Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/914/2024 du 27.08.2024 ( LDTR ) , ADMIS PARTIELLEMENT
ATTAQUE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 27 août 2024
|
dans la cause
A______ SA, représentée par Me Mark MULLER, avocat, avec élection de domicile
contre
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
1. A______ SA (ci-après : la société) est une société active notamment dans le domaine immobilier.
2. Elle est propriétaire de la parcelle n° 1______, feuille 2______, de la commune de B______, sise C______ 3______ en zone 2, sur laquelle est érigé un immeuble de logements, avec activité au rez-de-chaussée.
3. Le 18 mai 2012, suite à un contrôle, il est apparu que des travaux importants avaient été effectués dans l’immeuble, sans autorisation (démolition/reconstruction complète des sept étages, à l'intérieur). Un dossier d’infraction (I/4______) a été ouvert à l’encontre de la société.
4. Le ______ 2013, le département du territoire (ci-après : DT ou le département) a délivré l’autorisation de construire n° DD 5______ requise par la société afin de régulariser la situation.
Cette autorisation prévoyait notamment la fixation des loyers pour une durée de 5 ans, dès la remise en location après la fin des travaux, à CHF 3'405.- la pièce par an pour les appartements transformés aux 1er et 7ème étages, à CHF 6'364.- la pièce par an, pour ceux du 8ème étage (conditions n° 2 et n° 3), et le respect des conditions du préavis LDTR (conditions n° 6 et n° 7). La condition n° 9 mentionnait que les travaux impliquaient le départ des locataires.
Un avenant du 1er septembre 2014 (ci-après : l’avenant) a modifié les conditions n° 6 et n° 7, prévoyant principalement que les travaux de remise en état pour revenir à la situation antérieure seraient exécutés sans délai et que les loyers des vingt-neuf appartements existants n'excéderaient pas CHF 504'765.- l'an, pour une durée de trois ans, à dater de la première mise en location des logements.
5. Le 11 octobre 2013, une amende de CHF 3'000.- a été infligée à la société pour les travaux effectués en violation de la loi.
6. Lors de contrôles effectués les 22 décembre 2014 et 20 janvier 2015, un inspecteur du DT a constaté que des personnes habitaient toujours l’immeuble et que des travaux étaient en cours, en violation de l'autorisation de construire délivrée. Le dossier d’infraction n° I/6______ a été ouvert.
7. Par décision du ______ 2015, le département a ordonné l'arrêt du chantier jusqu’à la régularisation de la situation.
8. Le dossier a été clos le 29 avril 2015, suite à divers échanges entre le DT et la société. Aucune amende n’a été infligée à cette dernière, mais le DT a posé des conditions pour que certains locataires puissent demeurer dans leur logement pendant les travaux.
9. Le 20 mai 2016, le DT a été informé que la société avait entrepris des travaux non autorisés dans l’immeuble. Suite à un constat effectué le 6 juin 2016, le dossier d’infraction n° I/7______ a été ouvert contre la société et un nouvel ordre d’arrêt de chantier a été prononcé le 28 juin 2016. Cette mesure a ensuite été levée suite à des discussions.
Le DT a informé la société qu’il avait appris que les loyers fixés n’étaient pas respectés et qu’il ressortait d’une annonce trouvée sur internet que les appartements étaient loués meublés. Il lui a également rappelé qu’en l’absence de l’attestation globale de conformité, les appartements ne pouvaient être loués.
10. Le ______ 2016, la société a obtenu une autorisation de construire en procédure accélérée concernant la régularisation des travaux effectués au rez-de-chaussée de l’immeuble (changement d’affectation d’une pharmacie en magasin de vente de meubles - APA 8______).
11. Par courriel du 10 novembre 2016 adressé à la société, le DT a indiqué avoir appris que les appartements situés dans l’immeuble étaient, via Internet, loués meublés, avec un service de nettoyage et à des prix largement supérieurs à ceux autorisés.
12. Lors d’un contrôle effectué le 15 décembre 2016, un inspecteur du DT a notamment constaté les infractions, suivantes : les appartements étaient loués en l’absence d’une attestation globale de conformité ; ils étaient loués meublés, avec service de nettoyage (nettoyage des linges compris) contrairement à la condition n° 6 de l'autorisation DD 5______ ; selon l’annonce visible sur Internet, les loyers plafond LDTR n’étaient pas respectés.
Le dossier d’infraction I/9______ a été ouvert.
13. Par décision du ______ 2017, confirmée par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le ______ 2018 (JTAPI/10_____), le DT a infligé une amende de CHF 10'000.- à la société, dans le cadre de cette infraction. Il lui a également ordonné de se conformer à l’autorisation de construire précitée, s’agissant en particulier des conditions de location des appartements rénovés.
14. Lors d’un contrôle effectué par le département le 27 juin 2019, les constats suivants ont notamment été faits :
- l’état actuel de l’immeuble n’était pas conforme à son état légal antérieur. La liste des éléments modifiés concernait notamment la rénovation et l’aménagement des logements du 1er au 7ème étage et le réaménagement des 8ème et 9ème étages, ainsi que la modification du duplex ;
- l’ensemble des appartements étaient meublés, décorés et équipés de manière identique et les serrures de chaque appartement étaient fermées par un badge auquel le propriétaire avait accès. Les appartements avaient quasiment tous fait l’objet d’une rénovation complète récente, identique, tant des locaux secs (revêtement de sols, murs, plafonds, finitions, réseau électrique et luminaire) que des locaux humides (sols, murs, plafonds, finitions, accessoires, douches, lavabo, meubles de cuisine, évier, réseau sanitaire) et des fenêtres ;
- seul un numéro était indiqué sur les portes palières, à l'exclusion d'un nom ;
- le commerce-bureau situé au rez-de-chaussée, validé par l’APA 8______, était meublé de la même manière que les autres appartements. Un lit-double y était d’ailleurs installé ;
- aucun avis d’ouverture de chantier pour l’APA 8______ n’avait été réceptionné.
15. Ces constats ont conduit à l’ouverture du dossier d’infraction n° I/11_____.
16. Par décision du ______ 2019, le département a imparti un délai de six mois à la société pour rétablir une situation conforme au droit en procédant aux travaux suivants :
- pour les 8ème et 9ème étages, à la reconstruction de l’escalier interne afin de recréer l’appartement en duplex avec le 8ème étage, tout en supprimant la cuisine dans le séjour du 9ème étage, la véranda, l’escalier extérieur en colimaçon et les garde-corps installés sur la superstructure ;
- pour l’appartement B du 7ème étage, à une remise en état conformément aux plans de la DD 12_____ ;
- à la suppression au 4ème étage de la porte supplémentaire sur le palier et de la cuisine dans la chambre donnant sur la cour arrière ;
- à la remise en état des appartements B, C et D du 1er étage, afin qu’ils soient conformes aux appartements existants dans les étages supérieurs.
La modification de la typologie des appartements B aux étages 2 à 6 était tolérée à bien plaire en raison de l’amélioration architecturale créée, tandis que pour le sous-sol, un dossier sous forme d’APA devait être déposé dans les trente jours, afin de régulariser, si possible, les modifications typologiques et la modification de la chaudière. La société devait également fournir un état locatif détaillé, ainsi que l’intégralité des contrats de bail et avis de majoration des appartements actuels, de même que pour le commerce-bureau sis au rez-de-chaussée.
17. Le 15 octobre 2019, soit au-delà de l’ultime délai prolongé au 14 octobre 2019 par le DT, la société a produit l’état locatif de l'immeuble et la copie des contrats de bail y relatifs.
18. Par décision du ______ 2019, le DT a infligé une amende de CHF 1'000.- à la société, tenant compte de son attitude consistant à ne pas se conformer à ses ordres. Les documents transmis étaient incomplets et avaient été produits tardivement. Elle n’avait pas non plus déposé de demande d’autorisation de construire. Un nouveau délai de trente jours lui a été imparti pour la requérir.
19. Suite à un courrier de la société du 14 novembre 2019, le DT a rendu une nouvelle décision le ______ 2019.
Il n’avait pas validé le dépôt d’une demande d’autorisation de construire qui regroupait les travaux relatifs au sous-sol et la remise en état des étages 1 à 7. Il confirmait les termes de la décision du ______ 2019 qui réitérait son ordre du ______ 2019.
Les documents envoyés le 15 octobre 2019 étaient rédigés en allemand et en anglais alors que la langue officielle dans le canton de Genève était le français. Ces documents comportaient également des irrégularités remettant en question leur force probante. Ils ne répondaient ainsi pas aux exigences de la décision du ______ 2019. Compte tenu de ces manquements, une nouvelle amende de CHF 1'000.- lui était infligée.
Un délai de trente jours lui était également imparti pour produire, dans un premier temps, les documents suivants :
- la traduction des baux en français (1) ;
- un état locatif détaillé concernant l’entier des locaux (2) ;
- l’ensemble des dossiers de candidature des personnes morales et physiques occupant les logements considérés (3) ;
- l’ensemble des demandes des autorisations de sous-location ainsi que les documents y relatifs (4) ;
- les noms des personnes physiques occupant les logements loués à des personnes morales (5) ;
- tous les justificatifs de paiement des loyers pendant la durée des divers baux portant sur les logements considérés (6) ;
- l’ensemble des conventions annexes aux contrats produits, y compris celles liées aux meubles (7).
Les deux premiers points qui étaient des mesures d’exécution d’une décision entrée en force ne pouvaient pas faire l’objet d’un recours.
20. La société a recouru contre cette décision auprès du tribunal.
21. Par arrêt du ______ 2020 (ATA/13_____), la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a confirmé le jugement du tribunal du ______ 2019 (JTAPI/14_____), constatant la nullité de l'avenant du 1er septembre 2014.
La chambre administrative a notamment retenu que l’avenant litigieux modifiait fondamentalement la substance de l’autorisation de construire DD 5______, tant sous l’angle des travaux autorisés que des conditions financières (loyers totaux initialement autorisés de CHF 321'264.- et portés à CHF 504'765.-. En outre, la durée du contrôle de cinq ans était réduite à trois ans. Des modifications d’une telle importance devaient suivre la procédure applicable en la matière et être publiées dans la Feuille d’avis officielle (ci-après : FAO).
22. Par décision du ______ 2020, entrée en force, le DT a infligé une amende de CHF 10'000.- à la société au motif que les travaux de remise en état ordonnés le 29 août 2019 n’avaient pas été réalisés dans le délai imparti, et lui a imparti un délai de soixante jours pour ce faire.
23. Lors d'un constat effectué le 4 décembre 2020, il est apparu que la remise en état ordonnée n’avait été que très partiellement exécutée. Le DT a donc infligé une nouvelle amende de CHF 5'000.- à la société, sanction qui a été confirmée par le tribunal (JTAPI/15_____ du ______ 2021).
24. Par jugement JTAPI/16_____ du ______ 2021, le tribunal a rejeté le recours interjeté par la société contre la décision du ______ 2019.
25. Par arrêt ATA/17_____ du ______ 2021, la chambre administrative a confirmé le jugement précité.
Le recours était irrecevable en tant qu’il portait sur les points 1 et 2 de la décision du ______ 2019 qui étaient de simples mesures d’exécution d’une décision entrée en force.
Sur le fond, c’était à bon escient que le DT exigeait que la société produise l'intégralité des documents listés sous points 3 à 7 de la décision querellée, de même que les points 1 et 2 pour déterminer si les exigences de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et du règlement d’application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 29 avril 1996 (RDTR - L 5 20.01), notamment, étaient respectées.
En effet, beaucoup d’éléments laissaient suspecter que bon nombre des appartements de l’immeuble, voire la totalité, étaient loués en tant que résidences meublées, à des fins commerciales, affectation soumise à une autorisation spécifique selon l'art. 4 al. 3 RDTR. Le DT avait notamment relevé, sans être contredit par la société, que les chambres étaient meublées, alors qu’aucun contrat ne mentionnait de meubles, qu'une partie des logements était louée par des personnes morales proches de la société, et qu'un seul locataire était inscrit à l'office cantonal de la population (ci-après : l’OCPM) comme habitant l'immeuble qui pourtant comptait près de trente logements. Les serrures des portes palières étaient équipées de systèmes à badges, permettant à la propriétaire l'accès aux appartements, et lesdites portes palières ne comportaient nul nom, mais uniquement des numéros. Des contrats d'une durée inférieure à une année, dont certains avaient été produits alors qu’ils étaient déjà échus, constituaient un indice plaidant par ailleurs tant pour la location de résidences meublées, que pour le caractère incomplet des documents et de l'état locatif produits, lequel ne comportait pas la totalité des locaux concernés par la procédure.
Dans ces circonstances, c’était à juste titre également que le DT avait sollicité l'intégralité des documents à même de permettre de déterminer quelle était l'affectation actuelle et passée des dizaines d'appartements en cause, leurs conditions de location, ce qui ne pouvait ressortir que de l'historique des baux à loyer, des avis de fixation de loyer initial, avis de majoration de loyers, état locatif complet, comprenant notamment les sous-locations, etc.
Par ailleurs, l’amende infligée était pleinement justifiée s’agissant de la production lacunaire des documents requis. Le comportement de la société était fautif et méritait une sanction. Le montant de l’amende de CHF 1'000.- s’avérait tellement clément qu'il n’y avait pas lieu de le réduire.
26. Par arrêt du ______ 2023, le Tribunal fédéral a rejeté le recours interjeté par la société contre l’ATA/17_____.
Il a jugé, en substance, que l’ordre donné à la société par le DT de produire les documents énumérés aux chiffres 3 à 7 de la décision du ______ 2019 n’était pas arbitraire. Il lui appartenait en effet de contrôler l'application de loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) et de la LDTR, ainsi que d'en faire observer les règles, et ces documents lui permettaient de vérifier la conformité des travaux réalisés à la règlementation applicable et aux autorisations délivrées. Le DT pouvait également exiger les documents concernant les sous-location, contrairement à l’avis de la propriétaire recourante.
27. Par courrier du 2 mai 2023, la société, faisant suite à l’arrêt du Tribunal fédéral du ______ 2023, a sollicité du DT un délai de soixante jours pour « rassembler l’ensemble des nombreuses pièces requises ».
28. Suite à un échange de courriels, le DT a accordé un délai au 12 juin 2023 à la société pour produire ces pièces, précisant qu’aucune prolongation ne serait octroyée et que tout retard ou absence de réponse serait sanctionné, toute autre mesure ou sanction étant par ailleurs réservée.
29. Par décision du ______ 2023, le DT a infligé une amende de CHF 5'000.- à la société, au motif que l’intégralité des pièces qu’il lui réclamait depuis le 26 novembre 2019 ne lui avait toujours pas été transmise.
Il lui a également imparti un délai au 26 juin 2023 pour produire tous les documents manquants, lui laissant le soin de se référer, à cet égard, à l’arrêt du Tribunal fédéral du ______ 2023.
