de l'EPA concerné.

En outre, comme le démontre l'absence de toute disposition constitutionnelle relative à la magistrature judiciaire, sans même que la Cst-GE renvoie à la loi sur ce point, ce alors que des cas d'incompatibilité existent manifestement et sont prévus au niveau légal par l'art. 6 LOJ, la Cst-GE ne saurait être interprétée comme réglant exhaustivement les cas d'incompatibilité entre fonctions relatives aux trois pouvoirs.

Il résulte de ce qui précède que l'absence de renvoi à la loi au sein même de l'art. 83 Cst-GE ne doit pas se voir attribuer une portée décisive, une loi pouvant en principe ajouter un cas d'incompatibilité, en particulier lorsqu'il s'agit de déterminer l'accès à une autre fonction que celle de député.

Le grief de contrariété à l'art. 83 Cst-GE sera donc écarté.

11) a. Enfin, le recourant invoque que l'art. 17 al. 1 let. b LOIDP consacrerait une inégalité de traitement dans la loi.

b. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un arrêté viole le principe d'égalité de traitement consacré à l'art. 8 al. 1 Cst. lorsqu'il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu'il omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante. L'inégalité de traitement apparaît ainsi comme une forme particulière d'arbitraire, consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l'être de manière semblable ou inversement (ATF 143 I 361 consid. 5.1;  142 V 316 consid. 6.1.1 ; 141 I 153 consid. 5.1 ; 140 I 77 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_827/2018 du 21 mars 2019 consid. 6.1).

La question de savoir s'il existe un motif raisonnable pour une distinction peut recevoir des réponses différentes suivant les époques et les idées dominantes. Le législateur dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans le cadre de ces principes (ATF 142 I 195 consid. 6.1 ; 138 I 225 consid. 3.6.1 ; 138 I 265 consid. 4.1 ; 137 I 167 consid. 3.5 ; 136 I 1 consid. 4.1).

c. Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a également considéré qu'il était dans la nature de la démocratie représentative que les parlementaires soient, sous une forme ou sous une autre, les représentants d'intérêts ; ils avaient souvent des fonctions importantes au sein d'organisations professionnelles, économiques ou autres. Les fonctionnaires admis à la députation pouvaient être placés plus souvent que d'autres députés dans la situation de s'engager pour les intérêts de leur profession ; de ce point de vue toutefois, ils pouvaient être comparés aux agriculteurs ou aux entrepreneurs, qui s'engageaient aussi pour des mesures favorables à leurs branches. Si l'on voulait éviter des conflits généraux d'intérêts, et non pas des conflits dans des cas isolés, il fallait agir en fixant des règles d'incompatibilité, et les prescriptions sur la récusation n'étaient pas adéquates (ATF 123 I 97 consid. 5c = JdT 1999 I 199, p. 208).

12) Comme cela a déjà été rappelé plus haut, la norme contestée, qui est similaire à diverses règles cantonales de rang constitutionnel ou légal existantes (cf. supra consid. 8a et 8b), ainsi qu'au principe retenu en droit fédéral (cf. supra consid. 7b), repose sur une base légale, répond à un intérêt public et s'avère conforme au principe de la proportionnalité.

Elle rentre dès lors dans le large pouvoir d'appréciation dont disposent les cantons pour créer des distinctions dans la loi, étant rappelé par ailleurs qu'en matière d'incompatibilités règne en droit cantonal comparé une très grande diversité de réglementations.

S'agissant des considérations du recourant relatives à la transparence ou aux nécessaires alertes que pourraient (mieux ou davantage) lancer les administrateurs « représentants de l'intérêt général », il tombe à faux dans la mesure où la norme attaquée ne supprime nullement la représentation politique équilibrée au sein des conseils d'administration. Ainsi, dans les six EPA en cause, la loi prévoit toujours que soit nommé un représentant par parti politique représenté au Grand Conseil, et désigné par ce dernier (art. 9 al. 1 let. a de la loi sur les transports publics genevois du 21 novembre 1975 - LTPG - H 1 55 ; art. 7 al. 1 let. a de la loi sur l'aéroport international de Genève du 10 juin 1993 - LAIG - H 3 25 ; art. 9 al. 1 let. b de la loi sur l'Hospice général du 17 mars 2006 - LHG - J 4 07 ; art. 20 let. a de la loi sur les établissements publics médicaux du 19 septembre 1980 - LEPM - K 2 05 ; art. 6 let. a de la loi sur l'organisation des Services industriels de Genève du 5 octobre 1973 - LSIG - L 2 35 ; art. 10 al. 1 let. b de la loi sur l'Institution de maintien, d'aide et de soins à domicile du 18 mars 2011 - LIMAD - K 1 07). Or, on ne voit pas en quoi la qualité spécifique de député permettrait de davantage mettre au jour d'éventuels dysfonctionnements, ni de connaître de manière plus approfondie le fonctionnement des pouvoirs publics.

Quant à l'argument selon lequel l'incompatibilité introduite ne viserait que les conseils d'administration des établissements publics autonomes importants, alors que des problèmes identiques de conflits d'intérêts existeraient pour les administrateurs d'autres entités publiques décentralisées (ou encore pour les fonctionnaires admis à siéger comme députés, ou encore pour les membres de certaines professions, qui pouvaient siéger dans des commissions les concernant directement), il n'est d'aucun secours au recourant. En effet, il tendrait plutôt à justifier la création de clauses d'incompatibilité supplémentaires qu'à permettre de supprimer celle ici en discussion, étant précisé d'une part que la chambre de céans ne peut, sauf rare exception, opérer qu'un contrôle de nature cassatoire sur les normes qui lui sont soumises (ACST/14/2018 du 28 juin 2018 consid. 10a et les références citées), et d'autre part, que la jurisprudence permettant d'invoquer l'« égalité dans l'illégalité » (arrêt du Tribunal fédéral 1C_231/2018 du 13 novembre 2018 consid. 4.1 et les arrêts cités ; ATA/1348/2017 du 3 octobre 2017 consid. 6c) est impossible à transposer dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes, en l'absence de plusieurs cas concrets d'application pouvant former une base de comparaison, et aussi dans la mesure où l'on peut partir de l'idée qu'une norme qui vient d'être adoptée par le législateur doit normalement, sauf élément permettant concrètement d'en douter, se voir appliquer par le pouvoir exécutif.

Le grief d'inégalité de traitement dans la loi sera ainsi écarté.

Il découle de ce qui précède que le recours, entièrement mal fondé, sera rejeté.

13) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 31 août 2018 par Monsieur A______ contre la loi 12214 du 24 mai 2018 modifiant la loi sur l'organisation des institutions de droit public du 22 septembre 2017 ;

 

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, ainsi qu'au Grand Conseil.

Siégeant : M. Verniory, président, Mmes Galeazzi et Payot Zen-Ruffinen, M. Martin, Mme McGregor, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

M. Michel

 

 

le président :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 



[1][rectification erreur matérielle]