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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6343/2025

ACPR/755/2025 du 23.09.2025 sur OTDP/1838/2025 ( TDP ) , REJETE

Descripteurs : DÉFENSE OBLIGATOIRE;DÉFENSE D'OFFICE;AFFECTION PSYCHIQUE;COMPLEXITÉ DE LA PROCÉDURE
Normes : CPP.130; CPP.132

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6343/2025 ACPR/755/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 23 septembre 2025

 

Entre

A______, représenté par Me Razi ABDERRAHIM, avocat, RIVE Avocats, rue François-Versonnex 7, 1207 Genève,

recourant,

contre l'ordonnance de refus de nomination d’avocat d’office rendue le 22 juillet 2025 par le Tribunal de police,

et

LE TRIBUNAL DE POLICE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève, case postale 375, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 4 août 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 22 juillet 2025, notifiée le lendemain, par laquelle le Tribunal de police a refusé d'ordonner une défense d'office en sa faveur.

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et à ce que Me Razi ABDERRAHIM soit désigné à sa défense d'office.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Selon le rapport d'arrestation du 14 mars 2025, A______, de nationalité tunisienne, né en 1981, a été interpellé, le jour même, à la sortie du magasin B______, nos. ______, rue 1______, à Genève, pour un vol à l'étalage.

Il était en possession de deux sacs contenant des habits dérobés dans dit magasin pour une valeur totale de CHF 850.30.

b. Entendu, seul, par la police et le Ministère public, il a reconnu les faits, soutenant avoir agi par nécessité, faute d'avoir les moyens d'acheter des habits. Il a également donné des explications sur sa situation personnelle et sur les médicaments qu'il prenait quotidiennement.

c. Par ordonnance pénale du 15 mars 2025, A______ a été condamné à une peine privative de liberté de 30 jours, pour vol (art. 139 ch. 1 CP).

d. Le 25 mars 2025, sous la plume de son conseil, A______ a formé opposition à l'ordonnance pénale et demandé que Me Razi ABDERRAHIM soit nommé d'office en sa faveur. Il considérait être dans une situation de défense obligatoire dès lors qu'en raison de son état dépressif, il n’était "manifestement" pas apte à défendre seul ses intérêts. À l'appui de sa demande, il a produit notamment l'attestation établie le 20 mars 2025 par sa psychiatre, la Dre C______, qui considérait qu'au vu de son état de santé, une prise en charge par un avocat était "nécessaire et justifiée".

e. Par ordonnance de maintien du 28 mars 2025, le Ministère public a transmis la procédure au Tribunal de police pour qu'il statue sur dite opposition.

f. Par mandat de comparution du 26 juin 2025, le Tribunal de police a convoqué A______ à une audience – appointée au 18 septembre 2025 – afin de l'entendre sur son opposition. Un délai au 17 juillet 2025 était imparti aux parties pour présenter et motiver leurs réquisitions de preuve.

g. Par lettre de son conseil du 17 juillet 2025, A______ a réitéré sa demande d'avocat d'office et sollicité, à titre de réquisitions de preuve, l'audition de sa psychiatre. Il a produit un nouveau certificat médical du 11 juillet 2025. Aux termes de ce document, l'intéressé souffrait de divers problèmes psychiques, notamment liés à son addiction aux psychotropes, qui avaient conduit à plusieurs reprises à son hospitalisation en milieu psychiatrique. Il prenait les médicaments prescrits initialement pour des raisons médicales (crises d'épilepsie et douleurs chroniques) de manière "anarchique", ce qui entrainait des problèmes de dépendance ainsi que, en cas de surdosage, des comportements "inadéquats et discordants, sans discernement". Son état nécessitait un suivi médical régulier et un sevrage progressif afin d'éviter des effets secondaires indésirables.

h. Par courrier du 22 juillet 2025, le Tribunal de police a informé A______, de ce qu'il n'entendait pas donner suite à ses réquisitions de preuve, l'audition de la psychiatre ne se justifiant pas au vu de l’attestation précitée et n'étant pas nécessaire au prononcé du jugement.

i. Relativement à sa situation personnelle et financière, A______, titulaire d'un permis B, est arrivé en Suisse en 2004. Il est marié et père de trois enfants, dont un en bas âge, sans emploi et subvient à ses besoins grâce à l'aide sociale. Sa demande de rente d'invalidité a été acceptée le 26 juin 2025.

À teneur de l’extrait du casier judiciaire suisse, il a été condamné à quatre autres reprises depuis le 5 décembre 2018, les dernières fois les 27 septembre 2024 et 24 janvier 2025 pour vol.

C. Dans la décision querellée, le Tribunal de police retient que le prévenu ne justifiait pas d'un cas de défense obligatoire, aucun élément au dossier ne permettant d'établir qu'il était sous curatelle de portée générale ou incapable de discernement, étant rappelé qu'il s'était exprimé à la police et devant le Ministère public sur les faits reprochés. La cause ne présentait pas de difficultés particulières juridiques ou de fait et le prévenu était donc à même de se défendre efficacement seul. Elle était en outre de peu de gravité et n'exigeait pas la désignation d'un défenseur d'office, dès lors que le prévenu n'était passible que d'une peine privative de liberté maximale de quatre mois ou d'une peine pécuniaire maximale de 120 jours-amende.

D. a. Dans son recours, A______ fait valoir que le Tribunal de police avait constaté les faits de manière incomplète et arbitraire, considérant à tort que l'assistance d'un défenseur n'était pas justifiée, puisqu'il se trouvait dans un cas de défense obligatoire (art. 130 let. c CPP). Il souffrait en effet de troubles psychiques et d'addiction aux psychotropes – attestés par les deux rapports médicaux versés au dossier –. Il était suivi depuis plusieurs années par une psychiatre et le surdosage de ses médicaments pouvait provoquer "une altération de son discernement", ce qui l'empêchait de "saisir pleinement les implications juridiques des faits qui lui [étaient] reprochés" et de défendre, seul, ses intérêts. Par ailleurs, il était indigent et la cause revêtait une certaine complexité justifiant l'intervention d'un défenseur. Enfin, la peine requise (30 jours de peine privative de liberté) était une "peine de gravité relative [devant] être prise en compte en relation avec [ses] difficultés particulières".

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes, voire arbitraires, du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

Partant, ce grief sera rejeté.

4.             Le recourant reproche au Tribunal de police de ne pas avoir mis en œuvre une défense obligatoire.

4.1. Selon l'art. 130 let. c CPP, le prévenu doit avoir un défenseur notamment lorsque, en raison de son état physique ou psychique ou pour d'autres motifs, il ne peut pas suffisamment défendre ses intérêts dans la procédure et ses représentants légaux ne sont pas en mesure de le faire.

4.2. La question de la capacité de procéder doit être examinée d'office (ATF 131 I 350 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_318/2014 du 27 octobre 2014 consid. 2.2). Cependant, des indices de limitation ou d'absence d'une telle capacité doivent exister pour qu'il puisse être attendu de l'autorité qu'elle obtienne des éclaircissements à ce sujet. Une incapacité de procéder n'est ainsi reconnue que très exceptionnellement, soit en particulier lorsque le prévenu se trouve dans l'incapacité de suivre la procédure, de comprendre les accusations portées à son encontre et/ou de prendre raisonnablement position à cet égard (arrêts du Tribunal fédéral 1B_279/2014 du 3 novembre 2014 consid. 2.1.1 in SJ 2015 I p. 172 et 1B_318/2014 du 27 octobre 2014 consid. 2.1; 1B_332/2012 du 15 août 2012 consid. 2.4).

4.3. Selon la doctrine, l'hypothèse prévue à l'art. 130 let. c CPP est notamment réalisée lorsque le prévenu n'est plus à même d'assurer, intellectuellement ou physiquement, sa participation à la procédure, à l'image des cas visés par l'art. 114 al. 2 et 3 CPP (L. MOREILLION / A. PAREIN-REYMOND, Code de procédure pénale – Petit commentaire, Bâle 2025, n. 15 ad art. 130). À titre d'incapacités personnelles, il peut s'agir de dépendances à l'alcool, aux stupéfiants, à des médicaments susceptibles d'altérer les capacités psychiques (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, op. cit., n. 16 ad art. 130; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRäCHTIGER (éds), Strafprozessordnung – Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2ème éd., Bâle, n. 30 ad art. 130). La direction de la procédure dispose d'une marge d'appréciation pour déterminer si le prévenu frappé d'une incapacité personnelle peut suffisamment se défendre ou non ; au vu du but de protection visé par le cas de défense obligatoire, l'autorité devra cependant se prononcer en faveur de la désignation d'un défenseur d'office en cas de doute ou lorsqu'une expertise psychiatrique constate l'irresponsabilité du prévenu, respectivement une responsabilité restreinte de celui-ci (arrêt du Tribunal fédéral 1B_318/2014 du 27 octobre 2014 consid. 2.1).

4.4. En l’occurrence, le recourant soutient ne pas disposer des capacités pour se défendre, seul, au motif que "ses difficultés particulières" entravent son discernement. Il souffrait en effet de problèmes psychiques et d'addiction aux médicaments qu'il prenait de manière désordonnée, ce qui pouvait, en cas de surdosage, altérer son comportement. Il se fondait, en particulier, sur deux rapports médicaux, datés respectivement des 20 mars et 11 juillet 2025, faisant état d'un suivi psychiatrique régulier depuis 2023. Si le premier certificat se limitait à mentionner qu'il avait besoin d'un avocat pour se défendre, le second précisait que son traitement était réévalué avec un sevrage progressif.

Ceci étant – quoi qu'en dise le recourant – les documents précités n'établissent aucunement que les troubles dont il souffre seraient de nature à l'empêcher de saisir les enjeux auxquels il est confronté dans la présente procédure et de participer à celle-ci.

