Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1160/2025 du 20.10.2025 ( PRISON ) , REJETE
En droit
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/4265/2024-PRISON ATA/1160/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 20 octobre 2025 2ème section |
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dans la cause
A______ recourant
contre
PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée
A. a. A______ est détenu à la prison de Champ-Dollon depuis le 15 novembre 2024, après que le Tribunal d’application des peines et mesures (ci-après : TAPEM) eut ordonné sa réintégration dans l’exécution de la mesure institutionnelle prononcée par le Tribunal correctionnel le 16 octobre 2019 et alors qu’il avait auparavant été libéré conditionnellement le 22 octobre 2021. Depuis le 17 novembre 2024, il est en détention provisoire à la suite de l'ouverture d'une nouvelle procédure pénale à son encontre.
b. Il a déjà fait l'objet d'au moins deux sanctions, dont notamment une sanction disciplinaire de deux jours de cellule forte le 3 février 2025, confirmée par la chambre de céans par arrêt du 20 mai 2025.
B. a. Selon le rapport d’incident de la prison du 7 décembre 2024 établi par un agent de détention revêtant le grade d'appointé, à 21h56, A______ voulait savoir où en était la demande médicale qu'il avait faite dans la journée. Six minutes plus tard, il était vraiment énervé et tenait des propos incompréhensibles. À 22h04, le personnel monté pour voir ce qui se passait dans la cellule avait vu A______ en sang devant la porte, tandis que l'un de ses codétenus, B______, était allongé par terre, mais conscient. Les deux détenus ont été successivement extraits de la cellule et présentés à l'infirmerie. A______ y a déclaré avoir été agressé par tous ses compagnons de cellule et s'être défendu.
b. Selon un rapport complémentaire d'incident daté du lendemain, soit le 8 décembre 2024, les cinq occupants de la cellule avaient été entendus. A______ disait s'être fait attaquer par ses quatre codétenus et s'être défendu en frappant son codétenu, tandis que ces derniers avaient une version différente de la sienne, à savoir que A______ avait agressé sans raison le détenu B______, puis se serait auto-mutilé en se frappant le visage contre la porte. Les images de la façade ne montraient pas de bagarre générale comme le prétendait A______.
c. Une sanction de trois jours de cellule forte a été notifiée à A______ le 8 décembre 2024 à 15h55 par le gardien-chef adjoint, pour violence envers un détenu et trouble à l'ordre de l'établissement. Le détenu a refusé de signer le procès‑verbal. La sanction a été exécutée et a pris fin le 11 décembre 2024 à 15h55.
C. a. Par acte posté le 27 décembre 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision.
Les gardiens s'étaient montrés violents avec lui et avaient commis « une iniquité ». Il appelait à l'aide contre les gardiens « corrompus ».
b. Le 20 janvier 2025, la prison de Champ-Dollon a conclu au rejet du recours.
A______ avait déjà fait l'objet d'une sanction disciplinaire avant celle prononcée le 8 décembre 2024.
Les faits avaient été dûment constatés. Les détenus étaient en sang, comme le démontraient les images de vidéosurveillance. Les autres détenus de la cellule avaient tous confirmé que c'était le recourant qui avait frappé sans raison son codétenu.
Le droit d'être entendu du détenu avait été respecté. La sanction était fondée sur une base légale ainsi qu'un intérêt public pertinent et respectait le principe de la proportionnalité.
c. Le 10 mars 2025, A______ a répliqué en demandant à ce que ses divers recours soient pris au sérieux.
d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.
e. Les images de vidéosurveillance fournies par l'intimée avec sa réponse au recours couvrent notamment les abords de la cellule du recourant durant la nuit du 7 au 8 décembre 2024 (de 21h55 à 03h55). On y voit clairement les deux détenus extraits successivement de la cellule, le premier ayant le visage ensanglanté, probablement après une blessure au front, et le second ayant un œil et une pommette tuméfiés ainsi qu'une blessure à la lèvre. Sur les différents extraits précités, à aucun moment les agents de détention ne font usage de la force ni n'apparaissent physiquement menaçants envers les deux détenus.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. On comprend de ses écritures que le recourant conteste la sanction, quand bien même il ne décrit pas spécifiquement les faits ni ne développe d'argumentation juridique. Les mauvais traitements dont il semble se plaindre par ailleurs, sans plus de précisions, ne sont pas l’objet de la présente procédure, la chambre de céans ne pouvant qu’examiner le bien‑fondé de la sanction.
2.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (ATA/555/2025 du 20 mai 2025 consid. 2.1).
2.2 Le statut des personnes incarcérées à la prison de Champ-Dollon est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, d’une façon générale, de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP).
2.3 Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP).
À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, les sanctions peuvent être la suppression de visite pour quinze jours au plus (let. a), la suppression des promenades collectives, des activités sportives, d’achat pour quinze jours au plus ou la suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus (let. c à e), la privation de travail (let. f) ou encore le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g).
2.4 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s’en écarter (ATA/719/2021 du 6 juillet 2021 consid. 2d ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 consid. 3b et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/555/2025 précité consid. 2.4 ; ATA/738/2022 du 14 juillet 2022 consid. 3d).
2.5 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/439/2024 du 27 mars 2024 consid. 3.6 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 5.4 ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).
2.6 En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limitant à l’excès ou l’abus de ce pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/439/2024 précité consid. 3.7 ; ATA/97/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4f et les références citées).
2.7 Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé des sanctions d’arrêts de plusieurs (entre deux et cinq) jours de cellule forte pour des violences physiques commises sur des codétenus ou pour des rixes (ATA/1086/2025 du 7 octobre 2025 ; ATA/154/2025 du 11 février 2025 ; ATA/1432/2024 du 9 décembre 2024 ; ATA/1139/2024 du 30 septembre 2024).
2.8 En l'espèce, le recourant ne formule que des reproches vagues à l'encontre d'agents de détention qu'il considère comme violents ou « corrompus », et ne s'en prend pas directement aux faits tels qu'établis par l'intimée. Comme déjà relevé, les extraits de vidéosurveillance relatifs à la nuit de l'incident ne mettent en tout cas en lumière aucune intervention intempestive du personnel de détention. Quant à la version donnée par le recourant lors de son passage à l'infirmerie puis son audition au sujet de l'altercation, à savoir que tous ses compagnons de cellule l'auraient agressé et qu'il se serait défendu, aucun élément ne vient la confirmer. En effet, outre que les quatre autres codétenus ont tous déclaré que c'était lui qui avait agressé sans raison son codétenu, les images du synoptique ne montrent aucune bagarre généralisée dans la cellule au moment des faits, ce qui a du reste été relevé par l'auteur du premier rapport d'incident.
Il n'y a donc pas lieu de s'écarter des rapports figurant au dossier pour ce qui est de l'établissement et du déroulement des faits.
Il résulte de ce qui précède que le recourant a commis des violences physiques sur un autre détenu et, plus généralement, troublé l'ordre de l'établissement, étant rappelé que le comportement de l’autre détenu ne fait pas l’objet du présent litige. Ces infractions aux art. 44 et 45 let. h RRIP doivent dès lors être tenues pour établies, le recourant ne contestant d'ailleurs pas avoir frappé son codétenu.
La sanction de cellule forte est la sanction la plus sévère dans le catalogue des sanctions. Toutefois, sa durée de trois jours infligée in casu demeure dans la fourchette inférieure de la durée maximale autorisée et il a été tenu compte du fait que le recourant avait déjà un antécédent disciplinaire. La sanction précitée est ainsi apte à atteindre le but d’intérêt public et est nécessaire compte tenu du fait que les bagarres entre détenus constituent une violation grave des règles de coexistence pacifique qui doivent prévaloir dans un établissement de détention.
Au vu de ce qui précède, il apparaît que la sanction ne viole pas la loi ni ne consacre un abus du pouvoir d’appréciation de l’autorité intimée. Mal fondé, le recours sera rejeté.
3. La procédure étant gratuite, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 cum 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 27 décembre 2024 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 8 décembre 2024 ;
au fond :
le rejette ;
dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.
Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
| la greffière :
N. DESCHAMPS
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| le président siégeant :
J.-M. VERNIORY |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
| Genève, le
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| la greffière :
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