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ACOM/94/2008 du 23.09.2008 ( CRUNI ) , ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
A/5174/2007-CRUNI ACOM/94/2008 DÉCISION DE LA COMMISSION DE RECOURS DE L’UNIVERSITÉ du 23 septembre 2008
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dans la cause
Madame P______
contre
FACULTÉ DES SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES
et
UNIVERSITÉ DE GENÈVE
(élimination ; circonstances exceptionnelles)
1. Madame P______, née le ______ 1987, s’est immatriculée à l’université de Genève (ci-après : l’université) en vue de suivre, dès le semestre d’hiver 2006-2007, les études de baccalauréat auprès de la faculté des sciences économiques et sociales (ci-après : la faculté).
2. A la session d’automne 2007, qui se déroule au mois de février, elle a présenté six examens, sanctionnés par des notes entre 1,50 et 3,50.
3. En date du 14 juin 2007, l’intéressée a écrit au doyen pour l’informer qu’elle n’avait pas pu présenter les examens d’outils informatiques et d’introduction à la sociologie qui s’étaient tenus en date des 12 et 13 juin 2007, pour des raisons médicales. Elle y joignait un certificat médical du Docteur José Lopez, attestant d’une incapacité de travail entière du 11 au 15 juin 2007.
4. Le 18 juin 2007, le secrétariat des étudiants a répondu qu’il avait enregistré une absence justifiée aux examens en question, qui devaient être impérativement présentés à la session de rattrapage d’automne.
5. En date du 9 juillet 2007, la faculté a adressé à Mme P______ le relevé de notation de la session de printemps 2007 : elle avait présenté trois examens sanctionnés par des notes inférieures à 4, la moyenne générale obtenue au terme des deux sessions ordinaires étant de 2,44.
6. Le 21 septembre 2007, un relevé de notation a été communiqué à l’intéressée, prononçant son exclusion de la faculté, dès lors que la moyenne générale obtenue était inférieure à 3 (2,95). Selon cette décision, Mme P______ avait présenté sept examens à la session de rattrapage, sanctionnés par des notes entre 1 et 4.
7. Par courrier du 23 septembre 2007, Mme P______ a écrit au doyen afin que la décision d’exclusion soit reconsidérée. Elle avait en effet rencontré des problèmes médicaux ayant perduré plusieurs mois qui ne lui avaient pas permis d’étudier dans des conditions normales.
8. A la demande du doyen, l’intéressée a présenté une opposition formelle à la décision d’exclusion, en retournant le formulaire d’opposition dûment complété, en date du 15 octobre 2007, auquel elle joignait une attestation établie par la Doctoresse Paola Chevallier, du groupe médical d’Onex, certifiant qu’elle avait été traitée du 15 octobre 2006 au 17 août 2007 pour des symptômes susceptibles d’avoir entraîné son échec scolaire ; elle produisait également deux certificats établis par le Dr Lopez, généraliste auprès du même cabinet, attestant d’une incapacité de travail entière du 16 avril au 7 mai 2007 et du 11 au 15 juin 2007.
9. Par décision du 27 novembre 2007, le doyen a rejeté l’opposition et confirmé la décision d’exclusion. Les certificats médicaux produits mettaient en évidence la présence d’une faiblesse persistante, associée à deux incapacités de travail, l’une de quatre jours, l’autre de trois semaines, présente depuis le début de l’année académique. Il ne s’agissait donc pas d’une circonstance exceptionnelle, survenue à brève échéance avant un ou des examens, une exmatriculation ou un congé étant dans un tel cas possible. De plus, une incapacité de travail de trois semaines n’était pas de nature à expliquer l’échec d’une année scolaire, de nombreux étudiants étant notamment appelés à s’absenter pour une telle durée en raison des obligations militaires.
10. Par acte mis à la poste le 28 décembre 2007, Mme P______ a interjeté recours contre cette décision par devant la commission de recours de l’université (ci-après : CRUNI), en concluant, à tout le moins de manière implicite, à son annulation. Elle avait été victime de problèmes de santé récurrents ayant perduré pendant les deux semestres de l’année, le corps médical ayant mis pratiquement une année pour trouver et résoudre la cause des vertiges importants dont elle avait souffert quotidiennement. Elle n’avait par ailleurs pas demandé d’exmatriculation ou de congé car elle pensait que les médecins auraient résolu son problème rapidement. Son cursus scolaire avait été jusque-là exemplaire et elle méritait qu’une nouvelle chance lui soit accordée.
11. Dans sa réponse du 29 janvier 2008, l’université a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision sur opposition. Aucun des arguments avancés par la recourante ne permettait de retenir l’existence de circonstances exceptionnelles au sens de l’article 22 alinéa 3 du règlement de l’université du 7 septembre 1988 (RU – C 1 30.06) et de la jurisprudence, ce d’autant plus que selon l’attestation de la Dresse Chevallier du 9 octobre 2007, l’affection avait disparu depuis plusieurs mois, les résultats obtenus à la session de rattrapage n’étant ainsi pas excusables. De plus, de jurisprudence constante, une maladie psychique ou physique ne pouvait constituer une circonstance exceptionnelle qu’à la condition qu’elle soit invoquée sans délai, un étudiant ne pouvant, en règle générale, pas attendre qu’une décision d’élimination soit prise à son encontre pour invoquer des problèmes de santé, en particulier lorsque ceux-ci sont de nature chronique.
12. Par courrier du 7 mars 2008, la recourante a communiqué à la CRUNI un certificat complémentaire de la Dresse Chevallier, précisant que son état de santé s’était amélioré dans le courant du mois d’août 2007.
13. Le 18 août 2008, la CRUNI a tenu une audience de comparution personnelle des parties et d’enquêtes, au cours de laquelle la Dresse Chevallier, dûment déliée de son secret médical, a été entendue en qualité de témoin. La recourante avait consulté les médecins du groupe médical d’Onex, notamment le Dr Lopez, qui avait quitté le cabinet depuis lors, à huit reprises entre novembre 2006 et août 2007, principalement pour des vertiges persistants, des troubles de la vision et des palpitations, de même que des insomnies. Les examens effectués avaient mis en évidence une carence en fer, une tension artérielle inférieure à la norme et un indice de masse corporelle faible. Si la carence en fer avait pu être traitée avec succès, les vertiges et l’hypotension artérielle avaient persisté tout au long de l’année académique, de manière fluctuante. En particulier, la recourante présentait une tension particulièrement basse en position débout. Au mois de juin 2007, lors d’une consultation en urgence, des bouchons de cire dans les deux oreilles, de taille importante avaient été observés, pouvant expliquer les troubles allégués. En décembre 2007, une contracture de l’articulation temporo mandibulaire gauche avait été diagnostiquée, ce qui pouvait expliquer les vertiges. Selon la Dresse Chevallier, les troubles observés durant l’année 2006-2007, fluctuants avec des périodes d’exacerbation, étaient susceptibles de perturber le bon déroulement des études.
Les parties ont eu l'occasion de s'exprimer après l’audition du témoin. Elles ont persisté dans leur argumentation.
14. Sur ce, la cause a été gardée à juger.
1. Dirigé contre la décision sur opposition du 27 novembre 2007 et interjeté dans le délai légal et la forme prescrite auprès de l’autorité compétente, le recours est recevable (art. 62 de la loi sur l’université du 26 mai 1973 - LU – C 1 30 ; art. 88 et 90 RU ; art. 26 et 27 du règlement interne relatif aux procédures d’opposition et de recours du 25 février 1977 - RIOR).
2. a. Les conditions d'élimination des étudiants sont fixées par le règlement de l'université (art. 63D al. 3 LU). L’art. 22 alinéa 2 RU dispose que l'étudiant qui échoue à un examen ou à une session d’examens auxquels il ne peut plus se présenter en vertu du règlement d’études (let. a) ou qui ne subit pas ses examens et ne termine pas ses études dans les délais fixés par le règlement d'études (let. b), est éliminé.
b. En l’espèce, ayant débuté les études du baccalauréat en relations internationales en 2006, la recourante était soumise au règlement d’études afférent à ce cursus en vigueur à cette date, soit celui du 1er octobre 2005 (ci-après : RE).
3. Aux termes de l’art. 20 al. 1 RE, la première partie est réussie si l’étudiant obtient une moyenne générale égale ou supérieure à 4 et si aucune note n’est inférieure à 3. Est par ailleurs éliminé l’étudiant qui n’a pas obtenu au terme des deux premiers semestres d’études une moyenne égale ou supérieure à 3 (art. 21 ch. 1 let. c) RE).
Ayant obtenu une moyenne générale de 2,95 à l’issue de la session d’examens de septembre 2007, soit au terme des deux premiers semestres d’études, la recourante s’expose à une décision d’élimination, ce qu’elle ne conteste du reste pas.
4. a. Il reste à examiner si la recourante peut bénéficier de circonstances exceptionnelles.
b. Selon l’article 22 alinéa 3 RU, il doit être tenu compte des situations exceptionnelles lors d’une décision d’élimination. Selon une jurisprudence constante, une situation peut être qualifiée d’exceptionnelle lorsqu’elle est particulièrement grave et difficile pour l’étudiant. Lorsque de telles circonstances sont retenues, la situation ne revêt un caractère exceptionnel que si les effets perturbateurs ont été dûment prouvés par le recourant. Cette jurisprudence est conforme au principe de l’instruction d’office (ACOM/41/2005 du 9 juin 2004 consid. 7c ; ACOM/13/2005 du 7 mars 2005 consid. 5). Les autorités facultaires disposent dans ce cadre d’un large pouvoir d’appréciation, dont la CRUNI ne censure que l’abus (ACOM/1/2005 du 11 janvier 2005 ; ACOM/102/2004 du 12 octobre 2004 et les références citées).
c. Selon la jurisprudence constante de la CRUNI, de graves problèmes de santé sont considérés comme des situations exceptionnelles (ACOM/50/2002 du 17 mai 2002) à condition toutefois que les effets perturbateurs aient été prouvés et qu’un rapport de causalité soit démontré par l’étudiant (ACOM/119/2002 du 1er novembre 2002). Ainsi, la CRUNI n’a pas retenu de circonstances exceptionnelles dans le cas d’une étudiante invoquant des problèmes de santé mais n’ayant fourni aucune indication concernant la maladie et son impact sur le bon déroulement de ses études (ACOM/71/2005 du 22 novembre 2005). Elle a jugé de même dans le cas d’un étudiant ne s’étant pas présenté aux examens et invoquant par la suite plusieurs arguments, notamment le fait qu’il suivait une psychothérapie (ACOM/23/2006 du 28 mars 2006 ; ACOM/72/2005 du 1er décembre 2005). Enfin, la CRUNI n’a pas davantage admis les circonstances exceptionnelles dans le cas d’un étudiant ayant connu des problèmes de santé, mais dont les effets perturbateurs n’étaient pas établis lors des sessions d’examens concernées (ACOM/75/2005 du 15 décembre 2005).
5. a. Sans remettre en cause la réalité des troubles de santé rencontrés par la recourante durant l’année académique, l’intimée considère que, dans la mesure où celle-là avait présenté des troubles de la santé pendant toute l’année, l’on n’est pas en présence d’affections inattendues et violentes susceptibles et constitutives de circonstances exceptionnelles. De plus, il appartient aux étudiants d’alléguer sans délai la présence d’une maladie et il ne leur est loisible d’attendre la décision d’élimination pour se prévaloir de problèmes de santé.
b. A cet égard, il convient d’une part de distinguer soigneusement la notion de circonstances exceptionnelles (art. 22, al. 3 RU) de celle des justes motifs (art. 36 et 37 RU), dans laquelle les objections de l’intimée semblent avant tout s’insérer (ACOM/103/2006 du 21 novembre 2006). Il sied d’autre part de rappeler que la CRUNI considère que, s'il n’est pas admissible qu'un étudiant diffère abusivement l'invocation d'une circonstance exceptionnelle, le fait de se présenter à une session d'examens sans avoir mentionné cette circonstance, et de ne la faire valoir qu'après un échec à ladite session, ne relève pas de l'abus, car la subordination de la prise en compte d'une circonstance exceptionnelle à une annonce immédiate viderait l'art. 22 al. 3 RU de son sens, et découragerait les candidats qui tenteraient malgré tout de poursuivre leur cursus dans les délais (ACOM/100/2002 du 2 septembre 2002).
c. L’étudiant éliminé au contraire peut être amené à faire valoir, postérieurement à cette élimination, des circonstances qui l’auraient empêché de réussir, qu’il n’a pu ou voulu faire valoir au titre des justes motifs (art. 22 al. 3 RU), relevant de la libre appréciation de l’autorité académique afin d’éviter une rigueur excessive dans des cas particuliers d’élimination (ACOM/46/2004 du 24 mai 2004).
6. En l’espèce, il ressort des pièces au dossier et des explications fournies par la Dresse Chevallier en audience, que la recourante a consulté les médecins du groupe médical d’Onex principalement pour des vertiges persistants, des troubles de la vision et des palpitations, de même que des insomnies, et ce entre novembre 2006 et août 2007. Les examens effectués ont mis en évidence une carence en fer, une tension artérielle inférieure à la norme et un indice de masse corporelle faible. Si la carence en fer avait pu être traitée rapidement avec succès, les vertiges et l’hypotension artérielle sont demeurés présents tout au long de l’année académique, de manière fluctuante. En particulier, la recourante présentait une tension particulièrement basse en position débout. La CRUNI est d’avis que de tels troubles peuvent être rangés dans la catégorie des maladies susceptibles d’entraver le bon déroulement des études, en raison de leur persistance et de leur durée ; de plus, leur réalité ne repose pas uniquement sur les déclarations de la recourante ou sur des consultations médicales postérieures à la décision d’élimination, mais elle est corroborée par les certificats et les déclarations des médecins traitants que la recourante a consulté à huit reprises pendant sa première année d’études. Dans ces conditions, force est de constater que la recourante, durant l’année académique 2006-2007 a été empêchée, en raison de son état de santé déficient, de suivre correctement les cours et de préparer en conséquence correctement les examens. Si les problèmes de santé étaient plus aigus lors de la préparation des examens de février et juin 2007, leurs effets perturbateurs ont également affecté les capacités d’apprentissage et de concentration de la recourante durant une bonne partie de l’année académique, ce qui a eu nécessairement des répercussions aussi sur les examens de la session de rattrapage. Le bien-fondé des troubles dont souffre la recourante n’étant ni soupçonnable ni à juste titre mis en doute par la faculté, son cas doit ainsi être rangé dans les situations exceptionnelles telles que prévues à l'art. 22 al 3 RU.
Le recours sera donc admis et la décision attaquée annulée.
7. Vu la nature de la cause et l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument. Il n’y a par ailleurs pas lieu d’allouer une indemnité à la recourante, qui n’a pas exposé de frais, assurant seule sa défense et qui n’a pas justifié de débours particuliers.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COMMISSION DE RECOURS DE L’UNIVERSITÉ
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 28 décembre 2008 contre la décision sur opposition du doyen de la faculté des sciences économiques et sociales du 27 novembre 2007 ;
au fond :
l'admet ;
dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d’indemnité ;
dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'article 42 LTF. la présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique la présente décision à Madame P______, au service juridique de l’université, à la faculté des sciences économiques et sociales ainsi qu’au département de l’instruction publique.
Siégeants : Madame Bovy, présidente ;
Madame Pedrazzini Rizzi et Monsieur Bernard, membres
Au nom de la commission de recours de l’université :
la greffière :
K. Hess |
| la présidente :
L. Bovy |
Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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