Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1195/2024 du 06.12.2024 ( MC ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 6 décembre 2024
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dans la cause
Monsieur A______, représenté par Me Jordan WANNIER, avocat
contre
COMMISSAIRE DE POLICE
1. Monsieur A______, né le ______ 1992, est originaire de Roumanie.
2. De 2015 à 2024, l'intéressé a été condamné par les instance pénales suisses à 23 reprises, principalement pour des vols (art 139 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 ; CP - RS 311.0), ainsi que pour des infractions à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).
3. Le 9 décembre 2023, le secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM) a prononcé à son encontre une interdiction d'entrée en Suisse (IES) valable jusqu'au 8 décembre 2025 laquelle lui a été notifiée le 6 décembre 2023. Cette mesure administrative a été prolongée à deux reprises pour s'étendre jusqu'au 8 décembre 2029.
4. De 2016 à 2024, les autorités suisses ont renvoyé M. A______ dans son pays d'origine à huit reprises, la dernière fois le 1er novembre 2024.
5. Revenu en Suisse le 3 décembre 2024, en violation de l'IES prononcée à son encontre, M. A______ a été arrêté par la police genevoise dans le B______ sis ______[GE]. Conduit dans les locaux de la police, l’intéressé, en possession d'une carte d'identité roumaine valable jusqu'au 17 août 2028, a refusé de répondre aux questions de la police, exerçant son droit au silence.
6. Le 4 décembre 2024, le Ministère public a entendu l'intéressé puis l'a libéré, les faits relatifs à la présente procédure pénale allant être joints à la procédure pénale ouverte antérieurement, le 27 novembre 2024, par le Ministère public de l'arrondissement de la C______(VD), D______(VD) pour des infractions identiques (entrée illégale en Suisse – art 115 al. 1 LEI).
7. Par décision déclarée exécutoire nonobstant recours du 4 décembre 2024, dûment notifiée, l'office cantonal de la population et des migrations a prononcé le renvoi de Suisse de M. A______, en application de l’art. 64 LEI, et a chargé les services de police de procéder à l’exécution de cette mesure dès sa remise en liberté.
8. Les services de police ont immédiatement procédé à la réservation en faveur de l'intéressé d'une place à bord d'un vol à destination de la Roumanie, lequel est prévu le 7 décembre prochain.
9. Le 4 décembre 2024, à 18h30, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l’encontre de M. A______ pour une durée de trois semaines.
Lors de son audition, l’intéressé a déclaré qu'il ne s'opposait pas à son retour en Roumanie. Il était en outre d’accord « à ce que le Tribunal administratif de première instance renonce à la procédure orale », après que le commissaire de police avait attiré son attention sur la teneur de l’art. 80 al. 3 LEI.
Selon le procès-verbal du commissaire de police, la détention administrative pour des motifs de droit des étrangers avait débuté à 17h50.
10. Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour, par courriel, à 18h42.
11. A réception de l’ordre de mise en détention, le tribunal a invité le conseil de M. A______ désigné d’office pour la défense de ses intérêts (cf. art. 12 al. 2 de la loi d’application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10), à lui communiquer ses éventuelles observations écrites d’ici au 5 décembre 2024 à 17h00.
12. Dans le délai imparti, le conseil M. A______ a présenté des observations. Il a conclu au rejet de l’ordre de mise en détention, à la libération immédiate de son client ainsi qu’à ce qu’il soit ordonné à l’OCPM de lui octroyer la somme de CHF 5'000.- afin qu’il puisse retrouver un niveau de vie acceptable en Roumanie. Subsidiairement, la mise en détention administrative devait être ordonnée jusqu’au 15 décembre 2024.
1. Le tribunal est compétent pour examiner d’office la légalité et l’adéquation de la détention administrative (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d LaLEtr).
2. Selon l’art. 8 al. 3 LaLEtr, les ordres de mise en détention du commissaire de police sont transmis sans délai au tribunal pour contrôle de la légalité et de l’adéquation de la détention.
3. Le tribunal statue ce jour dans le délai de 96 heures prévu par les art. 80 al. 2 LEI et 9 al. 3 LaLEtr, la détention administrative de M. A______ ayant concrètement débuté le 4 décembre 2024 à 17h50, comme l’indique le procès-verbal d’audition (cf. à cet égard arrêts du Tribunal fédéral 2C_618/2011 du 1er septembre 2011 consid. 2 ; 2C_206/2009 du 29 avril 2009 consid. 5.1.1 et les références citées).
4. Toutefois, selon l’art. 80 al. 3 LEI, l’autorité judiciaire peut renoncer à la procédure orale lorsque le renvoi pourra vraisemblablement avoir lieu dans les huit jours suivant l’ordre de détention et si la personne concernée a donné son consentement écrit, étant précisé que si le renvoi ne peut être exécuté dans ce délai, la procédure orale a lieu au plus tard douze jours après l’ordre de détention.
Le message du Conseil fédéral relatif à cette disposition précise : « Dans la pratique, il s’avère de manière générale que la procédure en vue du prononcé d’une détention du droit en matière d’étrangers prend beaucoup de temps pour les autorités. C’est pour cette raison que l’alinéa 3 prévoit nouvellement que l’autorité peut renoncer à une procédure orale devant le juge de la détention lorsque le renvoi a lieu à bref délai et que la personne concernée a donné son accord écrit. Cependant, il faut lui accorder le droit d’être entendue. Dans ce cas, l’examen de la détention a lieu par écrit sur la base du dossier. S’il s’avère par la suite que le renvoi planifié ne peut pas être exécuté dans le délai prévu, la procédure orale doit avoir lieu après coup. Ainsi, un examen judiciaire complet est garanti » (FF 2002 3469, p. 3573).
