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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/3752/2017

ACST/3/2018 du 05.03.2018 ( ABST ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3752/2017-ABST ACST/3/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 5 mars 2018

 

dans la cause

 

VILLE DE CAROUGE
représentée par Me Fabienne Fischer, avocate

contre

GRAND CONSEIL

 


EN FAIT

1.                                Le 19 décembre 2014, le Grand Conseil a adopté une loi 11394, proposée par quinze députés, modifiant comme suit la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) :

Art. 3 al. 4 (nouvelle teneur)

4 Il n’y a pas de changement d’affectation au sens de la présente loi lorsque des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel sont affectés à l’habitation. Il n’y a également pas de changement d’affectation au sens de la présente loi lorsque ces locaux retrouvent leur destination commerciale, administrative, artisanale ou industrielle antérieure. Le loyer ou le prix des locaux convertis en logement ne peut pas être contrôlé au sens de la présente loi. Est réservé l’éventuel contrôle existant déjà au sens d’une autre loi en matière d’immeubles subventionnés et se poursuivant aux conditions de celle-ci.

Art. 7 Principe (nouvelle teneur)

Sous réserve de l’article 3, alinéa 4, nul ne peut, sauf si une dérogation lui est accordée au sens de l’article 8, changer l’affectation de tout ou partie d’un bâtiment au sens de l’article 2, alinéa 1, occupé ou inoccupé.

Cette loi est entrée en vigueur le 25 juillet 2015, après avoir été acceptée en votation référendaire le 14 juin 2015 (ROLG 2015 p. 393).

2.                                Le 22 novembre 2016, le conseil administratif de la Ville de Carouge (ci-après : la Ville) a présenté au Conseil municipal un projet de plan d’utilisation du sol couvrant le périmètre du Vieux-Carouge, de l’Octroi, de la place d’Armes et des Promenades, accompagné d’un projet de règlement relatif audit plan d’utilisation du sol.

Les art. 5 et 6 de ce projet de règlement prévoient respectivement, pour les bâtiments existants, le maintien de leur affectation et destination (en particulier, s’agissant des rez-de-chaussée, à des activités ouvertes au public), et, pour des surfaces supplémentaires, leur affectation à des activités ouvertes au public s’agissant des rez-de-chaussée et au logement s’agissant des étages. Selon l’art. 7 dudit projet, tout changement d’affectation ou de destination, même en l’absence de travaux, serait soumis à autorisation au sens de l’art. 1 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), de même que toute affectation ou destination de surfaces supplémentaires, qui serait définie dans l’autorisation de construire ; ladite autorisation serait délivrée par l’autorité cantonale compétente (soit le département de l’aménagement, du logement et de l’énergie [ci-après : le DALE]), qui devrait requérir préalablement l’accord du Conseil administratif de la Ville. L’art. 8 dudit projet indique les cas dans lesquels cet accord serait en principe donné, mais sans lequel nul ne pourrait modifier l’affectation ou la destination prévue aux art. 5 et 6 de tout ou partie d’un bâtiment.

3.                                En date du 3 janvier 2017, onze députés ont déposé devant le Grand Conseil un projet de loi modifiant la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), par l’ajout de l’al. 8 (nouveau) suivant à l’art. 1 LCI :

8 La modification de destination de constructions ou installations à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel en logements oblige uniquement à une déclaration auprès de l’autorité compétente.

À teneur de son exposé des motifs, ce projet de loi (ci-après : PL 12045) visait à harmoniser la LCI avec la modification précitée des art. 3 al. 4 et 7 LDTR.

4.                                Par un rapport du 24 avril 2017 (PL 12045-A), la commission du logement a recommandé au Grand Conseil, par 9 voix contre 5, d’adopter ce projet de loi.

5.                                Le Grand Conseil a adopté le PL 12045 le 12 mai 2017, sans amendement, en trois débats, et dans son ensemble par 59 oui, 18 non et 14 abstentions.

6.                                La loi 12045 a été publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 19 mai 2017, puis, aucun référendum n’ayant été demandé à son encontre, promulguée dans celle du 28 juillet 2017.

7.                                Elle est entrée en vigueur le 29 juillet 2017, conformément à son art. 2 souligné fixant son entrée en vigueur au lendemain de sa promulgation.

8.                                Par acte du 14 septembre 2017, la Ville a recouru contre la loi 12045 par-devant la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle), en concluant à son annulation.

La Ville fondait sa qualité pour recourir sur une violation de l’autonomie communale lui revenant en matière d’aménagement du territoire.

La loi 12045 violait le droit fédéral, à savoir l’art. 22 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700), aux termes duquel aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l’autorité compétente (al. 1), et la délivrance de l’autorisation requiert que la construction ou l’installation soit conforme à l’affectation de la zone (al. 2 let. a). Un changement d’affectation était assimilé à des travaux de transformation, même lorsqu’il ne nécessitait pas de travaux de construction pouvant avoir une incidence manifeste sur l’affectation du sol ; il ne pouvait être dispensé d’autorisation, en l’absence de travaux, que si la nouvelle affectation correspondait à celle de la zone en question ou si son effet sur l’environnement et la planification était manifestement mineur ; or, la conversion de locaux en logements devait être conforme aux plans d’affectation du sol régissant la parcelle concernée et son effet sur la planification n’était pas mineur. Le législateur n’avait pas traité l’effet de la dispense d’autorisation prévue par l’art. 1 al. 8 LCI sur la planification, omettant de considérer l’hypothèse dans laquelle des activités seraient prescrites par des plans de zone (comme dans le secteur Praille -Acacias -Vernets, régi par une loi et un règlement d’application) ou par des plans d’affectation spéciaux (plan d’utilisation du sol [ci-après : PUS] ou plan localisé de quartier [ci-après : PLQ]). Ainsi, en zone industrielle, la transformation en logements de surfaces industrielles existantes nécessitait l’obtention d’une dérogation selon l’art. 26 al. 2 LAT, donc le dépôt d’une demande d’autorisation de construire. Une autorisation restait nécessaire en application de dispositions légales auxquelles le législateur n’avait pas touché, comme l’art. 3 de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35) ou la loi sur l’extension des voies de communication et l’aménagement des quartiers ou localités du 9 mars 1929 (LExt - L 1 40). Il fallait aussi qu’un changement d’affectation fasse l’objet, même en l’absence de travaux, d’un contrôle du respect des obligations légales incombant aux propriétaires en matière d’habitabilité, de salubrité et de sécurité, qui n’étaient pas les mêmes pour un local voué à des activités ou un logement.

La loi 12045 portait atteinte à l’autonomie de la Ville. Cette dernière serait entravée dans l’exercice de ses prérogatives communales en matière d’aménagement du territoire, comme autorité planificatrice en matière de PUS, dans la mesure où la dispense de requérir une autorisation de construire que prévoyait l’art. 1 al. 8 LCI attaqué ne lui permettrait pas de faire appliquer son RPUS une fois qu’il serait adopté. N’ayant la compétence ni de délivrer des autorisations de construire spécifiques, ni de sanctionner les violations de son RPUS, elle devait obligatoirement s’appuyer sur les dossiers à déposer devant l’autorité cantonale pour pouvoir se déterminer dans le cadre de son préavis.

9.                                Par réponse du 11 octobre 2017, le Grand Conseil s’en est rapporté à justice quant à la recevabilité du recours et a conclu au rejet de ce dernier.

Au regard de l’art. 22 LAT, un simple changement d’affectation d’une construction ou installation ne tombait sous le coup du droit fédéral que s’il était de nature à exercer une influence locale perceptible sur le régime d’utilisation du sol ; en l’absence de travaux, il pouvait être dispensé d’autorisation si la nouvelle affectation correspondait à celle de la zone en question ou si son effet sur l’environnement et la planification était manifestement mineur. Une autorisation requise par l’art. 22 LAT ne devait pas forcément résulter d’une procédure ordinaire d’autorisation de construire ; une dispense de toute autorisation était admissible pour des constructions ou installations négligeables, et une simple obligation de déclarer ou une procédure simplifiée l’étaient pour certains projets de construction. L’art. 1 al. 8 LCI attaqué ne dispensait pas les administrés de respecter l’ensemble du droit matériel en vigueur, et il ne permettait pas de destiner des locaux à l’habitation en contradiction avec un plan d’affectation, qui avait force obligatoire en vertu de l’art. 21 al. 1 LAT. Seuls des changements d’affectation insignifiants pouvaient se passer de mesures constructives. L’art. 1 al. 8 LCI visait des hypothèses dans lesquelles, en l’absence de travaux, la modification de destination respectait l’affectation à l’habitation de la zone concernée ou aurait une incidence mineure sur l’environnement et la planification. Cette disposition prévoyait une obligation de déclaration à l’autorité compétente, qui pourrait intervenir si un changement d’affectation ne pouvait être dispensé d’autorisation au sens de l’art. 22 LAT ou entrait en conflit avec le droit matériel pertinent (en particulier avec des normes relevant du droit de l’aménagement du territoire ou de l’habitabilité, de la sécurité ou de la salubrité). Le grief d’inopportunité de ladite disposition n’était pas recevable.

Les communes genevoises ne disposaient pas d’une liberté de décision relativement importante en matière d’aménagement du territoire, d’utilisation du sol et de police des constructions. Les PUS avaient pour unique objectif de donner une ligne directrice quant à l’affectation du territoire communal, et leur application demeurait de la compétence des autorités cantonales, qui n’étaient pas liées par les préavis de la commune. En tout état, une autonomie accordée aux communes pouvait être reprise par le canton moyennant l’adoption d’une loi formelle, à l’instar du nouvel art. 1 al. 8 LCI. Cette disposition constituait une lex specialis par rapport à l’art. 1 al. 1 let. b LCI, qui exigeait une autorisation pour le changement de destination d’une construction et permettait aux communes d’imposer, dans leurs PUS, le maintien de certaines activités, ainsi que la Ville prévoyait de le faire. La portée de cet art. 1 al. 1 let. b LCI se trouvait désormais réduite, en ce sens que la transformation de locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel en logements était soustraite de son champ d’application. Un tel changement de destination n’était plus soumis à autorisation administrative ; la Ville ne pouvait exiger, sur la base de son projet de règlement, que les autorités cantonales continuent à requérir une autorisation de construire pour un tel changement de destination de locaux, même en l’absence de travaux. La déclaration prévue par l’art. 1 al. 8 LCI permettrait d’assurer le respect d’une éventuelle compétence résiduelle qui resterait en mains des communes en matière de changement d’affectation de locaux. La disposition attaquée poursuivait un but cohérent avec celui de la LExt de permettre de maintenir et rétablir l’habitat dans les quatre premières zones de construction.

10.                            Par réplique du 14 novembre 2017, la Ville a persisté dans les conclusions de son recours.

L’art. 1 al. 8 LCI prévoyait une exonération du régime général d’autorisation préalable de construire qui contredisait le sens, l’esprit et le but poursuivi par l’art. 22 LAT ; la possibilité d’un contrôle a posteriori, consécutif à la déclaration d’un changement d’affectation opéré, n’en permettait pas une interprétation conforme au droit supérieur. Le changement d’affectation de surfaces d’activités en logements imposait des travaux, tels que l’installation d’éléments permettant de cuisiner, qui était assujettie, par le droit fédéral, à autorisation préalable.

