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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2674/2024

ATA/563/2025 du 20.05.2025 ( LIPAD ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2674/2024-LIPAD ATA/563/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 mai 2025

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Mes Isis ALVES DE MELO SULZBACH et Fernando Enrique FERNANDES DE OLIVEIRA, avocats

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé



EN FAIT

A. a. Par courrier du 26 janvier 2024, B______ (ci-après : le requérant) a sollicité de l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) des renseignements concernant le dossier administratif de son épouse, A______, dont il était en cours de séparation. Il souhaitait connaître son statut administratif en Suisse, lieu où elle exerçait son droit de visite et d’hébergement sur leurs enfants communs, dont il avait la garde. Les enfants étaient officiellement domiciliés en France.

Il a expliqué avoir fait l’objet d’une décision constatant la caducité de son autorisation d’établissement avec effet rétroactif au 8 juillet 2013, date de son emménagement en France. Le même type de décision avait certainement été rendu à l’encontre de la mère de ses enfants. Il s’inquiétait de laisser ses enfants mineurs se rendre régulièrement en Suisse si leur mère ne bénéficiait pas d’une situation régulière ou si une décision de renvoi avait été prononcée à son encontre. Il alléguait que ces informations lui étaient nécessaires pour faire valoir ses droits et ceux de ses enfants dans la procédure de divorce qui était en cours en France.

Il a notamment joint à sa demande une « ordonnance d’orientation avec ou sans mesures provisoires » délivrée par la chambre JAF Divorce du Tribunal judiciaire de C______ le 27 janvier 2022.

b. Le 14 février 2024, l’OCPM a demandé à A______ son accord pour transmettre à B______ les informations demandées.

c. Par téléphone du 29 avril 2024, A______ a sollicité un délai pour répondre et manifesté son opposition à la transmission des informations sollicitées.

d. Faute de réponse écrite d’A______ dans le délai prolongé, l’OCPM a sollicité l’avis du préposé cantonal à la protection des données et à la transparence (ci-après : PPDT), conformément à la procédure prévue par la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD ‑ A 2 08).

e. Le 12 juin 2024, le PPDT a rendu un préavis défavorable à la consultation du dossier administratif par B______, faute d’intérêt légitime de ce dernier. Le PPDT était toutefois favorable à la transmission de l’information concernant le statut administratif en Suisse d’A______, le requérant ayant démontré un intérêt légitime à cet égard.

B. Par décision du 17 juin 2024, l’OCPM a informé A______ que, dès l’entrée en force de sa décision, il transmettrait à B______ l’état de son statut administratif en Suisse, conformément au préavis du PPDT.

En revanche, aucun accès complet à son dossier administratif ne serait donné au requérant, faute d’intérêt légitime de ce dernier.

La copie du préavis du PPDT du 12 juin 2024 était jointe à la décision.

B. a.  

C. a. Par acte du 19 août 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) à l’encontre de la décision précitée, concluant principalement à son annulation et à ce que « le refus à la demande d’accès déposée par B______ et tout tiers [à ses] informations » soit ordonné.

La décision était erronée en tant qu'elle retenait que les intérêts de B______ primaient les siens. Elle était « la propriétaire de ses informations personnelles ». L’intérêt de la personne concernée primait celui du demandeur. Le requérant semblait vouloir utiliser les informations dans le but de lui nuire, même si ces dernières n’étaient pas « déterminantes ». Il était crucial de protéger ses droits, notamment son droit de visite sur ses trois enfants, que le requérant tentait d’entraver en obtenant l’information de l’OCPM. La demande s’inscrivait dans une démarche malveillante et empreinte de mauvaise foi. Il n’avait aucun besoin légitime d’accéder aux informations sollicitées mais bien une volonté délibérée de porter atteinte à ses droits et intérêts. L’administration devait reconnaître l’existence d’un préjudice grave et disproportionné envers elle. Permettre l’accès aux informations sollicitées par le requérant revenait à violer le principe de protection des données personnelles et à cautionner « une manœuvre destinée à priver une mère de ses droits parentaux ».