Ainsi, s’il est possible de renoncer initialement à la procédure orale dans les conditions prévues par l’art. 80 al. 3 LEI, le tribunal reste néanmoins tenu d’examiner la légalité et l’adéquation de la détention au terme d’une procédure écrite.
5. En l’espèce, tout porte à croire que le renvoi pourra avoir lieu dans le délai de huit jours précité, puisqu’une place sur un vol du 7 décembre 2024 a été réservée en faveur de M. A______.
Par ailleurs, ce dernier a donné par écrit son consentement à ce que le tribunal statue sur son sort sans l’entendre oralement.
Le tribunal se prononce donc sur la base du dossier du commissaire de police et après avoir donné la possibilité à M. A______, sous la plume de son conseil, de déposer des observations écrites.
6. Le tribunal peut confirmer, réformer ou annuler la décision du commissaire de police ; le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l’étranger (art. 9 al. 3 LaLEtr).
7. La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l’art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; 135 II 105 consid. 2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_237/2013 du 27 mars 2013 consid. 5.1 ; 2C_413/2012 du 22 mai 2012 consid. 3.1) et de l’art. 31 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu’elle repose sur une base légale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_584/2012 du 29 juin 2012 consid. 5.1 ; 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.1). Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne peut être prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_256/2013 du 10 avril 2013 consid. 4.1 ; 2C_237/2013 du 27 mars 2013 consid. 5.1 ; 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.1).
8. Selon l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, en lien avec l'art. 75 al. 1 let. c LEI, une mesure de détention administrative peut être ordonnée si une décision de renvoi ou d'expulsion a été notifiée à l'intéressé et que celui-ci a franchi la frontière malgré une interdiction d'entrer en Suisse et ne peut pas être renvoyé immédiatement.
9. En l'espèce, M. A______ fait l'objet d'une décision de renvoi de Suisse prononcée le 4 décembre 2024 ainsi que d’une IES valable jusqu’au 8 décembre 2026, laquelle lui a été valablement notifiée le 6 décembre 2023 et qu’il n’a pas respectée.
La détention administrative est ainsi fondée dans son principe sans qu’il soit nécessaire d’examiner si elle pourrait également l’être sous l’angle de l’art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEI.
10. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 Cst., se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de la personne concernée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).
Il convient dès lors d'examiner, en fonction des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi au sens de l'art. 5 par. 1 let. f CEDH est adaptée et nécessaire (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 ; 134 I 92 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_26/2013 du 29 janvier 2013 consid. 3.1 ; 2C_420/2011 du 9 juin 2011 consid. 4.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 ; 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1).
11. Par ailleurs, les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi doivent être entreprises sans tarder par l'autorité compétente (art. 76 al. 4 LEI). Il s'agit, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; cf. aussi ATA/315/2010 du 6 mai 2010 ; ATA/88/2010 du 9 février).
12. En l'espèce, compte tenu du fait que M. A______ n’a pas respecté l’IES qui lui a valablement été notifiée et que renvoyé dans son pays il est chaque fois revenu en Suisse, on ne voit pas pour quelles raisons, s’il était remis en liberté, il respecterait davantage cette interdiction et changerait de comportement, de sorte que sa détention administrative paraît être le seul moyen d’assurer son renvoi vers la Roumanie. Les autorités suisses ont par ailleurs agi avec toute la diligence possible dès lors qu'elles ont immédiatement procédé à la réservation d'une place sur un vol de ligne pour permettre le renvoi de l’intéressé dans son pays d'origine, lequel pourra avoir lieu le 7 décembre 2024 déjà.
13. Selon l'art. 79 al. 1 LEI, la détention en vue du renvoi ne peut excéder six mois au total. Cette durée maximale peut néanmoins, avec l'accord de l'autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus, lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l'autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI) ou lorsque l'obtention des documents nécessaires au départ auprès d'un État qui ne fait pas partie des États Schengen prend du retard (art. 79 al. 2 let. b LEI).
14. En outre, la durée de la détention administrative doit respecter le principe de la proportionnalité (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).
15. En l’espèce, eu égard à l'ensemble des circonstances, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative pour une durée de trois semaines, qui respecte l'art. 79 LEI et n'apparaît pas disproportionnée, étant rappelé que la détention prendra fin au moment du renvoi mais que si, pour une raison ou une autre, ce renvoi devait ne pas pouvoir se concrétiser rapidement, cette durée permettra aux autorités, cas échéant, de solliciter la prolongation de la détention.
Cela étant, il sera souligné que si le renvoi n'a pas eu lieu dans le délai de huit jours suivant l'ordre de détention, M. A______ sera entendu par le tribunal au plus tard douze jours après l'ordre de détention (art. 80 al. 3 LEI). Dans cette perspective, il appartiendra au commissaire de police de faire savoir au tribunal, le 12 décembre 2024 au plus tard, si l'exécution du renvoi s'est concrétisée ou non.
16. Il n’y a enfin pas lieu d’entrer en matière sur la conclusion de M. A______ tendant à ce qu’il soit ordonné à l’OCPM de lui octroyer la somme de CHF 5'000.- afin qu’il puisse retrouver un niveau de vie acceptable en Roumanie, une telle conclusion étant exorbitante à l’objet de la présente procédure.
17. Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. confirme l’ordre de mise en détention administrative émis par le commissaire de police le 4 décembre 2024 à l’encontre Monsieur A______ pour une durée de trois semaines, soit jusqu'au 24 décembre 2024, inclus ;
2. invite le commissaire de police à faire savoir au tribunal le 12 décembre 2024 au plus tard si l’exécution du renvoi a eu lieu ou non ;
3. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Marielle TONOSSI
Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.
Genève, le |
| La greffière |