Le Tribunal fédéral avait déjà jugé que les communes genevoises disposaient d’une autonomie en matière de PUS, et qu’elles pouvaient dès lors recourir tant contre les excès de compétence des autorités cantonales que contre la violation par ces dernières des règles du droit fédéral, cantonal ou communal régissant la matière. La ligne directrice qu’arrêtait la commune par l’adoption d’un PUS était contraignante pour l’autorité cantonale chargée de délivrer, formellement, l’autorisation de construire, et la commune avait qualité pour recourir dans toute procédure relative à l’application d’un PUS. L’autonomie communale en matière de PUS ne pouvait être valablement restreinte par le simple « effet ricochet » de la disposition adoptée, nullement examiné par le législateur.

11.                            Par duplique du 6 décembre 2017, le Grand Conseil a persisté dans l’argumentaire et les conclusions de sa réponse au recours.

L’art. 1 al. 8 LCI ne permettait de renoncer à une autorisation de construire ordinaire qu’en cas de changement d’affectation sans travaux soumis à autorisation préalable. La solution pragmatique de ne pas exiger d’autorisation préalable de construire dans ces cas mais d’imposer une obligation de déclaration était conforme au principe de la proportionnalité. L’art. 1 al. 8 LCI contesté avait pour objet de déroger partiellement à l’art. 1 al. 1 let. b LCI, exigeant jusque-là l’obtention d’une autorisation de construire pour une modification de la destination d’une construction ou d’une installation. Il ne s’appliquerait, en l’absence de travaux, que si la nouvelle affectation était conforme à celle de la zone en question ou si son incidence sur l’environnement ou la planification était manifestement mineure. Il n’était pas contraire à l’art. 22 LAT.

Si les communes genevoises pouvaient invoquer de lege lata l’autonomie communale pour l’élaboration et l’adoption de PUS, elles n’en disposaient d’aucune en matière de police des constructions, matière dont relevait l’art. 1 al. 8 LCI. Les préavis émis par les communes sur la base de leurs PUS n’avaient qu’une valeur consultative ; l’autorité cantonale pouvait s’en écarter à la condition d’exercer son pouvoir d’appréciation avec diligence. Une reprise par le canton d’une autonomie accordée aux communes, moyennant le respect du principe du parallélisme des formes, ne supposait pas que le législateur ait eu la volonté expresse de redéfinir l’autonomie communale.

12.                            Dans des observations après duplique du 16 janvier 2018, la Ville a persisté dans les conclusions de son recours.

Elle avait qualité pour recourir également à titre de propriétaire de nombreuses parcelles de son domaine privé sises sur son territoire, dont vingt-cinq étaient énumérées.

En tant que norme, dont le contrôle abstrait était requis, l’art. 1 al. 8 LCI battait en brèche le principe même du régime d’autorisation de construire voulu par l’art. 22 LAT, contrairement à ce qui pouvait être admis ponctuellement dans le cadre d’un contrôle concret de cas particuliers. L’impact de cette disposition sur l’environnement et la planification était important ; des immeubles destinés à l’activité pouvaient être conçus et équipés de manière à pouvoir être transformés ultérieurement en logements sans travaux, sans contrôle de conformité à l’affectation de la zone.

L’autonomie communale en matière de PUS se déduisait aussi des art. 135 al. 2 et 134 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00). Le Grand Conseil n’avait pas associé les communes à la procédure d’adoption de l’art. 1 al. 8 LCI, violant leur droit d’être entendues, faisant partie intégrante de l’autonomie communale ; cette violation ne pouvait être réparée dans le cadre d’un contrôle abstrait. L’autonomie des communes pour l’application des PUS et RPUS résultait aussi du fait que celles-ci s’exprimaient à ce propos par le biais de préavis qui, à l’inverse de préavis simplement consultatifs, liaient le DALE.

13.                            Les observations de la Ville ont été transmises au Grand Conseil par courrier du 18 janvier 2018, après quoi la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             a. La chambre constitutionnelle est compétente pour connaître de recours interjetés, comme en l’espèce, contre une loi cantonale aux fins de contrôle abstrait de sa conformité au droit supérieur (art. 124 let. a Cst-GE ; art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; ACST/22/2017 du 3 novembre 2017 consid. 1a).

b. Le recours a été interjeté en temps utile (art. 62 al. 1 let. d et al. 3 phr. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), compte tenu de la suspension du délai de recours du 15 juillet au 15 août inclusivement (art. 63 al. 1 let. b LPA), et il respecte les conditions de forme et de contenu prévues par les art. 64 al. 1 et 65 LPA, dont celle d’un exposé détaillé des griefs (art. 65 al. 3 LPA).

2.             a. La qualité pour recourir devant la chambre constitutionnelle contre un acte normatif n’est pas définie par la loi différemment que pour les recours devant les juridictions administratives genevoises en général (art. 60 LPA). Le législateur genevois n’a pas envisagé en la matière un autre mode de saisine que le recours de particuliers (ACST/3/2017 du 23 février 2017 consid. 4d in fine), qui est ouvert à toute personne (physique ou morale) dont les intérêts sont effectivement touchés par l’acte attaqué ou pourraient l’être un jour avec un minimum de vraisemblance et ont un intérêt actuel ou virtuel digne de protection à son annulation, mais en principe pas aux personnes morales de droit public (art. 60 al. 1 let. b LPA ; art. 89 et 111 al. 1 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 – LTF - RS 173.110 ; ACST/22/2017 précité consid. 2b et jurisprudence et doctrines citées ; cf. cependant ci-après consid. 2c).

b. L’art. 60 al. 1 let. d LPA, qui s’applique aussi au contrôle abstrait des normes (ACST/6/2017 du 19 mai 2017 consid. 3a), reconnaît cependant la qualité pour recourir aux communes, établissements et corporations de droit public lorsqu’ils allèguent une violation de l’autonomie que leur garantissent la loi et la constitution. La recevabilité d’un tel recours suppose que l’entité considérée soit touchée par l’acte attaqué comme détentrice de la puissance publique et allègue de façon suffisamment vraisemblable une violation de son autonomie ; les questions de l’existence et de l’étendue d’une autonomie dans les matières considérées relèvent du fond (ATF 136 I 404 consid. 1.1.3 ; 135 I 43 consid. 1.2 ; 129 I 313 consid. 4.2 ; ACST/6/2017 précité consid. 3 ; Étienne POLTIER, Les actes attaquables et la légitimation à recourir en matière de droit public, in Dix ans de loi sur le Tribunal fédéral, 2017, p. 123 ss, n. 117, 126 et 151 ; Florence AUBRY GIRARDIN, in Bernard CORBOZ et al. [éd.], Commentaire de la LTF, 2ème éd., 2014, n. 51 art. 89 LTF ; Pascal MAHON, Droit constitutionnel, vol. I, 3ème éd., 2014, n. 315 p. 383, n. 327 p. 395 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, 3ème éd., 2013, vol. I, n. 303 et 2188 ; Heinz AEMISEGGER, in Karl SPÜHLER et al. [éd.], Bundesgerichtsgesetz [BGG]. Praxiskommentar, 2ème éd., 2013, n. 37 ad art. 89).

En l’espèce, la commune recourante se plaint d’une violation de son autonomie. D’après elle, en soustrayant la conversion de locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel en logements à l’exigence de l’obtention préalable d’une autorisation de construire, la loi attaquée empêcherait la mise en œuvre d’un PUS et d’un RPUS qu’elle a la compétence d’adopter (et est d’ailleurs en train d’adopter) sur la base de la LExt. Elle porterait atteinte à ses prérogatives découlant de ses qualités d’autorité planificatrice en matière d’aménagement du territoire et d’autorité appelée à participer, par l’émission de préavis et le cas échéant l’exercice d’un droit de recours ou d’intervention dans le cadre de procédures de recours, à assurer le respect des normes qu’elle a la compétence d’édicter par le biais des instruments précités de planification de l’utilisation du territoire communal.

La commune recourante est touchée par l’acte attaqué comme détentrice de la puissance publique et elle allègue de façon suffisamment vraisemblable une violation de son autonomie. Aussi faut-il lui reconnaître la qualité pour recourir contre cet acte en vertu de l’art. 60 al. 1 let. d LPA. Peu importe que la commune recourante n’ait pas encore adopté de PUS et de RPUS. En tant qu’elle requiert le contrôle abstrait d’un acte normatif, il suffit qu’elle dispose d’un intérêt virtuel à son recours, à savoir – ce qui est le cas – qu’elle puisse un jour adopter un tel instrument de planification de l’utilisation de son territoire et, avec un minimum de vraisemblance, être alors entravée dans sa mise en œuvre (ACST/22/2017 précité consid. 2b et jurisprudence et doctrine citées).

c. Au demeurant, à teneur d’un récent arrêt du Tribunal fédéral, une commune a qualité pour recourir sur la base de l’art. 89 al. 1 LTF contre une disposition cantonale qui l’entraverait dans l’exercice des prérogatives dont elle dispose en matière d’aménagement du territoire, lorsqu’elle est touchée comme détentrice de la puissance publique par un acte concernant des intérêts publics essentiels dans un domaine relevant de sa compétence (arrêt 1C_222/2016 du 5 juillet 2017 consid. 1.3.2, non publié aux ATF 143 II 476, et jurisprudence citée). Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a admis que tel était le cas d’une disposition privant une commune fribourgeoise des moyens de lutter contre une thésaurisation des parcelles constructibles situées sur son propre territoire ; il a fondé cette conclusion d’une part sur l’art. 2 al. 1 LAT, exigeant la prise en compte des compétences des communes en matière d'aménagement dans l'accomplissement des tâches ayant un effet sur l'aménagement du territoire, et d’autre part sur l’art. 15a al. 1 LAT, prévoyant que les communes doivent pouvoir collaborer aux mesures visant à une utilisation conforme des zones à bâtir. Aux mêmes conditions – paraissant ici remplies –, la commune recourante doit pouvoir recourir devant les juridictions cantonales sur la base de l’art. 60 al. 1 let. b LPA, dès lors que celui-ci ne saurait être interprété plus restrictivement que ne l’est l’art. 89 al. 1 LTF (art. 111 al. 1 LTF ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_196/2017 du 22 novembre 2017 consid. 2.1).

d. La commune recourante devrait au surplus se voir reconnaître la qualité pour recourir à l’égal de propriétaires de parcelles, en tant qu’elle est propriétaire de nombreuses parcelles de son domaine privé sises sur son territoire, si la vraisemblance se confirmait qu’elle se trouve de la sorte et en cette qualité dans un rapport de proximité suffisant étroit, spécial et digne d’être protégé avec des modifications de destination visées par l’art. 1 al. 8 LCI susceptibles d’être un jour opérées, sans autorisation d’après la norme attaquée.

e. Le recours doit donc être déclaré recevable.

3.             a. Il faut déterminer en premier lieu si la commune recourante dispose effectivement d’une autonomie dans le domaine de l’aménagement du territoire et la mise en œuvre des normes qu’elle peut le cas échéant adopter en la matière.

b. L’autonomie communale est garantie dans les limites fixées par le droit cantonal (art. 50 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 ; art. 132 al. 2 Cst-GE).

Une commune bénéficie de la protection de son autonomie dans les domaines que le droit cantonal ne règle pas de manière exhaustive mais laisse en tout ou en partie dans la sphère communale, conférant par-là aux autorités municipales une appréciable liberté de décision. Celle-ci peut tenir dans la faculté d’adopter et/ou appliquer des normes communales, mais aussi dans une marge d’appréciation dans l’application du droit fédéral ou cantonal. Pour être protégée, l’autonomie ne doit pas nécessairement concerner toute une tâche communale, mais uniquement un domaine déterminé. Pour savoir si une commune est autonome, il suffit de déterminer si elle est libre de faire des choix, sous sa propre responsabilité et en fonction d’options qu’elle définit elle-même ; il n’est pas déterminant qu’elle agisse en vertu de compétences propres plutôt que déléguées, ni en étant soumise à un pouvoir de surveillance cantonal restreint à la légalité plutôt que s’étendant à l’opportunité (ATF 136 I 395 consid. 3.2.1 ; 136 I 316 consid. 2.1.1 ; 136 I 265 consid. 2.1 ; 133 I 128 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_756/2015 du 3 avril 2017 consid. 2.3 ss ; ACST/6/2017 du 19 mai 2017 consid. 5a ; ATA/170/2015 du 17 février 2015 consid. 6a ; ATA/122/2012 du 6 mars 2012 consid. 3a ; Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, 2018, vol. II, n. 3872 ss ; Ulrich HÄFELIN / Walter HALLER / Helen KELLER / Daniela THURNHER, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 9ème éd., 2016, n. 974 ss ; Eva Maria BELSER / Nina MASSÜGER, in Bernhard WALDMANN et al. [éd.], Bundesverfassung, 2015, n. 15 ss ad art. 50 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit. vol. I, n. 265 ss, 287 ss ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 168 ss ; Stéphane GRODECKI, Les compétences communales – Comparaison intercantonale, in Thierry TANQUEREL / François BELLANGER [éd.], L’avenir juridique des communes, 2007, p. 25 ss).

c. La Cst-GE n’attribue pas de compétence aux communes en matière d’aménagement du territoire (cf. art. 163 ss Cst-GE). Contrairement à ce que prétend la commune recourante, une autonomie en la matière ne peut en particulier se déduire de l’art. 135 al. 2 Cst-GE voulant que, de façon générale (et non spécifiquement dans le domaine de l’aménagement du territoire), le canton mette en place un processus de concertation avec les communes dès le début de procédures de planification et de décision, ni de l’art. 134 phr. 1 Cst-GE prévoyant que les communes encouragent la population à participer à l’élaboration de la planification et des décisions communales. La loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) suppose toutefois que les communes détiennent certaines compétences en la matière visée par cette loi dès lors qu’elle prévoit, à son art. 2 al. 1, que les autorités cantonales et communales veillent, dans les limites de leurs compétences, à coordonner leurs efforts pour atteindre les buts fixés par la législation fédérale et cantonale sur l’aménagement du territoire, la charge d’appliquer la LaLAT revenant cependant à l’autorité cantonale (soit au DALE) à défaut d’attribution expresse à une autre autorité (art. 2 al. 4 LaLAT).

Dans le canton de Genève, les plans d’affectation, dont la LAT prévoit l’adoption pour régler le mode d’utilisation du sol (art. 14 al. 1 LAT), sont pour l’essentiel du ressort des autorités cantonales – dont notamment les plans de zone (art. 12 LaLAT) et les PLQ (art. 1 ss LExt ; art. 5A s. LGZD) –, même si les communes doivent être consultées au cours de leur élaboration et disposent même d’un droit d’initiative en vue de l’adoption ou la modification de certains d’entre eux (art. 15A al. 4 et 5 LaLAT ; art. 1 al. 3 LExt ; art. 5A al. 2 LGZD ; ACST/14/2017 du 30 août 2017 consid. 4). Les art. 15A ss LExt attribuent toutefois aux communes la compétence d’adopter des PUS et des RPUS, afin de maintenir et de rétablir l’habitat dans les quatre premières zones de construction au sens de l’art. 19 LaLAT et dans leurs zones de développement, d’y favoriser une implantation des activités qui soit harmonieuse et équilibrée, tout en garantissant le mieux possible l’espace habitable et en limitant les nuisances qui pourraient résulter de l’activité économique (art. 15A al. 1 LExt). Les PUS ont pour but de donner une ligne directrice quant à l’affectation du territoire communal en le répartissant notamment en terrains à bâtir – dans des secteurs aux prépondérances respectivement d’intérêt public, d’habitation ou de logements, ou de travail ou d’emplois – et en espaces verts, privés ou publics, y compris les secteurs de détente en nombre et surface suffisants (art. 15B LExt). Les RPUS définissent les taux de répartition dans les différents secteurs, afin d’assurer notamment un équilibre entre l’habitat et l’artisanat, le commerce, l’administration, tant publique que privée, et les secteurs de détente (art. 15C LExt).

Les compétences qui reviennent aux communes genevoises pour l’adoption de PUS et de RPUS leur laissent le choix entre des options bien différentes quant à l’affectation des parcelles, bâtiments et locaux sis sur leur territoire, dans le but qu’elles soient associées, en tant que collectivités locales proches de leur population résidente ou active, à la définition des utilisations admissibles de leur territoire (Jacques DUBEY, op. cit., vol. II, n. 3889 ss, 3893 ss), au demeurant conformément aux art. 2 al. 1 et 15a al. 1 LAT précités (cf. consid. 2c). Elles sont source d’autonomie dans ce domaine spécifique de l’aménagement du territoire, ainsi que l’a d’ailleurs admis le Tribunal fédéral (arrêt du 1er novembre 2015 dans les causes 1C_253/2013 et 1C_259/2013 consid. 2.2).

d. Il est vrai que les communes genevoises ne détiennent pas, formellement, de compétence décisionnaire pour l’application des PUS et RPUS qu’elles élaborent. C’est l’autorité cantonale en charge de la police des constructions, soit le DALE, qui, formellement, statue sur la conformité de projets de construction à ces instruments communaux de planification du territoire et sur l’octroi de dérogations, dans le cadre de la procédure administrative instituée par la LCI, en même temps qu’elle se prononce sur le respect des diverses contraintes résultant des autres plans d’affectation du sol et multiples prescriptions applicables auxdits projets (art. 1 al. 6 LCI). On ne saurait en déduire que les communes sont dépourvues de toute autonomie pour la mise en œuvre de leurs PUS et RPUS.

Une autonomie communale en matière législative doit trouver un certain prolongement, sous une forme ou une autre, au stade de l’application des règles édictées en vertu de cette autonomie. La protection accordée aux communes dans leur fonction législative risquerait d’être vaine si celles-ci ne pouvaient s’en prendre à l’autorité cantonale qui ne respecterait pas le droit communal dans des cas d’application (Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. I, n. 289). Pour la mise en œuvre de leurs PUS et RPUS, les communes genevoises sont appelées à faire valoir leur position, le cas échéant à se prononcer sur l’octroi ou le refus d’une dérogation, par le biais d’un préavis au cours de la procédure d’autorisation de construire (art. 3 al. 3 LCI), et elles sont habilitées, en tant que communes du lieu de situation, à recourir contre la délivrance d’une autorisation de construire et à intervenir en procédure en cas de recours contre le refus d’une autorisation (art. 145 al. 2 LCI ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_362/2011 du 14 février 2012 consid. 2.3.2 ; Stéphane GRODECKI, La qualité pour recourir des communes genevoises au Tribunal fédéral en droit de la construction, RDAF 2010 I 244, p. 251).

Sans doute les préavis communaux sont-ils, en règle générale, consultatifs et ne lient-ils pas l’autorité de décision (art. 3 al. 3 phr. 1 et 2 LCI). Il a cependant été jugé qu’une dérogation fondée sur un RPUS accordée ou refusée par l’exécutif communal (sous la forme d’un préavis) revêt un poids certain, sinon lie l’autorité de décision (ATA/824/2014 du 28 octobre 2014 consid. 11 et 14). Celle-ci ne saurait admettre sans de bonnes raisons, à l’encontre d’un préavis communal, qu’un projet de construction ne serait pas contraire à un PUS et/ou un RPUS ou peut être autorisé en dépit du fait qu’il ne bénéficierait pas d’une dérogation accordée par la commune (ATA/422/2015 du 5 mai 2015 consid. 10 ; ATA/824/2014 précité consid. 15 et 16 ; ATA/451/2014 du 17 juin 2014 consid. 8). Le pouvoir d’appréciation du DALE est plus restreint en la matière que s’agissant de préavis concernant par exemple l’octroi d’une dérogation aux rapports de surface en application de l’art. 59 al. 4 let. a LCI, domaine dans lequel l’exigence d’un préavis communal n’est pas source d’autonomie communale (ATA/699/2015 du 30 juin 2015 consid. 8c ; ATA/828/2015 précité consid. 7).

e. C’est donc à bon droit que la commune recourante se prévaut d’une autonomie pour l’adoption et la mise en œuvre d’un PUS et RPUS qu’elle adopterait.

4.             a. La commune recourante se plaint de ce que les communes, dont elle-même, n’ont pas été entendues au cours de la procédure d’adoption de l’art. 1 al. 8 LCI.

b. Elle cite, à l’appui de ce grief, un arrêt du 29 avril 1970 dans lequel le Tribunal fédéral a jugé que l’autonomie communale confère aux communes le droit d’être entendues lorsque le canton édicte des prescriptions portant atteinte à leur sphère d’autonomie (ATF 96 I 234 consid. 2). Sauf à imposer une procédure quasiment généralisée de consultation des communes, on ne saurait déduire de cet arrêt que toute modification législative susceptible, ne serait-ce qu’indirectement, d’affecter ou compliquer l’exercice d’une compétence communale ne saurait être adoptée sans qu’une audition des communes n’ait eu lieu formellement, sous peine d’annulation des normes considérées. Selon l’art. 50 al. 1 Cst., c’est le droit cantonal qui fixe l’étendue de la protection reconnue à l’autonomie communale. Or, l’art. 110 Cst-GE ne prévoit une participation des communes au processus législatif, par une invitation à se prononcer lors des travaux préparatoires, que concernant des actes législatifs et des conventions intercantonales importants ainsi que d’autres projets de grande portée.

Dans la cause jugée par le Tribunal fédéral, la commune concernée se trouvait directement et substantiellement atteinte dans sa compétence d’édicter un règlement de constructions avec plan de zones par une ordonnance de l’Exécutif cantonal protégeant un paysage digne de protection. En l’espèce, la compétence reconnue aux communes genevoises d’édicter des PUS et des RPUS n’est nullement diminuée par la norme attaquée ; en revanche, cette dernière complique, par la suppression d’une procédure formelle, les moyens des communes de s’assurer de la mise en œuvre concrète des normes d’aménagement du territoire qu’elles édicteraient lorsque – comme cela sera expliqué plus loin – des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel seraient convertis en logements sans que des travaux soumis à autorisation de construire n’accompagnent cette modification de destination. Il ne s’agit pas d’un acte législatif important au sens de cet art. 110 Cst-GE, même si son effet ne doit pas être sous-estimé.

Il peut au demeurant être attendu des communes – en particulier d’une ville comme la commune recourante, dotée de moyens et services administratifs le lui permettant – de suivre les travaux se déroulant devant le Grand Conseil et de se faire entendre lorsqu’elles identifient des projets d’actes législatifs susceptibles selon elles de réduire leur autonomie. La commune recourante ne l’a pas fait.

c. Dans la mesure où la commune recourante aurait en l’occurrence qualité pour recourir non seulement pour violation de son autonomie, mais aussi à l’égal d’un particulier (cf. consid. 2c et d), il sied de préciser que, de manière générale, les particuliers n’ont qu’exceptionnellement un droit d’être entendus dans la procédure législative, à savoir en vertu de normes constitutionnelles spécifiques imposant à l’État (au premier chef au législateur) des devoirs de protection ou en considération d’une qualité de destinataires dits « spéciaux » de normes ne touchant qu’un très petit nombre de personnes (ATF 137 I 195 consid. 2.4 ; 134 I 269 consid. 3.3.1 ; 131 I 91 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_589/2016 du 8 mars 2017 consid. 6.3 et jurisprudence citée, in SJ 2018 I 1 ; ACST/6/2016 du 19 mai 2016 consid. 5). La commune recourante ne peut se prévaloir de l’une ou l’autre de ces exceptions.

d. Le grief de violation du droit d’être entendu doit donc être rejeté.