L'intéressé, qui a été entendu, en français, et sans l'assistance d'un conseil, tant à la police que devant le Ministère public, a été capable de s'exprimer de manière cohérente et circonstanciée sur les faits reprochés. Il ne prétend au demeurant pas avoir mal compris certains éléments du dossier ou certaines questions qui lui ont été posées et n'a pas non plus fait mention de problèmes de santé qui l'entraveraient dans sa capacité à se défendre ni qu'il ferait l'objet d'une décision de protection des autorités civiles (mesure de curatelle de portée générale notamment).

Il ne se trouve dès lors pas en situation de défense obligatoire au sens de l'art. 130 let. c CPP.

Le grief est donc rejeté.

5. 5.1. En dehors des cas de défense obligatoire, la direction de la procédure ordonne une défense d'office si le prévenu ne dispose pas des moyens nécessaires et que l'assistance d'un défenseur est justifiée pour sauvegarder ses intérêts (art. 132 al. 1 let. b CPP). Il s'agit de conditions cumulatives (arrêt du Tribunal fédéral 1B_667/2011 du 7 février 2012 consid. 1.2).

5.2. La défense d’office aux fins de protéger les intérêts du prévenu se justifie notamment lorsque l’affaire n’est pas de peu de gravité et qu’elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter
(art. 132 al. 2 CPP). En tout état de cause, une affaire n’est pas de peu de gravité lorsque le prévenu est passible d’une peine privative de liberté de plus de quatre mois ou d’une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende (art. 132 al. 3 CPP).

Les deux conditions mentionnées à l'art. 132 al. 2 sont cumulatives (arrêts du Tribunal fédéral 7B_839/2023 du 26 mars 2024 consid. 2.2 et 1B_229/2021 du 9 septembre 2021 consid. 4.1).

5.3. Pour évaluer si l'affaire présente des difficultés que le prévenu ne pourrait pas surmonter sans l'aide d'un avocat, il y a lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances concrètes. La nécessité de l'intervention d'un conseil juridique doit ainsi reposer sur des éléments objectifs, tenant principalement à la nature de la cause, et sur des éléments subjectifs, fondés sur l'aptitude concrète du requérant à mener seul la procédure (arrêts du Tribunal fédéral 7B_611/2023 du 20 décembre 2023 consid. 3.2.1 et 7B_124/2023 du 25 juillet 2023 consid. 2.1.2).

S'agissant de la difficulté objective de la cause, la jurisprudence impose de se demander si une personne raisonnable et de bonne foi, qui présenterait les mêmes caractéristiques que le requérant mais disposerait de ressources suffisantes, ferait ou non appel à un avocat (ATF 140 V 521 consid. 9.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_257/2013 du 28 octobre 2013 consid. 2.1 publié in SJ 2014 I p. 273). La difficulté objective d'une cause est admise sur le plan juridique lorsque la subsomption des faits donne lieu à des doutes, que ce soit de manière générale ou dans le cas particulier; elle est également retenue, quand il faut apprécier des faits justificatifs ou exclusifs de responsabilité (arrêts 6B_243/2017 du 21 septembre 2017 consid. 2.2 et 1B_66/2017 du 31 mars 2017 consid. 2.1).

Pour apprécier la difficulté subjective d'une cause, il faut aussi tenir compte des capacités du prévenu, notamment de son âge, de sa formation, de sa plus ou moins grande familiarité avec la pratique judiciaire, de sa maîtrise de la langue de la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_257/2013 du 28 octobre 2013 consid. 2.1 publié in SJ 2014 I 273 et les références citées) et des mesures qui paraissent nécessaires, dans le cas particulier, pour assurer sa défense, notamment en ce qui concerne les preuves qu'il devra offrir (ATF 115 Ia 103 consid. 4).

5.4. En l'occurrence, le recourant – dont l'indigence n'est pas discutée – a fait l'objet d'une ordonnance pénale – à laquelle il a formé opposition – le condamnant à une peine privative de liberté de 30 jours, de sorte que la cause est de peu de gravité. En outre, l'infraction en cause est clairement circonscrite et ne présente aucune difficulté de compréhension ou d'application. Lors de ses auditions, même sans l'assistance d'un conseil, il a clairement exposé les raisons pour lesquelles il avait dérobé les habits dans le magasin sans indiquer que des problèmes de santé l'entraveraient dans sa capacité à se défendre. Il ne prétend au demeurant pas avoir mal compris certains éléments du dossier ou certaines questions qui lui ont été posées. À cela s'ajoute qu'il ne saurait prétendre que le déroulement de la procédure pénale et ses enjeux ne lui seraient pas familiers puisqu'il a déjà été condamné à deux reprises pour des faits similaires, la dernière fois en janvier 2025. Enfin, aucun élément du dossier – à teneur des certificats médicaux produits – ne permet de retenir que les problèmes psychiques dont il souffre serait de nature à l'empêcher de procéder seul.

Il s’ensuit que c'est à juste titre que le Ministère public a considéré que les conditions d'une défense d'office n'étaient pas réunies.

6. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours, rejeté.

7. La procédure de recours contre le refus de l'octroi de l'assistance juridique ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 20 RAJ).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Tribunal de police.

Le communique pour information au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Catherine GAVIN et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).