S’agissant d’une mesure d’exécution d’une décision en force, seule l’amende pouvait faire l’objet d’un recours.
30. Par courrier du 26 juin 2023, la société a donné suite à la demande du DT, s’agissant des documents requis aux chiffres 3 à 7 de la décision du ______ 2019 comme suit :
Chiffre 3 :
Elle ne disposait pas des dossiers de candidature des personnes morales et physiques occupant les logements en cause car les locataires lui étaient connus.
Chiffre 4 :
La bailleresse n’avait pas exigé que des demandes de sous-location soient faites, étant précisé que le bailleur n’avait pas l’obligation de conditionner la sous-location à son accord.
Chiffre 5 :
Elle produisait l’état locatif (état 1.12.2019) que le DT avait déjà reçu le 29 septembre 2019 (sic), complété par les noms des habitants des logements qui avaient pu être identifiés.
Chiffre 6 :
Elle n’avait pas encore pu obtenir tous les justificatifs de paiement de sa banque. Ils remontaient à plusieurs années et des recherches étaient nécessaires.
Chiffre 7 :
Il n’y avait pas de conventions annexes aux contrats produits.
31. Par décision du ______ 2023, le DT a infligé une amende de CHF 10'000.- à la société car, malgré sa relance du 19 juin 2023, l’intégralité des pièces sollicitées dans la décision du ______ 2019 ne lui avaient toujours pas été transmises.
Il lui a imparti un nouveau délai au 7 juillet 2023 pour produire l’intégralité des pièces manquantes, sous peine de nouvelles mesures et/ou sanction, précisant que le document qui était joint au courrier du 26 juin 2023 était semblable à celui qu’elle avait produit le 15 octobre 2019, sous réserve des indications relatives au 9ème étage de l’immeuble qui n’y figuraient plus.
Concernant la sanction administrative portant sur la réalisation de travaux sans droit, elle restait en l’état expressément réservée et pourrait faire l'objet d'une décision séparée, à l'issue du traitement du dossier d’infraction I/11_____.
S’agissant d’une mesure d’exécution d’une décision en force, seule l’amende pouvait faire l’objet d’un recours.
32. Par courrier du 7 juillet 2023, la société a notamment invité le DT à retirer ses deux dernières décisions qui étaient « parfaitement injustifiées » car seuls manquaient les justificatifs de paiement de loyer. En effet, certaines des pièces demandées n’existaient pas et d’autres avaient déjà été remises en 2019.
33. Par courriel du 21 juillet 2023, le DT a fait savoir à la société qu’il maintenait ses décisions, rappelant notamment que l’ordre de fournir les documents en cause avait été validé par les tribunaux.
34. Par décision du ______ 2023, le DT a imparti un délai de nonante jours à la société pour rétablir une situation conforme au droit, en mettant fin à l’exploitation de l’immeuble en résidences meublées, et lui a ordonné de lui transmettre, à l’échéance de ce délai, les baux ordinaires, exempts de location de mobilier et de services hôtelier, ainsi que les avis de fixation des loyers portant sur chacun des vingt-neuf logements de l’immeuble. Il lui a également infligé une amende CHF 150'000.-.
Les éléments qui ressortaient de l’instruction qu’il avait menée et qui avaient été retenus par les juridictions précitées constituaient un faisceau d’indices confinant à la conviction que les logements en cause étaient exploités en tant que résidences meublées au sens de l’art. 4 al. 1 LDTR. Cette situation constituait manifestement une infraction grave à la LDTR et à son règlement d’application qui justifiait le prononcé, en sus de l’ordre de remise en conformité au droit, d’une amende administrative. À cet égard, il y avait lieu de retenir que la faute commise était objectivement et subjectivement grave. En effet, la société qui avait le statut de professionnelle de l’immobilier ne pouvait pas ignorer ses obligations s’agissant du respect de la destination des logements précités. De plus, le dossier mettait en évidence le comportement constant de l’intéressée qui faisait peu de cas de la législation applicable et qui avait fait preuve d’un manque de coopération. Il convenait également de rappeler les nombreuses infractions qu’elle avait déjà commises en lien avec cet immeuble, les sanctions déjà prononcées et sa cupidité, qui constituaient des circonstances aggravantes. Elle avait également soustrait un nombre important de logement au marché locatif genevois en période de pénurie et sa situation financière n’apparaissait pas obérée.
35. Par acte du 4 octobre 2023, la société (ci-après : la recourante), sous la plume de son conseil, a recouru contre cette décision auprès du tribunal, concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation.
Elle contestait exploiter l’immeuble en tant que résidences meublées au sens de l’art. 4 al. 1 LDTR et les « indices » relevés dans ce sens par le DT étaient sans pertinence. Hormis un service de nettoyage, l’immeuble n’offrait aucun service pouvant être qualifié de prestation hôtelière. Il n’y avait pas de Wifi commun ni de centrale téléphonique. Il n’y avait pas non plus de réception, de salle commune ou de service de restauration.
L’affectation de l’immeuble n’ayant pas été changée sans autorisation, l’ordre de rétablir une situation conforme au droit devait être annulé.
Par ailleurs, l'ordre de production de documents était fondé sur une interprétation insoutenable aussi bien des faits que de l'art 4 al. 1 LDTR. Dans la mesure où les appartements qu’elle louait ne pouvaient être qualifiés de « résidences meublées » au sens de la loi, l'ordre de produire les baux ordinaires et les avis de fixation des loyers de chacun des logements devait être annulé.
Enfin, compte tenu de l’absence d’infraction, l’amende devait également être annulée. Si, par impossible, le tribunal retenait une violation de la LDTR, il y aurait alors lieu de fortement réduire le montant de l’amende qui avait été fixé au maximum prévu par la loi, violant ainsi le principe de la proportionnalité.
En comparaison avec la casuistique jurisprudentielle en la matière, il convenait en effet de relativiser la gravité d’une infraction - dont la réalisation était en l’occurrence contestée - qui portait sur un changement d'affectation de logements « ordinaires » en résidences meublées, une telle modification faisant perdurer l'affectation de logement, même si le mode d'exploitation changeait.
Au surplus, elle n'avait jamais eu l’intention de louer des résidences meublées, estimant de bonne foi que les baux qu’elle proposait étaient ceux de simples locaux d'habitation. Un manque de collaboration ne pouvait pas non plus lui être reproché, dès lors qu’elle avait remis au DT la totalité des documents en sa possession.
36. Dans ses observations du 8 décembre 2023, le DT a conclu au rejet du recours.
Depuis 2012, il avait ouvert plusieurs dossiers d’infractions à l’encontre de la recourante et recueilli nombre d’indices, corroborés par les documents produits le 15 octobre 2019, qui convergeaient vers une affectation des appartements de l’immeuble en résidences meublées, soit un changement d’affectation non autorisé.
S’agissant des baux, une partie des contrats ne mentionnait aucune échéance, l’autre indiquait des durées inférieures ou égale à une année et la durée des baux ne ressortait ni de l'état locatif produit le 15 octobre 2019 ni de celui produit le 7 juillet 2023.
Par ailleurs, suffisamment d’éléments et d’indices prouvaient le changement d’affectation illicite de l’immeuble. Le fait que la recourante n’avait pas sollicité une demande d’exploiter en ce sens n’était pas de nature à démontrer l’absence d’intention d’exploiter une résidence meublée. Quant à la supposée bonne foi de la recourante, il ressortait de l’historique du dossier que cette dernière avait plutôt pour coutume de se passer d’autorisations de construire.