Le besoin allégué par B______ n’était pas pertinent. Les enfants disposaient d’un statut légal en France, de sorte qu’ils pouvaient se rendre en Suisse en toute légalité. Le conflit conjugal était très important, ce qui justifiait d’autant plus de ne pas transmettre des informations pouvant être utilisées de manière malveillante.

b. Sollicité par le requérant par courriel du 19 août 2024, l’OCPM a répondu à ce dernier que sa décision du 17 juin 2024 n’était pas encore entrée en force, un recours ayant été déposé à son encontre.

c. Le 24 septembre 2024, l’OCPM a conclu au rejet du recours. Il avait respecté la procédure prévue à l’art. 39 LIPAD.

La recourante invoquait la protection de sa vie privée sans démontrer concrètement en quoi son intérêt à ne pas divulguer son statut administratif actuel l’emportait sur celui du père de ses enfants et de ses enfants à obtenir cette information alors qu’elle exerçait son droit de visite et d’hébergement à Genève. Il paraissait légitime de la part de l’autre parent de vérifier qu’elle bénéficiait d’un statut légal lors de l’accueil de leurs enfants mineurs à son domicile.

d. Dans sa réplique du 28 octobre 2024, la recourante a persisté dans ses précédentes explications et conclusions. Communiquer sa situation administrative était gravement préjudiciable à ses intérêts, en particulier vis-à-vis de son droit à maintenir ses relations avec ses enfants. Divulguer des informations la placerait dans une situation de vulnérabilité face au requérant, qui pouvait les utiliser pour obtenir une interdiction de contacter leurs enfants dans le cadre de la procédure de garde actuellement en litige. L’intérêt privé de B______ ne pouvait primer la protection de sa propre vie privée et ses droits parentaux.

La communication de son statut administratif entrainerait la perte de son droit de visite. Fournir des informations à son ex-mari lui porterait un préjudice grave et irréversible, l’empêchant d’obtenir une garde partagée, voire totale de leurs trois enfants. Cela faisait partie du « plan minutieux » de son ex-mari, visant à la forcer à retourner dans son pays d’origine et à être séparée de ses enfants, qui étaient européens et pouvaient vivre en France, ce qui n’était pas son cas.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 60 al. 1 LIPAD).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit de la décision de l’OCPM de transmettre l’information concernant le statut administratif de la recourante au père de ses enfants.

2.1 La LIPAD régit l'information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD). Elle comporte deux volets. Le premier concerne l'information du public et l'accès aux documents ; il est réglé dans le titre II (art. 5 ss LIPAD). Le second porte sur la protection des données personnelles, dont la réglementation est prévue au titre III (art. 35 ss LIPAD).

La LIPAD s'applique, sous réserve de l'art. 3 al. 3 LIPAD, non pertinent en l'espèce, et de l'art. 3 al. 5 LIPAD, aux institutions publiques visées à l'art. 3 al. 1 LIPAD et aux entités mentionnées à l'art. 3 al. 2 LIPAD. Sont notamment concernés les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire cantonaux, ainsi que leurs administrations et les commissions qui en dépendent (art. 3 al. 1 let. a LIPAD).

2.2 L'adoption de la LIPAD a renversé le principe du secret de l'administration pour faire primer celui de la publicité. Toutefois, l'application de la LIPAD n'est pas inconditionnelle. En effet, dans la mesure où elle est applicable, elle ne confère pas un droit d'accès absolu, mais prévoit des exceptions, aux fins notamment de garantir la sphère privée des administrés et de permettre le bon fonctionnement des institutions (ATA/427/2020 du 30 avril 2020 consid. 5 ; MGC 2000/VIII 7641 p. 7694 ; MGC 2001 49/X 9676 p. 9680 ss, 9697 et 9738). L'application des restrictions au droit d'accès implique une juste pesée des intérêts en présence lors de leur mise en œuvre (MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7694 ss ; MGC 2001 49/X 9676 p. 9680).

2.3 L'art. 24 LIPAD prévoit que toute personne, physique ou morale, a accès aux documents en possession des institutions, sauf exception prévue ou réservée par la LIPAD (al. 1). L'accès comprend la consultation sur place des documents et l'obtention de copies des documents (al. 2).

2.4 Les exceptions au principe de la publicité sont prévues à l'art. 26 LIPAD. Sont soustraits au droit d'accès les documents à la communication desquels un intérêt public ou privé prépondérant s'oppose (art. 26 al. 1 LIPAD ; art. 7 al. 1 du règlement d'application de la loi sur l'information du public, l'accès aux documents et la protection des données personnelles du 21 décembre 2011 - RIPAD - A 2 08 01). Tel est notamment le cas lorsque l’accès aux documents est propre à rendre inopérantes les restrictions au droit d’accès à des dossiers qu’apportent les lois régissant les procédures judiciaires et administratives (let. e), rendre inopérantes les restrictions légales à la communication de données personnelles à des tiers (let. f), porter atteinte à la sphère privée ou familiale (let. g) ou révéler des informations couvertes par des secrets professionnels, de fabrication ou d’affaires, le secret fiscal, le secret bancaire ou le secret statistique (let. i ; art. 26 al. 2 LIPAD). Est également soustrait au droit d'accès tout document couvert par un autre secret protégé par le droit fédéral, une loi ou un règlement (art. 7 al. 2 let. b RIPAD). Sont également exclus du droit d’accès les documents à la communication desquels le droit fédéral ou une loi cantonale fait obstacle (art. 26 al. 4 LIPAD).

2.5 L’exception au droit d’accès prévue à l’art. 26 al. 2 let. f LIPAD constitue un renvoi à l’art. 39 al. 9 LIPAD (ATA/576/2017 du 23 mai 2017 consid. 5b).

Il ressort de cette disposition que la communication de données personnelles à une tierce personne de droit privé n’est possible, alternativement, que si une loi ou un règlement le prévoit explicitement (let. a) ou un intérêt privé digne de protection du requérant le justifie sans qu’un intérêt prépondérant des personnes concernées s’y oppose (let. b ; art. 39 al. 9 LIPAD). Selon l’exposé des motifs relatif au projet de loi 8356, la let. f coordonne quant à elle l’application de la LIPAD avec la législation (au sens large) sur la protection des données personnelles, dont l’application est d’ailleurs également réservée par l’art. 2 al. 4 LIPAD (MGC 2000 45/VIII 7697).

2.6 Par données personnelles ou données, la LIPAD vise toutes les informations se rapportant à une personne physique ou morale de droit privé, identifiée ou identifiable (art. 4 let. a LIPAD).

2.7 Selon l’art. 3 du règlement relatif à la délivrance de renseignements et de documents ainsi qu’à la perception de diverses taxes, par l’OCPM et les communes du 23 janvier 1974 (RDROCPMC - F 2 20.08), l’OCPM est autorisé à renseigner le public, contre paiement d’une taxe, sur le nom, le prénom, la date et le lieu de naissance, le canton ou la commune d’origine (Suisses), la nationalité (étrangers), la date et le lieu de décès, et l’adresse actuelle sur territoire genevois de toute personne enregistrée. La communication des nom et prénom d’une personne selon une adresse indiquée n’est pas autorisée (al. 1). L’OCPM est autorisé à fournir au public, contre paiement d’une taxe et sur demande démontrant un intérêt privé légitime à l’obtention du renseignement, l’adresse ou le lieu de destination et la date de départ de toute personne ayant quitté le canton, même si elle est décédée depuis lors (al. 2).