5.             a. Compte tenu du contexte dans lequel la loi attaquée a été adoptée et d’ambiguïtés affectant les travaux préparatoires de cette loi, il y a lieu de déterminer son sens et sa portée véritables avant d’en vérifier la conformité au droit supérieur.

b. La loi s’interprète en premier lieu d’après sa lettre (interprétation littérale). Si le texte légal n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il y a lieu de dégager sa véritable portée de sa relation avec d’autres dispositions légales et de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique) (ATF 129 V 258 consid. 5.1 et les références citées). Il y a lieu d’utiliser ces diverses méthodes d’interprétation de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 125 II 206 consid. 4a). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 119 Ia 241 consid. 7a et les arrêts cités).

c. En l’occurrence, le recours est dirigé et ne peut l’être que contre le nouvel art. 1 al. 8 LCI issu de la loi 12045, et non contre les art. 3 al. 4 et 7 LDTR modifiés par la loi 11394. Il faut néanmoins évoquer la portée de cette modification-ci, dès lors que la loi 12045 a été présentée comme une simple mise en harmonie de la LCI avec ladite modification de la LDTR.

6.             a. La LDTR a pour but de préserver l’habitat et les conditions de vie existants, ainsi que le caractère actuel de l’habitat dans les zones visées expressément par la loi (art. 1 al. 1 LDTR ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.406/2005 du 9 janvier 2006 consid. 3.3 ; ATA/373/2016 du 3 mai 2016 consid. 5a). À cet effet, elle prévoit notamment des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d’affectation des maisons d’habitation (art. 1 al. 2 let. a LDTR).

b. Au nombre des opérations dites de transformation, qui restent soumises à autorisation (art. 9 LDTR), figurent notamment tous les travaux qui ont pour objet de modifier la destination de tout ou partie d’une maison d’habitation et la création d’installations nouvelles d’une certaine importance (telles que salles de bains et cuisines), et la rénovation (c’est-à-dire la remise en état), même partielle, de tout ou partie d’une maison d’habitation, en améliorant le confort existant sans modifier la distribution des logements (art. 3 al. 1 LDTR). Les travaux d’entretien ne sont pas soumis à autorisation (art. 3 al. 2 LDTR). La distinction entre les travaux de transformation et ceux d’entretien n’est pas aisée. Sont par exemple des travaux de transformation le remplacement de cuisines et d’installations sanitaires désuètes impliquant la création d’un système d’adduction d’eau et d’évacuation des eaux usées, mais sont des travaux d’entretien le remplacement des installations sanitaires avec la peinture des pièces concernées par ces travaux (Emmanuelle GAIDE / Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR, 2014, p. 183 ss, not. ch. 1.5, 2 et 3, et – pour de nombreux exemples, cités références à l’appui – p.  200 ss ch. 2.5.10 et p. 210 ss ch. 3.4).

Pour qu’une autorisation de transformer un logement soit accordée, il faut que, cumulativement, les travaux soient nécessaires ou utiles et que les logements transformés répondent aux besoins prépondérants de la population ; le DALE fixe les loyers des logements transformés, sauf exceptions (art. 9 al. 3 à 6 et art. 10 et 11 LDTR). Sur le plan procédural, le propriétaire entendant procéder à des travaux de transformation doit déposer au DALE une requête d’autorisation de construire soumise par analogie aux art. 2 à 4 LCI (art. 40 al. 1 LDTR) ; cette demande est traitée selon la procédure ordinaire (dite DD) ou en procédure accélérée (dite APA) suivant que, pour l’essentiel, les travaux modifient l’extérieur ou l’aspect général de l’immeuble ou portent uniquement sur la modification intérieure d’un bâtiment existant ou ne modifient pas l’aspect général de celui-ci (art. 3 al. 7 LCI ; not. art. 9 et 10B du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 - RCI - L 5 05.01).

c. Le changement d’affectation, qui est interdit par la LDTR sous réserve de dérogation (art. 7 s. LDTR), consiste quant à lui notamment en toute modification, en l’absence de travaux (ou en présence de simples travaux d’entretien), qui a pour effet de remplacer des locaux à destination de logements par des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel (art. 3 al. 3 phr. 1 LDTR ; art. 3 phr. 2 let. a à c LDTR ; Emmanuelle GAIDE / Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 341 ss, not. ch. 3).

Sous réserve de l’art. 3 al. 4 LDTR évoqué ci-après, pour qu’une dérogation à l’interdiction d’un changement d’affectation soit accordée, il faut que, cumulativement, la suppression du logement soit justifiée et, sauf exception, compensée par des surfaces commerciales ou administratives réaffectées simultanément en logements dont les loyers doivent répondre aux besoins prépondérants de la population (art. 8 LDTR). Sur le plan procédural, la requête en changement d’affectation, à déposer le cas échéant conjointement avec la requête portant sur la compensation projetée, est traitée par APA si elle porte sur le changement d’affectation d’un seul appartement, mais en procédure ordinaire (DD) si elle porte sur plusieurs appartements (art. 7 al. 2 du règlement d’application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 29 avril 1996 - RDTR - L 5 20.01).

d. Dans sa version d’origine, du 25 janvier 1996 (ROLG 1996 p. 99 ss) – reprise sur ce point de l’art. 3 al. 3 modifié le 23 juin 1994 (ROLG 1994 p. 290) de l’aLDTR du 22 juin 1989 (ROLG 1989 p. 700) –, la LDTR prévoyait, à son art. 3 al. 4, qu’il n’y avait pas de changement d’affectation lorsque des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel avaient été temporairement affectés à l’habitation et qu’ils retrouvaient leur destination commerciale, administrative, artisanale ou industrielle antérieure. Par modification du 25 mars 1999 (ROLG 1999 p. 767) avait été précisé que ces logements devaient n’avoir jamais été précédemment affectés à du logement (MGC 1999 9/II 1076 s., 1082 s., 1091, 1166). Cette disposition avait pour effet de soustraire la réaffectation desdits logements à leur destination d’origine à l’exigence, sur le plan procédural, de l’obtention d’une autorisation au sens de la LDTR ainsi que, sur le fond, aux conditions d’octroi d’une dérogation prévues par la LDTR. Elle a été fort peu utilisée (Emmanuelle GAIDE / Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 352 ss, ch. 3.4), apparemment par crainte du caractère temporaire indéfini de la conversion en logement, d’un blocage des loyers et d’une impossibilité de réaffecter les logements en locaux commerciaux par la suite (PL 11394-A, p. 15).

e. La loi 11394 a ré-exprimé la même idée sous-jacente à cet art. 3 al. 4 LDTR. Elle a toutefois supprimé la condition que la conversion préalable de locaux commerciaux, administratifs, artisanaux ou industriels en logements ait eu un caractère temporaire (Emmanuelle GAIDE / Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 352 ss, not. ch. 3.4.2 à 3.4.4). Elle a également supprimé l’exigence que les locaux considérés n’aient jamais été affectés précédemment au logement. Elle a en outre explicité la règle que le loyer ou le prix des locaux convertis en logement ne peut pas être contrôlé au sens de la LDTR, à l’occasion d’un tel changement d’affectation, donc sans préjudice qu’un logement issu de la conversion de locaux affectés précédemment à un usage commercial, administratif, artisanal ou industriel n’est pas soustrait aux dispositions de la LDTR sur la transformation de locaux d’habitation (ni d’ailleurs à celles sur la démolition-reconstruction).

f. Dans sa pratique, le DALE a considéré que s’il soustrayait les changements d’affectation considérés à l’emprise des dispositions de la LDTR sur les changements d’affectation, cet art. 3 al. 4 LDTR ne dispensait pas les propriétaires d’avoir à requérir et obtenir pour ces opérations une autorisation en application de la LCI, dès lors qu’à teneur de l’art. 1 al. 1 let. b LCI, « nul ne peut, sans y avoir été autorisé, modifier, même partiellement (…) la destination d’une construction ou d’une installation ». C’est pour couper court à cette interprétation que le PL 12045 a été déposé, en étant présenté comme superfétatoire dès lors que la loi 11394 avait, selon les auteurs desdits projets de loi, d’ores et déjà soustrait l’opération visée à toute autorisation.

7.             a. Il ne s’ensuit pas que l’art. 1 al. 8 LCI puisse être considéré comme concrétisant simplement la règle selon laquelle les changements d’affectation visés par les art. 3 al. 4 et 7 LDTR sont réputés ne pas constituer de tels changements au sens de la LDTR. Une chose est en effet de savoir si une opération est soumise à la LDTR, mais autre chose de savoir si un projet de construction est conforme à toutes les autres normes et prescriptions régissant cette dernière et s’il peut être soustrait à toute procédure d’autorisation de construire.

b. L’art. 1 al. 8 LCI ne vise pas une réaffectation de logements à leur usage antérieur commercial, administratif, artisanal ou industriel, contrairement aux art. 3 al. 4 et 7 LDTR, dont la finalité était surtout de rendre une telle reconversion possible sans les difficultés et inconvénients liés normalement, selon la LDTR, à la disparition de logements à usage locatif. Force est de retenir, de la lettre univoque de ladite norme, qu’une telle réaffectation reste soumise à autorisation en vertu de l’art. 1 al. 1 let. b LCI précité, quand bien même elle ne le serait pas, à défaut de travaux de transformation, à la LDTR.

c. L’art. 1 al. 8 LCI a vocation à s’appliquer sur l’ensemble du territoire cantonal, indépendamment des zones divisant ce dernier. Il a donc un champ d’application plus vaste que celui de la LDTR en matière de changements d’affectation. Celui-ci est certes assez étendu puisqu’il couvre, d’un point de vue géographique, les zones de construction ordinaires prévues par l’art. 19 LaLAT et les zones de développement prévoyant l’application des normes des quatre premières zones de construction ; matériellement, il concerne, indépendamment du point de savoir s’il s’agit d’une catégorie d’habitation en pénurie, tout bâtiment comportant des locaux qui, par leur aménagement et leur distribution, sont affectés à l’habitation, sauf les maisons individuelles ne comportant qu’un seul logement et les villas en 5ème zone comportant un ou plusieurs logements (art. 2 LDTR ; Emmanuelle GAIDE / Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 121 ss not. ch. 2 et 3, p. 185 ch. 1.3).

Ainsi, tant les art. 3 al. 4 et 7 LDTR que l’art. 1 al. 8 LCI s’appliquent dans les zones à bâtir (sauf aux villas en 5ème zone dite résidentielle), à savoir dans les quatre premières zones de construction, les zones industrielles et artisanales, la zone ferroviaire, la zone aéroportuaire, les zones d’activités mixtes et les zones affectées à de l’équipement public (art. 19 LaLAT). Et c’est essentiellement dans la 5ème zone, la zone agricole (art. 20 LaLAT), les zones de hameaux (art. 22 LaLAT), les zones des bois et forêts (art. 23 LaLAT), les zones de verdure et de délassement (art. 24 s. LaLAT), que l’art. 1 al. 8 LCI s’applique en dehors du champ d’application des art. 3 al. 4 et 7 LDTR.

L’art. 1 al. 8 LCI a vocation à s’appliquer aussi dans les zones protégées ou à protéger – que sont notamment les zones de la Vieille-Ville et du secteur sud des anciennes fortifications, du vieux Carouge, le secteur Rôtisserie-Pélisserie, ainsi que les villages protégés –, de même qu’aux ensembles du XIXème et du début du XXème siècle, zones et bâtiments que régissent des dispositions particulières incluses dans la LCI (art. 28 LaLAT).

d. Bien que l’art. 1 al. 8 LCI ne le précise pas explicitement, des travaux que nécessiterait ou qui accompagneraient la conversion de locaux en logements – comme la création de cuisines et/ou de sanitaires – ne bénéficient pas de la dispense d’autorisation de construire que prévoit cette disposition, dans la mesure où ils doivent faire l’objet d’une requête d’autorisation de construire au regard des autres dispositions figurant à l’art. 1 LCI. Cela a d’ailleurs été dit et admis lors des travaux parlementaires ayant abouti à l’adoption de la loi attaquée (cf. p. ex. le rapport de la commission du logement ad PL 12045-A p. 4 : « … il n’y a pas besoin d’une APA quand les travaux ne sont pas nécessaires […] quand le changement d’affectation s’accompagne d’une demande de travaux, une APA sera déposée »), comme d’ailleurs précédemment à l’adoption de la loi 11394 (cf. p. ex. exposé des motifs ad PL 11394 p. 3 : « Les travaux nécessaires à la conversion restent, bien évidemment, selon leur nature et étendue, soumis à autorisation, cas échéant », phrase répétée dans l’exposé des motifs et le rapport de la commission du logement sur le PL 12045).

e. Dans les cas où il trouve à s’appliquer, l’art. 1 al. 8 LCI substitue à l’exigence d’une demande d’autorisation de construire celle d’une déclaration auprès du DALE. À ce titre, cette disposition apparaît avoir introduit une variante allégée de la procédure par annonce de travaux prévue à l’art. 3 al. 11 LCI. C’est bien néanmoins une exemption de l’assujettissement à une autorisation de construire que prévoit ladite disposition pour la conversion considérée, à l’instar de l’art. 1 al. 3 LCI pour certaines installations solaires non soumises à autorisation mais devant obligatoirement être annoncées au DALE.

8.             a. La question se pose en outre de savoir si, au-delà de sa portée procédurale, l’art. 1 al. 8 LCI attaqué a aussi la portée matérielle d’écarter l’opposabilité de toute norme cantonale et communale prévoyant l’affectation de locaux à des activités commerciales, administratives, artisanales ou industrielles, résultant des plans d’affectation du sol (plans de zone, PLQ, PUS, etc.) et des prescriptions régissant la destination des constructions et installations.

La question est par exemple de savoir si ladite disposition écarte tout simplement l’application de dispositions telles que :

-                 l’art. 76 LCI, selon lequel, dans la 5ème zone, les locaux dont le plancher se trouve au-dessous du niveau général du sol adjacent ne peuvent servir à l’habitation (cf. aussi art. 127 al. 1 LCI) ;

-                 l’art. 80 al. 2 LCI, aux termes duquel des logements ne peuvent être établis dans les zones industrielles ou artisanales que lorsqu’ils sont nécessaires pour assurer la garde ou la surveillance des installations ;

-                 l’art. 102 al. 2 LCI, à teneur duquel, dans le centre de la ville de Carouge (vieux Carouge), les locaux en rez-de-chaussée ne peuvent être utilisés pour l’habitation que si leur plancher est situé à 0,30 m au-dessus du niveau général du trottoir adjacent, le vide d’étage ne pouvant être inférieur à 2,50 m ;

-                 l’art. 126 al. 1 LCI, selon lequel il est interdit d’utiliser pour l’habitation de nuit des locaux qui prennent air et lumière sur des cours fermées ;

-                 l’art. 15 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05), en tant qu’il interdit, sauf autorisation du Conseil d’État, le changement de destination d’un immeuble classé ;

-                 les dispositions de PLQ prévoyant la destination commerciale, administrative, artisanale ou industrielle de bâtiments à construire (art. 3 al. 1 let. a LGZD) ;

-                 les dispositions de PUS et/ou RPUS qui prévoiraient notamment le maintien, sauf dérogation, de l’affectation et de la destination de bâtiments existants (en particulier, s’agissant des rez-de-chaussée, à des activités ouvertes au public) et, pour des surfaces supplémentaires, leur affectation à des activités ouvertes au public s’agissant des rez-de-chaussée ;

-                 les dispositions de la loi 10788 du 23 juin 2011 relative à l’aménagement du quartier « Praille-Acacias-Vernets », modifiant les limites de zones sur le territoire des Villes de Genève, Carouge et Lancy (création d’une zone 2, de diverses zones de développement 2, d’une zone de verdure et d’une zone de développement 2 prioritairement affectée à des activités mixtes) et des PLQ spécifiques prévus par cette loi (dits « PLQ PAV »), en tant qu’elles prévoient l’affectation de constructions à des activités commerciales, administratives, artisanales ou industrielles ;

-                 les dispositions de la loi 10502 du 20 septembre 2013 modifiant les limites de zones sur le territoire de la Ville de Genève, section Petit-Saconnex, et des communes de Pregny-Chambésy (création de zones diverses et abrogation d’une zone de développement 4B protégée) pour le site central des organisations internationales (« le Jardin des Nations »), en tant qu’elles prévoient l’affectation de constructions notamment à des activités commerciales ou administratives. 

b. L’art. 1 al. 8 LCI paraît avoir été compris par certains députés ou intervenants comme garantissant que la modification de destination visée serait un acquis non susceptible d’être contesté sur le plan du principe.

b/aa. D’après l’un des députés auteurs du PL 12045, ce dernier visait « à clarifier le fait qu’il n’y ait vraiment aucune demande d’autorisation administrative à requérir », contrairement à l’avis du DALE ; ce projet de loi, a-t-il ajouté, n’avait « aucune incidence sur le fond » (PL 12045-A, p. 2). Ledit député a cependant indiqué que « quand on s’adresse au département on demande deux choses si on doit effectuer des travaux, à savoir une prise de décision sur le changement d’affectation lui-même, puis la demande de travaux » ; le projet de loi prévoyait « uniquement les désassujettissements quant au changement de destination » (PL 12045-A, p. 2. s.).

D’après la directrice de l’office cantonal du logement et de la planification foncière, entendue par la commission du logement, l’affectation d’un local commercial en logement pouvait soulever des questions d’habitabilité, de sécurité et de salubrité (par exemple les normes de police du feu étaient beaucoup plus importantes et appliquées de manière plus restrictive en matière de logements qu’en matière de locaux commerciaux). La disposition alors proposée compliquait aussi les choses lorsqu’il y avait « un PLQ avec des locaux commerciaux et qu’une dérogation (était) faite pour changer cette affectation », car « cela impliquait une dérogation majeure au PLQ » (PL 12045-A, p. 3 s.). Le conseiller d’État en charge du DALE a ajouté que ce n’était pas « parce que l’on n’a[vait] pas besoin d’autorisation de construire que l’on ne [devait] pas respecter les normes de salubrité, d’habitabilité et de sécurité, ainsi que les normes OPAM [ordonnance sur la protection contre les accidents majeurs du 27 février 1991 (RS 814.012)] ou OPB [ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 (RS 814.41)] notamment », sans faire mention des normes et mesures de planification prévoyant que des locaux soient destinés à des activités commerciales, administratives, artisanales ou industrielles (PL 12045-A, p. 4). Le député précité co-auteur du PL 12045 a alors indiqué que « la LDTR [avait] supprimé l’assujettissement et le contrôle des loyers » et que le but du projet de loi était « de simplifier les choses pour que le propriétaire sache que sur le principe de la conversion il ne [devait] rien à l’État », étant ajouté que « le propriétaire [savait] ce qui lui [restait] à faire concernant le respect des autres normes » (PL 12045-A, p. 4).

Les représentants de la Fédération des architectes et ingénieurs, entendus par la commission du logement, n’ont pas évoqué clairement la question précitée. Le président de ladite association s’est cependant demandé ce qui se passerait pour un immeuble situé dans une zone industrielle dans lequel le propriétaire entendrait faire des lofts, alors que de tels logements seraient dans une zone peu appropriée, loin des infrastructures publiques et des commerces et qu’il ne serait pas adéquat de faire vivre des gens en pleine zone industrielle, étant ajouté que le plus souvent la réalisation d’un tel projet nécessiterait des travaux, donc une demande d’autorisation de construire. À la remarque d’un député que l’autorisation risquerait de ne pas être obtenue pour une conversion de locaux en logements en zone industrielle, le président de la FAI a répondu que « si le local commercial transformé en logement remplit tous les autres critères techniques, il n’y aura alors plus le problème de l’affectation » (PL 12045-A, p. 6 ss).

b/bb. Devant le Grand Conseil le 12 mai 2017 (MGC accessible sur internet : www.ge.ch/grandconseil/memorial/seances/010403/16/2/), un député a déclaré qu’en acceptant la loi 11394, la population genevoise avait accepté la conversion des surfaces commerciales en logements et qu’il fallait dès lors écarter l’argutie tirée de la nécessité de respecter la LCI et permettre ainsi de convertir « de nombreux locaux commerciaux vides à Genève (… pour obtenir davantage de logements) sans construire, sans déclasser et sans attendre ». Pour un autre député, le PL 12045 clarifiait le texte « voté le 14 juin 2015 et désassujetti[ssait] la conversion de surfaces commerciales en logements, également au titre de la LCI, sous réserve de travaux et dans le respect des normes applicables en la matière ». D’après un autre député, ce projet de loi permettrait « de poursuivre ce qui [avait] été entamé » (par la modification précitée de la LDTR). Le Conseil d’État s’est déclaré d’accord « de simplifier la procédure administrative », en faisant cependant remarquer qu’il n’y avait « pas que des questions de changement d’affectation (… mais) encore d’autres normes que les propriétaires [devaient] respecter pour l’habitabilité, la salubrité, la sécurité » et que « les propriétaires devront s’assurer de respecter l’ensemble de la législation ».

b/cc. Le PL 12045 a ensuite été adopté, sans qu’une réponse claire ait été apportée à la question, pourtant effleurée, d’une portée matérielle que recèlerait le cas échéant l’art. 1 al. 8 LCI au-delà de sa nature procédurale.

c. Il faut considérer que le législateur – soucieux de respecter les bonnes pratiques de technique législative – aurait assorti les dispositions matérielles du droit de l’aménagement du territoire et de la construction d’une réserve faisant mention de l’art. 1 al. 8 LCI s’il avait estimé qu’elles seraient dorénavant inopposables au changement d’affectation de locaux commerciaux, administratifs, artisanaux ou industriels en logements, et même que, si tel avait été le cas, il aurait rédigé des dispositions légales plus explicites à ce sujet.

Il n’y aurait au demeurant pas de raison de traiter différemment la question de la conformité à l’affectation de la zone et aux diverses prescriptions normalement applicables selon que la modification de destination considérée s’accompagnerait ou non de travaux. Or, il est admis, dans la première hypothèse, que l’art. 1 al. 8 LCI ne s’appliquerait pas (consid. 7d).

Au surplus, l’absence d’examen de la question d’une portée matérielle de cette disposition et de véritables débats intervenus à son sujet doit conduire à ne pas attribuer à l’art. 1 al. 8 LCI la portée extensive d’écarter l’opposabilité à la conversion considérée de toute norme cantonale et communale prévoyant l’affectation de locaux à des activités commerciales, administratives, artisanales ou industrielles. Ni la lettre de cette disposition, ni son insertion dans une norme traitant de l’assujettissement à la procédure d’autorisation de construire (et non à la LCI elle-même, ni a fortiori à d’autres lois), ni la systématique suivie ne le commandent. Nonobstant des ambiguïtés, les travaux préparatoires comportent aussi des éléments étayant une compréhension purement procédurale de ladite disposition.

d. Telle est aussi la compréhension que les parties ont de la norme attaquée.

Dans sa réponse au recours (p. 12, ch. 43 et 45), l’intimé indique que l’art. 1 al. 8 LCI ne dispense pas les administrés « de respecter l’ensemble du droit matériel en vigueur » ; il s’agit « d’une norme de procédure (… qui) ne modifie en rien les normes applicables à la construction ou installation nouvellement destinée au logement » ; il « ne permet pas de destiner des locaux à l’habitation en contradiction avec un plan d’affectation ». Ladite disposition « n’entre dès lors pas en contradiction avec l’hypothèse où des activités seraient prescrites par des plans (zone industrielle, ZDAM, zone d’équipement public, etc.) ou des plans d’affectation spéciaux (PLQ) ». « De facto, le champ d’application de l’art. 1 al. 8 LCI est ainsi limité à des changements d’affectation de peu d’importance, sans effets significatifs sur le voisinage et l’environnement (conversion de bureaux en logements notamment) ». L’intimé part du même postulat lorsque, évoquant l’obligation de déclarer tout changement d’affectation au DALE, il indique que ce dernier devrait « exiger une autorisation de construire fondée directement sur l’art. 22 al. 1 LAT si, par impossible, un changement d’affectation ne devait, malgré l’absence de travaux, pas pouvoir être dispensé d’autorisation de construire (… ou) lorsque le changement d’affectation qui lui est déclaré s’avère contraire au droit matériel (droit de l’aménagement du territoire, normes en matière d’habitabilité, de sécurité [police du feu] et de salubrité, étant rappelé que l’art. 1 al. 8 LCI ne dispense pas les propriétaires du respect de l’ensemble de la législation applicable » (réponse au recours, p. 15, ch. 60).

La commune recourante paraît partager le point de vue que l’unique objectif de l’art. 1 al. 8 LCI est d’« exonérer certains changements d’affectation de l’exigence d’une autorisation préalable (de construire) ».

e. En conclusion, la disposition litigieuse a la portée procédurale de soustraire la conversion de locaux commerciaux, administratifs, artisanaux ou industriels en logements à l’obtention d’une autorisation de construire, donc, en amont, à l’exigence du dépôt d’une requête d’autorisation de construire, remplacée par une obligation de déclaration au DALE, et, en aval, à la notification d’une décision sujette à recours.

9.             a. La question à examiner désormais est de déterminer si, ainsi compris, cet art. 1 al. 8 LCI est conforme au droit supérieur.

b. Lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, la chambre constitutionnelle s’impose une certaine retenue, de façon cependant moins marquée que celle dont le Tribunal fédéral fait montre pour des motifs liés au fédéralisme (ATF 136 I 316 consid. 2.2.1 ; ACST/23/2017 du 11 décembre 2017 consid. 6b ; Bernard CORBOZ, in Bernard CORBOZ et al. [éd.], op. cit., n. 34 ad art. 95 LTF, n. 40 ad art. 106 LTF ; Yves DONZALLAZ, Loi sur le Tribunal fédéral. Commentaire, 2008, n. 3525 ss). Elle n’annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent pas à une interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, elle tient compte notamment de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d’une application conforme – ou non – au droit supérieur. Les explications de l’autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d’appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l’éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 140 I 2 consid. 4 ; 137 I 131 consid. 2 ; 135 II 243 consid. 2 ; ACST/12/2017 du 6 juillet 2017 et jurisprudence citée).

10.         a. La commune recourante soulève le grief de violation de la LAT, en particulier de son art. 22. Elle invoque donc le principe de la primauté du droit fédéral.

b. Il sied de préciser que dès lors qu’elle est fondée à s’en prendre à la loi 12045 pour violation de son autonomie, la commune recourante est habilitée à invoquer que cette loi enfreint le droit supérieur, en particulier le droit fédéral, en tant qu’il contribue à régir la matière dans laquelle la commune est le cas échéant autonome. Le grief de violation du principe de la primauté du droit fédéral se trouve dans ce cas dans un rapport suffisamment étroit avec celui de violation de l’autonomie communale pour être recevable, comme le seraient, à la même condition, les griefs de violation de droits fondamentaux, en particulier des principes de l’interdiction de l’arbitraire, de l’inégalité de traitement, de la proportionnalité, de la bonne foi et du droit d’être entendu (ATF 115 Ia 42 consid. 3c ; Jacques DUBEY, op. cit., n. 3913 ; Pascal MAHON, op. cit., vol. I, n. 327 p. 395 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., n. 2187 et 2193 s. ; Heinz AEMISEGGER, in Heinz AEMISEGGER et al. [éd.], 2010, Commentaire de la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire [ci-après : Commentaire de la LAT], n. 106 ss ad art. 34 ; Yves DONZALLAZ, op. cit., n. 3168 ; Michel HOTTELIER, Commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 2P.69/2006 du 5 juillet 2006, in PJA 12/2006 p. 1590 ss ch. 15 ss).

c. Selon l’art. 49 al. 1 Cst., le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire. Il en découle qu’en matière de droit public, dans les domaines dans lesquels le législateur fédéral a légiféré mais pas de façon exhaustive, les cantons ont la compétence d’édicter des dispositions dont les buts et les moyens convergent avec ceux que prévoit le droit fédéral. Le principe de la primauté du droit fédéral fait en revanche obstacle à l’adoption ou à l’application de règles cantonales qui éludent les prescriptions du droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l’esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu’elles mettent en œuvre, ou encore qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon complète (ATF 143 I 109 consid. 4.2.2 ; 140 V 574 consid. 5.1 ; 140 I 277 consid. 4.1 ; 140 I 218 consid. 5.1 ; 138 I 435 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_28/2015 du 19 juin 2015 consid. 4 non publié in ATF 141 I 235 ; 1C_518/2013 précité consid. 3.1 non publié in ATF 140 I 381).

11.         a. À teneur de l’art. 22 LAT, aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l’autorité compétente (al. 1). L’autorisation est délivrée si la construction ou l’installation est conforme à l’affectation de la zone (al. 2 let. a) et si le terrain est équipé (al. 2 let. b). Le droit fédéral et le droit cantonal peuvent poser d’autres conditions (al. 3). Ladite disposition définit des exigences minimales ; le droit cantonal peut soumettre à l’obligation d’un permis de construire des projets qui en seraient dispensés selon l’art. 22 LAT (arrêt du Tribunal fédéral 1C_395/2015 du 7 décembre 2015 consid. 3.1.1 ; Alexander RUCH, Commentaire de la LAT, op. cit., n. 3 ad art. 22).

b. L’art. 22 al. 1 LAT pose le principe qu’une autorisation de construire est nécessaire pour la création et la transformation des constructions et des installations (que – point ici non litigieux – constituent notamment des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel et des bâtiments d’habitation). Il en découle l’exigence d’une procédure, qui sert à vérifier, en règle générale préventivement, si le projet de construction ou d’installation est conforme aux prescriptions, nombreuses et complexes, qui lui sont applicables, relevant du droit aussi bien de l’aménagement du territoire que de la police des constructions, sans préjudice d’autres domaines du droit public tels que ceux de la protection de l’environnement ou du patrimoine (Jean-Baptiste ZUFFEREY / Isabelle ROMY, La construction et son environnement en droit public, 2ème éd., 2017, p. 149 ss ; Beat STALDER / Nicole TSCHIRKY, in Alain GRIFFET et al. [éd.], Öffentliches Baurecht, 2016, p. 49 ss ; Peter HÄNNI, Planungs-, Bau- und besonderes Umweltschutzrecht, 6ème éd., 2016, p. 335 ss ; Alexander RUCH, in Commentaire de la LAT, op. cit., n. 1 ss ad art. 22 ; Piermarco ZEN-RUFFINEN / Christine GUY-ECABERT, Aménagement du territoire, construction, expropriation, 2001, p. 90 s., ch. 190 s., p. 213 ss, ch. 486 ss ; Nicolas MICHEL, Droit public de la construction, 1996, p. 282 ss n. 1392 ss).

c. Ladite procédure comporte des phases successives propres à permettre cette vérification, impliquant la possibilité, pour les autorités et administrations concernées et les tiers intéressés (notamment les voisins), de participer à la procédure. Ces étapes sont en principe le dépôt d’une requête de permis de construire, sa publication, son examen, puis la prise et la notification d’une décision sujette à recours. Des procédures accélérées peuvent être prévues pour des projets de constructions non susceptibles de léser la position de tiers, procédures dans le cadre desquelles il est renoncé à la publication de la demande d’autorisation de construire mais en principe pas à une décision venant clore la phase non contentieuse. Les deux modèles courants de procédures accélérées sont la procédure simplifiée et la procédure par annonce ; dans ce dernier cas, ce n’est que pour des projets déterminés de moindre importance qu’il est envisageable de renoncer à la prise d’une décision formelle, par défaut de réaction de l’autorité compétente à l’annonce faite (Jean-Baptiste ZUFFEREY / Isabelle ROMY, op. cit., p. 151, 193 ss ; Beat STALDER / Nicole TSCHIRKY, op. cit., p. 77 n. 2.110 ; Peter HÄNNI, op. cit., p. 337 s., 343 ss ; Alexander RUCH, in Commentaire de la LAT, op. cit., n. 41 ss).

La décision venant clore la phase non contentieuse est sujette à recours. En effet, selon l’art. 33 al. 2 LAT, le droit cantonal prévoit au moins une voie de recours contre les décisions et les plans d’affectation fondés sur la LAT et sur les dispositions cantonales et fédérales d’exécution. Tel est le cas des autorisations de construire prévues par l’art. 22 al. 1 LAT (Heinz AEMISEGGER / Stephan HAAG, in Commentaire de la LAT, op. cit., n. 42 ss ad art. 33). La qualité pour recourir prévalant devant le Tribunal fédéral doit être reconnue déjà sur le plan cantonal (art. 33 al. 3 let. a LAT ; art. 111 al. 1 LTF). Les communes peuvent donc avoir qualité pour recourir soit parce que l’acte attaqué les touche de la même manière qu’un particulier ou, aux conditions restrictives dégagées de l’interprétation de l’art. 89 al. 1 LTF, dans leurs attributions ou tâches de détentrices de la puissance publique (Heinz AEMISEGGER, in Commentaire de la LAT, op. cit., n. 97 et 102 ss, ad art. 34), soit encore pour violation de leur autonomie (art. 89 al. 2 let. c LTF ; Heinz AEMISEGGER, in Commentaire de la LAT, op. cit., n. 106 ss ad art. 34), soit enfin en vertu d’une disposition de la loi, comme l’art. 34 al. 2 let. b LAT, s’agissant des décisions portant sur la reconnaissance de la conformité à l’affectation de la zone de constructions et d’installations sises hors de la zone à bâtir (art. 89 al. 2 let. d LTF ; Heinz AEMISEGGER, in Commentaire de la LAT, op. cit. n. 112 s. ad art. 34).

d. En l’espèce, il faut donc déterminer si le changement de destination visé par l’art. 1 al. 8 LCI est appréhendé par l’obligation fédérale de faire l’objet d’une autorisation de construire en vertu de l’art. 22 al. 1 LAT.

12.         a. Au sens de l’art. 22 al. 1 LAT, le changement d’affectation d’une construction ou d’une installation représente une transformation, en principe soumise à autorisation. Les constructions et installations doivent être utilisées selon la destination pour laquelle elles ont été édifiées, de façon à remplir des fonctions conformes à l’affectation de la zone dans laquelle elles se trouvent.

b. D’après la doctrine, il est cependant admis qu’à moins d’aller de pair avec une transformation ou un agrandissement, un changement d’affectation ne tombe sous le coup du droit fédéral que s’il est propre à exercer une influence locale perceptible sur le régime d’utilisation du sol. En zone à bâtir, il n’est dispensé d’autorisation que si la nouvelle affectation correspond à celle de la zone en question et si son effet sur l’environnement et la planification est manifestement mineur. Hors de la zone à bâtir, l’art. 24a LAT l’assujettit à une autorisation même si le changement d’affectation n’a pas d’incidence sur le territoire, l’équipement et l’environnement et ne contrevient à aucune autre loi fédérale (Jean-Baptiste ZUFFEREY / Isabelle ROMY, op. cit., p. 151 ; Beat STALDER / Nicole TSCHIRKY, op. cit., p. 74, n. 2.100 ; Alexander RUCH, in Commentaire de la LAT, op. cit., n. 34 ad art. 22 ; Piermarco ZEN-RUFFINEN / Christine GUY-ECABERT, op. cit., ch. 498 p. 220 s. ; Nicolas MICHEL, op. cit., n. 387 ss, 1402 ss).

c. Selon la jurisprudence, le principe est qu’un changement d’affectation est soumis à l’octroi d’un permis de construire, et ce même lorsqu’il ne nécessite pas de travaux de construction. En l’absence de travaux, un changement d’affectation ne peut être dispensé d’autorisation de construire que si la nouvelle affectation est conforme à celle de la zone en question et si son incidence sur l’environnement et la planification est manifestement mineure (arrêts du Tribunal fédéral 1C_395/2015 du 7 décembre 2015 consid. 3.1.1 ; 1C_347/2014 du 16 janvier 2015 consid. 3.2). Le Tribunal fédéral utilise dans ce contexte quelquefois la conjonction de coordination « ou » plutôt que « et » (ATF 113 Ib 219 consid. 4d ; arrêt 1C_150/2016 du 20 septembre 2016 consid. 9.1). Dans l’arrêt 1C_107/2016 du 28 juillet 2016, bien qu’ayant utilisé le mot « ou » (consid. 6.1), il a ajouté une précision allant dans le sens d’un cumul des deux conditions : « si la conformité d’une nouvelle activité à la zone concernée constitue l’une des conditions requises par la jurisprudence pour dispenser un changement d’affectation d’une autorisation de construire, encore faut-il que ce changement n’entraîne pas d’incidence sur l’environnement du bâtiment » (consid. 6.2). De simples travaux d’entretien, rénovation, petites réparations ou des changements d’affectation de moindre importance ne sont pas soumis à autorisation au sens de l’art. 22 al. 1 LAT (arrêt du Tribunal fédéral 1C_150/2016 précité consid. 9.1 : Alexander RUCH, in Commentaire de la LAT, op. cit., n. 35 ad art. 22).

d. Par zone, à l’affectation de laquelle une transformation soumise à autorisation doit être conforme, l’art. 22 al. 2 let. a LAT n’entend pas que les trois zones primaires qui doivent être délimitées par des plans d’affectation à teneur de l’art. 14 al. 2 LAT, à savoir les zones à bâtir, les zones agricoles et les zones à protéger. Il inclut, indépendamment de la terminologie utilisée, les subdivisions desdites zones (en particulier de la zone à bâtir) que le droit cantonal et, dans les limites fixées par ce dernier, le droit communal prévoient, afin de déterminer et localiser plus finement les genres d’utilisation et occupation possibles du territoire, par le biais de plans d’affectation. Ceux-ci peuvent être tant des plans d’affectation généraux que des plans d’affectation spéciaux. En droit genevois, l’affectation déterminante résulte ainsi des dispositions régissant les différentes zones prévues par l’art. 12 LaLAT – à savoir les zones ordinaires (cf. art. 18 à 25 LaLAT), les zones de développement (art. 30 s. LaLAT) et les zones protégées (art. 28 s. LaLAT), définies par des lois du Grand Conseil (art. 15 s. LaLAT) –, mais aussi des autres plans d’affectation, énumérés à l’art. 13 LaLAT, dont les PLQ (art. 13 al. 1 let. a LaLAT) et les PUS (art. 13 al. 1 let. g LaLAT).

13.         a. Ainsi, au regard de l’art. 22 LAT, le principe est que le changement d’affectation visé par l’art. 1 al. 8 LCI doit faire l’objet d’une autorisation de construire, même lorsqu’il n’est pas accompagné de travaux. Il doit donc en principe requérir le déroulement d’une procédure comportant la prise d’une décision pouvant donner lieu à un contentieux, que la commune concernée aurait qualité pour initier ou auquel elle pourrait participer, à tout le moins dans la mesure où son autonomie serait affectée ou à des conditions alternatives auxquelles la jurisprudence du Tribunal fédéral lui reconnaît cette qualité (cf. consid. 2b à d).

b. Sans doute n’est-il pas exclu que, dans des cas déterminés, une modification de destination de locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel en logements puisse ne pas tomber sous le coup de cette exigence fédérale, parce que la nouvelle affectation serait conforme à celle de la zone concernée et qu’elle n’aurait tout au plus qu’un effet manifestement mineur sur l’environnement et la planification. Ainsi en irait-il a priori d’une telle opération portant sur un appartement, déjà équipé d’une cuisine et de sanitaires, utilisé comme bureau d’architecture ou cabinet médical, situé dans un immeuble d’une des trois premières zones de construction, destinées aux grandes maisons affectées à l’habitation, au commerce et aux autres activités du secteur tertiaire (art. 19 al. 1 phr. 1 LaLAT), sans se trouver visé par des dispositions régissant des zones protégées, sans qu’un plan d’affectation ne précise et dicte sa destination commerciale ou administrative, et sans que des prescriptions relevant par exemple de la loi fédérale sur la protection de l’environnement du 7 octobre 1983 (LPE - RS 814.01), comme des degrés de sensibilité au bruit, ne s’opposent à la nouvelle affectation. Le non–assujettissement d’une telle opération à une procédure d’autorisation de construire pourrait n’être pas en lui-même contraire à la LAT, mais force est d’aussitôt pondérer le propos par la considération qu’une telle procédure conserverait tout son sens pour vérifier la réalisation effective des conditions d’exclusion du champ d’application de l’art. 22 LAT. De plus, l’art. 1 al. 8 LCI a une portée toute générale, nullement limitée à ce genre d’opérations, mais englobant au contraire diverses situations de contrariété à l’exigence fédérale d’une autorisation de construire.

c. Il s’agit de situations dans lesquelles la modification de destination des locaux considérés ne serait pas conforme à l’affectation de la zone concernée d’une façon ne pouvant être qualifiée de moindre importance, déjà en raison de prescriptions telles que les art. 76 et 127 al. 1 LCI (interdiction d’affecter à l’habitation des locaux situés au-dessous du niveau général du sol adjacent [cf. art. 102 al. 2 LCI pour le vieux Carouge]) ou celles de la LPE et de ses ordonnances d’exécution (cf. p. ex. art. 43 s. OPB relatif aux degrés de sensibilité au bruit notamment dans les zones d’habitation, à attribuer au cas par cas par le biais des autorisations de construire à défaut de l’avoir été dans les règlements de construction ou les plans d’affectation).

d. Un défaut de conformité à l’affectation de la zone pourrait aussi devoir être retenu en considération de plans d’affectation qui prévoiraient spécifiquement l’affectation commerciale, administrative ou artisanale desdits locaux.

d/aa. Des PLQ fixent certes fréquemment des quotas de bâtiments ou locaux destinés respectivement au logement et à des activités commerciales, administratives ou artisanales dans l’esprit d’assurer que les besoins de la population en logements soient satisfaits, si bien que des changements d’affectation visés par l’art. 1 al. 8 LCI favoriseraient la réalisation de cet objectif. Telle n’est toutefois pas la finalité exclusive des plans d’affectation, généraux ou spéciaux. Ces plans visent fondamentalement à assurer une répartition équilibrée notamment des bâtiments et locaux destinés à l’habitat, au commerce et aux autres activités du secteur tertiaire, et ce non seulement dans la perspective de permettre l’établissement de plans financiers viables économiquement, mais aussi de prévenir que des quartiers ne soient (et donc ne deviennent avec le temps au gré de tels changements d’affectation) des « quartiers-dortoir », ainsi que de favoriser le déploiement d’activités économiques, notamment dans les principales zones à bâtir.

Dans cet esprit, l’art. 19 al. 1 phr. 1 LaLAT prévoit que les trois premières zones de construction sont destinées aux grandes maisons affectées à l’habitation, au commerce et aux autres activités du secteur tertiaire. À teneur de son art. 1 phr. 1 in initio, la LGZD fixe les conditions applicables à l’aménagement et l’occupation rationnelle des zones de développement affectées à l’habitat, au commerce et aux autres activités du secteur tertiaire. Possiblement en zones ordinaires et en règle générale en zones de développement, cela se concrétise par le biais de PLQ, qui doivent prévoir notamment la destination des bâtiments à construire (art. 3 al. 1 let. a LExt ; art. 3 al. 1 let. a LGZD). S’agissant spécifiquement des PUS, l’art. 15A LExt prévoit certes que ceux-ci doivent permettre de maintenir et rétablir l’habitat dans les zones où les communes peuvent en adopter, mais aussi d’y favoriser une implantation des activités qui soit harmonieuse et équilibrée ; selon l’art. 15B al. 2 LExt, les terrains à bâtir sont à répartir – ce qui se réalise par le biais de PUS et RPUS – en secteurs aux prépondérances respectives d’intérêt public, d’habitation ou de logements et de travail ou d’emplois ; l’art. 15C LExt précise que les RPUS définissent les taux de répartition dans les différents secteurs, afin d’assurer notamment un équilibre entre l’habitat et l’artisanat, le commerce, l’administration, tant publique que privée.

d/bb. Or, il n’est pas indifférent que l’affectation des bâtiments et locaux prévue par ces plans soit respectée, les plans d’affectation ayant au demeurant force obligatoire pour chacun (art. 21 al. 1 LAT ; Thierry TANQUEREL, in Commentaire de la LAT, op. cit., n. 6 ss ; Piermarco ZEN-RUFFINEN / Christine GUY-ECABERT, op. cit., p. 123, n. 270). Selon la jurisprudence, en acceptant par le biais d’une autorisation de construire une modification importante d’un PLQ, la procédure d’adoption des plans d’affectation, telle que prévue par le droit fédéral de l’aménagement du territoire, ne serait pas respectée, si bien que même s’il existe un intérêt public indéniable à la construction de logements sur le territoire du canton de Genève, l’autorité compétente ne saurait autoriser un projet de construction consacrant une modification essentielle du PLQ en se prévalant de cet intérêt (ATA/543/2011 du 30 août 2011 consid. 3d). Le changement de la destination des immeubles prévue par un PLQ constitue une modification fondamentale (ATA/895/2004 du 16 novembre 2004 consid. 7), même lorsque ladite affectation est administrative et que la demande d’autorisation de construire vise la transformation en logements (ATA/690/2003 du 23 septembre 2003 ; ATA/543/2011 précité, qui précise, à son consid. 4b, que les exigences ne sont pas les mêmes pour des bâtiments à usage administratif ou dévolus au logement et qu’une implantation qui peut convenir à des bureaux peut générer une habitabilité médiocre, source de conflits entre voisins et ne pas être adaptée aux nuisances sonores générées par la route adjacente).