En tout état, tant la chambre administrative que le tribunal avaient jugé que les indices relevés par le DT laissaient suspecter l’exploitation des logements de l’immeuble à des fins commerciales et le DT n’avait aucun doute à cet égard. Or, une telle affectation était soumise à autorisation spécifique selon l’art. 4 al. 3 LDTR. Dans la mesure où elle faisait défaut, l'ordre de rétablir une situation conforme au droit était valable et devait être confirmé.
Cette situation étant constitutive d’une violation grave aux dispositions de la LDTR et du RDTR, l’amende était justifiée dans son principe.
En outre, la faute commise était objectivement et subjectivement grave pour les raisons exposées dans la décision attaquée. Le mode opératoire de la recourante consistait à mettre les autorités devant le fait accompli avec, pour mobile, l'appât du gain, et un mépris des dispositions légales applicables en la matière. Sa faute était d'autant plus grave, dès lors, qu’en sa qualité de professionnelle de l'immobilier, elle se devait d'être bien informée et respectueuse de ses obligations et des contraintes légales.
De plus, le dossier mettait en évidence une constance dans le non-respect du cadre normatif et le manque de coopération de la recourante. Au cours des dix dernières années, quatre procédures d'infractions concernant l'immeuble en cause avaient été ouvertes à l’encontre de la recourante. Depuis 2013, son comportement illicite et son obstination à ne pas se conformer aux ordres avaient été sanctionnés par neuf amendes, pour un montant total de CHF 63’000.-, qui n’avaient pas eu d’effet dissuasif. Les circonstances aggravantes de la récidive et de la cupidité étaient manifestement réalisées. Le montant de l’amende devait ainsi être confirmé, la recourante ne démontrant au demeurant pas que son paiement la mettrait dans une situation financière particulièrement difficile.
37. Le 26 février 2024, la recourante a répliqué, sous la plume de son conseil.
Le DT n’avait pas produit les pièces qui prouvaient les faits sur lesquels il se fondait pour prononcer la décision attaquée. Partant, le tribunal devait ordonner l’apport du dossier I/11_____, puis octroyer un délai à la recourante pour se déterminer.
Par ailleurs, les éléments retenus par le DT ne suffisaient pas à qualifier les logements en cause de résidences meublées, induisant un changement d’affectation non autorisé. L’affectation de l’immeuble n’ayant pas été modifiée, l’ordre de rétablir une situation conforme au droit devait être annulé.
S’agissant de l’amende, elle était injustifiée, car aucune volonté délictuelle ne pouvait lui être imputée. Elle n’avait jamais rien cherché à dissimuler aux autorités. Elle avait pleinement coopéré lors des visites sur place, avait répondu aux courriers du DT et avait produit tous les documents dont elle disposait.
Il convenait également de rappeler qu’une partie des longueurs et difficultés quant à la réalisation des travaux de remise aux normes avait été causée par le vice de publication de l'avenant à la DD 5______.
Cela étant, si les faits qui lui étaient reprochés devaient, par impossible, être considérés comme une infraction à la LDTR, leur gravité ne justifiait de toute façon pas de lui infliger l’amende maximale prévue par la LCI.
38. Dans sa duplique du 18 mars 2024, le DT a persisté dans ses conclusions.
Il a notamment rappelé les indices qui l’avaient conduit à retenir l’affectation commerciale des appartements, relevant également que les baux conclus ne pouvaient être qualifiés d’ordinaires, dès lors que leur durée était inférieure à une année et que certains étaient déjà échus au moment où ils avaient été versés à la procédure.
En outre, il n’y avait pas lieu de relativiser la gravité de l'infraction commise. Le montant de l'amende était certes très élevé, mais il était justifié par le fait que la recourante avait soustrait une trentaine de logements au contrôle des loyers et à l'application des dispositions de la LDTR, ainsi que par le comportement de la recourante, qui persistait à ne pas respecter le cadre normatif et les ordres du DT, malgré les procédures d’infractions ouvertes à son encontre et les amendes déjà infligées depuis 2013.
39. Le détail des pièces et des arguments des parties sera repris ci-après, dans la mesure utile.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).
3. La recourante conclut préalablement à ce que le tribunal ordonne à l'autorité intimée de produire le dossier d'infraction I/11_____, arguant du fait que cette dernière n'avait pas produit les pièces prouvant les faits sur lesquels elle s'était fondée pour prononcer la décision attaquée.
4. Le droit d’être entendu, garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend notamment le droit pour les parties de s’expliquer avant qu’une décision ne soit prise à leur détriment, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il soit donné suite à leurs offres de preuves pertinentes ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; ATF 142 II 218 consid. 2.3).
Ce droit ne peut toutefois être exercé que sur les éléments qui sont déterminants pour décider de l’issue du litige. Il est ainsi possible de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes, lorsque le fait dont les parties veulent rapporter l’authenticité n’est pas important pour la solution du cas, lorsque les preuves résultent déjà de constatations versées au dossier ou lorsque le juge parvient à la conclusion qu’elles ne sont pas décisives pour la solution du litige ou, en procédant d’une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, qu’elles ne pourraient l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les arrêts cités ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_576/2021 du 1er avril 2021 consid. 3.1 ; 2C_946/ 2020 du 18 février 2021 consid. 3.1 ; 1C_355/2019 du 29 janvier 2020 consid. 3.1).
5. En l'espèce, il faut rappeler que le dossier d'infraction I/11_____ a été ouvert suite aux constats auxquels a donné lieu la visite sur place effectuée par l'autorité intimée le 27 juin 2019. C'est sur la base de ce dossier que la recourante s'est vue notifier la décision de l'autorité intimée du 29 août 2019, que la recourante n'a pas contestée. Puis le même dossier d'infraction a donné lieu à la décision du ______ 2019, que la recourante a cette fois vainement contestée jusqu'au Tribunal fédéral. Il apparaît ainsi, non seulement, que la recourante dispose nécessairement déjà de tous les éléments contenus par le dossier I/11_____, mais aussi et surtout que ces éléments ont été considérés comme probants par les instances judiciaires, de sorte qu'il n'y a pas lieu à nouveau de les discuter ni d'en évaluer la pertinence dans le cadre de la présente procédure.
La requête de la recourante formulée en ce sens sera donc écartée.
6. Avant d'aborder le fond du litige, le tribunal soulignera que ce dernier découle de la décision rendue par l'autorité intimée le ______ 2023 et contient trois objets. Le premier concerne l'ordre donné par l'autorité intimée à la recourante de rétablir une situation conforme au droit en mettant fin à l'exploitation de l'immeuble. Le deuxième correspond à l'ordre donné à la recourante de produire les baux des appartements, ainsi que les avis de fixation des loyers. Le troisième concerne l'amende infligée par la même occasion à la recourante.
7. De l’ordre de rétablir une situation conforme au droit :
8. La première partie de la décision litigieuse, qui consiste à ordonner à la recourante de rétablir une situation conforme au droit en l'obligeant à cesser d'exploiter son immeuble, porte sur un objet sur lequel l'autorité intimée n'avait pas encore statué jusqu'ici.
La recourante conteste avoir changé l’affectation des vingt-neuf logements de l’immeuble. Elle soutient mettre en location des appartements ordinaires et non pas des résidences meublées au sens de la LDTR.
9. La LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l'habitat dans les zones visées à son article 2 (art. 1 al. 1 LDTR). À cet effet, et tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements, elle prévoit notamment des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des maisons d'habitation (al. 2).
Par changement d'affectation, on entend toute modification, même en l'absence de travaux, qui a pour effet de remplacer des locaux à destination de logements par des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel (art. 3 al. 1 LDTR). Sont également assimilés à des changements d'affectation le remplacement de locaux à destination de logements par des résidences meublées ou des hôtels (art. 3 al. 3 let. a LDTR). Sous réserve de l'art. 3 al. 4, nul ne peut, sauf si une dérogation lui est accordée au sens de l'art. 8, changer l'affectation de tout ou partie d'un bâtiment au sens de l'art. 2 al. 1, occupé ou inoccupé (art. 7 LDTR).
Selon l'art. 4 al. 1 RDTR, à l'exclusion des chambres meublées isolées, la résidence meublée est un logement qui est loué meublé à des fins commerciales dans une maison d'habitation. L'autorisation de remplacer des locaux à destination de logements par une résidence meublée est limitée à la durée maximum de dix ans; elle est renouvelable (art. 4 al. 3 RDTR).
10. La différence entre la location de logements et l'exploitation d'une résidence meublée ou d'un hôtel réside notamment dans la mise à disposition par l'exploitant, dans le second cas, d'un certain nombre de services, tels que nettoyage des chambres, réception centrale téléphonique, literie, téléphone dans les chambres, service de repas, etc. Les résidences meublées sont des établissements hébergeant principalement des hôtes en studios ou en appartements meublés. Leur exploitation est soumise à autorisation comme l'est celle des hôtels (GAIDE/DÉFAGO GAUDIN, La LDTR: Démolition, transformation, rénovation, changement d'affectation et aliénation: immeubles de logement et appartements: loi genevoise et panorama des autres lois cantonales, 2014, p. 348).
Selon la jurisprudence cantonale, des services de nettoyage ou de ménage ne suffisent pas à eux seuls à qualifier de « résidences meublées » des chambres d'habitation, en particulier lorsque celles-ci ne sont pas louées sur une base journalière mais au moyen de baux d'habitation. De telles prestations ne relèvent pas spécifiquement de l'hôtellerie, même si elles peuvent constituer un indice dans l'appréciation du caractère commercial et hôtelier de l'activité déployée. Si aucun service hôtelier n'est rendu et qu'en outre les baux d'une certaine durée ont été conclus avec les occupants des locaux, on se trouve en présence de logements meublés et non de résidences meublées ou d'hôtels (GAIDE/DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 348 et 349 et les références citées).
Dans un arrêt rendu dans une affaire similaire à celle qui fait l'objet de la présente procédure (arrêt 1C_235/2023 du 11 mars 2024, consid. 5.4 et 5.5), le Tribunal fédéral a confirmé la position de la chambre administrative qui avaient retenu l’existence de nombreux indices permettant de considérer que les six logements visés par la décision litigieuse étaient exploités en tant que résidences meublées, au sens de la LDTR. La chambre administrative avait notamment mis en évidence les éléments suivants : la présence de porte-savons, de produits cosmétiques, de serviettes, de linges et de papier hygiénique, de même marque et identiques dans tous les logements visités ainsi que la présence à l'étage d'un chariot de recharge de ces produits, accompagné d'un sac de linge sale ; six boîtes aux lettres de l'immeuble qui ne comportaient aucun nom, ce qui indiquait que les personnes ayant utilisé les locaux l'avaient fait de manière brève et temporaire et ne les avaient d'ailleurs a priori pas donnés comme adresse de correspondance ; la durée des séjours, telle qu'elle ressortait de la trentaine de contrats fournis, qui était très inférieure à celle des baux usuels (pour vingt-et-un d'entre eux inférieures ou égales à trente-et-un jours, le plus court séjour étant de sept jours) ; les contrats produits étaient rédigés en anglais, tout comme les conditions générales qui les accompagnaient, et ils contenaient des éléments qui ne correspondaient pas à ceux d'un contrat usuel de bail mais bien plus à ceux d'une réservation de type hôtelière (prix de location par nuitée, les modalités de paiement n'étaient pas celles d'un loyer, notamment par l'absence de garantie de loyer); les quatre baux qui ne concernaient pas les six logements litigieux étaient complètement différents, dès lors qu’ils étaient rédigés selon la formule usuelle dans le canton, en français et accompagnés d'un avis de fixation du loyer en bonne et due forme.
Le Tribunal fédéral a jugé que trois éléments suffisaient à démontrer que les logements en cause devaient être qualifiés de résidences meublées. D'abord, le critère de la durée des séjours, telle qu'elle ressortait des contrats précités, suffisait comme indice de bail de courte durée. Le fait que certains baux avaient duré plus d'un mois voire une année ne rendait pas insoutenable l'appréciation de la cour cantonale. Ensuite, le prix de la location donné par nuitée (et variable), auquel s’ajoutait l'absence de versement de garantie de loyer, l'absence d'avis de fixation du loyer obligatoire selon le droit cantonal genevois et la rédaction du contrat en anglais. Enfin, sur six boîtes à lettres ne figurait aucun nom. Le recourant n’avait pas apporté la preuve que ces six boîtes à lettres ne correspondraient pas aux six appartements en question et il n’avait pas non plus expliqué les raisons d'une telle absence sur ces six boîtes à lettres ni en quoi cet indice contredirait l'affectation de résidences meublées. En réalité, le recourant se contentait de substituer sa propre appréciation des faits à celle de la cour cantonale, sans démontrer l'arbitraire du raisonnement conduit.
11. La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle l’autorité établit les faits d’office, sans être limitée par les allégués et les offres de preuves des parties (art. 19 LPA). Dans la mesure où l’on peut raisonnablement exiger de l’autorité qu’elle les recueille, elle réunit ainsi les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision. Elle apprécie les moyens de preuve des parties et recourt s’il y a lieu à d’autres moyens de preuve (art. 20 LPA). Cette maxime n’est toutefois pas absolue ; sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Ce devoir comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où on peut raisonnablement l'exiger d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 130 II 425 consid. 6.6 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_454/2017 du 16 mai 2018 consid. 4.1 ; ATA/1138/2023 du 17 octobre 2023 consid. 4.3 et l'arrêt cité).
Lorsque les preuves font défaut ou s'il ne peut être raisonnablement exigé de l'autorité qu'elle les recueille pour les faits constitutifs d'un droit, le fardeau de la preuve incombe à celui qui entend se prévaloir de ce droit (cf. ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_27/2018 du 10 septembre 2018 consid. 2.2 ; 1C_170/2011 du 18 août 2011 consid. 3.2 et les références citées ; ATA/99/2020 du 28 janvier 2020 consid. 5b). Il appartient ainsi à l'administré d'établir les faits qui sont de nature à lui procurer un avantage, spécialement lorsqu'il s'agit d'élucider des faits qu'il est le mieux à même de connaître, notamment parce qu'ils ont trait spécifiquement à sa situation personnelle (ATA/471/2022 du 3 mai 2022 consid. 3d et référence citée), et à l'administration de démontrer l'existence de ceux qui imposent une obligation en sa faveur (ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4a ; ATA/1155/2018 du 30 octobre 2018 consid. 3b et les références citées).
Par ailleurs, en procédure administrative, tant fédérale que cantonale, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 20 al. 1 2ème phr. LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_2/2020 du 13 mai 2020 consid. 3.1 ; ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4b). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n'est ni le genre, ni le nombre de celles-ci qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4b et les arrêts cités), aucun moyen de preuve ne s'imposant à lui (cf. not. arrêts du Tribunal fédéral 6B_58/2017 du 21 août 2017 consid. 2.1 ; 6B_564/2013 du 22 avril 2014 consid. 2.3).
12. Selon l'art 44 al. 1 LDTR (Sanctions et mesures), celui qui contrevient aux dispositions de la présente loi est passible des mesures et des sanctions administratives prévues par les art. 129 à 139 LCI et des peines plus élevées prévues par le code pénal suisse. L'art. 129 al. 1 LCI dispose que, dans les limites des dispositions de l'art. 130 LCI, le département peut ordonner à l'égard des constructions, des installations ou d'autres choses l'interdiction d'utiliser ou d'exploiter (let. d) et la remise en état, la réparation, la modification, la suppression ou la démolition (let. e). Quant à l'art. 130 LCI lui-même, il précise que ces mesures peuvent être ordonnées par le département lorsque l'état d'une construction, d'une installation ou d'une autre chose n'est pas conforme aux prescriptions de la présente loi, des règlements qu'elle prévoit ou des autorisations délivrées en application de ces dispositions légales ou réglementaires.
L'art. 131 LCI prévoit que les propriétaires ou leurs mandataires, les entrepreneurs et les usagers sont tenus de se conformer aux mesures ordonnées par le département en application des articles 129 et 130 LCI.
13. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).
14. En l’espèce, dans son arrêt du ______ 2021 (ATA/17_____ op. cit. consid. 11), confirmé le ______ 2023 par le Tribunal fédéral (18______), la chambre administrative a jugé que l’ensemble des indices relevés par l'autorité intimée laissait effectivement suspecter que bon nombre des appartements, si ce n'était la totalité, étaient loués par la recourante à des fins commerciales en tant que résidences meublées.
Les éléments suivants avaient notamment été mis en exergue : les chambres étaient meublées, alors qu’aucun contrat ne mentionnait de meubles ; une partie des logements était louée par des personnes morales proches de la société ; un seul locataire était inscrit à l’OCPM comme habitant de l'immeuble qui comptait près de trente logements ; les serrures des portes palières étaient équipées de systèmes à badges, permettant à la propriétaire l'accès aux appartements, et ces portes palières ne comportaient que des numéros et pas de nom ; des baux de courte durée, dont certains étaient déjà échus, sans compter le service de nettoyage (nettoyage des linges compris).
Or, au vu de la jurisprudence fédérale précitée, il apparaît qu’une partie seulement de ces éléments suffiraient déjà pour retenir que la recourante exploite les logements litigieux en tant que résidences meublées, ce d’autant plus, qu’à ce jour, elle a échoué à démontrer le contraire, malgré les nombreux et longs délais dont elle a bénéficié.
Force est en effet de constater qu’elle n’a toujours pas transmis les documents sollicités par le DT dans sa décision du ______ 2019, entrée en force depuis plus d’une année, alors qu’ils permettraient de déterminer l’affectation des logements en cause, ni aucun autre élément probant, tel que notamment les justificatifs de versement de garantie de loyer ou les avis de fixation du loyer qui sont obligatoires selon le droit cantonal genevois.
Après avoir sollicité, le 2 mai 2023, un délai de soixante jours pour rassembler « l’ensemble » des pièces requises, la recourante a ensuite allégué, le 26 juin 2023, - et ce pour la première fois - qu’elle n’avait pas les documents énumérés sous chiffres 3, 4 et 7 de la décision du ______ 2019. Elle a expliqué qu’elle ne disposait pas des dossiers de candidatures, les locataires lui étant connus (ch. 3), qu’elle n’avait pas exigé que des demandes de sous-location soient faites (ch. 4) et qu’il n’existait pas de conventions annexes aux contrats produits (ch. 7).
Ces allégations frisent toutefois la témérité, car si elles étaient avérées, on peinerait alors à comprendre les raisons qui ont poussé la recourante à occuper les tribunaux durant plusieurs années, portant l’affaire jusqu’au Tribunal fédéral pour tenter de se soustraire à l’ordre de production, plutôt que d’indiquer d’emblée que ces documents n’existaient pas. Or, elle n’a jamais invoqué cet argument avant le 26 juin 2023. Le Tribunal fédéral, a d’ailleurs relevé, s’agissant plus particulièrement des documents figurant sous chiffre 4, que le département pouvait également exiger les documents qui concernaient les sous-locations, « contrairement à l’avis de la propriétaire recourante » (arrêt 18______ op. cit. consid. 2.3).
Il est de même difficilement compréhensible que la recourante ait sollicité un délai de soixante jours pour produire « l’ensemble » des pièces, dont elle savait ne prétendument pas détenir la majorité.
Le tribunal relèvera à cet égard la mauvaise foi de la recourante, qui soutient, d'une part, ne pas louer de résidence meublée et, d'autre part (sans que l'on puisse clairement déterminer si ce serait pour le même motif), ne pas être en mesure de produire les avis de fixation du loyer initial. Or, de tel avis, prévus par les art. 269d et 270 al. 2 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220) et rendus obligatoires dans le canton de Genève, en dehors des logements subventionnés, par l'art. 207 de la loi d'application du code civil suisse et d'autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 (LaCC – E 1 05), doivent nécessairement pouvoir être produits dans le cadre d'un bail à loyer. En outre, la recourante joue manifestement sur les mots, arguant du fait que si elle n'était pas en mesure de produire certains documents suite à la décision du ______ 2019, elle ne peut pas davantage les produire aujourd'hui. Or, il est évident que son devoir de collaboration implique de produire tous les documents en sa possession, soit non seulement ceux qui existaient au moment de la décision du ______ 2019, mais également tous ceux qui ont pu être établis depuis lors. Cela inclut, par exemple, les nouveaux contrats de bail relatifs aux logements pour lesquels la chambre administrative avait relevé, dans son arrêt du ______ 2021 (ATA/17_____), que les baux étaient échus.
Quant aux justificatifs de paiement des loyers (ch. 6 décision du ______ 2019), la recourante a indiqué qu’elle n’avait pas encore pu tous les obtenir, dès lors qu’ils remontaient à plusieurs années et que des recherches étaient nécessaires. Or, près d’une année s’est écoulée depuis et elle ne les a toujours pas versés à la procédure.
Enfin, dans ses écritures, la recourante s’est contentée de substituer sa propre appréciation des preuves à celle des autorités et des diverses instances judiciaires, y compris le Tribunal fédéral, qui se sont prononcées sur le dossier, sans indiquer en quoi les indices relevés par le DT contrediraient l'affectation de résidences meublées.
Dans ces circonstances, il apparaît que c’est à bon droit que le DT a retenu un changement d’affectation des logements visés, effectué sans autorisation, en violation de la LDTR.
L’ordre de rétablir une situation conforme au droit en mettant fin à l’exploitation de l’immeuble concerné en résidences meublées, est ainsi parfaitement fondé. Il respecte également le principe de la proportionnalité, aucune autre mesure n’étant susceptible d’atteindre le but visé (ATA/346/2023 du 4 avril 2023 consid. 7). Les avantages que la recourante retire du fait qu'elle persiste à violer activement la LDTR ne sauraient évidemment être pris en considération, étant précisé que sa liberté économique n'est pas atteinte dans sa substance, puisqu'en tant que propriétaire, elle demeure libre de conclure des baux d'habitation.
15. De l’ordre du DT de produire les baux et les avis de fixation des loyers :
16. La recourante considère que cet ordre est fondé sur une interprétation insoutenable des faits et de l’art. 4 al. 1 LDTR.
17. En l’espèce, dans son arrêt du ______ 2023 (18______) entré en force, confirmant l’arrêt de la chambre administrative du ______ 2021 (ATA/17_____), le Tribunal fédéral a déjà jugé que l’ordre donné par le DT de produire les documents requis, notamment les baux à loyer et les avis de fixation de loyer, n’apparaissait pas arbitraire. La recourante ne saurait ainsi, par le biais de la présente procédure, remettre en cause son obligation de fournir les documents précités, cette question ayant été définitivement tranchée.
Ce grief sera par conséquent rejeté.
18. De l’amende :
La recourante conteste l’amende qui lui a été infligée, tant dans son principe que sa quotité, considérant que cette sanction a été prononcée en l’absence de toute infraction et qu’elle est, en tout état, disproportionnée.
19. Aux termes de l'art. 137 LCI, applicable par renvoi de l’art. 44 al. 1 LDTR, est passible d'une amende administrative de CHF 100.- à CHF 150'000.- tout contrevenant à la LCI (let. a), aux règlements et aux arrêtés édictés en vertu de ladite loi (let. b), ainsi qu'aux ordres donnés par le département dans les limites desdits loi, règlements et arrêtés (let. c ; al. 1) ; il est tenu compte, dans la fixation du montant de l'amende, du degré de gravité de l'infraction ; constituent notamment des circonstances aggravantes la violation des prescriptions susmentionnées par cupidité, les cas de récidive et l'établissement, par le mandataire professionnellement qualifié ou le requérant, d'une attestation, au sens de l'art. 7 LCI, non conforme à la réalité (al. 3).
20. Les amendes administratives prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister. C'est dire que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/508/2020 du 26 mai 2020 consid. 4 ; ATA/206/2020 du 25 février 2020, consid. 4b ; ATA/13/2020 du 7 janvier 2020, consid. 7b).
21. En vertu de l'art. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les art. 1 à 110 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif aux infractions prévues par la législation genevoise, sous réserve de celles qui concernent exclusivement le juge pénal, comme notamment les art. 34 ss, 42 ss, 56 ss, 74 ss, 106 al. 2 et 3 et 107 CP (not. ATA/1472/2017 du 14 novembre 2017 ; ATA/313/2017 du 21 mars 2017 ; ATA/824/2015 du 11 août 2015 ; ATA/886/2014 du 11 novembre 2014 ; ATA/791/2013 du 3 décembre 2013).
22. Il est ainsi en particulier nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d’une simple négligence (cf. not. ATA/625/2021 du 15 juin 2021 consid. 4b; ATA/559/2021 du 25 mai 2021 consid. 7d ; ATA/13/2020 du 7 janvier 2020 consid. 7c ; ATA/1828/2019 du 17 décembre 2019 consid. 13c ; ATA/1277/2018 du 27 novembre 2018 consid. 6c ; Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 8e éd., 2020, p. 343 n. 1493).
23. L'autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d'une sanction doit faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP (principes applicables à la fixation de la peine). La culpabilité doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution. Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle, ainsi que les motivations et les buts de l'auteur. À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même, à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure (cf. ATF 141 IV 61 consid. 6.1.1 ; 136 IV 55 ; 134 IV 17 consid. 2.1 ; 129 IV 6 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1024/2020 du 25 janvier 2021 consid. 1.1 ; 6B_28/2016 du 10 octobre 2016 consid. 5.1 ; 6B_1276/2015 du 29 juin 2016 consid. 2.1 ; cf. aussi ATA/559/2021 du 25 mai 2021 consid. 7e) et ses capacités financières (cf. ATA/719/2012 du 30 octobre 2012 consid. 20 et les références citées).
24. L'administration doit faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi et jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende. La juridiction de recours ne la censure qu'en cas d'excès. Enfin, l'amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst. ; ATA/349/2024 du 7 mars 2024 consid. 9.2).
25. Doivent être notamment prises en compte au titre de circonstances aggravantes la qualité de mandataire professionnellement qualifié ainsi que celle de professionnel de l'immobilier des recourants (arrêt du Tribunal fédéral 1C_209/2020 du 16 octobre 2020 consid. 2.3.2 ; ATA/706/2022 du 5 juillet 2022 consid. 5 et les références citées, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 1C_468/2022 du 21 avril 2023), le fait de mettre l'autorité devant le fait accompli (ATA/174/2023 précité consid. 2.2.1 et les références citées), le fait d’avoir agi par cupidité, la récidive ainsi que le nombre élevé ou la proportion importante des appartements ou immeubles concernés par la violation de la LDTR. Au titre de circonstances atténuantes, doivent être prises en compte notamment l’absence de volonté délictuelle, une violation de la LDTR sur un appartement ou un immeuble isolé seulement et le fait qu’une réaffectation en logement soit aisée. Il doit être tenu compte de la capacité financière de la personne sanctionnée (ATA/174/2023 précité consid. 2.1.9 et les références citées).
26. Dans un arrêt du 18 septembre 2018 (ATA/945/2018) la chambre administrative a suivi le tribunal de céans et confirmé la réduction de CHF 20'000.- à 4'000.- de l’amende, s’agissant du changement d’affectation provisoire non autorisé d’un appartement en bureau (rocade des sociétés locataires durant les travaux), au motif notamment que ce changement n’avait pas nécessité de travaux particuliers rendant une réaffectation en logement aisée.
Dans l’arrêt ATA/186/2021 du 23 février 2021, confirmé le Tribunal fédéral (arrêt 1C_191/2021 du 21 mars 2022), la chambre administrative a confirmé une amende de CHF 225'000.- infligée au recourant ; les quatre sociétés recourantes dont ce dernier était administrateur président en répondaient solidairement, pour infractions à la LDTR, à la suite de quatre arrêts confirmés par le Tribunal fédéral. Le but des opérations montées par le recourant consistait à éluder l'examen visant à la protection du parc locatif et donc à violer l'art. 39 al. 1 LDTR. L'amende pouvait aller jusqu'à CHF 225'000.- compte tenu du concours d'infractions. La faute était très lourde et relevait d’un mépris total du but de la loi et des intérêts publics protégés. La solidarité entre les quatre entreprises était toutefois réduite proportionnellement au nombre d'appartements concernés leur appartenant
Plus récemment, la chambre administrative, retenant les circonstances aggravantes de la cupidité, de la récidive et de la gravité de la faute (consid. 9), a confirmé une amende de CHF 100'000.- s’agissant d’une infraction à la LDTR portant sur treize appartements. L’amende initiale de CHF 150'000.- avait déjà été réduite par le département afin de tenir compte de la prescription relative à deux appartements (ATA/292/2022 du 22 mars 2022, confirmé par le Tribunal fédéral par arrêt 1C_64/2022 du 7 mars 2023).
Dans un arrêt du 23 juin 2022, la chambre de céans a confirmé une amende de CHF 10'160.- infligée à une société qui avait rénové trois appartements soumis à la LDTR sans demander d’autorisation. Pour l’un des appartements, les hausses de loyer avaient atteint 47 % puis 135 % environ. La recourante, par ailleurs expérimentée dans l’immobilier, ne pouvait se prévaloir de son ignorance, dès lors qu’elle était assistée de mandataires professionnellement qualifiés, dont elle devait assumer les actes, et d’une régie. Le fait qu’elle avait demandé et obtenu des autorisations pour d’autres appartements de l’immeuble dénotait qu’elle connaissait bien ses obligations (ATA/651/2022 du 23 juin 2022 consid. 15).
27. En l’espèce, il ressort des considérants qui précèdent que la recourante persiste à ne pas se conformer à l’ordre de l'autorité intimée de produire les documents requis, ordre qui a pourtant été confirmé par le Tribunal fédéral. Il y a également lieu de retenir, pour les motifs déjà exposés, qu’elle a changé, sans autorisation, l’affectation des logements litigieux en résidences meublées. La recourante a ainsi violé la LCI et la LDTR, ce qu’elle ne pouvait ignorer en sa qualité de professionnelle de l’immobilier. Ce faisant, elle a commis une faute qui doit être sanctionnée. Le principe de l'amende est donc fondé.
28. Reste à examiner la quotité de l’amende de CHF 150'000.- infligée à la recourante, qui correspond au maximum légal prévu par l'art. 137 LCI.
Pour fixer le montant de cette amende, l'autorité intimée a notamment pris en compte le nombre important d’appartements, soit une trentaine, retirés du parc locatif genevois en période de pénurie, et soustraits au contrôle des loyers ; le mode opératoire objectivement grave de la recourante consistant à mettre les autorités devant le fait accompli ; son statut de professionnel de l’immobilier ; son obstination à ne pas se conformer aux ordres et aux dispositions légales applicables ; l’appât du gain et l’absence d’effet dissuasif des amendes déjà infligées. L’autorité intimée a retenu les circonstances aggravantes de la récidive et de la cupidité.
Tous ces éléments s'avèrent aussi pertinents que justifiés dans le cas d'espèce.
Il faut ajouter que les amendes de CHF 1'000.- à 10'000.- infligées à la recourante au cours des dix dernières années, pour un montant total de CHF 63'000.-, n’ont manifestement pas eu l’effet escompté, puisqu’elle a persisté à violer la loi et les ordres de l'autorité intimée.
Il convient d'insister sur le fait que la recourante a mis les autorités devant le fait accompli et qu’elle a clairement agi dans le but de s'enrichir personnellement. Il convient aussi de prendre en compte l’important intérêt public à assurer le respect de la LDTR (arrêt du Tribunal fédéral 1C_143/2011 du 14 juillet 2011 consid. 2.2 ; ATA/1298/2020 du 15 décembre 2020 consid. 3) et le nombre élevé des appartements, soit près d’une trentaine, concernés par la violation de la LDTR.
Tous ces éléments, qui révèlent en particulier l'inefficacité des sanctions prononcées jusqu'ici pour plusieurs dizaines de milliers de francs contre la recourante, ainsi que le cynisme avec lequel cette dernière persiste à violer la loi, justifient qu'une sanction sévère soit prononcée dans la présente affaire.
Cela étant, le tribunal considère que l'historique des sanctions prononcées jusqu'ici par l'autorité intimée n'est pas sans incidence, sous l'angle du principe de la proportionnalité, pour évaluer s'il se justifiait en l'espèce que l'autorité intimée prononce l'amende la plus élevée prévue par la LCI. A cet égard, une amende de CHF 3'000.- a été infligée à la recourante le 11 octobre 2013 pour des travaux effectués sans autorisation, suivie d'une amende de CHF 10'000.- le 13 février 2017 pour violation de l'autorisation DD 5______ (notamment la violation des conditions posées par le préavis LDTR), d'une amende de CHF 1'000.- le 1er novembre 2019, pour n'avoir pas donné suite à l'ordre de produire des documents, d'une amende du même montant le 14 novembre 2019 pour le même motif, d'une amende de CHF 10'000.- le 2 juillet 2020 pour n'avoir pas procédé à la mise en conformité de l'immeuble selon les travaux autorisés, d'une amende de CHF 5'000.- le 4 décembre 2020 pour le même motif, d'une amende de CHF 5'000.- le 19 juin 2023 pour n'avoir toujours pas remis l'intégralité des pièces réclamées et enfin, le 28 juin 2023, d'une amende de CHF 10'000.- (dernière en date avant l'amende contestée en l'espèce) pour le même motif.
Il découle de cet historique que les amendes qui sanctionnaient spécifiquement le refus de produire les documents requis sont passées de CHF 1'000.- (deux fois), à CHF 5'000.-, puis à CHF 10'000.-. Il s'avère ainsi que l'autorité intimée a fait preuve jusqu'ici d'une retenue qui ne manque d'ailleurs pas de questionner le tribunal au vu de la gravité du comportement adopté durant plusieurs années par la recourante. Dans ces conditions, on comprend difficilement la raison pour laquelle l'autorité intimée a soudain décidé de prononcer l'amende la plus élevée prévue par la loi, multipliant par quinze celle qu'elle avait prononcée la fois précédente. Ce faisant, l'autorité intimée semble avoir oublié que la récidive est certes un facteur aggravant qui justifie également une aggravation de la sanction, mais qu'en l'espèce, les faits incriminés, en eux-mêmes, sont du même niveau de gravité que ceux qui ont déjà été sanctionnés. Or, pour des infractions de gravité constante, le principe de la proportionnalité implique de respecter une certaine gradation lors de la commission de récidives, qui doit signifier pour le contrevenant que sa persistance à enfreindre la loi lui vaudra une sanction plus sévère la fois suivante. Cette gradation découle de l'exigence de prévisibilité du droit et de son application, tout en conservant sa cohérence à l'action de l'administration. En outre, il convient de rappeler que même si l'autorité administrative doit faire preuve de sévérité afin de garantir le respect de la loi, elle doit néanmoins se limiter à ce qui paraît raisonnablement apte à atteindre ce but.
En application de ce qui précède, une réduction de l'amende s'impose. Il ne faut toutefois pas négliger le fait que la recourante, qui agit en tant que professionnelle de l'immobilier, n'a pratiquement pas été atteinte par les sanctions de faible montants prononcées jusqu'ici, surtout si l'on tient compte de sa possibilité de les "lisser" sur plus de dix années d'exploitation de l'immeuble. Il semble également que seule une sanction d'une sévérité certaine puisse conduire la recourante à s'amender. Pour ces motifs, le tribunal juge qu'une amende de CHF 100'000.-, tout en représentant une diminution d'un tiers de l'amende litigieuse, s'avère néanmoins nécessaire.Il convient d'attirer l'attention de la recourante sur le fait qu'en cas de nouvelle récidive, elle s'exposerait potentiellement à une nouvelle amende susceptible d'atteindre le maximum prévu par l'art. 137 LCI.
29. Le recours sera ainsi partiellement admis. La décision querellée sera réformée en ce sens que le montant de l'amende sera ramené à CHF 100'000.-.
30. Vu cette issue, un émolument, en soi réduit, de CHF 1’000.-, sera mis à la charge de la recourante, qui n'obtient que partiellement gain de cause (art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Il est couvert par l'avance de frais de CHF 1'500.- versée par la recourante. Le solde de l'avance de frais, soit CHF 500.-, lui sera restitué. Une indemnité de procédure réduite de CHF 800.-, à la charge de l'autorité intimée, lui sera par ailleurs allouée (art. 87 al. 2 LPA et 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 4 octobre 2023 par A______ SA contre la décision du département du territoire du ______ 2023 ;
2. l’admet partiellement ;
3. réforme la décision du département du territoire du ______ 2023 en tant qu’elle fixe le montant de l’amende à CHF 150'000.- et réduit celle-ci à CHF 100'000.- ;
4. confirme la décision pour le surplus ;
5. met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1’000.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;
6. ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 500.- ;
7. condamne l'Etat de Genève, soit pour lui le département du territoire, à verser à la recourante une indemnité de procédure de CHF 800.- ;
8. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Bernard DELACOSTE, François HILTBRAND, Jean-Michel KARR et Romaine ZÜRCHER, juges assesseurs
Au nom du Tribunal :
Le président
Olivier BINDSCHEDLER TORNARE
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
| La greffière |