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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/8482/2023

ACPR/351/2024 du 10.05.2024 sur OMP/16921/2023 ( MP ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : PLAIGNANT;INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;GESTION DÉLOYALE
Normes : CPP.382; CPP.385; CP.158

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/8482/2023 ACPR/351/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 10 mai 2024

 

Entre

A______, représentée par Me Daniel TUNIK, avocat, Lenz & Staehelin, route de Chêne 30, case postale 615, 1211 Genève 6,

recourante,

contre l'ordonnance d'acceptation de la qualité de partie plaignante rendue le 12 septembre 2023 par le Ministère public,

et

B______ et consorts, représentés par Mes Didier DE MONTMOLLIN et Gregory VON NIEDERHÄUSERN, DGE Avocats, rue Bartholoni 6, case postale, 1211 Genève 4,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 25 septembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 12 septembre 2023, notifiée le 14 suivant, par laquelle le Ministère public a accepté la qualité de parties plaignantes de C______ TRUST SA (ci-après : C______) et de B______.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance précitée.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 19 avril 2023, B______ a déposé plainte contre "toute personne employée par A______, D______ (BAHAMAS) LTD, A______ TRUST AG et/ou toute autre personne physique ou morale […] impliquée dans les faits pénalement répréhensibles objets de [sa] plainte".

En substance, il a expliqué avoir acquis, au fil des années, un nombre important d'actions de la société américaine E______ INC. (ci-après : E______) par l'intermédiaire d'une banque jordanienne. Client de la filiale genevoise de A______, cette dernière lui avait proposé, en 2011, de transférer ses actions sur un compte à ouvrir auprès de ladite banque, en vue de les utiliser comme gages dans le cadre de crédits lombards. La structure de détention de ses avoirs – conçue par la banque – passait par E______/1______ TRUST, un trust de droit bahaméen géré par A______ TRUST AG, à F______ (Liechtenstein), et qui était propriétaire de la société bahaméenne G______ LIMITED (ci-après : G______), elle-même gérée par D______ (BAHAMAS) LIMITED, filiale de la banque. G______ avait ainsi détenu 175'000 actions E______ dans le cadre de la relation bancaire 2______ auprès de A______. Bien que consciente que lesdites actions devaient lui garantir une sécurité financière à long terme, la banque lui avait proposé des produits financiers "toxiques" mettant en péril le cœur de son patrimoine, sans tenir compte de ses intérêts ni déterminer son expérience et ses connaissances en matière financière. Le 18 décembre 2018, il avait reçu un premier appel de marges, honoré grâce au prêt d'un ami, la liquidation de ses titres E______ étant pour lui exclue. Le 13 mars 2020, en raison de la baisse de la valeur de son portefeuille, la banque lui avait adressé un nouvel appel de marges, qu'il n'était pas parvenu à honorer, ce qui avait conduit à la liquidation de son portefeuille. Durant cette période, le trustee, qui recevait annuellement les états financiers de G______, n'avait jamais contesté la gestion "catastrophique" de ses avoirs, en raison du conflit d'intérêts lié à son appartenance au groupe A______. À la fin du mois de mars 2023, C______ avait remplacé A______ TRUST AG comme trustee de E______/1______ TRUST.

b. Le même jour, G______ et C______ ont également déposé plainte contre "toute personne employée par A______, D______ (BAHAMAS) LTD, A______ TRUST AG et/ou toute autre personne physique ou morale […] impliquée dans les faits pénalement répréhensibles objets de [la] plainte", reprenant les développements de la plainte de B______.

c. Invitée à se déterminer sur les trois plaintes susmentionnées, A______ a, le 31 mai 2023, requis du Ministère public qu'il rende une ordonnance de non-entrée en matière, exposant en substance que B______ disposait de vastes connaissances en matière financière et était conscient des risques élevés induits par les opérations litigieuses, effectuées sur ses instructions.

d. Le 22 juin 2023, le Ministère public a invité les parties à se déterminer sur la qualité de partie plaignante de B______ et de C______, seule G______ paraissant, selon lui, être directement lésée par les infractions dénoncées.

e.a. Par courrier du 12 juillet 2023, A______ a confirmé que la titulaire de la relation bancaire 2______ était G______. E______/1______ TRUST, actionnaire de cette dernière, et B______, ayant droit économique, n'étaient pas susceptibles d'être touchés directement par les faits dénoncés.

e.b. Par courrier du 12 juillet 2023, G______, C______ et B______, par leur conseil commun, ont indiqué que B______ avait été approché par un employé de la banque pour y transférer le portefeuille E______ qu'il détenait en son nom propre, de sorte qu'il était également lésé. Par ailleurs, en sa qualité de trustee, C______ devait également être considérée comme lésée. Enfin, la question de la qualité de partie plaignante de B______ et de C______ pouvait rester indécise à ce stade puisqu'il était "incontestable" que G______ revêtait cette qualité.

f. Le 12 septembre 2023, le Ministère public a ouvert une instruction pour gestion déloyale (art. 158 CP) contre inconnu, en lien avec les faits dénoncés le 19 avril 2023 par B______, C______ et G______ dans leurs plaintes, mettant en cause la gestion de leurs avoirs par A______, D______ (BAHAMAS) LTD et A______ TRUST AG, non conforme à leurs instructions.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que les faits présentés dans la plainte pénale, qui avaient trait à la potentielle gestion déloyale des avoirs déposés sur la relation bancaire 2______ dont était titulaire G______, étaient susceptibles de conférer à cette dernière la qualité de partie plaignante. S'agissant de C______, qui avait, comme trustee, succédé à A______ TRUST AG, juridiquement tenue de gérer les biens de E______/1______ TRUST, propriétaire de G______, elle pouvait revêtir la qualité de partie plaignante dans la mesure où les avoirs déposés par G______ auprès de la banque lui avaient été confiés par le précédent trustee. Enfin, la qualité de partie plaignante devait également être reconnue à B______, en sa qualité de bénéficiaire de E______/1______ TRUST.

D. a. Dans son recours, A______ expose, à titre liminaire, que l'action pénale était ouverte "à son encontre" et disposer ainsi, en tant que mise en cause, d'un intérêt juridiquement protégé à contester l'élargissement du cercle des parties plaignantes. Sur le fond, G______, seule titulaire du patrimoine atteint, subissait un dommage direct, à l'exclusion des actionnaires, tel C______, ou des ayant droits économiques, comme B______. L'ordonnance entreprise confondait les reproches liés à la gestion des avoirs bancaires, adressés à la banque, avec ceux dirigés contre l'ancien trustee, A______ TRUST AG, limités à une "inaction" alléguée, sans élément susceptible de constituer l'infraction de gestion déloyale. Or, les plaintes pénales visaient essentiellement la vente de produits prétendument toxiques par A______ à G______, A______ TRUST AG n'étant dans ce cadre évoqué que de façon marginale. L'absence de reproches de nature pénale à l'encontre de l'ancien trustee impliquait que les bénéficiaires du trust ne pouvaient se prévaloir de la qualité de lésés.

b. Dans ses observations, le Ministère public s'en rapporte à justice s'agissant de la recevabilité du recours et conclut, sur le fond, au rejet de celui-ci, se référant au contenu de l'ordonnance entreprise.

c. Dans leurs déterminations, B______, C______ et G______ concluent, sous suite de frais et dépens, à l'irrecevabilité du recours de A______ et, subsidiairement, à son rejet. Ils font valoir que la banque n'était pas partie à la procédure et ne disposait donc d'aucun intérêt juridiquement protégé à l'annulation de l'ordonnance entreprise. En ce qui concernait sa qualité de partie plaignante, B______ avait été le settlor et le bénéficiaire du trust actionnaire de G______. Or, la banque avait établi une structure complexe, caractérisée par des conflits d'intérêts, dans le but d'échapper à tout contrôle efficace. Le trustee étant, par sa passivité et en raison de ses liens avec la banque, impliqué dans la commission des infractions dénoncées, B______ était lésé en sa qualité de bénéficiaire du trust. C______ était également lésée en sa qualité de trustee de E______/1______ TRUST, ayant eu la responsabilité de la gestion des biens du trust, qui comprenaient la société G______.

d. Dans sa réplique, A______ soutient que malgré le fait que l'action pénale n'était pas formellement ouverte contre elle, les plaignants visaient "indiscutablement" un tel résultat, elle-même étant l'employeur de la structure au sein de laquelle les agissements dénoncés auraient eu lieu. Par ailleurs, son intérêt juridiquement protégé consistait à empêcher une collecte d'informations en vue de prétentions relevant des instances civiles.

 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1, 90 al. 2 et 396 al. 1 CPP) et concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

1.2. L'art. 382 al. 1 CPP soumet la qualité pour recourir à l'existence d'un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de la décision litigieuse.

1.2.1. Le recourant est tenu d'établir (cf. art. 385 CPP) l'existence d'un tel intérêt, en particulier lorsque celui-ci n'est pas d'emblée évident (arrêt du Tribunal fédéral 1B_304/2020 du 3 décembre 2020 consid. 2.1).

1.2.2. Un tel intérêt doit être actuel et pratique (arrêt du Tribunal fédéral 1B_304/2020 précité consid. 2.1). L'existence d'un intérêt de pur fait ou la simple perspective d'un intérêt juridique futur ne suffit pas. Une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision ne possède donc pas la qualité pour recourir et son recours est irrecevable (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1).

La Chambre de céans se prononce au cas par cas sur la recevabilité du recours exercé par un prévenu contre l'admission d'une partie plaignante (ACPR/817/2022 du 21 novembre 2022 consid. 2.2.2). Ainsi entre-t-elle en matière lorsque des inconvénients juridiques pourraient en résulter pour le prévenu, par exemple lorsqu'il s'agit de protéger des secrets d'affaires (ACPR/190/2020 du 11 mars 2020; ACPR/462/2019 du 20 juin 2019; ACPR/174/2019 du 6 mars 2019).

Le prévenu se doit de démontrer que, si la partie plaignante était écartée de la procédure, celle-ci s'en trouverait considérablement simplifiée, dans son intérêt (juridiquement protégé). Si on admet que la situation du prévenu puisse être péjorée par la présence d'une partie plaignante autorisée à exercer ses droits procéduraux, à prendre des conclusions, tant civiles que pénales, contre lui et à faire appel d'un éventuel acquittement, il n'en demeure pas moins que de simples inconvénients de fait, tels que l'allongement de la procédure et/ou l'augmentation de son degré de complexité, ne suffisent pas (ACPR/369/2016 du 16 juin 2016).

Les circonstances pouvant néanmoins entrer en ligne de compte sont, notamment, la présence à la procédure d'autres parties plaignantes dont le statut n'est pas ou plus remis en question, voire le mode de poursuite – d'office ou sur plainte – des infractions dont la partie plaignante se prévaut (ACPR/258/2021 du 20 avril 2021 ; ACPR/302/2018 du 31 mai 2018, confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_317/2018 du 12 décembre 2018 ; ACPR/407/2019 du 4 juin 2019, confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_334/2019 du 6 janvier 2020).

1.3. En l'espèce, la recourante n'explique pas quel intérêt juridiquement protégé serait atteint par la décision attaquée et comment la participation des deux plaignants dont elle conteste la qualité serait de nature à influencer le sort de la cause.

D'une part, l'infraction pour laquelle la qualité de partie plaignante a été reconnue aux intimés (gestion déloyale) se poursuit d'office, ce qui atténue sensiblement le rôle d'accusateur privé que pourraient jouer ces derniers. D'autre part, la recourante ne conteste pas la qualité de partie plaignante de la société propriétaire du portefeuille anciennement géré par elle. Or, cette société et le nouveau trustee sont de facto contrôlés par l'intimé bénéficiaire du trust dont la qualité de partie plaignante est contestée. Le trustee et le bénéficiaire du trust ont d'ailleurs constitué le même avocat et déposé les mêmes écritures que la plaignante dont la qualité de partie n'est pas contestée. Même à supposer que la procédure pénale pût contenir des éléments confidentiels que la recourante aurait intérêt à ne pas voir divulgués aux deux intimés – ce qu'elle n'allègue pas –, l'admission comme partie plaignante de la société propriétaire des biens lésés enlèverait tout intérêt actuel et pratique à la recourante à soustraire à la connaissance des intimés, qui contrôlent ladite société, le contenu de la procédure.

Il s'ensuit que la qualité pour agir, au sens de l'art. 382 al. 1 CPP, doit être déniée à la recourante.

2.             Au vu de ce qui précède, le recours sera déclaré irrecevable.

3.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

4.             Les intimés, parties plaignantes qui obtiennent gain de cause, ont requis l'octroi de dépens.

4.1. Les prétentions en indemnité dans les procédures de recours sont régies par les art. 429 à 434 CPP (art. 436 al. 1 CPP). À teneur de l'art. 433 al. 2 CPP, la partie plaignante adresse ses prétentions à l'autorité pénale ; elle doit les chiffrer et les justifier. Si elle ne s'acquitte pas de cette obligation, l'autorité pénale n'entre pas en matière sur la demande.

4.2. En l'espèce, les intimés n'ont ni chiffré ni justifié l'indemnité requise, de sorte qu'il ne sera pas entré en matière sur leur requête.

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Déclare le recours irrecevable.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante et aux intimés, soit pour eux leurs conseils respectifs, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Mesdames Corinne CHAPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges ; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/8482/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'405.00

Total

CHF

1'500.00