Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2798/2022

ATA/1222/2022 du 06.12.2022 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2798/2022-FPUBL ATA/1222/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 décembre 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Yaël Hayat, avocate

contre

COMMUNE DE B______



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1961, a été engagé en 2008 par la commune de B______ en qualité de concierge.

2) À la suite d’un accident professionnel survenu le 28 mars 2022, il s’est retrouvé en incapacité de travail, dûment attestée par certificat médical jusqu’au 7 juin 2022.

3) Le 13 juin 2022, l’avocate de M. A______ a indiqué, lors d’un entretien téléphonique avec Monsieur C______, chef du personnel, qu’elle n’était pas habilitée à lui donner des informations sur la procédure pénale dont son mandant faisait l’objet. Par courriel du même jour, M. C______ a fait savoir à l’avocate que plusieurs collaborateurs avaient fait le lien entre l’absence de réponse de M. A______ à sa hiérarchie, son appartenance à un groupe de motards et les « évènements relatés par la presse au cours des dernières semaines ».

4) Par courriel du 4 juillet 2022, l’avocate a été informée par la commune que deux collaborateurs avaient fait le lien entre le précité et les faits survenus le 21 mai 2022 dans le bar « D______ », notamment sur la base des images de vidéosurveillance diffusées par les médias. M. A______ avait été reconnu par ces collaborateurs. La commune s’interrogeait sur la présence de celui-ci dans ce bar, car il était alors en incapacité de travail en raison d’un traumatisme cranio-cérébral. Il était ainsi surprenant qu’il ait pu participer aux activités de son club, qui plus est à une rixe. Compte tenu de son passé pénal, la détention d’une arme surprenait également. Le Conseil administratif (ci-après : CA) envisageait de suspendre le versement du salaire à partir du 1er août 2022. Si la détention s’avérait injustifiée, son droit au salaire serait rétabli.

5) Par courriel du 13 juillet 2022, le conseil de M. A______ a pris note de ce que le CA allait se prononcer sur la suspension du salaire lors de sa séance du 28 juillet 2022 et que la question de la réintégration en emploi demeurait suspendue vu la détention provisoire.

6) Par décision du 28 juillet 2022, notifiée le 2 août 2022, le CA de la commune de B______ a considéré que l’absence de son employé de son lieu de travail jusqu’à fin juillet 2022 était non fautive. Il disposait cependant d’un faisceau d’indices laissant à penser que les faits justifiant la détention de M. A______ pourraient être contraires aux conditions générales d’engagement et constituer une violation des devoirs généraux du personnel. Le CA estimait nécessaire d’ouvrir une enquête administrative. Celle-ci était différée à la clôture de la procédure pénale, à moins que les intérêts de la commune s’y opposent dans l’intervalle. En outre, le droit au salaire était suspendu dès le 1er août 2022.

La décision mentionne qu’elle pouvait être contestée dans un délai de 30 jours.

7) Par acte expédié le 1er septembre 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice, M. A______ a recouru contre cette décision. Il a conclu à son annulation et au rétablissement de son salaire à compter du 1er août 2022. Sa détention avait été ordonnée jusqu’au 30 août 2022 ; sa prolongation était en cours d’examen. Dès son arrestation, il avait plaidé la légitime défense.

La commune ne lui avait pas permis d’exercer son droit d’être entendu avant la prise de la décision. La motivation de celle-ci ne permettait pas d’en comprendre le fondement. Aucune pesée des intérêts en présence n’avait eu lieu. La décision ne tenait pas compte du fait que la procédure pénale se trouvait « à ses balbutiements », qu’elle n’avait aucun lien avec l’exercice de sa profession et qu’il n’avait jamais essuyé de critiques depuis son engagement. Ces éléments, privés, devaient prévaloir sur l’intérêt public en cause.

Si les faits reprochés sur le plan pénal étaient sans doute graves, ils devaient être distingués des rapports de service. Le CA se fondait exclusivement sur des informations rendues publiques par voie de presse, sans tenir compte de sa position sur les faits.

8) La commune a conclu au rejet du recours.

Le recourant avait été informé, avant le prononcé de la décision, de ce que la suspension de son traitement était envisagée. L’ouverture d’une enquête administrative avait également été dûment annoncée. L’intérêt de la commune à ne pas verser le salaire était essentiel, puisqu’elle courrait le risque de ne pas pouvoir récupérer des montants qui auraient été versés à tort. Le recourant n’avait produit aucune pièce attestant du dommage qu’il subissait du fait de la suspension de son traitement. La détention provisoire constituait un empêchement fautif de travailler, sauf non-lieu subséquent. La gravité des faits était de nature à rompre le lien de confiance.

9) Dans sa réplique, le recourant a fait valoir qu’il était notoire que la suspension du traitement constituait un dommage économique. Il était présumé innocent et continuait à plaider la légitime défense.

10) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) La question de sa recevabilité doit être tranchée en premier lieu, les griefs du recourant – qu'ils soient de forme ou de fond, à l'exception éventuelle d'un constat de nullité non plaidé en l'espèce – ne pouvant être traités que si le recours est recevable (ATA/265/2021 du 2 mars 2021 consid. 2).

a. Le délai de recours est de 30 jours s'il s'agit d'une décision finale ou d'une décision en matière de compétence (art. 62 al. 1 let. a LPA), et de 10 jours s'il s'agit d'une autre décision (art. 62 al. 1 let. b LPA). Si la décision indique, par erreur, un délai supérieur au délai légal, le recours peut être formé jusqu’à l’expiration du délai indiqué (art. 62 al. 2 LPA). Le délai court dès le lendemain de la notification de la décision (art. 62 al. 3 LPA).

b. Aux termes de l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. On déduit du principe de la bonne foi que les parties ne doivent subir aucun préjudice en raison d'une indication inexacte des voies de droit (ATF 138 I 49 consid. 8.3.2). Elles ne doivent pas non plus pâtir d'une réglementation légale des voies de recours peu claire ou contradictoire (ATF 144 II 401 consid. 3.1 ; 123 II 231 consid. 8b ; arrêt du Tribunal fédéral A_573/2021 du 17 mai 2022 consid. 3).

Une partie ne peut toutefois se prévaloir de cette protection si elle s'est aperçue de l'erreur ou aurait dû s'en apercevoir en prêtant l'attention commandée par les circonstances. Seule une négligence procédurale grossière peut faire échec à la protection de la bonne foi. Déterminer si la négligence commise est grossière s'apprécie selon les circonstances concrètes et les connaissances juridiques de la personne en cause (ATF 138 I 49 consid. 8.3.2). Le plaideur dépourvu de connaissances juridiques peut se fier à une indication inexacte des voies de recours, s'il ne jouit d'aucune expérience particulière résultant, par exemple, de procédures antérieures (ATF 135 III 374 consid. 1.2.2). Les exigences envers les parties représentées par un avocat sont naturellement plus élevées : on attend dans tous les cas des avocats qu'ils procèdent à un contrôle sommaire (« Grobkontrolle ») des indications relatives à la voie de droit. La protection cesse s'ils auraient pu se rendre compte de l'inexactitude de l'indication des voies de droit en lisant simplement la législation applicable. En revanche, il n'est pas attendu d'eux qu'outre les textes de loi, ils consultent encore la jurisprudence ou la doctrine y relatives (ATF 138 I 49 consid. 8.3.2 et 8.4; 135 III 489 consid. 4.4 ; 135 III 374 consid. 1.2.2.1).

c. En l'espèce, l’art. 62 al. 1er LPA, relatif aux délais de recours, indique clairement à sa let. a que le délai de 30 jours n’est applicable qu’aux décisions finales ou rendues en matière de compétence. Pour les autres décisions, le délai de recours est de 10 jours (let. b). La décision ordonnant l’ouverture d’une enquête administrative et la suspension du traitement du recourant ne constitue, à l’évidence, pas une décision finale ni une décision se rapportant à la compétence d’une autorité. Le caractère erroné de l'indication contenue dans la décision querellée était donc clairement et facilement reconnaissable, sinon pour le recourant, du moins pour sa mandataire, qui est avocate. Pour le surplus, aucune prolongation de délai n'a été demandée, et aucun cas de force majeure n'est attesté ni même allégué.

Formé plus de 10 jours après la notification de la décision attaquée, le recours est tardif et, par conséquent, irrecevable.

3) Il l’est également au regard des conditions restrictives posées à la recevabilité de recours dirigés contre une décision incidente.

a. Selon l'art. 57 let. c in initio de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), les décisions incidentes peuvent faire l'objet d'un recours si elles risquent de causer un préjudice irréparable. Selon la même disposition in fine, elles peuvent également faire l'objet d'un tel recours si cela conduisait immédiatement à une solution qui éviterait une procédure probatoire longue et coûteuse.

b. L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Le préjudice irréparable visé par l’art. 93 al. 1 let. a et b LTF suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c). Un préjudice est irréparable lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c). Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 IV 139 précité consid. 4 ; 131 I 57 consid. 1).

c. La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l'art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/1622/2017 du 19 décembre 2017 consid. 4c ; cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l'estiment trop restrictive : Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II p. 458 ss).

d. Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; ATA/1622/2017 précité consid. 4d ; ATA/1217/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2d).

e. La jurisprudence de la chambre de céans se montre, de manière générale, restrictive dans l'admission d'un préjudice irréparable (ATA/663/2018 du 26 juin 2018 consid. 3d ; ATA/1622/2017 du 19 décembre 2017 consid. 4d).

f. La suspension du traitement n'est pas, en tant que telle, suffisante pour retenir l'existence d'un préjudice irréparable. Il faut encore que l'intéressé rende vraisemblable un tel préjudice (ATA/1840/2019 du 20 décembre 2019 consid. 7b ; ATA/1417/2018 précité consid. 4c ; ATA/663/2018 précité consid. 4b ; ATA/351/2018 précité consid. 3b).

La chambre administrative a admis l’existence d’un tel préjudice pour un fonctionnaire des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), qui avait produit un certain nombre de pièces démontrant sa situation économique difficile (ATA/506/2014 du 1er juillet 2014 consid. 3c). Tel était également le cas d’une aide-soignante des HUG suspendue sans traitement, au motif que même à considérer qu'elle puisse prétendre aux prestations de l'assurance-chômage, celles-ci, plafonnées à 80 %, ne lui permettaient pas de s'acquitter de l'intégralité de ses charges incompressibles démontrées (ATA/1362/2019 du 10 septembre 2019).

g. La décision d'ouverture d'une enquête administrative ne cause pas un préjudice irréparable, dès lors qu'une décision après l'enquête administrative, qui serait entièrement favorable à l’intéressé, permet de réparer une éventuelle atteinte, notamment à sa personnalité (ATA/265/2021 du 2 mars 2021 consid. 4 ; ATA/1018/2018 du 2 octobre 2018 consid. 11a).

h. Comme évoqué ci-dessus, la décision de suspension du traitement est une décision incidente, comme d’ailleurs celle relative à l’ouverture et la suspension d’une enquête administrative. L'admission du recours ne conduirait pas à une décision finale permettant d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse ; le recourant ne le soutient d'ailleurs pas. Seule l'existence d'un préjudice difficilement réparable engendré par la décision querellée permettrait d'admettre la recevabilité du recours.

Le recourant n'a cependant apporté aucune information sur l'état de sa fortune ni sur ses charges incompressibles, se bornant à soutenir que la suspension de son salaire constituerait un dommage. Il ne l’a pas non plus fait avec sa réplique, alors que la commune a, en particulier, relevé qu’il n’établissait pas son dommage. Or, dans la mesure où il lui appartenait de rendre vraisemblable que la décision querellée lui cause un préjudice difficilement réparable, il lui incombait d’apporter un minimum d’éléments sur sa situation patrimoniale. Ceux-ci font cependant défaut. En outre, si la suspension devait finalement s'avérer injustifiée, le recourant pourrait faire valoir ses prétentions salariales.

Pour le surplus, le recourant ne soutient, à juste titre, pas que la décision d'ouverture et de suspension d'une enquête administrative engendrerait un préjudice irréparable, une décision finale qui lui serait entièrement favorable permettant de réparer une éventuelle atteinte.

Ainsi, le recourant n'a pas rendu vraisemblable l'existence d'un préjudice irréparable. Partant, faute de remplir les conditions de l’art. 57 let. c LPA, le recours doit, pour ce motif également, être déclaré irrecevable.

4) Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée au recourant (art. 87 al. 2 LPA). Celui-ci plaidant au bénéfice de l’assistance juridique, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 1er septembre 2022 par Monsieur A______ contre la décision de la commune de B______ du 28 juillet 2022 ;

dit qu’il n’est pas perçu d'émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Yaël Hayat, avocate du recourant, ainsi qu'à la commune d'B______.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Payot Zen-Ruffinen et Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Rodriguez Ellwanger

 

 

le président siégeant:

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :