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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4059/2022

ATA/401/2023 du 18.04.2023 ( LAVI ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4059/2022-LAVI ATA/401/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 avril 2023

2ème section

 

dans la cause

 

Mme A_______ recourante

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI intimée

 



EN FAIT

A. a. Mme A_______ exploitait depuis plus d’une décennie un bureau de tabac à l’avenue B_______ ______ à C______.

b. Le 21 juillet 2018 vers 06h40, M. D______ a pénétré dans le bureau de tabac de Mme A_______ dans l’intention d’y dérober des valeurs patrimoniales et notamment le contenu de la caisse. Il a montré à Mme A_______ le pistolet dont il était armé avant de l’agripper par la tête, de la tirer en avant puis de la repousser violemment en arrière et de la faire chuter, son pistolet tombant au sol durant cette séquence.

c. Par jugement du 29 octobre 2019, le Tribunal correctionnel a déclaré M. D______ coupable de tentative de brigandage aggravé – ainsi que de brigandage aggravé pour d’autres agissements poursuivis dans le cadre de la même procédure – et l’a condamné à une peine privative de liberté de six ans et six mois. Constatant qu’il avait acquiescé aux conclusions civiles de Mme A_______, il l’a condamné à lui verser CHF 6'000.- avec intérêts à 5 % dès le 21 juillet 2018 à titre de réparation morale.

Les policiers intervenus dans le bureau de tabac de Mme A_______ avaient constaté la présence d’un hématome sur le coude gauche de Mme A_______. Un certificat médical du 3 août 2018 attestait de contusions multiples, prédominantes à la jambe droite et au pied droit ainsi qu’un état de stress post-traumatique. Selon un rapport médical du 18 septembre 2018, Mme A_______ était venue consulter le 3 août 2018. Les contusions n’étaient presque plus visibles. Une sensibilité à la palpation de l’avant pied droit persistait. Les mouvements de flexion et d’extension du pied droit étaient très douloureux. Mme A_______ était très anxieuse et encore très « secouée » par ce qui lui était arrivé, et se plaignait d’insomnies. Au Ministère public, elle avait déclaré aimer travailler dans son kiosque et détester son travail depuis les faits. Devant le Tribunal correctionnel, elle avait déclaré continuer à travailler malgré la peur. Comme elle avait mal aux pieds après les faits, elle était tombée et s’était cassé le bras. N’ayant pas les moyens d’engager un employé, elle avait alors cessé de travailler en avril 2019 et vendu son kiosque à un tiers, qui ne lui avait payé que CHF 10'000.- des CHF 50'000.- convenus.

d. Par arrêt du 7 juillet 2020, la chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice, statuant sur appel de M. D______, a exclu le caractère imminent du danger de mort, requalifié le brigandage aggravé et réduit la peine privative de liberté à cinq ans. La qualification des agissements commis au détriment de Mme A_______ a quant à elle été maintenue, de même que la condamnation de l’auteur à lui verser CHF 6'000.- avec intérêts à 5 % dès le 21 juillet 2018 au titre de la réparation du tort moral.

e. Le 5 août 2021, l’arrêt étant entré en force, le conseil de Mme A_______ a réclamé à M. D______ le paiement de CHF 6'000.- avec intérêts à 5 % dès le 21 juillet 2018.

f. Le 21 août 2021, M. D______ a répondu ne pas être en mesure d’acquitter sa dette.

B. a. Le 26 août 2021, Mme A_______ a sollicité de l’instance d’indemnisation LAVI (ci-après : instance LAVI) le versement d’une indemnité pour tort moral de CHF 6'000.- avec intérêts à 5 % dès le 21 juillet 2018.

L’agression subie avait provoqué chez elle de nombreuses contusions et hématomes ainsi que des douleurs aux membres inférieurs, lesquelles avaient, à terme, conduit à ce qu’elle arrête son activité professionnelle. Elle avait également été très atteinte psychiquement par les faits. Elle présentait un état de stress post traumatique et avait enduré des insomnies. Malgré les trois années écoulées depuis l’agression, elle continuait à subir les conséquences de celle-ci.

b. Entendue le 21 octobre 2021 par l’instance LAVI, Mme A_______ a exposé qu’elle avait son commerce depuis quatorze ans, soit onze ou douze ans à l’époque de l’agression. Lors de celle-ci, elle avait eu le poignet cassé, une fissure au pied gauche et deux au pied droit. Elle avait été opérée au poignet mais on ne pouvait rien faire pour ses pieds. Elle avait des cannes depuis l’agression car elle n’avait plus d’équilibre. Elle n’avait plus de soins particuliers. Elle avait été suivie pendant environ une année par une psychologue du Centre LAVI. Elle essayait de ne pas parler de cet événement et de passer à autre chose, même si cela restait un traumatisme. Elle y pensait tous les jours. Elle adorait travailler et gagner sa vie, ce qu’elle ne pouvait plus faire. Elle se sentait diminuée, ce dont elle n’avait jamais eu l’habitude. Elle avait vendu son commerce car elle était droitière et ne pouvait plus utiliser son poignet droit, et ne pouvait donc plus travailler. Son médecin lui prescrivait des Dafalgan et des massages.

c. Le 15 juin 2022, Mme A_______ a produit un certificat médical du 24 mai 2022 du Dr E______, spécialiste FMH en médecine interne, selon lequel elle présentait toujours des séquelles psychiques de « l’accident [sic] du 21 juillet 2018 » et souffrait d’un état d’angoisse récidivant avec une peur de se faire à nouveau agresser. Il n’y avait pas de séquelles physiques objectivables en relation avec l’événement. Le centre LAVI n’était pas en possession d’un suivi psychologique la concernant.

d. Par décision du 1er septembre 2022, l’instance LAVI a octroyé à Mme A_______ la somme de CHF 5'000.- à titre de réparation morale.

Elle n’avait produit aucune pièce médicale s’agissant de la fracture de son poignet ou des fissures de ses pieds. Elle ne présentait le 14 mai 2022 plus aucune séquelle physique objectivable. Le centre LAVI n’avait trouvé aucune trace du suivi psychologique dont elle disait avoir bénéficié durant un an.

C. a. Par acte remis au greffe le 29 novembre 2022, qu’elle a signé avec son fils M. F______, Mme A_______ a dénoncé une « double injustice » auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

Elle ne touchait que CHF 6'000.-, alors qu’elle avait investi au total CHF 108'000.- dans le « concept » du fonds de commerce, le tabac, les boissons, les bonbons et la presse. Elle ne pouvait plus travailler à la suite de l’attaque et avait remis son arcade pour la modique somme de CHF 50'000.-.

Le fautif était M. D______. Il devait être libéré, au besoin avec un bracelet électronique, pour travailler dur et payer lui-même l’indemnité qu’elle méritait de même que le « solde total de la gigantesque addition ». Il apprenait l’informatique en prison et à sa sortie il pourrait se faire engager par n’importe quelle banque.

b. Le 6 décembre 2022, l’instance LAVI a communiqué son dossier et s’est référée à sa décision.

c. Le 23 janvier 2023, Mme A_______ a persisté dans ses conclusions.

C’était elle la victime de toutes les pertes économiques subies et elle voulait que dans la mesure du possible ce soit le fautif et non la LAVI qui doive l’indemniser.

d. Le 1er février 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Se pose la question de l’objet du litige et de l’intérêt à recourir.

2.1 Selon l'art. 65 al. 1 LPA, l'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant. En outre, il doit contenir l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve. Les pièces dont dispose le recourant doivent être jointes. À défaut, un bref délai pour satisfaire à ces exigences est fixé au recourant, sous peine d'irrecevabilité (art. 65 al. 2 LPA). Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant, pourvu que la chambre administrative et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/533/2016 du 21 juin 2016 consid. 2b ; ATA/29/2016 du 12 janvier 2016 consid. 2b).

L'exigence de motivation de l'art. 65 al. 2 LPA a pour but de permettre à la juridiction administrative de déterminer l'objet du litige qui lui est soumis et de donner l'occasion à la partie intimée de répondre aux griefs formulés à son encontre (ATA/64/2021 du 19 janvier 2021 consid. 2). L'exigence de la motivation est considérée comme remplie lorsque les motifs du recours, sans énoncer les conclusions formelles, permettent de comprendre aisément ce que la personne recourante désire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_823/2017 du 23 mars 2018 consid. 4 ; ATA/1337/2020 du 22 décembre 2020 consid. 2c).

2.2 L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours, les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. En d'autres termes, l'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; ATA/123/2019 du 5 février 2019 consid. 5).

2.3 Aux termes de l'art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure ayant abouti à la décision attaquée (let. a), ainsi que toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b).

Les let. a et b de cette disposition doivent se lire en parallèle. Ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/888/2020 du 15 septembre 2020 ; ATA/130/2016 du 9 février 2016 et les références citées).

Pour disposer d'un intérêt digne de protection, le recourant doit disposer d'un intérêt actuel et pratique à l'admission du recours (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 134 II 120 consid. 2 ; ATA/376/2021 du 30 mars 2021 consid. 4b et les références citées). Un intérêt seulement indirect à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée n'est pas suffisant (ATF 138 V 292 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_665/2013 du 24 mars 2014 consid. 3.1).

2.4 En l’espèce, bien que la recourante n’ait pas pris de conclusions formelles, on comprend de ses écritures qu’elle demande (1) que M. D______ et non la LAVI paie l’indemnité pour tort moral et (2) qu’il soit également condamné à l’indemniser d’un dommage matériel qu’elle chiffre à CHF 108'000.-.

Devant l’instance LAVI, la recourante n’a demandé qu’une indemnité pour tort moral de CHF 6'000.- avec intérêts à 5 % dès le 21 juillet 2018. L’objet du litige est ainsi circonscrit au principe et à la quotité de l’indemnité pour tort moral octroyée par l’instance LAVI en application de la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 23 mars 2007 (loi sur l’aide aux victimes, LAVI - RS 312.5).

Le recourante a obtenu une indemnité de CHF 5'000.-, dont elle ne critique ni le principe ni le montant dans son recours.

Sa conclusion que M. D______ et non la LAVI doive payer l’indemnité, outre le fait qu’elle contredit sa demande initiale à l’instance LAVI et pour peu qu’elle soit justiciable de la chambre de céans, excède l’objet du litige et doit être déclarée irrecevable.

La conclusion en paiement du dommage à hauteur de CHF 108'000.- n’est ni motivée ni documentée. Elle excède l’objet du litige, la décision attaquée ne portant que sur le tort moral et la recourante n’ayant jamais demandé d’indemnisation de son dommage. Elle devra partant être déclarée irrecevable.

Pour ces motifs, le recours est irrecevable.

3.             Vu la nature de la cause, aucun émolument ne sera prélevé (art. 87 al. 1 LPA et
30 al. 1 LAVI) Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

Compte tenu des conclusions du recours, la valeur litigieuse est supérieure à CHF 15'000.- (art. 112 al. 1 let. d de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 [LTF - RS 173.110]).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare irrecevable le recours interjeté le 29 novembre 2022 par Mme A_______ contre la décision de l’instance d’indemnisation LAVI du 1er septembre 2022 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Mme A_______, à l'instance d'indemnisation LAVI ainsi qu'à l’office fédéral de la justice.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

la greffière :