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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3915/2024

ATA/362/2025 du 01.04.2025 ( AIDSO ) , REJETE

Descripteurs : ASSISTANCE PUBLIQUE;PRESTATION D'ASSISTANCE;AIDE FINANCIÈRE;BÉNÉFICIAIRE DE PRESTATIONS;ENQUÊTE(EN GÉNÉRAL);DOMICILE;CONCUBINAGE
Normes : Cst; LPA.31.letf; LASLP.81.al1; Cst; Cst-GE.39; LIASI.1.al1; LIASI.1.al2; LIASI.9.al1; LIASI.9.al2; LIASI.13; CC.159.al3; LIASI.32.al1; LIASI.33.al1; LIASI.35.al1; LIASI.7
Résumé : Enquêtes domiciliaires ensuite de suspicions de concubinage avec l'ex-épouse du recourant. Décision de l'Hospice général refusant d'octroyer une aide financière pour personne seule confirmée, car un faisceau d’indices convergents permettait de retenir que les ex-époux ainsi que leurs deux enfants communs formaient un groupe familial. L'intimé a donc, à juste titre, tenu compte du groupe familial comme unité économique de référence pour déterminer le montant de l'aide sociale. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3915/2024-AIDSO ATA/362/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er avril 2025

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Sarah BRAUNSCHMIDT SCHEIDEGGER, avocate

contre

HOSPICE GÉNÉRAL intimé

 



EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1975, et B______, née le ______ 1979, bénéficient de l'aide financière de l'Hospice général (ci‑après : l'hospice) depuis le 1er octobre 2024, sur la base de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04). Cette aide financière est accordée pour leur groupe familial composé d'eux-mêmes et de leurs deux enfants, C______ et D______.

Ils ont bénéficié de l'aide sociale pour un montant total de CHF 4'825.75 au 3 janvier 2025.

b. A______ et B______ se sont mariés le 23 décembre 1999. Durant leur union, ils ont eu leur premier fils, C______, né le ______ 2005.

Les époux ont divorcé le 24 février 2017. Ils ont convenu d'une garde partagée sur leur enfant et aucune contribution d'entretien n'a été fixée. Leur second fils, D______, est né le ______ 2019.

c. D'après la base de données « Calvin » de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), A______ a été domicilié à E______ (4, rue des F______) du 1er février 2005 au 20 décembre 2022, puis à G______ (183A, route de H______) depuis cette date, B______ a été domiciliée à E______ (4, rue des F______) du 1er février 2005 au 1er août 2021, puis à G______ (c/o A______, 183A, route de H______) depuis lors, et C______ et D______ ont quitté l'adresse de E______ pour celle de G______ en même temps que leur mère.

d. Le 12 avril 2022, A______ a été victime d'un grave accident de circulation, à la suite duquel il s'est retrouvé sans ressources financières. Il ne pouvait, de surcroît, plus assumer sa part de la garde des enfants.

e. Il est toujours en incapacité complète de travail.

B. a. En mai 2023, A______ a déposé une première demande de prestations d'aide sociale financière au centre d'action sociale (ci-après : CAS) des I______ de l'hospice. Il a barré la rubrique « Données personnelles du conjoint/ concubin/partenaire en ménage commun » et indiqué que son ex-épouse habitait à E______, alors que leurs fils vivaient avec lui à G______.

b. Le même jour, il a signé le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l'Hospice général », confirmant notamment avoir pris acte de la subsidiarité des prestations d'aide financière versées par l'hospice, devoir tout mettre en œuvre pour améliorer sa situation sociale et financière, et donner immédiatement et spontanément à l'hospice tout renseignement et toute pièce nécessaires à l'établissement de sa situation personnelle, familiale et économique tant en Suisse qu'à l'étranger, en particulier toute information sur toute forme de revenu ou de fortune.

Il a également transmis un aperçu caviardé de transactions bancaires pour la période du 30 janvier 2023 au 16 mai 2023.

c. Le service des enquêtes et conformités (ci-après : SEC) de l'hospice a procédé à une enquête, de laquelle il ressort notamment qu'un « cohabitant non déclaré » était enregistré selon l'OCPM à l'adresse de son domicile depuis le 1er août 2021, à savoir son ex-épouse.

d. Un « contrôle terrain » a mis en évidence que le 6 juin 2023, les noms « A______ » et « B______ » figuraient sur la boîte aux lettres, ainsi que l'inscription « Famille A______ » sur la porte palière. A______ avait déclaré que son fils aîné occupait une chambre, et lui-même une autre avec son fils cadet. Au vu de ses problèmes physiques, son ex-épouse venait régulièrement dans le logement. Elle dormait dans une chambre d'amis sous les combles lorsqu'elle avait des gardes à l'hôpital et vivait à E______ autrement. Il n'avait pas été possible d'accéder à la chambre d'amis, ni d'identifier à qui appartenaient les vêtements dans les chambres en raison du désordre dans le logement.

e. Le recourant a été invité à fournir des preuves du fait que son ex-épouse ne vivait pas avec lui, mais n'a plus donné de nouvelles. Son dossier a été clôturé.

f. En mai 2024, A______ a déposé une seconde demande de prestations à l'hospice. Il a déclaré que B______ était domiciliée à la même adresse que lui, en précisant comme lien « Autre personne, parente ou liée ». Il a joint à sa demande son contrat de bail du 18 juillet 2017 ainsi qu'un extrait de son compte bancaire faisant apparaître un solde négatif de CHF 9'763.44 au 13 mai 2024.

g. Un nouveau « contrôle terrain » a été effectué le 29 mai 2024 en présence de A______, de ses deux enfants, ainsi que de son ex-épouse. L'intéressé a déclaré vivre avec ces derniers, la présence de son ex-épouse au sein du domicile se justifiant par l'aide quotidienne qu'elle lui apportait à la suite de son accident. Il a expliqué que cette dernière occupait une chambre avec leur fils cadet, et lui-même une autre. Son fils aîné dormait sur le canapé du salon ou sur un lit situé dans le grenier en fonction des températures. Des affaires personnelles de A______ se trouvaient rangées dans une armoire de la chambre où dormait B______, séparées des affaires personnelles de celle-ci. Le SEC a conclu que compte tenu des constatations effectuées lors de la visite domiciliaire, il n'était « pas en mesure d'attester formellement de la relation entre l'usager et son ex‑épouse».

h. Le 11 juin 2024, A______ a prié le CAS des I______ de rendre urgemment une décision sur son droit aux prestations au sens de la LIASI. Il expliquait se trouver dans une situation financière inextricable ensuite de l'accident dont il avait été victime et invoquait son droit à des conditions minimales d'existence. Il réitérait qu'il ne formait plus un couple avec B______, avec qui il cohabitait pour des raisons pratiques et financières liées à l'accident « et non pour des motifs sentimentaux ».

i. L'hospice lui a répondu que « les ex-époux qui ont un domicile commun sont assimilés à des concubins ». Son dossier était toujours en cours d'évaluation et en attente des documents relatifs à la situation de B______.

j. Le recourant a déposé différents documents concernant son ex-épouse.

k. Par décision du 2 juillet 2024, le CAS des I______ a considéré que A______ pouvait prétendre à des prestations pour couple et non à des prestations pour personne seule, dès lors qu'il formait un couple de concubins avec son ex‑épouse. La situation serait ainsi évaluée pour l'ensemble du groupe familial si sa concubine transmettait les derniers documents manquants à cet effet. Par ailleurs, le CAS des I______ informait l'intéressé que la situation de la famille pouvait remplir les critères des prestations complémentaires familiales auprès du service des prestations complémentaires et l'invitait à déposer une demande en ce sens.

l. A______ a formé opposition à l'encontre de cette décision, concluant à son annulation ainsi qu'à l'octroi des prestations dues à un adulte vivant seul, avec une obligation d'entretien envers ses enfants et partageant son loyer avec un tiers. Il a remis à l'hospice une nouvelle demande de prestations cosignée avec son ex-épouse en tant que « concubine », précisant que cette signature ne valait pas reconnaissance d'un éventuel concubinage ou de l'existence d'un « groupe familial » au sens formel.

m. Par décision du 24 octobre 2024, déclarée exécutoire nonobstant recours, le directeur de l'hospice a rejeté son opposition et confirmé la décision du CAS des I______ du 2 juillet 2024 en tant qu'elle refusait de lui octroyer une aide financière pour une personne seule.

C. a. Par acte du 25 novembre 2024, A______ a formé recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation, à ce qu'il soit constaté qu'il était une personne seule au sens de la LIASI et, par conséquent, à ce que l'intimé soit condamné à statuer sur son droit aux prestations comme une personne seule. Il sollicitait son audition ainsi que celle de témoins, notamment de son ex-épouse.

Leur second fils était issu de « retrouvailles d'un soir » et il n'avait jamais été question pour les parents de redevenir un couple. Ceux-ci avaient continué à vivre séparés tout en s'aidant dans l'éducation des enfants et le quotidien, notamment durant les premières années de D______. Le domicile principal de son ex-épouse se trouvait dans un premier temps toujours à E______, celle-ci faisant des allers-retours avec son domicile à G______. La décision de la mère de ses enfants de changer son adresse officielle à G______ avait uniquement pour but que l'ensemble des documents administratifs de la famille arrive au même endroit, l'adresse officielle des enfants s'y trouvant déjà. Il n'y avait ni ménage commun, compte commun ou projets d'avenir communs, ni partage de revenus ou de vie intime. C'était à la suite du grave accident dont il avait été victime et compte tenu des très nombreuses limitations dont il avait souffert que son ex‑épouse avait emménagé avec lui et intensifié leur cohabitation, afin de lui prêter main-forte, de gérer les documents administratifs et de permettre aux enfants de continuer à avoir des contacts avec leur père. Une demande auprès de l'assurance-invalidité était en cours. Il avait vécu sur ses économies, sollicité des prêts privés et obtenu le versement d'un acompte de l'assurance du responsable de l'accident. Privé de revenus depuis le jour de l'accident, il s'était finalement résolu à solliciter une aide financière de l'hospice. Malgré l'aide concrète de son ex‑épouse, fournie sans obligation légale d'entretien à son égard et alors qu'elle devait également assumer entièrement les charges des enfants, le loyer de son appartement avait connu de nombreux mois d'impayés, pour lesquels une demande de fonds avait été effectuée. B______ avait en outre perdu son emploi. En raison de revenus diminués, elle avait dû se résoudre à résilier le bail de son appartement à E______ pour limiter les charges financières, tout en prenant en charge ses frais. Cette « communauté de vie et d'intérêts financiers » n'avait toutefois jamais été souhaitée, de sorte qu'il contestait l'existence d'un concubinage.

b. L'hospice a conclu au rejet du recours. Il relevait de nombreux éléments au dossier qui tendaient à démontrer que A______ et B______ étaient effectivement concubins, ainsi que des contradictions dans les déclarations du recourant qui permettaient de douter de la fiabilité de ses propos relatifs à leur relation.

c. Le recourant a sollicité une prolongation de délai pour répliquer, mais n'a pas fait usage de son droit dans le délai prolongé.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le recourant sollicite son audition ainsi que celle de témoins, notamment de son ex‑épouse.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l’espèce, le recourant a pu se prononcer par écrit devant la chambre de céans. Il n'explique pas en quoi son audition ou celle de son ex-épouse permettrait d'apporter un quelconque élément décisif qu'il n'aurait pas pu produire par écrit. L'intéressé n'a d'ailleurs pas fait usage de son droit à la réplique à la suite des observations formulées par l'hospice, alors même qu'il a sollicité une prolongation de délai pour ce faire. Son ex-épouse ne pourrait par ailleurs être entendue qu'à titre de renseignement (art. 31 let. f LPA). Vu la proximité de l'intérêt dans la cause, sa déposition n'aurait une force probante que relative. Pour le surplus, la chambre de céans dispose d'un dossier complet qui lui permet de statuer en connaissance de cause.

Il s'ensuit que sa demande d'auditions sera rejetée.

3.             Se pose la question du droit matériel applicable à la présente cause.

3.1 Le 1er janvier 2025 sont entrés en vigueur la loi sur l’aide sociale et la lutte contre la précarité du 23 juin 2023 (LASLP - J 4 04) et son règlement d’application (RASLP - J 4 04.01), abrogeant la LIASI et son règlement d’application (RIASI - J 4 04.01).

La LASLP s’applique dès son entrée en vigueur à toutes les personnes bénéficiant des prestations prévues par la LIASI (art. 81 al. 1 LASLP). Les demandes déposées avant le 1er janvier 2025 sont régies par l’ancien droit (ATA/137/2025 du 4 février 2025 consid. 3.1). Il doit en aller de même pour les demandes de remboursement rendues avant l’entrée en vigueur du nouveau droit.

3.2 En l’espèce, les décisions ont été rendues en 2024, si bien que c’est la LIASI et le RIASI qui trouvent à s’appliquer.

4.             Le litige porte sur le refus de l'intimé d'octroyer au recourant une aide financière pour personne seule, au motif que ce dernier vivait en concubinage avec son ex‑épouse.

4.1 Aux termes de l’art. 12 Cst., quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. L’art. 39 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) contient une garantie similaire.

4.2 En droit genevois, la LIASI et le RIASI concrétisent ces dispositions constitutionnelles, en ayant pour but de prévenir l’exclusion sociale et d’aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1 LIASI). La loi vise à garantir à ceux qui se trouvent dans la détresse matérielle et morale des conditions d’existence conformes à la dignité humaine (art. 1 al. 2 2e phr. LIASI).

4.3 Les prestations d'aide financière versées en vertu de la loi sont subsidiaires à toute autre source de revenu, aux prestations découlant du droit de la famille, ainsi qu'à toute autre prestation à laquelle le bénéficiaire et les membres du groupe familial ont droit (art. 9 al. 1 LIASI). Le bénéficiaire et les membres du groupe familial doivent faire valoir sans délai leurs droits auxquels l'aide financière est subsidiaire et doivent mettre tout en œuvre pour améliorer leur situation sociale et financière (art. 9 al. 2 LIASI).

4.4 Sous l'intitulé « Unité économique de référence », l'art. 13 LIASI précise que les prestations d'aide financière sont accordées au demandeur et au groupe familial dont il fait partie (al. 1). Le groupe familial est composé du demandeur, de son conjoint, concubin ou partenaire enregistré vivant en ménage commun avec lui, et de leurs enfants à charge (al. 2). Sont des concubins au sens de la loi les personnes qui vivent en union libre, indépendamment de la durée de leur union et du fait qu'ils aient un enfant commun (al. 4).

4.5 Selon la jurisprudence, sous réserve du critère de la durée qui n'est pas pertinent dans le cadre de la LIASI, cette définition correspond pour l'essentiel à celle du concubinage stable que donne, en matière de droit privé, le Tribunal fédéral (ATA/251/2024 du 27 février2024 consid. 3.3). Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il faut entendre par concubinage qualifié (ou concubinage stable) une communauté de vie d'une certaine durée entre deux personnes, à caractère en principe exclusif, qui présente une composante tant spirituelle que corporelle et économique, et qui est parfois également désignée comme communauté de toit, de table et de lit. Le juge doit dans tous les cas procéder à une appréciation de tous les facteurs déterminants, étant précisé que la qualité d'une communauté de vie s'évalue au regard de l'ensemble des circonstances de la vie commune (ATF 138 III 157 consid. 2.3.3 ; 118 II 235 consid. 3b). Ces différentes caractéristiques n'ont pas à être réalisées cumulativement. Il n'est en particulier pas nécessaire que les partenaires vivent constamment ensemble ou que l'un des deux soit constamment assisté par l'autre de manière significative. Ce qui est déterminant, c’est de savoir si, sur la base d’une appréciation de toutes les circonstances, les deux partenaires sont disposés à se prêter mutuellement fidélité et assistance comme l’art. 159 al. 3 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) l’exige des époux (ATF 138 V 86 consid. 4.1).

4.5.1 Dans un arrêt de 2017, la chambre de céans a retenu que l’instruction menée ne permettait pas de tenir un concubinage pour établi à satisfaction de droit. L’audition du recourant et celle de son ex-compagne, ainsi que les pièces produites, permettaient de mieux comprendre leur passé respectif empreint de problèmes d’addiction, les circonstances dans lesquelles ils s’étaient connus et fréquentés puis séparés dans les années qui avaient précédé le litige. Elle permettait également d’admettre qu’entre eux, des liens affectifs et de solidarité importants aient pu subsister nonobstant leur séparation, qui avaient pu faire que son ex-compagne ait pu naturellement accepter d’abriter le recourant dans son appartement exigu, sans que cela implique qu’ils aient repris une vie commune et qu’ils doivent ainsi être considérés comme des concubins au sens de l’art. 13 al. 1 LIASI. Le témoignage d’une voisine, affirmant l’existence d’un concubinage sur la base d’une appréciation extérieure et les éléments rapportés par l’enquêteur de l’hospice cédaient le pas devant les explications plausibles de l’ex-compagne du recourant, sur les circonstances dans lesquelles elle l’avait accueilli comme un ami ou un frère, tandis qu’elle-même entretenait une relation affective avec une tierce personne. À tout le moins au bénéfice du doute, la version du recourant était retenue.

4.5.2 Dans un arrêt du 23 février 2021 (ATA/195/2021), la chambre de céans a retenu que le concubinage était avéré. Il ressortait de l’instruction devant la chambre de céans et des pièces versées au dossier que le recourant n’avait ni bail à loyer ni domicile fixe depuis plusieurs années. Il trouvait, depuis cette époque, des solutions de logement au gré des possibilités, dormant alternativement chez son ex-femme, chez sa mère, chez sa fille, chez des amis pouvant l’héberger, voire parfois dans sa voiture. Une personne entendue en qualité de témoin avait offert de l’héberger à compter de l’automne 2017. Si, au début, il était établi que, notamment compte tenu du fils de la témoin, l’intéressé ne séjournait pas quotidiennement chez cette dernière, celle-ci avait indiqué que dès 2018, il avait commencé « petit à petit à être là tout le temps ou presque », le recourant ayant les clefs de l’appartement. Si, certes, la personne entendue n’assumait aucune charge financière pour le recourant, force était de constater que, pour la période litigieuse, soit le printemps 2019, elle l’hébergeait « presque tout le temps », lui offrant ainsi un toit. Les intéressés partageaient leur table, le recourant participant à l’achat de la nourriture. La personne entendue avait par ailleurs parlé d'un système « donnant-donnant » par lequel le recourant lui rendait service, notamment en faisant les courses et le ménage ou en s’occupant du jardin. Par ailleurs, outre fournir le toit, elle avait soutenu moralement et administrativement le recourant. Il avait été intégré à sa cellule familiale et avait ainsi entretenu de bonnes relations avec le fils de la personne entendue. La relation entre les intéressés avait perduré pendant de nombreux mois et plaidait en faveur du concubinage. Autre était la question de l’intention des intéressés à « former un couple », tous deux se qualifiant d’« amants ». Certes, ils indiquaient ne pas avoir eu l’intention de vivre en couple, la personne entendue ajoutant que sa relation ne ressemblait pas à celle vécue précédemment, pendant 25 ans, et n’avoir jamais voulu que la situation s’éternise. Cet élément concrétisait toutefois la communauté de lit, contrairement notamment à la jurisprudence précitée. Dans ces conditions, la réalité de la communauté de toit, de table et de lit vécue pendant la période litigieuse par les intéressés était établie au sens de l’art. 13 al. 4 LIASI, ceux-ci entretenant de vrais rapports humains allant au-delà d'une relation purement sexuelle (ATF 109 II 15 consid. 1c).

4.5.3 Dans un arrêt du 12 juillet 2022 (ATA/728/2022), la chambre de céans a retenu que l’union libre n’était pas avérée et que l’art. 13 al. 4 LIASI ne trouvait donc pas application. Il n’était en particulier pas avéré que les intéressés partageaient des liens affectifs, spirituels ou corporels. Plaidait en faveur d’une relation de concubins, la communauté de table et de toit. Les personnes concernées partageaient leurs repas, cuisinaient en commun, se répartissaient les courses et vivaient ensemble depuis plus de deux ans dans un espace de 20 m2. Ils partageaient des soins attentifs à leur animal domestique et étaient présents l’un pour l’autre en cas de difficultés médicales. Les déclarations de l’enquêteur semblaient plaider en faveur d’un concubinage mais devaient, dans ce cas d’espèce, être relativisées. Plaidait en faveur d’une colocation le fait que les intéressés avaient déjà vécu sous ce statut pendant dix mois sans que cela soit remis en cause par l’hospice qui en avait été tout de suite informé. La recourante, qui contestait vivre en concubinage, payait une participation au loyer à la personne qui vivait avec elle dans le studio qui comportait deux endroits pour dormir. Quel que soit l’interlocuteur, la recourante avait systématiquement indiqué qu’elle n’était pas en couple.

4.5.4 Dans un arrêt plus récent du 7 mars 2023 (ATA/218/2023), les intéressés logeaient dans deux chambres d'hôtel voisines. Après audition de plusieurs témoins, notamment du réceptionniste et d'un agent de propreté de l'établissement, la chambre de céans avait retenu que le concubinage n'était pas établi.

4.6 Le demandeur doit fournir gratuitement tous les renseignements nécessaires pour établir son droit et fixer le montant des prestations d'aide financière (art. 32 al. 1 LIASI). Le bénéficiaire doit immédiatement déclarer à l’hospice tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant des prestations d’aide financière qui lui sont allouées ou leur suppression (art. 33 al. 1 LIASI ; ATA/1263/2024 du 29 octobre 2024 consid. 4.3 ; ATA/971/2024 du 20 août 2024 consid. 2.7).

Le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l’Hospice général » concrétise l’obligation de collaborer et de renseignement. Il atteste notamment du fait que le bénéficiaire a été informé du caractère subsidiaire des prestations d’aide financière exceptionnelle et du fait que des prestations sociales ou d’assurances sociales ne peuvent se cumuler avec les prestations d’aide financière dont elles doivent être déduites (ATA/219/2025 du 4 mars 2025 consid. 4.6 ; ATA/1231/2022 du 6 décembre 2022 consid. 4c).

4.7 Les prestations d'aide financière peuvent être réduites, suspendues, refusées ou supprimées (art. 35 al. 1 LIASI), notamment dans les cas suivants : le bénéficiaire ne répond pas ou cesse de répondre aux conditions de la loi (let. a) ; le bénéficiaire, intentionnellement, ne s'acquitte pas de son obligation de collaborer telle que prescrite par l'art. 32 LIASI (let. c) ; le bénéficiaire refuse de donner les informations requises (art. 7 et 32 LIASI), donne des indications fausses ou incomplètes ou cache des informations utiles (let. d).

4.8 En l'espèce, le recourant conteste former un couple de concubins avec son ex‑épouse et s'oppose, pour ce motif, à la qualification de groupe familial. Il invoque des circonstances particulières l'ayant conduit à partager son domicile avec elle et, en particulier, se réfère à la conclusion du « contrôle terrain » du 29 mai 2024, selon laquelle le SEC n'était pas en mesure d'attester formellement de la relation entre les ex-époux compte tenu des constatations effectuées lors de la visite domiciliaire.

Quoi qu'en dise l'intéressé, qui prétend qu'il ne ressort « strictement rien de probant ou d'utile » du rapport d'enquête pour apprécier l'existence d'un concubinage, il existe un faisceau d'indices convergents au dossier.

Le recourant reconnaît que ses déclarations ont pu parfois paraître confuses, voire contradictoires. Il se prévaut de ce qu'il n'est « pas facile d'expliquer une situation particulière » comme la sienne, sans toutefois exposer en quoi les particularités de sa situation l'auraient empêché de fournir des déclarations cohérentes tout au long de la procédure.

Il ressort du registre de l'OCPM que les ex-époux n'ont pas eu de domiciles séparés après le prononcé de leur divorce en 2017. Ce n'est pas à la suite de la naissance de leur second enfant en 2019, comme le recourant l'explique, qu'il aurait occasionnellement partagé son domicile avec la mère de son fils afin que ce dernier puisse « passer du temps avec ses deux parents ». Les intéressés ont, au contraire, maintenu un domicile commun et avaient toujours, au moment de cette naissance, le même domicile légal à E______. Ainsi, les explications du recourant faisant état de « retrouvailles d'un soir » dont serait issu l'enfant, sans que le couple se soit reformé, apparaissent peu crédibles.

De surcroît, les déclarations du recourant sont incohérentes avec les pièces du dossier. Bien que celui-ci affirme que ces éléments sont « établis », ce n'est pas non plus après son accident que son ex-épouse a emménagé dans son logement. Les inscriptions auprès de l'OCPM datent plutôt la domiciliation de celle-ci à G______ dès 2021, avec leurs deux enfants, tandis que celui-ci a modifié son adresse officielle pour celle de G______ en décembre 2022, postérieurement à son accident. La domiciliation des enfants avec leur mère semble également confirmée par la déclaration du recourant selon laquelle, en raison des conséquences de l'accident, il s'est trouvé dans l'impossibilité de « recevoir ses enfants à son domicile ». Alors que le recourant était encore officiellement domicilié à E______, une copie de la lettre de transfert des soins aigus des HUG lui a été adressée à G______ le 4 mai 2022. L'incohérence de ses déclarations, cumulée à l'incohérence des pièces, contribue au faisceau d'indices.

Par ailleurs, le nom de l'ex‑épouse apparaissait sur la boîte aux lettres déjà lors de la première visite inopinée effectuée par le SEC le 6 juin 2023, de même que la mention « Famille » sur la porte palière. Ces indices contredisent la version du recourant sans que celui-ci fournisse d'explications plausibles à cet égard, alors qu'il n'avait d'abord pas déclaré que son ex-épouse vivait avec lui.

Les déclarations de l'intéressé concernant la répartition des chambres dans le logement ont, au demeurant, varié au gré des visites inopinées, la seconde fois le 29 mai 2024 en présence de son ex-épouse. Alors qu'il nie l'existence d'une communauté de lit et évoque une simple colocation à laquelle l'adversité les a poussés, des effets personnels lui appartenant se trouvaient rangés dans la chambre dans laquelle son ex-épouse dormait avec leur fils cadet, et non dans celle dans laquelle il alléguait dormir seul. Ses affaires étaient rangées dans l'armoire de manière séparée des affaires de celle-ci, mais il ne saurait tirer un argument de cette séparation qui répond à un besoin d'ordre et d'organisation. Il est au surplus étonnant que dans la configuration du logement qu'il a indiquée, le fils aîné de 19 ans n'ait pas de chambre fixe, devant se déplacer entre le salon et le grenier.

Outre que les intéressés partagent leur toit, le recourant ne conteste pas avoir reçu de son ex-épouse un soutien moral et administratif en sus d'une aide pour son quotidien et une partie de ses soins médicaux. Si ce soutien était destiné à durer le temps qu'il puisse retrouver son autonomie, il perdure dans les faits depuis plusieurs années. L'intéressé n'a par ailleurs pas démontré qu'il aurait besoin d'une aide quotidienne en lien avec son invalidité.

L'allégation du recourant selon laquelle il ne forme pas avec son ex-épouse une communauté « économique » n'emporte pas davantage conviction. Alors qu'il fait valoir qu'ils ont des comptes distincts, qu'ils acquittent chacun leurs charges et que seules celles des enfants sont partagées, il explique dans le même temps avoir de fait dépendu financièrement d'elle ensuite de son accident. L'ex-épouse a dû assumer ses frais, ce qui l'a d'ailleurs contrainte à résilier son propre bail pour limiter leurs charges financières. Dès lors, et même si le recourant évoque une « communauté de vie et d'intérêts financiers » qu'il n'a jamais souhaitée, le constat selon lequel la situation financière des ex-époux ne peut pas être considérée indépendamment l'une de l'autre est exempt de critique.

Au vu de ce qui précède, l'intimé était fondé à retenir un faisceau d'indices indiquant que le recourant vivait en concubinage avec son ex-épouse et formait, avec elle et leurs deux enfants, un groupe familial. Il a donc, à juste titre, refusé de statuer sur l'octroi de prestations dues à une personne seule et pris en compte, pour déterminer le montant de l'aide sociale depuis octobre 2024, tant les besoins que les ressources de l'ensemble du groupe familial, qui est l'unité de référence dans ces circonstances.

Le recours sera rejeté.

5.             Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 ‑ RFPA - E 5 10.03), et vu son issue, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 novembre 2024 par A______ contre la décision de l'Hospice général du 24 octobre 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Sarah BRAUNSCHMIDT SCHEIDEGGER, avocate du recourant, ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :