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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/487/2005

ACOM/72/2005 du 01.12.2005 ( CRUNI ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/487/2005-CRUNI ACOM/72/2005

DÉCISION

DE

LA COMMISSION DE RECOURS DE L’UNIVERSITÉ

du 1er décembre 2005

 

dans la cause

 

Monsieur R __________
représenté par Maîtres Jean-Marc Carnicé et Stéphanie Godet Landry, avocats

contre

UNIVERSITé DE GENèVE

et

FACULTé DES SCIENCES éCONOMIQUES ET SOCIALES

 

 

 

 

 

(élimination / circonstances exceptionnelles)


1. Monsieur R __________ , né le __________ 1980, de nationalité suisse et française, est inscrit à l'université de Genève (ci-après : l'université) en faculté des sciences économiques et sociales (ci-après : la faculté) depuis l'année académique 2000-2001, briguant une licence en gestion d'entreprise HEC.

2. Après avoir redoublé sa première année, il a réussi le premier cycle constituant le tronc commun à la session d'automne 2002.

3. Admis en deuxième cycle de la licence précitée, il a obtenu un certain nombre de crédits, ne se présentant toutefois pas à plusieurs examens, dont notamment celui de "Finance de Marché I" (N° 4194).

4. Absent à cet examen aux sessions d'été et d'automne 2003, de même qu'à celle d'été 2004, il a réalisé la note 1 à la session d'automne 2004. Il a de ce fait été exclu de la faculté le 15 octobre 2004, en raison d'un échec après deux inscriptions à un enseignement.

5. M. R __________ a formé opposition contre cette décision en temps utile, expliquant suivre une psychothérapie rendue nécessaire par les problèmes personnels auxquels il avait été confronté.

En effet, sa meilleure amie s'était suicidée trois semaines avant le début de la session d'examens d'été 2004, ce qui l'avait naturellement bouleversé, et cela d'autant plus que sa propre mère s'était elle aussi suicidée dix ans auparavant.

Il sollicitait en conséquence l'autorisation de pouvoir terminer sa dernière année de licence, certes conscient de sa situation délicate, mais motivé par l'évolution favorable de son traitement médical, ainsi que par le stage en entreprise qu'il avait suivi chez X _________ S.A.

De plus, le délai d'obtention de sa licence courait jusqu'en octobre 2005.

6. Par décision du 27 janvier 2005, le doyen de la faculté a rejeté l'opposition et confirmé l'exclusion.

D'une part, le certificat médical produit par M. R __________ ne mentionnait aucune incapacité de travail et d'autre part, ce dernier avait accumulé les absences non justifiées aux examens durant tout le second cycle, ce qui l'astreindrait à obtenir 102 crédits en une année, dans l'éventualité d'une poursuite de ses études, alors qu'il n’était parvenu à en réussir que 78 sur deux ans, soit une tâche bien difficile à accomplir.

7. Contre cette décision, M. R __________ recourt auprès de la CRUNI par acte du 1er mars 2005, après avoir constitué avocat en les personnes de Maîtres Jean-Marc Carnicé et Stéphanie Godet Landry.

Les conséquences des décès tragiques de sa mère et de son amie sur sa santé psychique, traduites par l'obligation d'un suivi pédopsychiatrique, puis psychothérapeutique, étaient de nature à se répercuter sur ses études et expliquaient son défaut d'assiduité et ses absences à de nombreux examens en vue desquels il ne ressentait plus le courage de se préparer.

Cela étant, il avait espéré pouvoir bénéficier d'une seconde chance, d'autant que sa thérapie et son stage en entreprise lui avaient redonné la motivation nécessaire pour mener à bien ses études.

Il lui restait à obtenir 93 crédits, et non 102, représentant 21 crédits attachés à des travaux écrits et 72 issus d'examens, soit 36 par session, ce que M. R __________ jugeait tout à fait possible.

Plaidant les circonstances exceptionnelles, ce dernier conclut à l'annulation de la décision d'exclusion, ainsi qu'à être autorisé à présenter une nouvelle fois l'examen "Finance de Marché I" et à poursuivre ses études au sein de la faculté.

Il sollicite en outre la restitution de l'effet suspensif.

8. Par décision du 17 mars 2005, la présidente de la CRUNI a rejeté la demande de restitution de l'effet suspensif, traitée sous l'angle des mesures provisionnelles.

9. L'université s'oppose au recours.

Les événements décrits par M. R __________ ne sont pas prouvés, pas plus que le changement dont il se réclame et qui pourrait lui permettre de réussir sa licence dans un laps de temps au demeurant extrêmement bref, en l'absence de certificats médicaux propres à démontrer ce qui précède.

Il y a donc lieu de contester les circonstances exceptionnelles et présumer au contraire qu'un défaut de volonté ou de capacité est à l'origine de l'échec de l'étudiant.

10. Sur demande du conseil de M. R __________ , les parties ont été autorisées à produire un second échange d'écritures.

Persistant dans ses conclusions, M. R __________ a produit une attestation de décès de sa mère, ainsi que diverses attestations médicales, requérant son audition personnelle, ainsi que celle de témoins en la personne de son père, ainsi que de sa psychothérapeute.

11. L'université a renoncé pour sa part à dupliquer.

12. La CRUNI a ordonné la comparution personnelle des parties.

M. R __________ a confirmé la fragilité de son état psychique, aggravé par le décès subit de son amie en 2004, au sujet duquel il a même éprouvé un sentiment de culpabilité. Il n'avait dès lors pas assez travaillé pour sa dernière tentative de l'examen "Finance de Marché I".

Sa douleur silencieuse l'avait pour le surplus empêché de faire attester les absences qui lui sont aujourd'hui reprochées, afin de les justifier.

Actuellement, ses problèmes psychologiques s'étant estompés, il se sent capable de terminer ses études.

Pour sa part, l'université a admis les circonstances relatées par M. R __________ , mais a contesté tout lien de causalité avec ses absences et son échec final.

13. Par courrier du 10 octobre 2005, le conseil de M. R __________ a fait savoir à la CRUNI que son client renonçait à l'audition de sa psychothérapeute. Il renonçait également à l'audition de son père, puisque les circonstances décrites par lui n'étaient plus contestées.

1. Dirigé contre la décision sur opposition du 27 janvier 2005 et interjeté dans le délai légal et la forme prescrite auprès de l’autorité compétente, le recours est recevable (art. 62 de la loi sur l’université du 26 mai 1973 - LU – C 1 30 ; art. 87 du règlement de l’université du 7 septembre 1988 - RU – C 1 30.06 ; art. 26 et 27 du règlement interne relatif aux procédures d’opposition et de recours du 25 février 1977 - RIOR).

2. Selon l'article 63 D alinéa 3 LU, les conditions d'élimination des étudiants sont fixées par le règlement de l'université.

Parmi les cas d'élimination prévus par celui-ci figure celui de l'étudiant qui échoue à un examen ou à une session d'examens auxquels il ne peut plus se présenter en vertu du règlement d'études (article 22 alinéa 2 lettre a).

3. M. R __________ est en l'occurrence soumis au règlement d'études de la faculté en vigueur au 1er octobre 1995 (ci-après : RE), lequel prévoit pour ce qui relève du deuxième cycle en son article 14 alinéa 4 et 5, qu'un examen est réussi si le candidat obtient une note égale ou supérieure à 4, et qu'en cas d'échec lors de la session ordinaire, l'étudiant peut se représenter à la session d'automne. En cas de nouvel échec, l'étudiant peut se réinscrire au cours une fois au maximum, les dispositions précédentes demeurant applicables.

4. Le recourant s'est inscrit quatre fois à l'examen "Finance de Marché I", à savoir aux sessions d'été et d'automne 2003, ainsi qu'à ces mêmes sessions en 2004.

A trois reprises, il ne s'est pas présenté, sans justifier son absence, ce qui équivaut à la note 0 (article 10 alinéa 1 RE) et il a obtenu la note 1 à la session d'automne 2004.

Il en découle qu'aux termes de l'article 15 alinéa 1 lettre c RE, M. R __________ s'exposait à une élimination.

5. Il reste à déterminer si une situation exceptionnelle devait être retenue par le doyen de la faculté, au sens de l'article 22 alinéa 3 RU, lequel impose la prise en compte de circonstances particulières en cas d'élimination.

La notion de "situation exceptionnelle" étant un concept juridique imprécis (cf. décision CRUNI L. du 3 avril 1998), la CRUNI a été amenée à en préciser les conditions dans une jurisprudence désormais bien établie.

N'est exceptionnelle que la situation qui est particulièrement grave pour l'étudiant (ACOM/86/2004 du 2 septembre 2004).

Elle a ainsi jugé dans ce sens que le décès d'un proche parent entrait dans la catégorie des circonstances exceptionnelles (ACOM/87/2004 du 30 août 2004).

Lorsque de semblables circonstances exceptionnelles sont retenues, la situation ne revêt toutefois un caractère exceptionnel que si les effets perturbateurs qu'elles ont engendrés ont été dûment prouvés par le recourant (ACOM/33/2005 du 11 mai 2005).

A cela s'ajoute enfin que l'étudiant soit en mesure de démontrer un lien de causalité entre la survenance des circonstances précitées et son échec universitaire (ACOM/13/2005 du 7 mars 2005).

6. A teneur de l'article 87 alinéa 3 RU, le recours ne peut être fondé que sur une violation du droit ou sur la constatation inexact ou incomplète des faits sur lesquels repose la décision, l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation étant assimilés à la violation du droit.

La CRUNI a de ce fait posé le principe que dans l'examen des circonstances exceptionnelles, le doyen dispose d'un pouvoir d'appréciation étendu qui lui confère la possibilité de choisir entre plusieurs solutions, la CRUNI ne pouvant substituer de manière générale sa propre appréciation à celle de l'autorité académique, mais étant habilitée à s'assurer que cette dernière n'a pas abusé du large pouvoir d'appréciation dont elle dispose (ACOM/44/2005 du 6 juillet 2005).

7. En l'espèce, M. R __________ a vécu deux événements aux conséquences desquels il impute son élimination de la faculté.

a. S'agissant de la disparition de sa mère, en 1994, il n'est pas contestable que cet événement pouvait être reconnu comme une circonstance exceptionnelle, en conformité de la jurisprudence rappelée plus haut.

On ne saurait pourtant admettre que le recourant ait satisfait à l'obligation qui était la sienne de démontrer que ses absences aux sessions d'examens de l'année académique 2002-2003 en constituaient une conséquence directe.

Certes suivait-il une psychothérapie à raison de deux séances par semaine depuis 2000, mais aussi bien le temps qui s'était écoulé que le manque de motivation pour ses études éprouvé à cette époque par le candidat, qui l'admet du reste lui-même, apparaissent comme autant d'éléments dont il doit être tenu compte dans l'appréciation d'une situation exceptionnelle.

Les hauts et les bas qu'il a décrits en comparution personnelle apparaissent donc insuffisants pour justifier ses absences sans explication aux examens, d'autant qu'en semblables circonstances, il réussissait sa première année un an auparavant.

b. Il reste encore à examiner si le second événement, à savoir le décès de son amie dans les semaines ayant précédé la session d'examens d'été 2004, doit conduire à une appréciation différente.

b1. Le volet médical du dossier de M. R __________ est constitué de quatre attestations médicales, émanant de son médecin-traitant (Dr Oeggerli), de son médecin de famille (Dr Casthélaz) et pour deux d'entre elles de sa psychothérapeute (Mme Haellmigk Kühner).

Le Dr Oeggerli, consulté le 26 avril 2005, relate ce que lui a décrit le recourant, à savoir le suicide de son amie, permettant d'expliquer la raison pour laquelle M. R __________ ne s'est pas présenté à la session d'été 2004, sans pour autant que ce dernier n'ait jugé nécessaire de consulter ce praticien en temps utile pour retirer son inscription.

Le Dr Casthélaz confirme en 2005 toujours que le recourant est apte à poursuivre ses études universitaires.

Quant aux attestations de Mme Haellmigk Kühner, il en ressort que M. R __________ a repris une psychothérapie en janvier 2004, s'impliquant activement dans la réussite de sa vie, traitement néanmoins arrêté avant l'été 2005 d'après les déclarations du recourant.

b2. Les renseignements qui émanent de ces attestations ne sont néanmoins nullement décisifs et ne permettent pas à M. R __________ d'établir le lien de causalité nécessaire entre la disparition de son amie et son échec à l'examen "Finance de Marché I" à la session d'automne 2004.

Si l'on comprend qu'il ne se soit pas présenté en été 2004, sans pour autant faire le nécessaire pour retirer son inscription, alors qu'il ne pouvait ignorer qu'il en était à sa troisième tentative, aucun des praticiens consultés ne s'est prononcé de quelque manière que ce soit eu égard aux incidences éventuelles des problèmes vécus par le recourant sur sa situation académique, se limitant les uns et les autres à des pronostics favorables.

Il en résulte que les arguments que M. R __________ invoque ne satisfont pas aux conditions restrictives posées par la CRUNI dans l'application de l'article 22 alinéa 3 RU (cf. ACOM/102/2004 du 12 octobre 2004), sans qu'il soit nécessaire de trancher la question de savoir si le décès d'un proche qui n'est ni parent ni conjoint doit être considéré comme une circonstance exceptionnelle, n'étant en l'état pas déterminante quant à l'issue du litige.

b3. Au vu de ce qui précède, il faut admettre que le doyen de la faculté n'a pas franchi les limites du large pouvoir d'appréciation qui est le sien en matière de circonstances exceptionnelles, ce qui conduit au rejet du recours.

8. Vu la nature de la cause, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 33 RIOR).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COMMISSION DE RECOURS DE L’UNIVERSITÉ

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er mars 2005 par Monsieur R __________ contre la décision sur opposition rendue par le doyen de la faculté des sciences économiques et sociales de l'Université de Genève du 27 janvier 2005 ;

 

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité ;

communique la présente décision à Maîtres Jean-Marc Carnicé et Stéphanie Godet Landry, avocats du recourant, à l'université de Genève et au service juridique de l’université, ainsi qu’au département de l’instruction publique.

Siégeants : Madame Bovy, présidente ;
Madame Bertossa-Amirdivani et Monsieur Schulthess, membres

Au nom de la commission de recours de l’université :

la greffière :

 

 

 

C. Marinheiro

 

la présidente :

 

 

 

L. Bovy

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :