Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/999/2024 du 08.10.2024 ( MC ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 8 octobre 2024
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dans la cause
Monsieur A______, représenté par Me Sophie GUIGNARD
contre
COMMISSAIRE DE POLICE
1. Monsieur A______, né le ______ 1994, est originaire du Kosovo.
2. Son casier judiciaire suisse fait état de deux condamnations en 2016 et 2022 pour des infractions à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et à la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01). Une procédure pénale est en cours depuis 2022 auprès des instances pénales vaudoises pour faux témoignage, faux rapport ou fausse traduction en justice (art. 307 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 ; CP - RS 311.0).
3. Par décision du 20 octobre 2020, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a rejeté la demande d'autorisation de séjour de la personne susmentionnée. Ses recours successifs auprès du Tribunal administratif de première instance de Genève (ci-après : le tribunal), puis devant la chambre administrative de la Cour de justice ont été rejetés respectivement par jugement du 29 avril 2021, puis par arrêt ATA/302/2022 du 22 mars 2022. Ce dernier arrêt n'a pas été contesté de telle sorte que la décision du 20 octobre 2020 est entrée en force. Suite à cet arrêt, un nouveau délai de départ au 15 novembre 2022 a été imparti à M. A______.
4. L'intéressé n'a pas donné suite à cette injonction.
5. Convoqué dans les locaux de l'OCPM le 11 septembre 2023 dans le cadre d'un entretien de départ, sa situation administrative en Suisse lui a été encore une fois rappelée. M. A______ a déclaré être disposé à partir au Kosovo mais a requis un délai supplémentaire d'environ trois mois pour pouvoir s'organiser. L'OCPM a acquiescé à sa demande et lui a imparti un ultime délai au 11 décembre 2023 pour quitter la Suisse, soulignant que si ce délai n'était pas respecté il s'exposait à des mesures de contrainte prévues aux articles 73 à 78 de la LEI.
6. L'intéressé n'a pas quitté la Suisse ou du moins n'a pas démontré l'avoir fait dans le délai imparti.
7. Le 18 décembre 2023, le dossier de M. A______ a été transféré à la cellule d'enquêtes de l'OCPM afin qu'une vérification soit faite sur la présence de l'intéressé sur le sol suisse. Le rapport d'entraide administrative établi le 26 mars 2024 a conclu que depuis quelques mois, il n'habitait plus à l'adresse indiquée aux autorités suisses (______[GE], chez ses parents). Toutefois, il semblait être toujours présent à Genève et ne disposerait pas d'adresse actuelle.
8. Sur ce, le 13 juin 2024, l'OCPM a requis l'inscription de l'intéressé au RIPOL au motif que son lieu de séjour était inconnu.
9. Le 5 octobre 2024, la CECAL a requis l'intervention des services de police à l'hôtel B____ sis rue ______ à Genève, pour une personne signalée au RIPOL. Sur place, les forces de l'ordre ont été confrontées à M. A______, lequel était en possession de sa carte d'identité kosovare valable. Conduit dans les locaux de la police, l'intéressé s'est vu notifier une interdiction d'entreé en Suisse prise à son encontre par le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) le 15 juillet 2024 et valable jusqu'au 14 juillet 2027. Au sujet de sa situation personnelle, il a déclaré qu'il était malade, qu'il avait eu un accident de ski et que sa maladie n'était pas curable au Kosovo. Il n'avait pas quitté la Suisse depuis 2018, travaillait de manière sporadique au noir (pour CHF 20.- de l'heure), était actuellement en possession de CHF 300.-, résidait à gauche et à droite chez des amis mais ne connaissait pas leurs adresses. Il était capable de payer ses frais de rapatriement, mais ne voulait pas rentrer au Kosovo, car toute sa famille habitait en Suisse. Il aidait en particulier ses parents dans le suivi et l'accompagnement de sa sœur, gravement malade.
10. Prévenu d'infraction à la LEI (art. 115 - séjour illégal), il a été mis à disposition du Ministère public sur ordre du commissaire de police.
11. Par ordonnance pénale du 5 octobre 2024, le Ministère public a condamné l’intéressé pour les faits ayant mené à son arrestation, puis il l'a libéré.
12. Le 5 octobre 2024, à 16h25, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de trois semaines, considérant qu'il avait démontré vouloir se soustraire à son renvoi. Il était ajouté que les services de police avaient immédiatement demandé la réservation d'une place à bord d'un avion de ligne devant permettre le refoulement de M. A______ au Kosovo.
Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il s'opposait à son renvoi au Kosovo, dans la mesure où il ne connaissait personne au Kosovo, où il avait toute sa famille en Suisse, notamment sa sœur en chaise roulante, qu'il soutenait financièrement.
13. Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au tribunal le même jour.
14. Par courriel du 7 octobre 2024, le commissaire de police a adressé au tribunal copie du plan du vol destiné à rapatrier M. A______ au Kosovo par avion au départ de Genève le 9 octobre 2024.
15. Entendu ce jour par le tribunal, M. A______ a déclaré qu'il voyait qu'il n'avait désormais plus d'autre choix que de prendre l'avion à bord duquel une place lui était réservée le lendemain.
La représentante du commissaire de police a conclu à la confirmation de l'ordre de mise en détention administrative pour une durée de trois semaines.
M. A______, par son conseil, a conclu à l'annulation de l'ordre de mise en détention administrative et à sa libération immédiate, subsidiairement à ce que la durée de la détention soit réduite à une semaine.
1. Le tribunal est compétent pour examiner d'office la légalité et l’adéquation de la détention administrative en vue de renvoi ou d’expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).
Il doit y procéder dans les nonante-six heures qui suivent l'ordre de mise en détention (art. 80 al. 2 LEI ; 9 al. 3 LaLEtr).
2. En l'espèce, le tribunal a été valablement saisi et respecte le délai précité en statuant ce jour, la détention administrative ayant débuté le 5 octobre 2024 à 16h05.
3. L'art. 76 al. 1 let. b LEI stipule que lorsqu'une décision de renvoi a été notifiée, l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée si des éléments concrets font craindre qu'elle entende se soustraire au renvoi, en particulier parce qu'elle ne se soumet pas à son obligation de collaborer (ch. 3) ou si son comportement permet de conclure qu'elle se refuse à obtempérer aux instructions des autorités (ch. 4).
4. Ces deux dispositions décrivent toutes deux des comportements permettant de conclure à l’existence d’un risque de fuite ou de disparition, de sorte que les deux éléments doivent être envisagés ensemble (arrêt du Tribunal fédéral 2C_128/2009 du 30 mars 2009 consid. 3.1).
5. Selon la jurisprudence, un risque de fuite existe notamment lorsque l'étranger a déjà disparu une première fois dans la clandestinité (ATF 140 II 1 consid. 5.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_256/2013 du 10 avril 2013 consid. 4.2 ; 2C_806/2010 du 21 octobre 2010 consid. 2.1 ; 2C_743/2009 du 7 décembre 2009 consid. 4), qu'il tente d'entraver les démarches en vue de l'exécution du renvoi en donnant des indications manifestement inexactes ou contradictoires ou encore s'il laisse clairement apparaître, par ses déclarations ou son comportement, qu'il n'est pas disposé à retourner dans son pays d'origine (cf. ATF 140 II 1 consid. 5.3 ; 130 II 56 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1139/2012 du 21 décembre 2012 consid. 3.2 ; ATA/315/2014 du 2 mai 2014).
6. Lorsqu’il existe un risque de fuite, le juge de la détention administrative doit établir un pronostic en déterminant s’il existe des garanties que l’étranger prêtera son concours à l’exécution du renvoi, soit qu’il se conformera aux instructions de l’autorité et regagnera ainsi son pays d’origine le moment venu, c’est-à-dire lorsque les conditions seront réunies. Dans ce cas, le juge de la détention dispose d’une certaine marge d’appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 2C.400/2009 du 16 juillet 2009 consid. 3.1).
7. Comme le prévoit expressément l'art. 76 al. 1 let. b ch. 3 LEI, il faut qu'il existe des éléments concrets en ce sens (ATF 140 II 1 consid. 5.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_256/2013 du 10 avril 2013 consid. 4.2 ; 2C_142/2013 du 1er mars 2013 consid. 4.2 ; 2C_1017/2012 du 30 octobre 2012 consid. 4.1.1 ; ATA/315/2014 du 2 mai 2014). Ne constituent pas des éléments suffisants le seul fait que l'étranger soit entré en Suisse de façon illégale ou le fait qu'il soit démuni de papiers d'identité (cf. ATF 129 I 139 consid. 4.2.1). De même, le fait de ne pas quitter le pays dans le délai imparti à cet effet n'est pas à lui seul suffisant pour admettre un motif de détention au sens de l'art. 76 al. 1 ch. 3 ou 4 LEI, mais peut tout au plus constituer un indice parmi d'autres en vue d'établir un risque de fuite (ATF 140 II 1 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_142/2013 du 1er mars consid. 4.2 in fine ; ATA/315/2014 du 2 mai 2014). En effet, si tel était le cas, il aurait appartenu au législateur d'indiquer expressément à l'art. 76 al. 1 LEI que le non-respect du délai de départ constitue à lui seul un motif justifiant la mise en détention de l'étranger (arrêt du Tribunal fédéral 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.2 et les références citées). Dans la même ligne, le fait de travailler au noir ne constitue pas non plus un indice d'un risque de fuite (ATF 140 II 1 consid. 5.4.2 p. 5). A l'inverse, la circonstance que la personne concernée s'est tenue, assez longtemps et de manière ininterrompue, en un endroit stable à la disposition des autorités plaide en défaveur du risque de fuite (arrêt du Tribunal fédéral 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.2 et les références citées).
8. En l'espèce, M. A______ est soumis à l'obligation de quitter la Suisse depuis que la décision de renvoi prononcée à son encontre par l'OCPM le 20 octobre 2020 est devenue définitive et exécutoire, suite au rejet de son recours contre cette décision par arrêt rendu par la chambre administrative le 22 mars 2022 (ATA/302/2022). Un nouveau délai de départ au 15 novembre 2022 a ensuite été imparti à M. A______, puis celui-ci a été convoqué dans les locaux de l'OCPM le 11 septembre 2023 dans le cadre d'un entretien de départ, lors duquel un ultime délai au 11 décembre 2023 lui a été imparti pour quitter la Suisse. Son attention a été attirée à cette occasion sur le fait que si ce délai n'était pas respecté, il s'exposait à des mesures de contrainte. Il est par la suite demeuré dans la clandestinité, son lieu de vie demeurant impossible à déterminer, jusqu'à ce que sa présence soit signalée à la police dans un hôtel dans le quartier des C______ à Genève.
9. Suite à son interpellation, il déclaré à la police qu'il ne voulait pas retourner au Kosovo où il prétendait ne connaître plus personne, ses parents et l'une de ses sœurs résidant à Genève. Sa présence en Suisse était également nécessaire pour qu'il puisse venir en aide financièrement à sa sœur, atteinte dans sa santé.
10. Au vu des différents éléments qui viennent d'être rappelés, il est manifeste que M. A______ n'a non seulement aucune intention de retourner au Kosovo, mais également qu'il est prêt à prendre toute mesure pour pouvoir se soustraire à un retour non volontaire, en particulier en cherchant à empêcher sa localisation par les autorités compétentes.
11. Dans cette mesure, sa détention au sens de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEI répond aux conditions de cette disposition légale et doit être confirmée quant à son principe.
12. Selon le texte de l'art. 76 al. 1 LEI, l'autorité "peut" prononcer la détention administrative lorsque les conditions légales sont réunies. L'utilisation de la forme potestative signifie qu'elle n'en a pas l'obligation et que, dans la marge d'appréciation dont elle dispose dans l'application de la loi, elle se doit d'examiner la proportionnalité de la mesure qu'elle envisage de prendre.
13. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 Cst., se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de la personne concernée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).
14. Il convient dès lors d'examiner, en fonction des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi au sens de l'art. 5 par. 1 let. f CEDH est adaptée et nécessaire (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 ; 134 I 92 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_26/2013 du 29 janvier 2013 consid. 3.1 ; 2C_420/2011 du 9 juin 2011 consid. 4.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 ; 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1).
15. Par ailleurs, les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi doivent être entreprises sans tarder par l'autorité compétente (art. 76 al. 4 LEI). Il s'agit, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; cf. aussi ATA/315/2010 du 6 mai 2010 ; ATA/88/2010 du 9 février 2010 ; ATA/644/2009 du 8 décembre 2009 et les références citées).
16. En l'espèce, M. A______ n'a pas motivé les raisons pour lesquelles sa détention administrative devrait être annulée, à supposer qu'elle dût l'être en raison d'une disproportion manifeste de cette mesure. En tout état, le tribunal ne voit aucune raison qui devrait le conduire à annuler cette détention.
Quant au fait que celle-ci serait disproportionnée dans sa durée, qui a été fixée à trois semaines, il est vrai que depuis la décision litigieuse, les autorités compétentes ont pu réserver pour l'intéressé une place à bord d'un vol qui devrait le ramener dans son pays le 9 octobre 2024. Dans cette mesure, la durée de détention initialement fixée à trois semaines pourrait de prime abord apparaître disproportionnée. Néanmoins, il faut tout d'abord relever qu'au cas où M. A______ prendrait effectivement ce vol, sa détention administrative deviendra sans objet et qu'elle n'aura dès lors duré que cinq jours. Ensuite, le tribunal doit malgré tout prendre en considération la possibilité que M. A______ refuse finalement de prendre l'avion le 9 octobre 2024, dans la mesure où il a jusqu'ici fait part de son refus de retourner au Kosovo, dans cette hypothèse, il faudrait que les autorités compétentes puissent cas échéant saisir le tribunal d'une demande de prolongation de la détention, ce qui les contraint de par la loi de respecter un délai de huit jours ouvrables avant échéance de la détention en cours. Sous cet angle, une détention de trois semaines apparaît par conséquent tout à fait proportionnée.
17. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative de M. A______ pour une durée de trois semaines.
18. Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au SEM.
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. confirme l’ordre de mise en détention administrative pris par le commissaire de police le 5 octobre 2024 à 16h25 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée de trois semaines, soit jusqu'au 25 octobre 2024 inclus ;
2. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Au nom du Tribunal :
Le président
Olivier BINDSCHEDLER TORNARE
Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.
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Genève, le |
| Le greffier |