S’il ne peut être exclu déjà pour des opérations purement ponctuelles, le risque de contrariété un tant soit peu significative à l’affectation de la zone est plus grand en cas de modification de destination portant sur plusieurs locaux, en particulier sur un nombre relativement élevé d’espaces affectés à des activités notamment administratives, et ce, que les changements d’affectation interviennent simultanément ou de façon égrenée dans le temps.

e. Il est par ailleurs imaginable qu’un changement d’affectation de locaux commerciaux, administratifs, artisanaux ou industriels en logements, même compatible avec l’affectation de la zone concernée, ait une influence non négligeable sur l’environnement et/ou la planification, pour peu qu’il porte, même par étapes successives, sur un nombre non négligeable de tels locaux dans un même quartier. On peut penser à cet égard à un accroissement, au détriment des collectivités publiques, de charges en termes d’équipements publics, dont des écoles et/ou des crèches, en considération des besoins d’habitants plutôt que de travailleurs.

f. Il y aurait non-conformité à la zone concernée dans l’hypothèse où des locaux à usage par exemple administratif ou artisanal, déjà équipés de sanitaires voire d’une kitchenette, seraient affectés à l’habitation dans des zones industrielles ou artisanales, sans finalité d’assurer une présence de jour et de nuit justifiée par la garde ou la surveillance des installations, donc en contradiction avec l’art. 80 al. 2 LCI (Piermarco ZEN-RUFFINEN / Christine GUY-ECABERT, op. cit., p. 235 s., n. 520 et 522, qui citent deux arrêts cantonaux jugeant non conformes à l’affectation de la zone industrielle et/ou artisanale la construction de studios destinés à loger des ouvriers [RDAT II-1992 n. 33] et un centre de formation comprenant des logements pour les apprentis [SOG 1994 n. 38]).

g. Une dispense d’autorisation de construire ne serait pas conforme à la LAT pour des conversions, visées par l’art. 1 al. 8 LCI, portant sur des locaux commerciaux, administratifs ou artisanaux qui se trouveraient en zone agricole (art. 24 ss LAT), car dans cette zone, une telle modification de destination ne saurait constituer un détail du régime d’affectation (Alexander RUCH, in Commentaire de la LAT, op. cit., n. 12 ss ad art. 24 à 24d et 37a ; Rudolf MUGGLI, in Commentaire de la LAT, op. cit., n. 7 ss ad art. 24a).

h. Ainsi, à titre de conclusion intermédiaire, il doit être retenu qu’une suppression générale de toute procédure d’autorisation de construire pour les modifications de destination visées par l’art. 1 al. 8 LCI n’est pas compatible avec les exigences se déduisant de l’art. 22 LAT.

14.         a. Encore faut-il examiner si la simple « déclaration auprès de l’autorité compétente » que prévoit la norme contestée vaut autorisation de construire dans une forme allégée qui serait le cas échéant admissible au regard de cet art. 22 al. 1 LAT.

b. Comme les représentants du DALE l’ont déclaré à la commission du logement lors de leur audition, les cas visés par l’art. 1 al. 8 LCI étaient en principe traités selon la procédure simplifiée dite APA (art. 3 al. 7 à 10 LCI), normalement en l’espace de trente jours. En l’absence de travaux un tant soit peu significatifs accompagnant le changement d’affectation considéré, il serait en effet sans doute disproportionné d’exiger qu’une procédure ordinaire (DD) soit menée.

En procédure ordinaire, le DALE sollicite les préavis de ses services et d’autres départements de l’administration cantonale, ainsi que d’autres organismes intéressés et des communes concernées (art. 3 al. 3 LCI ; art. 16 RCI) ; les demandes d’autorisation et les autorisations sont publiées dans la FAO, avec mention des dérogations respectivement nécessaires ou accordées (art. 3 al. 1 et 5 LCI). En procédure accélérée, la demande n’est pas publiée dans la FAO et le DALE peut renoncer à solliciter le préavis communal ; l’autorisation est, par contre, publiée dans la FAO et envoyée en copie à la commune concernée (art. 3 al. 7 phr. 2 LCI). Ainsi, en procédure accélérée, même si la renonciation à requérir le préavis communal n’apparaîtrait guère envisageable pour des projets susceptibles d’entrer en contradiction avec un PUS et/ou un RPUS, la commune concernée serait néanmoins en tout état informée de l’autorisation qui serait le cas échéant accordée, et elle disposerait encore de la possibilité, par le biais d’un recours, de faire appliquer les normes qu’elle aurait édictées et de défendre ainsi le respect de son autonomie en la matière. Il en irait d’ailleurs de même si la procédure par annonce de travaux (dite APAT) était suivie, puisque le DALE peut, dans cette autre procédure simplifiée, ne pas solliciter de préavis et que l’annonce, qui est publiée dans la FAO, vaut autorisation de construire, permettant au requérant d’entreprendre les travaux à défaut de recours formé dans les trente jours à compter de cette publication (art. 3 al. 11 LCI).

c. C’est certes une forme allégée d’une procédure simplifiée que l’art. 1 al. 8 LCI prévoit, en tant qu’elle substitue au dépôt d’une requête d’autorisation de construire une « déclaration à l’autorité compétente ». Force est cependant de constater qu’une telle déclaration n’institue aucune procédure, mais au mieux reporte sur ladite autorité le soin et la responsabilité de réagir, ce qui suppose que celle-ci procède à un examen, sans disposer d’emblée des renseignements suffisants à cette fin, de chacune des déclarations qui lui seraient faites en application de cet art. 1 al. 8 LCI. Il n’y aurait ni publication de la « déclaration » dans la FAO, ni demande de préavis, ni délivrance et notification d’une autorisation de construire (y compris à la commune concernée), ni devoir des propriétaires d’informer les occupants de l’immeuble concerné. L’art. 1 al. 8 LCI ne précise pas quand la déclaration devrait être faite, ouvrant la porte à la politique du fait accompli, ce qui traduit l’idée, pourtant erronée et non incluse dans cette disposition (consid. 7), que la conversion considérée ne serait pas susceptible d’être remise en question mais serait en tant que telle un acquis intouchable.

Or, l’esprit de l’autorisation de construire requise par l’art. 22 al. 1 LAT est qu’il incombe à l’autorité compétente, et non aux propriétaires intéressés, de juger de la conformité aux exigences légales d’une « transformation » (y compris un simple changement d’affectation), et par ailleurs, en lien avec l’art. 33 LAT, qu’aussi les collectivités publiques et tiers intéressés doivent être mis à même de faire valoir leurs intérêts et points de vue dans la mesure où la qualité pour recourir doit leur être reconnue en la matière (cf. consid. 2b et c). La seule exigence d’une déclaration à l’autorité compétente prévue par l’art. 1 al. 8 LCI ne respecte pas suffisamment l’esprit desdites dispositions de la LAT, et ce dans un nombre potentiel de situations n’apparaissant ni suffisamment rares et ponctuelles et de surcroît aisément identifiables pour que ladite annonce puisse être considérée comme une occasion suffisante de remédier à la carence d’une procédure d’autorisation de construire.

d. Ce n’est pas parce qu’une conclusion inverse pourrait le cas échéant se justifier exceptionnellement, dans quelques-uns des cas évoqués de contrariété à l’exigence fédérale d’une autorisation de construire, que la norme litigieuse peut être reconnue valable.

15.         a. Concernant tant les cas dans lesquels une exception à l’exigence fédérale d’une autorisation de construire pourrait le cas échéant être admise que ceux, exceptionnels, dans lesquels la simple déclaration prévue par l’art. 1 al. 8 LCI pourrait être jugée fournir une occasion suffisante de s’assurer de l’admissibilité d’une modification de destination, la situation n’est pas celle – mais l’inverse de celle – dans laquelle la chambre constitutionnelle fait preuve de retenue dans le cadre du contrôle abstrait des normes parce que la disposition considérée apparaîtrait de façon générale défendable et exceptionnellement anticonstitutionnelle, au point qu’il ne se justifierait pas de l’annuler.

b. Au demeurant, en l’occurrence, s’agissant d’une loi du Grand Conseil proposée par des députés, il n’y a pas d’explications de l’autorité chargée de la mettre en œuvre qui rassureraient sur une application conforme au droit supérieur, mais plutôt des déclarations à cet égard ambiguës faites lors de son adoption, ainsi que, s’agissant de représentants du DALE entendus par la commission du logement, des interrogations soulevées et laissées sans véritable réponse. De plus et surtout, les possibilités d’obtenir ultérieurement une protection juridique suffisante par un contrôle des cas d’application s’avèrent d’emblée limitées et aléatoires, dans la mesure où la disposition attaquée consiste à ne pas ouvrir une telle possibilité ; elle soustrait en effet la conversion considérée à l’exigence d’une autorisation de construire, donc à celle d’une procédure – d’abord non contentieuse, puis le cas échéant contentieuse – permettant de vérifier sa conformité aux contraintes dictées par le droit de l’aménagement du territoire et de la police des constructions, de même que d’autres normes, comme la LPE. Elle restreint à tout le moins sensiblement la possibilité d’une protection juridique notamment des communes concernées et tiers intéressés (comme des voisins), en la confinant à l’hypothèse d’un contrôle sur recours pour déni de justice qui serait interjeté une fois que les collectivités ou personnes habilitées à recourir apprendraient des changements d’affectation le plus souvent d’ores et déjà opérés.

c. Aussi la chambre constitutionnelle annulera-t-elle l’art. 1 al. 8 LCI, à savoir la loi 12045, étant donné que, sous réserve de son art. 2 souligné relatif à son entrée en vigueur, ladite loi ne comporte pas d’autres dispositions que précisément cet art. 1 al. 8 LCI.

16.                            Bien qu’il n’y ait dès lors pas lieu d’examiner le second grief matériel soulevé par la commune recourante, tenant stricto sensu en une violation de son autonomie, il sied de préciser qu’il n’y a pas de violation de l’autonomie communale lorsque le législateur cantonal restreint, en modifiant une loi, l’étendue de compétences qu’il a lui-même reconnues jusque-là aux communes, pour autant que celles-ci ne se déduisent ni de la constitution fédérale, ni du droit fédéral (ou international), ni de la constitution cantonale (Jacques DUBEY, op. cit., vol. II, n. 3865 ss ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. I, n. 309). Aussi, pour peu qu’une disposition d’une loi cantonale conforme aux exigences minimales découlant du droit fédéral serait adoptée pour régler la procédure à suivre pour les conversions de locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel en logements (voire pour l’opération inverse), une commune ne serait pas fondée à exiger par le biais d’un PUS et/ou RPUS – ainsi que la commune recourante l’a prévu dans son projet de RPUS – que tout changement d’affectation ou de destination, même en l’absence de travaux, serait soumis à une procédure déterminée d’autorisation de construire, ni à prescrire à l’autorité cantonale compétente de s’en tenir à une décision que prendrait l’exécutif communal pour toute dérogation aux règles du PUS et/ou du RPUS qu’elle adopterait, alors que cela ne serait pas compatible avec la procédure prévue par le droit cantonal.

17.         a. Le recours sera donc admis.

b. Vu l’issue donnée au recours, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA).

c. Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure à la commune recourante, dès lors que, quoique ayant recouru aux services d’une avocate, elle dispose en tant que ville des moyens de défendre ses intérêts par elle-même, et qu’elle n’a au demeurant pas conclu à l’octroi d’une telle indemnité (art. 87 al. 2 LPA ; ACST/6/2017 précité consid. 18b).

 

* * * * *

 


PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 septembre 2017 par la Ville de Carouge contre la loi 12045 du 12 mai 2017 ;

au fond :

l’admet ;

annule la loi 12045 du 12 mai 2017 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Fabienne Fischer, avocate de la commune recourante, au Grand Conseil, ainsi que, pour information, au Conseil d’État.

Siégeant : M. Verniory, président, Mmes Galeazzi et Payot Zen-Ruffinen, M. Martin et Mme Tapponnier, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

le greffier-juriste :

 

 

 

I. Semuhire

 

 

le président siégeant :

 

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

 

la greffière :