2.8 Dans un arrêt 1C_642/2017 du 28 mai 2018, faisant suite à un arrêt dans lequel la chambre administrative avait refusé l’accès à des données personnelles du fait que l’intéressé ne demandait pas son dossier personnel dans le but de faire valoir les prétentions que lui reconnaissait la LIPAD (rectification, complément, mise à jour), mais simplement pour y avoir accès en application du principe de transparence, le Tribunal fédéral a relevé que les dispositions qui régissaient l'accès aux données personnelles ne faisaient pas dépendre cet accès d'un intérêt ou d'un but particulier. On ne pouvait d'ailleurs exiger du requérant qu'il précise les droits qu'il entendait exercer dès lors qu'il ignorait encore si des données avaient été traitées et de quelle nature elles étaient (consid. 2.4). Le Tribunal fédéral a rappelé que l'art. 46 LIPAD instituait des restrictions au droit d'accès fondées sur l'existence d'un intérêt public ou privé prépondérant. Les « restrictions au droit d'accès à des dossiers » constituaient l'un de ces motifs (al. 1 let. a). Cette disposition s'appliquait aux restrictions au droit d'accès proprement dit, soit aux dispositions du droit de procédure restreignant, pour les parties ou des tiers, l'accès à des dossiers de procédure. Or, une décision, dans le cadre d’un litige civil, rejetant une demande de production de pièces en mains d'une partie, concernait l'administration des preuves et ne pouvait être assimilée à une restriction d'accès au dossier de la procédure civile, les pièces requises n'en faisant d'ailleurs pas encore partie (consid. 2.3).

2.9 Dans un autre arrêt 4A_277/2020 du 18 novembre 2020, le Tribunal fédéral, après avoir mentionné les principes notamment en matière d’abus de droit (consid. 5.3), a rappelé que le droit à l'information prévu à l'ancien art. 8 de la loi fédérale sur la protection des données du 19 juin 1992 (LPD - RS 235.1), lequel prévoyait notamment que toute personne pouvait demander au maître d’un fichier si des données la concernant étaient traitées, n'avait pas pour but de faciliter l'obtention de preuves ou d'interférer avec le droit de la procédure civile. Dans cette affaire, il avait été prouvé que la demande d’information, portant sur des correspondances et des documents contractuels, avait pour seul but de préparer une procédure civile et de clarifier les perspectives d’un litige, sans poursuivre en même temps une finalité au regard de la législation sur la protection des données. Dans ces circonstances, la demande d’informations était constitutive d’un abus de droit manifeste (consid. 5.4). Il s’agit du premier arrêt retenant un abus du droit à l’information (PJA 2021 pp. 593, 601).

2.10 Dans un arrêt 4A_125/2020 du 10 décembre 2020, le Tribunal fédéral a relevé à nouveau qu’un usage abusif du droit à l'information en vertu du droit de la protection des données (ou l'obtention de preuves dans un procès concernant le droit à l'information) était également présumé si la demande d'information était faite dans le seul but d'enquêter sur une partie adverse (ultérieure) et d'obtenir des preuves qu'une partie ne pourrait pas obtenir autrement. Le droit à l'information prévu à l'ancien art. 8 LPD n'avait pas pour but de faciliter l'obtention de preuves ou d'interférer avec le droit de la procédure civile (consid. 1.7.2).

2.11 Dans un arrêt 1C_367/2020 du 12 janvier 2021 (consid. 3.4), le Tribunal fédéral a considéré, dans une affaire concernant un rapport d’audit, qu’afin d'éviter une collision de normes, il était impossible de recourir à la loi sur la transparence dans le but d'éluder les règles spéciales concernant l'accès aux documents relevant des procédures topiques. L'accès à un document ne devait pas pouvoir entraver la bonne marche d'une procédure judiciaire. Il fallait au contraire distinguer, comme le faisait le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (ci-après : PFPDT), d'une part, entre les documents élaborés en dehors d'une procédure judiciaire (et pas non plus explicitement en vue d'une telle procédure) et, d'autre part, les documents qui avaient été ordonnés expressément dans le cadre d'une procédure judiciaire (par exemple un échange d'écritures ou une expertise mise en oeuvre par les autorités judiciaires). C'était seulement pour ces derniers que le principe de la transparence ne s'appliquait pas ; les autres documents demeuraient accessibles en vertu du principe de la transparence (Christa STAMM-PFISTER, Basler Kommentar, DSG-BGÖ, 3e éd. 2014, N. 5 ad art. 3 LTrans). D'ailleurs, selon la pratique du PFPDT, « il n'est pas possible d'exclure l'application de la LTrans lorsque, dans le cadre de la procédure pendante, les documents en question constituent uniquement des moyens de preuve et ne sont ni directement en relation avec la décision attaquée, ni étroitement liés à l'objet du litige ; admettre l'application de l'art. 3 al. 1 let. a LTrans dans un tel cas équivaudrait à permettre [...] de contourner sciemment le but de la loi sur la transparence par la simple production des documents demandés dans une procédure quelconque avec laquelle ils n'entretiennent qu'un lien lâche » (recommandation du PFPDT du 2 décembre 2019 ch. 15, citée in arrêt du Tribunal fédéral 1C_367/2020 précité consid. 3.4).

2.12 Dans un arrêt 1C_132/2022 du 20 mars 2023 (consid. 4.3 et 4.4), le Tribunal fédéral a rappelé que le fait que les documents dont la production était demandée, en l’occurrence l'acte d'acquisition de l'immeuble litigieux, le détail du financement de l'immeuble, l'état des charges immobilières sur les cinq dernières années et l'état locatif, avaient déjà été sollicités dans le cadre de la procédure civile intentée en parallèle, ne s’opposait pas à la transmission de ces documents par le biais de la LIPAD, dès lors qu’une décision rejetant une demande de production de pièces en main d'un tiers concernait l'administration des preuves et ne pouvait être assimilée à une restriction d'accès au dossier de la procédure civile, les pièces requises n'en faisant d'ailleurs pas encore partie (arrêt du Tribunal fédéral 1C_642/2017 du 28 mai 2018 consid. 2.3). Pour le surplus, comme l'avait relevé la chambre administrative, on ne distinguait pas quelles règles de procédure civile ou administrative étaient en l'espèce éludées. On ne voyait ainsi pas en quoi l'accès aux documents litigieux donné en application de la LIPAD
« court-circuiterait » la bonne application des règles de procédure. Au demeurant, la recourante n'indiquait pas quel intérêt prépondérant, public ou privé lié à la procédure civile en cours, s'opposait à ce que les intimés aient accès aux documents litigieux. La recourante évoquait son intérêt à ne pas se voir opposer au terme de la procédure civile un loyer initial moindre que celui dont elle avait initialement convenu avec les locataires. Cette question relevait toutefois de la procédure civile en cours, étant précisé, comme l'avait relevé la chambre administrative, que le loyer en question serait fixé conformément à la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220). C'était donc sans violer le droit que l'autorité précédente avait jugé que le grief d'abus de droit était irrelevant, respectivement que l'accès aux documents en cause ne violait pas le principe de primauté de droit fédéral sous cet angle.

2.13 Le Tribunal fédéral a confirmé le refus d’autoriser un ex-conjoint à obtenir une copie complète du dossier de naturalisation de son ex-épouse auprès de l’OCPM. Au regard de la gravité des faits reprochés au recourant dans le cadre de la procédure pénale et du fait que des procédures pénales et civiles étaient en cours, l’intérêt du recourant à accéder au dossier s’effaçait devant celui – prépondérant – de son épouse à ce qu’il n’obtienne pas d’informations supplémentaires et potentiellement sensibles sur elle. Les spéculations du recourant quant au contenu du dossier de naturalisation dénotaient le caractère purement exploratoire de sa démarche (arrêt du Tribunal fédéral 1C_658/2022 du 23 mai 2023 consid. 3.2.2).

2.14 L'existence d'un abus de droit (art. 2 al. 2 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210) doit être reconnue lorsque l'exercice du droit par le titulaire ne répond à aucun intérêt digne de protection, qu'il est purement chicanier ou lorsque, dans les circonstances dans lesquelles il est exercé, le droit est mis au service d'intérêts qui ne correspondent pas à ceux que la règle est destinée à protéger. Cela est ainsi le cas lorsque le droit d'accès est exercé dans un but étranger à la protection des données, par exemple lorsque le droit d'accès n'est utilisé que pour nuire au débiteur de ce droit (arrêt du Tribunal fédéral 4A_36/2010 du 20 avril 2010 consid. 3.1). Il faudrait probablement aussi considérer comme contraire à son but et donc abusive l'utilisation du droit d'accès dans le but exclusif d'espionner une (future) partie adverse et de se procurer des preuves normalement inaccessibles (ATF 138 III 425 consid. 5.5). Ce serait ainsi le cas d'une requête qui ne constitue qu'un prétexte à une recherche indéterminée de moyens de preuve (fishing expedition ; arrêts du Tribunal fédéral 4A_406/2014 et 4A_408/2014 du 12 janvier 2015 consid. 7.1.1).

2.15 Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a retenu que l'intérêt privé d'une personne à obtenir des données personnelles (en l'occurrence une adresse) pour faire valoir ses droits en justice constituait un intérêt privé prépondérant au sens de la loi et du règlement qui l’emportait sur la protection de la sphère privée de la personne concernée (ATA/175/2019 du 26 février 2019 consid. 4g ; ATA/819/2012 du 4 décembre 2012 consid. 4 ; ATA/373/2014 du 20 mai 2014 consid. 5).

2.16 En l’espèce, l’objet du litige est limité à la décision de l’OCPM de transmettre l’information concernant le seul statut administratif de la recourante à B______. Le refus opposé par l'OCPM à la demande d'accès à l’intégralité du dossier administratif de la recourante n'est pour sa part pas litigieux dans la présente procédure.

L’OCPM fait partie du département des institutions et du numérique, et appartient à l’administration cantonale (art. 1 al. 1 let. c et 5 al. 1 let. d du règlement sur l'organisation de l'administration cantonale du 1er juin 2023 - ROAC - B 4 05.10), de sorte qu’il est soumis à la LIPAD. Il a suivi la procédure prévue par la LIPAD, et aucune loi ou règlement ne prévoit explicitement la communication du statut administratif de la recourante au père de ses enfants au sens de l’art. 39 al. 9 let. a LIPAD.

Dès lors, l’analyse de la communication de cette donnée personnelle ne peut se faire que dans le respect des conditions de l’art. 39 al. 9 let. b LIPAD et il convient de déterminer si l’intérêt digne de protection du requérant justifie l’accès aux données personnelles de la recourante ou si, comme elle le soutient, son intérêt prépondérant ou un intérêt public s’y oppose.

Dans le cas d'espèce, les données personnelles litigieuses ont trait au statut administratif de la recourante, sous l'angle du droit des personnes de nationalité étrangère à résider, séjourner ou s'établir en Suisse. À ce titre, elles revêtent une pertinence, notamment, pour toutes les personnes, autorités et institutions appelées à intervenir, dans un contexte de séparation conjugale, dans les relations entre les parents et leurs enfants, dès lors que le domicile futur de l'un des parents en dépend. C'est avant tout et en premier lieu le cas de la recourante elle-même, puisqu'elle doit et devra à l'avenir tenir compte de cet élément au moment de tenter de trouver un terrain d'entente avec le père en vue de l'exercice des droits parentaux, et de se déterminer utilement dans le cadre des procédures judiciaires en cours sur ce point devant les juridictions françaises. C'est également, et pour les mêmes motifs, le cas du père, qui doit pouvoir prendre position en connaissance de cause sur les questions relatives à l'autorité parentale, à la garde des enfants et aux modalités de l'éventuel droit de visite réservé au parent non gardien, et organiser concrètement les relations personnelles. De la même manière, il s'agit d'un élément que les juridictions compétentes pour ratifier un accord parental ou, en cas de litige, pour statuer sur les droits parentaux, en particulier sur les modalités d'un éventuel droit de visite, prendront en principe en considération.

Il en découle que le père des enfants dispose d'un intérêt digne de protection à pouvoir accéder à la donnée personnelle litigieuse. Cet intérêt comprend, mais ne s'y limite pas, à pouvoir formuler et établir dans le cadre de la procédure matrimoniale en cours devant les juridictions françaises des allégations exactes relatives à la possibilité juridique pour la mère de conserver son domicile en Suisse. Dans cette dernière mesure, il se recouvre avec l'intérêt des enfants à ce que les personnes appelées à régler les questions les concernant dans le cadre de la séparation parentale – qu'il s'agisse de leurs parents ou des juridictions compétentes – le fassent en ayant connaissance de l'ensemble des éléments pertinents, faute de quoi le risque que la solution retenue ne soit pas conforme à leurs intérêts augmente.

La recourante pour sa part dispose de l'intérêt de toute personne, protégé par l'art. 39 al. 9 LIPAD, à ce que des données personnelles la concernant ne soient en principe pas communiquées à des tiers. Elle ne peut en revanche être suivie lorsqu'elle fait valoir que la communication de son statut administratif porterait atteinte à ses droits parentaux, dans la mesure où la détermination de ceux-ci dans le cas concret suppose la prise en considération de l'ensemble des éléments pertinents, parmi lesquels la situation de la recourante ; son intérêt à ce que, par hypothèse, la juridiction compétente pour statuer sur les droits parentaux fasse davantage droit à ses conclusions dans l'ignorance de certains éléments pertinents qu'elle ne l'aurait fait si elle avait été en possession d'un dossier complet, avec le risque que sa décision ne corresponde pas à l'intérêt des enfants, ne peut en effet être considéré comme prépondérant.

Il faut donc considérer dans le cas d'espèce, à la suite de l'autorité intimée et du PPDT, que l'intérêt de B______ à la communication des données personnelles litigieuses l'emporte sur celui de la recourante à la
non-communication.

L'existence d'une procédure de divorce en cours, dans le cadre de laquelle les juridictions civiles françaises seront appelées à ratifier un accord entre les parties ou à statuer elles-mêmes sur les questions relatives aux enfants communs du couple, demeure sans effet sur le bien-fondé de la demande d'accès sous l'angle de l'art. 39 al. 9 let. b LIPAD. La requête du père ne saurait en effet être qualifiée de recherche indéterminée de preuves, et il n'est pas prétendu que les informations requises ne pourraient être obtenues dans le cadre de la procédure civile française. On ne voit pas non plus en quoi l'accès aux informations litigieuses contournerait ou éluderait les règles de la procédure civile française, ni quel intérêt public ou privé prépondérant lié à cette procédure civile s'opposerait à ce que le père ait accès aux données litigieuses. Les droits parentaux de la recourante, qu'elle reproche à son conjoint de vouloir violer, relèvent précisément de ladite procédure.

Il suit des éléments qui précèdent que les conditions de l’art. 39 al. 9 let. b LIPAD sont réalisées s’agissant du statut administratif de la recourante, qui pourra être transmis au requérant, à l’exclusion de tout autre document ou information.

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté. Afin de permettre à la recourante de le contester utilement si elle le souhaite, l'OCPM sera invité à ne pas communiquer les données requises au requérant avant l'expiration du délai de recours au Tribunal fédéral, ou, le cas échéant, avant que le Tribunal fédéral n’ait statué sur une éventuelle demande d'effet suspensif.

3.             Vu l’issue du recours, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA) et il ne sera pas alloué d’indemnité (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 19 août 2024 par A______ contre la décision de l’office cantonal de la population et des migrations du 17 juin 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de la recourante ;

fait interdiction à l'office fédéral de la population et des migrations de communiquer le statut administratif de la recourante jusqu'à l'échéance du délai de recours contre le présent arrêt ou, le cas échéant, jusqu'à ce que le Tribunal fédéral ait statué sur une éventuelle demande d'effet suspensif ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature de la recourante ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Isis ALVES DE MELO SULZBACH et Fernando Henrique FERNANDES DE OLIVEIRA, avocats de la recourante, à l'office cantonal de la population et des migrations, ainsi qu'au préposé cantonal à la protection des données et à la transparence, pour information.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. MICHEL

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :