Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/39/2025 du 14.01.2025 ( EXPLOI ) , PARTIELMNT ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1717/2024-EXPLOI ATA/39/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 14 janvier 2025 1ère section |
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dans la cause
A______ recourante
représentée par Me Efstratios SIDERIS, avocat
contre
OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL intimé
A. a. A______ (ci-après : A______ ou l'employeuse) a été inscrite au registre de commerce (ci-après : RC) de Genève le 23 août 2012.
Elle a pour but notamment l'organisation et la gestion de sociétés, la tenue de comptabilité, la gérance de biens, les conseils (notamment en matière fiscale et commerciale), la domiciliation de sociétés, l'exécution de mandats d'administrateur et la prise de participations dans tous types d'entreprises ; toutes activités liées à la révision et au contrôle ainsi qu'à l'expertise comptable ; le courtage, les conseils et la gestion en matière d'assurances et de produits financiers ; toutes activités liées au placement de personnes et à la location de services ; l'offre de tous conseils, services et prestations, de même que l'exercice de toutes activités dans le domaine immobilier, notamment des mandats de courtage, de pilotage et d'expertise, l'acquisition, la vente, la détention, la location, la gestion, l'administration, la promotion, la construction, la rénovation et le courtage de biens immobiliers.
Son siège social est sis à l'avenue B______, C______ à Genève. D______ en est l'associé gérant.
b. Le 9 mai 2023, un ancien employé de A______, E______, a dénoncé à l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) une situation de sous-enchère salariale dont il estimait avoir été victime.
Il a par ailleurs introduit une demande en paiement devant les juridictions prud'homales, toujours pendante à ce jour.
B. a. Le 8 juin 2023, l’OCIRT a engagé à l'encontre de A______ une procédure de contrôle visant à s’assurer du respect du salaire minimum. L'employeuse était invitée à produire, dans un délai expirant le 30 juin 2023, une liste de l'ensemble du personnel actif ou ayant été actif en son sein depuis novembre 2020, comportant, pour chaque employé, les nom, prénom, date de naissance, fonction, date d’engagement (le cas échéant, date de fin des rapports de travail), taux d’activité et durée hebdomadaire de travail. À cette liste, devaient être joints les contrats de travail et fiches de salaire du 1er novembre 2022 au 31 mai 2023, les attestations de salaire AVS pour 2021 et 2022, le mode de calcul des salaires annuels et tout renseignement utile relatif au système de rémunération ainsi qu'au mode d'enregistrement de la durée de travail.
b. Après avoir requis et obtenu la prolongation du délai initialement octroyé, A______ a communiqué à l'OCIRT, par courrier du 27 juillet 2023, un certain nombre de documents ; elle a indiqué dans ce même courrier que ses employés exerçant une activité de courtier (soit la quasi-totalité) n'avaient aucune obligation de présence et que leurs heures de travail n'étaient pas enregistrées.
L'OCIRT a requis des pièces supplémentaires par courriels des 23 août et 1er septembre 2023, auxquels l'employeuse a répondu par courriels des 31 août et 4 septembre 2023.
c. Dans un courriel adressé le 4 septembre 2023 à A______, l'OCIRT a relevé qu'à l'examen des documents reçus, les heures de travail n'étaient pas enregistrées et que les courtiers n'avaient aucune obligation de présence. Il a également constaté que le salaire minimum n'avait pas été respecté à l'égard de dix employés, en référence à la durée de travail hebdomadaire de 42 heures prévue par leurs contrats de travail. Un délai au 31 octobre 2023 était accordé à l'employeuse pour procéder aux rattrapages salariaux, dont le détail figurait sur des tableaux annexés.
d. Par courriel du 3 octobre 2023, A______ a persisté dans sa position selon laquelle les courtiers n'avaient aucune obligation de présence, et que donc le nombre d'heures de travail hebdomadaires mentionné dans les contrats de travail ne correspondait aucunement aux heures de travail réellement effectuées. La demande de rattrapages salariaux n'était donc pas fondée.
e. Le 4 octobre 2023, l'OCIRT a répondu qu'en l'absence d'enregistrement du temps de travail, alors qu'il s'agissait là d'une obligation légale, A______ n'avait pas été en mesure d'établir une durée hebdomadaire différente de celle prévue dans les contrats de travail. Dans ces circonstances, les termes du contrat étaient déterminants. La demande de rattrapages salariaux était en conséquence maintenue.
f. Par courriel du 18 octobre 2023, A______ a transmis à l'OCIRT quatre attestations au contenu identique, rédigées par ses soins et signées par quatre de ses employés concernés par la demande de rattrapages salariaux, soit F______, G______, H______ et I______. À teneur de ces attestations, chacun d'eux confirmait que :
« - Malgré les termes de mon contrat, je n'ai jamais effectué 42 heures de travail par semaine ;
« - C'est d'un commun accord avec A______ que mon activité n'était pas comptabilisée, dans la mesure où je n'avais aucune obligation de présence ni même de travail ;
« - Je me rendais sporadiquement, et à ma convenance, dans les bureaux de l'entreprise afin d'utiliser ses infrastructures uniquement ;
« - Je certifie que les heures réellement effectuées ont été compensées par les montants versés par A______ ;
« - Par conséquent, je confirme ne plus avoir une quelconque prétention à l'encontre de A______. »
L'employeuse indiquait en outre avoir réglé le montant de CHF 10.89 au titre de rattrapage salarial revenant à J______, laquelle exerçait une activité de secrétaire et non de courtière.
g. Les 23 et 24 novembre 2023, l'OCIRT a entendu F______, G______ et H______.
Selon les rapports d'audition, le premier a indiqué ne pas avoir assez de clients pour être occupé 42 heures par semaine. Il n'enregistrait pas ses heures de travail. Il était payé à la commission et n'avait aucune idée du salaire minimum pour les années 2020, 2021, 2022 et 2023.
Selon le deuxième employé, la durée de travail était aléatoire et dépendait du nombre de clients à rencontrer. Il n'enregistrait pas les heures de travail parce qu'il n'était pas payé à l'heure. Le salaire minimum horaire était de CHF 23.- ou 24.- par heure en 2021 et, en 2023, de CHF 27.- par heure s'il ne se trompait pas. Il ne connaissait pas le salaire horaire perçu par lui-même en 2020, 2021 et 2023.
Le troisième employé a déclaré ne pas enregistrer ses heures de travail car il avait des horaires fixes pour son activité d'assistant administratif et, pour son activité de courtier, « plus il avait des clients plus il était content ». Dans son activité de courtier, il organisait librement son temps de travail et rencontrait les clients en fonction de ses disponibilités. Le nombre d'heures de travail effectué n'avait jamais atteint les 42 heures par semaine. Il ne connaissait pas le montant du salaire minimum.
h. Le 1er décembre 2023, l'OCIRT a, dans un courrier intitulé « avertissement et droit d’être entendu avant le prononcé d’une sanction administrative », communiqué ce qui suit à A______ :
- en raison de l'absence d'un système d'enregistrement des heures et des déclarations de F______, G______ et H______, le salaire de chacun d'eux ne pouvait être déterminé en dépit des attestations qu'ils avaient signées ;
- en raison de l'absence d'un système d'enregistrement des heures et malgré l'attestation signée par I______, son salaire horaire ne pouvait être déterminé ;
- les autres employés concernés par la sous-enchère salariale n'avaient pas signé d'attestations certifiant que la durée du travail effective différait de celle prévue dans leurs contrats de travail. Dans ces circonstances, les clauses contractuelles étaient déterminantes.
Faute de preuve que le salaire minimum avait été respecté, les demandes de rattrapages salariaux concernant six employés, soit E______, K______, L______, M______, J______ et N______, étaient maintenues.
Concernant F______, G______, H______ et I______, A______ avait refusé de le renseigner dans la mesure où elle n'avait pas fourni, pour chacun de ces employés, une preuve du volume d'heures de travail accompli par eux. En raison du caractère incomplet des documents et renseignements fournis, il n'avait pas été en mesure d'effectuer son contrôle.
Un délai au 15 décembre 2023 lui était imparti pour corriger les salaires d'E______, K______, L______, M______, J______ et N______ conformément aux rattrapages salariaux indiqués précédemment ainsi que pour lui faire parvenir leurs fiches de salaires de novembre 2023, contresignées par les employés concernés, indiquant le montant afférant au rattrapage salarial dû depuis le 1er novembre 2020 et le montant du nouveau salaire conforme au salaire horaire minimum.
L'attention de A______ était attirée sur le fait qu'elle était soumise à une obligation de collaborer aux contrôles diligentés par ses soins et était tenue de lui fournir, en tout temps, un état détaillé des salaires versés à chaque travailleur ainsi que du nombre correspondant d'heures de travail effectué.
À défaut de procéder dans le délai imparti, elle courait le risque de se voir infliger une sanction administrative, soit une amende administrative de CHF 30'000.- au plus, montant pouvant être doublé en cas de récidive. Le cas échéant, elle serait portée sur la liste, accessible au public, des employeurs ayant fait l'objet d'une décision exécutoire.
i. Le 15 décembre 2023, A______ a exercé son droit d'être entendue.
Les attestations des employés corroboraient non seulement une durée de travail hebdomadaire différente de 42 heures par semaine, mais également une absence d'obligation de présence et même de travail. Ils avaient confirmé le contenu des attestations lors de leurs auditions. Il en ressortait que les parties contractantes avaient décidé d'un commun accord qu'il était inutile d'enregistrer le volume d'heures de travail accompli par les courtiers.
Estimant avoir renseigné l'OCIRT à satisfaction, elle contestait la violation de son devoir de collaboration.
J______, qui n'était pas concernée par le litige, avait perçu la différence de CHF 10.89 selon quittance jointe.
S'agissant des prétentions d'E______, elle ne donnerait pas suite aux injonctions de l'OCIRT relatives au rattrapage salarial le concernant, précisant que, lors d'une audience de conciliation devant le Tribunal des prud'hommes, celui-ci s'était vanté d'être au courant du contrôle dont elle faisait l'objet, affirmant qu'elle avait tout intérêt à régler les sommes dues, le paiement devant être pris en compte dans l'appréciation de la sanction prise par l'OCIRT à l'issue de son contrôle.
Elle produisait des attestations signées le 18 octobre 2023 par K______, M______ et N______, d'une teneur identique à celles déjà signées par F______, G______, H______ et I______. Il ne lui avait pas été possible de retrouver L______, dernier employé à part E______, dénonciateur et demandeur dans la procédure prud'homale, et J______, secrétaire, à ne pas avoir signé une telle attestation.
j. Les 24 janvier et 21 février 2023, M______ et N______ ont été auditionnées par l'OCIRT.
M______ a confirmé avoir signé l'attestation, dont il lui avait été indiqué qu'elle avait été rédigée par l'avocat de l'employeuse. Elle n'avait rien compris de son contenu et ne l'avait signée qu'après avoir reçu le paiement de ses « réserves » dues par A______ depuis la fin de sa relation de travail en fin 2022. Du temps de son activité au sein de l'entreprise, elle était payée uniquement à la commission. Elle était libre de l'organisation de son travail, mais le nombre d'heures de travail effectuées n'avait jamais été de 42 heures par semaine. Elle n'enregistrait pas ses heures de travail. Elle trouvait « un peu bizarre » son contrat de travail : bien qu'elle soit employée, ses activités de conseillère financière relevaient du statut d'indépendante.
N______ a elle aussi confirmé avoir signé l'attestation, sans toutefois l'avoir réellement lue dans le détail. Elle percevait une indemnité journalière forfaitaire couvrant ses dépenses liées à l'exercice de son activité, montant auquel devaient s'ajouter les commissions. Elle avait reçu très peu de celles-ci. S'agissant du temps de travail, « il fallait réaliser au moins les 42 heures de travail par semaine. Cependant, j'avais la latitude de réaliser les heures de travail quand je le voulais ». Les heures de travail n'étaient pas enregistrées, mais elle faisait en sorte d'être présente au bureau pour effectuer les 42 heures de travail par semaine.
k. Le 12 mars 2024, l'OCIRT a complété son courrier du 1er décembre 2023 en prenant acte du paiement du rattrapage salarial dû à J______. Par ailleurs, en raison de l'absence d'un système d'enregistrement des heures et au vu des déclarations de M______, N______ et K______, le salaire horaire de chacun de ces employés ou ex-employés ne pouvait être déterminé. E______ et L______ n'avaient pas signé d'attestations mentionnant que la durée du travail effectif était différente des 42 heures prévues par leurs contrats de travail. Les termes de ceux-ci faisaient donc foi. Dès lors que A______ n'avait pas apporté la preuve que le salaire minimum avait été respecté pour chacun desdits employés, les rattrapages salariaux en leur faveur restaient dus.
Faute de preuve du volume d'heures de travail accompli par M______, N______ ou K______, il n'avait pas été en mesure d'effectuer son contrôle.
Un délai au 3 avril 2024 était imparti à A______ pour corriger les salaires d'E______ et de L______ en prenant en compte les rattrapages salariaux dus, à défaut de quoi elle était passible d'une sanction administrative.
l. Réagissant par courrier du 30 mars 2024 à cet avertissement, A______ a formulé des observations complémentaires.
Elle avait produit sept attestations corroborant une durée hebdomadaire du travail effectif différente des 42 heures figurant dans les contrats de travail. Il en ressortait qu'il était inutile d'enregistrer les heures de travail en raison de l'absence d'obligation de présence et même de travail. Hormis K______, les signataires des attestations avaient confirmé leur contenu. Elle ne comprenait par conséquent pas l'obstination de l'OCIRT à vouloir la sanctionner.
E______ avait travaillé à peine un mois et les rapports de travail avaient pris fin durant la période d'essai. Dans le cadre de la procédure devant le Tribunal des prud'hommes engagée par ce dernier, une audience de débats avait été organisée et la cause était gardée à juger. Malgré cela, l'OCIRT persistait à la sommer de régler les montants contestés et indus, ce qui dénotait de sa part une absence de respect à l'égard des institutions judiciaires. Elle l'invitait donc à suspendre la procédure en cours jusqu'à droit jugé dans la procédure civile.
En dépit de ses recherches, il n'avait pas été possible de retrouver L______.
Était joint le procès-verbal de l'audience de débats tenue le 27 mars 2024 devant le Tribunal des prud'hommes dans la cause opposant A______ à E______ (C/13549/2023).
m. Le 17 avril 2024, l'OCIRT a infligé à A______ une amende administrative de CHF 9'900.- à laquelle s'ajoutait un émolument administratif de CHF 100.-. Une fois cette sanction devenue exécutoire, A______ figurerait sur la liste publiquement accessible des entreprises ayant été sanctionnées.
Des infractions au salaire minimum concernant deux employés avaient été constatées et non régularisées : L______, qui avait travaillé pour A______ du 1er mars au 30 avril 2022 et n'avait perçu aucun salaire brut, avait subi une sous‑enchère salariale de CHF 8'470.28 ; E______, ayant travaillé du 11 au 30 avril 2023 et n'ayant reçu aucun salaire brut, avait subi une sous-enchère salariale de CHF 2'811.59.
Les infractions concernaient au total trois travailleurs sur 22 occupés au sein de l'entreprise, étant rappelé que A______ avait procédé au paiement du rattrapage salarial en faveur de J______. Cet élément avait été pris en considération dans la fixation de l'amende, tout comme la particulière gravité des infractions commises.
Il était en outre retenu que A______ n'avait pas collaboré entièrement au contrôle puisqu'elle n'avait pas fourni tous les renseignements et documents demandés, malgré les nombreuses relances et courriers de rappels. En particulier, elle n'avait pas transmis les preuves du volume d'heures de travail accompli par chaque collaborateur.
C. a. Par acte du 21 mai 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation. À titre préalable, elle a demandé la suspension de la procédure jusqu'à droit connu dans la procédure prud'homale l'opposant à E______.
Le salaire minimum genevois n'était pas applicable aux courtiers, dont la rémunération pouvait légalement être constituée uniquement de commissions, tant que celles-ci correspondaient à une rémunération convenable. L'OCIRT avait abusé de son pouvoir d'appréciation en omettant de prendre en considération certains éléments pertinents dans l'analyse de la durée du temps de travail des employés. Elle s'était focalisée sur l'absence d'enregistrement du temps de travail effectif, faisant totalement abstraction des nombreuses attestations et déclarations concordantes qui, prises conjointement, prouvaient, à tout le moins au degré de la vraisemblance, qu'aucune durée de travail minimale n'était exigée de ses courtiers. Les conditions de travail étaient similaires pour tous les courtiers, fait corroboré par l'utilisation d'un contrat-type. L'écrasante majorité des courtiers ayant confirmé que la durée de travail effectif n'avait jamais été de 42 heures par semaine pour aucun d'eux, l'OCIRT aurait dû conclure que l'entreprise avait, à tout le moins, rendu vraisemblable que tel n'était pas également le cas pour L______ et E______. Il n'aurait pas dû exiger de rattrapages salariaux en leur faveur. De surcroît, ces rattrapages salariaux étaient disproportionnés, car ils ne tenaient pas compte de la réalité de la durée de travail.
L'amende était particulièrement sévère, eu égard au fait que le non-respect du salaire minimum ne concernait que trois employés comparativement au nombre relativement important de collaborateurs de l'entreprise, laquelle avait procédé au paiement du rattrapage salarial de J______. Pour une entreprise sans antécédents, son montant, qui correspondait presque au tiers de la quotité maximale de l'amende était disproportionné.
Il était choquant de constater qu'en dépit des promptes réponses aux requêtes de l'OCIRT et des éléments fournis à l'appui de ses explications, celui-ci lui reprochait une violation de son obligation de collaborer. Elle avait entrepris toutes les démarches possibles pour le renseigner. L'absence d'enregistrement du temps de travail était due à la nature particulière de la profession de courtier. Elle était dans l'incapacité technique de fournir des documents non-existants.
Invoquant une apparence de prévention du contrôle diligenté par l'OCIRT, elle se plaignait de l'attitude particulièrement désapprobatrice de la part de son représentant qui avait, de façon délibérée, instruit plus durement la procédure à son encontre. Dès le début de la procédure, l'inspecteur du travail avait clairement un parti pris et n'avait pas fait preuve d'impartialité. Cela était perceptible dans les griefs exposés précédemment. Elle avait été informée tardivement du fait qu'E______ était à l'origine de la dénonciation à l'OCIRT. Le susnommé semblait bien informé de la procédure et dans des délais brefs, comme l'attestait le fait qu'il était au courant d'une décision de l'OCIRT deux heures après sa communication à l'entreprise le 4 septembre 2023, date de l'audience tenue dans le cadre de la procédure prud'homale.
b. Le 24 juin 2024, l'OCIRT a conclu au rejet du recours, se rapportant à justice s'agissant de sa recevabilité.
La demande de suspension de la procédure ne se justifiait pas. Il n'y avait aucune raison de penser que le litige relatif au rattrapage salarial d'E______ ne pouvait pas être immédiatement tranché. Même à supposer que la connaissance des faits établis dans la procédure civile pourrait être utile à la procédure administrative, il allait de soi que celle-ci n'en dépendait pas.
L'enregistrement du temps de travail constituait une obligation de droit public et non une mesure laissée à la discrétion de l'administré. Ainsi, l'OCIRT n'exigeait l'enregistrement des heures de travail effectif, ou plutôt un état détaillé des salaires versés à chaque travailleur et du nombre correspondant d'heures de travail effectué, que lorsqu'il devait contrôler le respect du salaire minimum. Les courtiers actifs dans le canton de Genève, libres ou non de leur temps, avec ou sans obligation de présence, bénéficiant ou non d'horaires flexibles, payés ou non à la commission, étaient des travailleurs accomplissant habituellement leur travail dans le canton et étaient donc soumis au salaire minimum.
S'agissant du grief d'apparente prévention de l'inspecteur du travail, aucun fait dans le dossier ne suscitait le moindre soupçon de partialité de sa part.
c. Par décision du 27 juin 2024, la chambre administrative a rejeté la requête de suspension de la procédure formée par A______.
d. Le 30 juillet 2024, A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions.
En raison de l'avertissement formulé à son encontre par l'OCIRT, elle avait dû se résoudre à demander à ses collaborateurs de lui prêter leur concours. C'était sous son impulsion que ceux-ci avaient signé les attestations, sans que cela n'entache ni la véracité de leur contenu ni leurs déclarations subséquentes. S'il existait bien une différence entre une obligation de travail et une obligation de présence dans les locaux, ces notions étaient parfois compliquées à isoler dans le langage courant. L'OCIRT essayait de dénaturer les propos tenus par les collaborateurs, faisant semblant de ne pas comprendre ce que ceux-ci confirmaient clairement, soit qu'ils n'étaient soumis à aucune obligation relative au temps de travail.
En prétendant ne jamais avoir renoncé aux rattrapages salariaux demandés, l'OCIRT agissait de façon déloyale. À la date du 12 mars 2024, il n'exigeait plus que des rattrapages salariaux pour trois employés au lieu des dix initialement visés.
Si l'enregistrement du temps de travail constituait une obligation de droit public comme le soutenait l'OCIRT, elle peinait à comprendre pourquoi celui-ci avait cessé de réclamer les rattrapages salariaux pour les employés ayant signé l'attestation ou ayant été interrogés, mais continuait à les exiger pour les trois employés visés par la décision querellée. Le principal grief portait sur le traitement différent des deux courtiers visés par rapport aux sept autres dont les rattrapages salariaux n'étaient plus requis.
e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 47 al. 1 de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 [LIRT - J 1 05] ; (art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. La recourante soutient qu'en raison du mode de rémunération des courtiers qu'elle emploie, celle-ci étant composée exclusivement de commissions, les dispositions légales sur le salaire minimum ne trouveraient pas application à leur égard.
2.1 Depuis le 31 octobre 2020, à la suite de l’adoption le 27 septembre 2020 de l’initiative populaire législative cantonale n° 173 « 23 frs, c'est un minimum! », la LIRT – outre son but originel de définir le rôle et les compétences en matière de prévention des risques professionnels et de promotion de la santé et de la sécurité au travail, de relations du travail et de paix sociale, de conditions de travail et de prestations sociales en usage à Genève, de collecte de données relativement aux entreprises et de main-d’œuvre étrangère (art. 1 al. 1 LIRT), de travailleurs détachés (art. 1 al. 2 LIRT) et de travail au noir (art. 1 al. 3 LIRT) – institue un salaire minimum afin de combattre la pauvreté, de favoriser l’intégration sociale et de contribuer ainsi au respect de la dignité humaine ; elle définit les rôles et les compétences pour la mise en œuvre de ce salaire minimal (art. 1 al. 4 LIRT).
2.2 La conformité au droit supérieur, en particulier à l’art. 27 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) protégeant la liberté économique, des nouvelles dispositions de la LIRT relatives au salaire minimum a été confirmée, sous l'angle d'un contrôle abstrait des normes, dans plusieurs arrêts de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) (ACST/15/2021 du 22 avril 2021; ACST/16/2021 du 22 avril 2021 ; ACST/35/2021 du 21 octobre 2021). Il a été considéré à ces occasions que, dans la mesure où le salaire minimum prévu par la novelle visait à garantir la couverture des besoins vitaux dans le canton et que son montant avait été fixé sur la base des prestations complémentaires cantonales, son introduction constituait une mesure relevant de la politique sociale, admissible au regard de l'art. 27 Cst (ATF 143 I 403 consid. 5.4.3). La mesure ne portait par ailleurs pas une atteinte disproportionnée à la liberté économique, le montant du salaire minimum fixé par le législateur se situant à un niveau raisonnable et reposant sur des critères objectifs
2.3 Le salaire minimum est réglé au chapitre IVB de la LIRT. Les relations de travail des travailleurs accomplissant habituellement leur travail dans le canton y sont soumises (art. 39I LIRT), mais non les contrats d’apprentissage, les contrats de stage et les contrats conclus avec des jeunes gens de moins de 18 ans (art. 39J LIRT).
2.4 Si le salaire prévu par un contrat individuel, une convention collective ou un contrat-type est inférieur à celui fixé à l'article 39K, c'est ce dernier qui s'applique (art. 39L LIRT).
2.5 À teneur de l'art. 319 al. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), par le contrat individuel de travail, le travailleur s'engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l'employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d'après le temps ou le travail fourni (salaire aux pièces ou à la tâche).
Les éléments caractéristiques de ce contrat sont donc une prestation de travail, un rapport de subordination, un élément de durée et une rémunération (arrêts du Tribunal fédéral 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3 ; 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.1 ; 4A_10/2017 du 19 juillet 2017 consid. 3.1).
Le rapport de subordination revêt une importance primordiale dans la qualification du contrat de travail. Il s'agit de l'élément caractéristique essentiel du contrat de travail. Il présuppose que le travailleur est soumis à l'autorité de l'employeur pour l'exécution du contrat et cela au triple point de vue personnel, fonctionnel (organisation et contrôle), temporel (horaire de travail) et, dans une certaine mesure, économique (ATF 125 III 78 consid. 4, SJ 1999 I p. 385; 121 I 259 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_553/2008 du 9 février 2009 consid. 4.1). Le travailleur est assujetti à la surveillance, aux ordres et instructions de l'employeur ; il est intégré dans l'organisation de travail d'autrui et y reçoit une place déterminée (arrêts du Tribunal fédéral 4A_53/2021 précité consid. 5.1.3.1 ; 4A_64/2020 précité consid. 6.3.1 ; 4A_10/2017 précité consid. 3.1). Ce lien de subordination est ainsi concrétisé par le droit de l'employeur d'établir des directives générales sur l'exécution du travail et la conduite des travailleurs dans son exploitation ; il peut également donner des instructions particulières (art. 324 d al. 1 CO)
2.6 La chambre de céans a déjà jugé que le salaire minimum devait être respecté également pour des employés exerçant une activité de courtage, dont la rémunération était exclusivement ou essentiellement constituée de commissions (ATA/1335/2023 du 12 décembre 2023 consid. 5.5). Elle a en particulier considéré que c'était avant tout l'existence et l'intensité d'un lien de subordination entre les parties contractantes qui devaient être déterminantes pour la qualification d'un contrat de travail, dont découlait l'application des règles relatives au salaire minimum (ATA/117/2024 du 30 janvier 2024 consid. 5.9.1 in fine ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_137/2024 du 20 mars 2024 consid. 3).
2.7 En l'occurrence, contrairement à ce que soutient la recourante, le fait que la rémunération prévue par les « contrats d'engagement » des conseillers à la clientèle ou courtiers était constituée essentiellement d'une commission calculée en fonction des contrats conclus avec les tiers, rémunération à laquelle s'ajoutait ou pas une indemnité forfaitaire pouvant varier d'un employé à un autre, ne suffit pas, en soi, à exclure l'existence d'une relation de travail soumise au salaire minimum.
Il résulte à cet égard des contrats conclus par la recourante avec E______ et L______, de même du reste qu'avec ses autres « conseillers à la clientèle », qu'ils comprennent des clauses relatives au délai de congé, à la prohibition de concurrence, au droit de jouir des vacances, à la période d'essai, à la durée du temps de travail, à la rémunération incluant des retenues relatives aux charges sociales ainsi qu'au rapport hiérarchique entre les parties. En ce qui concerne plus spécifiquement ce dernier point, outre que les tâches à accomplir étaient définies, la recourante se réservait le droit de demander aux intéressés, désignés comme employés, d'effectuer d'autres activités en plus ou à la place des activités normales. Ils devaient rendre compte au manager de l'accomplissement des tâches confiées. Toutes les vacances devaient être requises à l'avance et approuvées par le manager.
Ainsi, quand bien même les « conseillers à la clientèle » paraissaient bénéficier d'une grande liberté dans l'organisation de leur temps de travail, il n'en demeure pas moins qu'ils se trouvaient dans un lien de subordination par rapport à la recourante, laquelle se réservait notamment le droit de modifier leurs activités et d'approuver leurs vacances. Ces éléments démontrent qu'ils se trouvaient au service de la recourante et étaient assujettis à sa surveillance et à ses directives. L'existence d'un lien de subordination entre les parties étant ainsi établie, lequel n'est du reste pas formellement contesté par la recourante, il y a lieu de retenir que les éléments caractéristiques du contrat de travail étaient dès lors réalisés, indépendamment du mode de rémunération des employés.
L'existence d'une relation de travail entre la recourante et ses « conseillers à la clientèle » étant ainsi acquise, et dès lors qu'il n'est pas contesté que ceux-ci accomplissaient habituellement leur activité dans le canton, les dispositions sur le salaire minimum s'appliquent (art. 39 I LIRT). À juste titre, la recourante ne prétend pas à cet égard que l'une des exceptions prévues par l'art. 39 J LIRT serait réalisée.
Contrairement à ce qu'elle soutient par ailleurs, la possibilité pour les parties à un contrat de travail de prévoir, sous certaines conditions (art. 349a al. 2 CO ; ATF 139 III 214 consid. 5.1), une rémunération composée exclusivement de commissions demeure sans effet sur l'applicabilité à une telle relation de travail des dispositions de la LIRT et du règlement d'application de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 23 février 2005 (RIRT - J 1 05.01) relatives au salaire minimum. Comme rappelé ci-dessus, en effet, ces dispositions poursuivent un but de politique sociale consistant à assurer aux travailleurs exerçant leur activité dans le canton la perception d'une rémunération leur permettant de couvrir leurs besoins vitaux. Or, l'on ne voit pas pour quelle raison ces motifs auraient une pertinence moindre pour les travailleurs rémunérés exclusivement à la commission que pour ceux percevant un salaire totalement ou partiellement fixe. On ne voit pas davantage en quoi l'atteinte portée par lesdites dispositions à la liberté économique des parties – jugée proportionnée par la chambre constitutionnelle – serait plus importante dans les cas où les parties auraient convenu d'une rémunération versée exclusivement sous forme de commissions.
Sur ce dernier point, la recourante fait grand cas de la liberté dont bénéficient selon elle ses employés s'agissant tant des heures effectivement ouvrées que de leur présence dans ses locaux. Une telle liberté n'est cependant aucunement incompatible avec l'application des règles de la LIRT et du RIRT, lesquelles se bornent à exiger de l'employeur qu'il soit en mesure de fournir en tout temps les données nécessaires à la vérification du respect du salaire minimum, soit un état détaillé des salaires versés et du nombre correspondant d'heures de travail effectuées (art. 39M LIRT et 56G RIRT). Le fait que l'employeur omette d'aménager un système d'enregistrement des heures de travail effectivement exécutées par ses employés ne saurait à l'évidence avoir pour conséquence que les dispositions de la LIRT et du RIRT relatives au salaire minimum ne seraient plus applicables.
Le grief d'inapplicabilité desdites dispositions doit par conséquent être rejeté.
3. La recourante invoque une apparence de prévention de la part de l'inspecteur du travail de l'OCIRT pour réclamer l'annulation de la décision querellée.
3.1 Selon l’art. 15 al. 1 LPA, les membres des autorités administratives appelés à rendre ou à préparer une décision doivent se retirer et sont récusables par les parties s’ils ont un intérêt personnel dans l’affaire (let. a), sont parents ou alliés d’une partie en ligne directe ou jusqu’au troisième degré inclusivement en ligne collatérale ou s’ils sont unis par mariage, fiançailles, par partenariat enregistré, ou mènent de fait une vie de couple (let. b), représentent une partie ou ont agi pour une partie dans la même affaire (let. c) et s’il existe des circonstances de nature à faire suspecter leur partialité (let. d).
3.2 La requête de récusation doit être présentée sans délai à l'autorité (art. 15 al. 3 LPA), soit dès que la partie a connaissance du motif de récusation, sous peine de déchéance (ATF 138 I 1 consid. 2.2). Il est en effet contraire aux règles de la bonne foi de garder ce moyen en réserve pour ne l’invoquer qu’en cas d’issue défavorable ou lorsque l’intéressé se serait rendu compte que l’instruction ne suivait pas le cours désiré (ATF 139 III 120 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_278/2017 du 17 août 2017 consid. 3.1).
La partie qui sollicite la récusation doit rendre vraisemblables les faits qui motivent sa demande. La partie doit se prévaloir de faits, ce qui exclut les critiques générales ou les simples soupçons ne se fondant sur aucun élément tangible (arrêt du Tribunal fédéral 8C_648/2012 du 29 novembre 2012 consid. 2). Si la partie n'a pas à prouver les éléments qu'elle invoque, elle doit tout de même faire état, à l'appui de sa demande, d'un contexte qui permet de tenir pour plausible le motif de récusation allégué (arrêt du Tribunal fédéral 2C_171/2007 du 19 octobre 2007 consid. 4.2.2). Une motivation aux termes de laquelle le requérant se contente de présenter une demande de récusation sans autre explication est irrecevable (arrêt du Tribunal fédéral 2F_19/2013 du 4 octobre 2013 consid. 2).
3.3 L'art. 4 al. 6 LIRT prévoit que lorsque l’office, respectivement l’inspection paritaire, statue ou formule une invitation à se mettre en conformité, suite à une dénonciation, l’office, respectivement l'inspection paritaire, informe dans un délai raisonnable le plaignant des démarches entreprises dans le cadre de sa dénonciation. L'office lui notifie les décisions qui le concernent dans la mesure où il a qualité pour obtenir une telle décision.
À teneur de cette disposition, l'OCIRT doit en effet informer le plaignant, lequel dénonce auprès de lui des agissements qui le touchent personnellement, que sa dénonciation a été suivie d'effets et lui communiquer concrètement les mesures prises (ATA/1473/2017 du 14 novembre 2017 consid. 8).
3.4 En l'espèce, la recourante se plaint du parti pris de l'inspecteur du travail dans la procédure de contrôle, lui reprochant son attitude désapprobatrice et sa conduite de l'instruction. N'ayant jamais demandé sa récusation, elle ne peut donc faire valoir ce moyen au stade de la procédure de recours.
Pour ce qui est de l'allégation de la recourante selon laquelle E______ aurait été informé à bref délai de la procédure, elle n'a pas été démontrée. Quand bien même elle serait avérée, l'on ne voit pas en quoi elle serait révélatrice d'un parti pris de l'inspecteur du travail en charge du contrôle, en tant que le précité revêtait la qualité de plaignant lui permettant d'être informé de la suite de sa dénonciation et des mesures envisagées en cas d'infraction constatée.
Partant, le grief sera écarté.
4. La recourante se plaint d'une constatation inexacte des faits, reprochant à l'OCIRT d'avoir fondé son raisonnement relatif à la violation du salaire minimum dans le cas d'E______ et de L______, compte tenu de l'absence d'enregistrement des heures de travail effectives, sur le temps de travail indiqué dans les contrats, faisant ainsi fi des éléments pertinents résultant des attestations et/ou déclarations d'autres employés. Il était à son sens contradictoire de la part de l'office de cesser de demander les rattrapages salariaux en faveur des employés ayant produit des attestations ou ayant été auditionnés, tout en continuant à les réclamer pour les susnommés. Il avait ainsi agi de façon déloyale.
4.1 La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d’office (art. 19 LPA), sans être limité par les allégués et les offres de preuves des parties. Dans la mesure où l'on peut raisonnablement exiger de l’autorité qu’elle les recueille, elle réunit ainsi les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision. Elle apprécie les moyens de preuve des parties et recourt s’il y a lieu à d'autres moyens de preuve (art. 20 LPA). Mais ce principe n’est pas absolu, sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (ATF 128 II 139 consid. 2b ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_454/2017 du 16 mai 2018 consid. 4.1 ; 2C_524/2017 du 26 janvier 2018 consid. 4.2 ; ATA/880/2021 du 31 août 2021 consid. 3a et les références citées).
En procédure administrative, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2). Le juge forme ainsi librement sa conviction, en analysant la force probante des preuves administrées, dont ni le genre, ni le nombre n'est déterminant, mais uniquement la force de persuasion (art. 20 al. 1 LPA ; ATA/382/2023 du 18 avril 2023 consid. 5b ; ATA/109/2021 du 2 février 2021 consid. 12b).
4.2 Selon l’art. 39M LIRT, l’OCIRT et l'inspection paritaire des entreprises sont compétents pour contrôler le respect par les employeurs des dispositions sur le salaire minimum (al. 1). Tout employeur doit pouvoir fournir en tout temps à l'office ou à l'inspection paritaire un état détaillé des salaires versés à chaque travailleur et du nombre correspondant d'heures de travail effectuées (al. 2).
4.3 En l'espèce, la recourante ne peut être suivie lorsqu'elle prétend avoir entrepris toutes les démarches possibles pour renseigner l'OCIRT sur les horaires effectifs de ses employés. En effet, le contrôle du respect des dispositions sur le salaire minimum est principalement tributaire de la fourniture par l'entité sous contrôle des renseignements susceptibles de permettre à l'OCIRT de constater ou pas une sous‑enchère salariale, et ce quels que soient la nature du travail accompli ou le secteur d'activités dans lequel opère ladite entité. Or, il ressort du dossier que la recourante n'a rempli que très partiellement son obligation légale de saisie du temps de travail en fournissant des documents incomplets, malgré les nombreuses demandes et les délais impartis par l’OCIRT pour ce faire. Selon ses propres aveux, elle n'a pas saisi pour chaque travailleur le nombre d'heures de travail ouvrées, motif pris de la nature particulière de la profession de courtier, et en particulier du fait qu'imposer une telle contrainte aux employés aurait été contreproductif et impraticable. Elle ne parvient cependant pas à démontrer en quoi il lui aurait été concrètement impossible d'obtenir de la part de ses employés la communication des heures effectivement consacrées par ces derniers à leur activité de « conseillers à la clientèle » puis de les enregistrer, de manière à être en mesure de satisfaire à ses obligations légales.
Pour pallier après coup à l'absence de décompte du temps de travail, la recourante a fait signer, pendant la procédure de contrôle, par sept des neufs courtiers visés, des attestations à teneur desquelles ils n'avaient jamais effectué les 42 heures de travail par semaine prévues dans leurs contrats respectifs, n'enregistraient jamais leurs heures de travail, et disposaient d'une liberté dans l'organisation de leur temps de travail. Sur les cinq entendus par l'office, trois ont confirmé ne pas avoir accompli les 42 heures de travail prévues par le contrat, l'un est resté indécis et la dernière a au contraire déclaré qu'elle faisait en sorte d'être présente au bureau pour effectuer ses 42 heures par semaine. Bien que les attestations ou déclarations des employés n'aient pas été propres à garantir une saisie complète et fiable du temps de travail effectué, l'intimé les a prises en considération, contrairement aux allégations de la recourante, en renonçant à s'en tenir aux clauses contractuelles relatives au temps de travail pour réclamer les rattrapages salariaux en faveur des sept employés. En d'autres termes, et bien que la recourante ait failli à son obligation légale de saisie du temps du travail, l'office a considéré, au vu des attestations ou déclarations de ces sept employés, que leur horaire effectif de travail ne pouvait être établi sur la base des documents contractuels, raison pour laquelle il n'a, en ce qui les concerne, ni constaté de sous-enchère salariale ni imposé un rattrapage salarial.
Contrairement à ce que soutient la recourante, ce raisonnement ne peut être extrapolé aux cas d'E______ et de L______, qui n'ont signé aucune déclaration relative à leur temps de travail effectif et n'ont pas été auditionnés sur ce point par l'OCIRT. Il importe peu à cet égard que les auditions auxquelles l'intimé a procédé aient révélé que, de manière générale et avec des variations entre leurs déclarations, les courtiers employés par la recourante ne se considéraient pas comme tenus d'effectuer un nombre minimum d'heures de travail ni d'enregistrer les heures effectuées. Le fait déterminant pour établir l'existence d'une éventuelle sous-enchère salariale dans les deux cas précités réside en effet dans le nombre d'heures de travail effectivement consacrées par E______ et L______ à leur activité de courtier déployée au service de la recourante. Or, en l'absence de tout autre élément spécifique sur cette question, il ne peut être reproché à l'OCIRT de s'être fondé sur la durée hebdomadaire de travail prévue par les contrats. Les déclarations des autres employés de la recourante relatives à leur propre temps de travail n'étaient à cet égard pas aptes à renverser la présomption de fait selon laquelle cette durée correspondait à celle effectivement travaillée, dès lors que l'on ne voit pas comment ceux-ci auraient eu connaissance du temps effectivement consacré à leur activité par E______ et L______.
Pour le surplus, et dans la mesure où les difficultés auxquelles a été confronté l'OCIRT dans l'établissement du nombre d'heures effectivement ouvrées par les précités sont imputables à la violation par la recourante des obligations que lui imposent les art. 39M al. 2 LIRT et 56G RIRT, celle-ci ne saurait lui faire reproche d'avoir procédé à une appréciation – non critiquable – des éléments de preuve figurant au dossier.
Le fait que L______ soit introuvable, selon les affirmations de la recourante, lui est par ailleurs d'aucun secours, car cela ne saurait justifier a posteriori ses manquements à une obligation légale.
Il découle de ce qui précède que le raisonnement de l'intimé ne prête pas le flanc à la critique.
Infondé, le grief, qui porte tant sur l'existence d'une sous-enchère salariale que sur son montant, sera écarté.
5. La recourante conteste l'amende de CHF 9'900.- qui lui a été infligée.
5.1 Selon l’art. 39N LIRT, l'office peut prononcer une amende administrative de CHF 30'000.- au plus lorsqu'un employeur ne respecte pas le salaire minimum prévu à l'art. 39K LIRT. Ce montant de l'amende administrative peut être doublé en cas de récidive (al. 1). L'office peut également mettre les frais de contrôle à la charge de l'employeur (al. 2).
5.2 Les amendes administratives prévues par la législation cantonale sont de nature pénale. Leur quotité doit ainsi être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/991/2016 du 22 novembre 2016 consid. 6a ; ATA/810/2016 du 27 septembre 2016 consid. 4a et la référence citée). En vertu de l'art. 1 al. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif, ce qui vaut également en droit administratif sous réserve de celles qui concernent exclusivement le juge pénal (notamment les art. 34 ss, 42 ss, 56 ss, 74 ss, 106 al. 1 et 3 et 107 CP). Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût‑ce sous la forme d'une simple négligence. L’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP ; principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité de l’auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP ; ATA/651/2022 du 23 juin 2022 consid. 14d et les arrêts cités).
La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP ; ATA/651/2022 précité consid. 14d et les arrêts cités).
Il doit être également tenu compte, en application de l'art. 106 al. 3 CP, de la capacité financière de la personne sanctionnée (ATA/651/2022 précité consid. 14f et la référence citée ; Michel DUPUIS/Laurent MOREILLON/Christophe PIGUET/Séverine BERGER/Miriam MAZOU/Virginie RODIGARI [éd.], Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., 2017, n. 6 ad. art. 106 CP). Sont pris en considération la nature, la gravité et la fréquence des infractions commises dans le respect du principe de proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst. ; ATA/651/2022 précité consid. 14e et les arrêts cités).
L'administration doit faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi et jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende. La juridiction de céans ne la censure qu'en cas d'excès. Enfin, l'amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst. ; ATA/991/2016 précité consid. 6a).
5.3 Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé une amende de CHF 1'300.- pour une sous-enchère salariale de CHF 24'051.-, commise pendant dix mois, par un employeur dont la collaboration à l’instruction avait été excellente, qui avait procédé au rattrapage salarial et n’avait pas d’antécédents (ATA/1071/2023 du 28 septembre 2023 consid. 3.2). Elle a confirmé une amende de CHF 8'000.- portant sur une sous-enchère salariale de CHF 42'668.-, ayant duré plus d'un an et demi, dans le contexte d’une mauvaise collaboration de l’employeuse et de l’absence de rattrapage salarial (ATA/521/2023 du 22 mai 2023 consid. 4.2). Dans une autre affaire de sous-enchère salariale de CHF 20'000.- concernant cinq employés et ayant eu lieu pendant une durée allant de juillet à début novembre 2022, une entreprise à qui était reprochée une faible collaboration s'est vue infliger une amende de CHF 5'900.- (ATA/117/2024 du 30 janvier 2024 consid. 7.6). En raison de la durée de la sous-enchère (de novembre 2020 à décembre 2022), de son l’ampleur (CHF 565'537.54 au minimum de rattrapage salarial) et du nombre (43) de travailleurs touchés, soit plus de la moitié de l’effectif de l’entreprise, à l'encontre de laquelle une faute lourde a été retenue, une amende maximale de CHF 30'000.- a été prononcée à l'encontre de l'entreprise coupable (ATA/349/2024 du 7 mars 2024 consid. 9.3).
5.4 Dans le cas d'espèce, la réalisation de l'infraction prévue par l'art. 39N al. 1 LIRT doit, au vu des considérants précédents, être confirmée.
Pour ce qui est de la quotité de l'amende, qui est explicitement contestée, l'intimé a retenu que les faits visés par la procédure de contrôle s'étaient déroulés entre le 1er novembre 2020 et le 31 juillet 2023, que les infractions concernaient trois travailleurs sur les 22 occupés par la recourante, que ces infractions étaient particulièrement graves, que celle-là avait procédé à un seul rattrapage salarial et que sa collaboration était partielle.
Une faute a été indéniablement commise par la recourante qui n'a versé aux employés susnommés aucun salaire brut selon le détail des décomptes de salaire versés au dossier, ce qu'elle ne conteste au demeurant pas. Malgré l'ouverture de la procédure de contrôle, elle n'a entrepris aucune démarche, sous réserve de ce qui suit, pour se conformer aux demandes de rattrapages salariaux formulées à plusieurs reprises par l'intimé. Elle a persisté tout au long de la procédure à invoquer l'inapplication des dispositions légales sur le salaire minimum aux courtiers sans jamais se prévaloir d'exceptions prévues par la LIRT, ce qui dénote un certain mépris du respect de ces dispositions auquel s'ajoutent une absence de prise de conscience et une volonté de tirer profit de l'ignorance des employés sur ce sujet. C'est donc à juste titre que l'intimé a retenu la gravité de la faute de la recourante.
Si celle-ci se prévaut d'avoir effectué une mise en conformité pour J______ en lui versant la montant exigé à titre de rattrapage salarial, la modicité de la somme (CHF 10.89) est de nature à relativiser le poids de cet élément dans la pondération.
La collaboration de la recourante doit être qualifiée de faible du moment qu'ayant failli à son obligation légale de saisie des heures de travail ouvrées, elle n'a pu fournir que très partiellement les renseignements relatifs au temps de travail essentiels pour la mise en œuvre du contrôle diligenté par l'OCIRT. Il convient toutefois de relever à sa décharge que ce manquement est en grande partie dû à la violation fautive de son obligation d'être en mesure de présenter en tout temps un état détaillé des salaires et des heures effectuées (art. 39M al. 2 LIRT), dont l'intimé a retenu qu'elle constituait elle-même une infraction au sens de l'art. 39N al. 1 LIRT : il ne peut dès lors, dans cette mesure, en être tenu compte une seconde fois au titre d'une circonstance influant la sanction en défaveur de la recourante.
Compte tenu de la jurisprudence susmentionnée, il peut en outre être retenu à l'avantage de la recourante que la sous-enchère salariale, arrêtée dans la décision querellée à CHF 11'200.- environ, n'a visé que trois sur les 22 employés et n'a duré que moins d'un mois pour E______ et deux mois pour L______.
La pondération, à laquelle a procédé l'intimé, est critiquable en tant qu'elle n'a pas pris en considération ces éléments favorables à la recourante. Il a donc fait preuve d'une sévérité excessive en fixant l'amende à CHF 9'900.-. Partant, elle sera réduite à CHF 5'500.-, montant qui, prenant dûment en compte la gravité de la faute et l'absence d'antécédents de la recourante, est plus conforme au principe de proportionnalité.
Le recours sera ainsi partiellement admis en tant que la quotité de l’amende est réduite. Pour le surplus, il sera rejeté.
L'émolument de décision de CHF 100.- a été établi à satisfaction de droit par l’OCIRT. La recourante ne la conteste d’ailleurs pas.
5.5 Vu l’issue du litige, un émolument réduit de CHF 1'500.-, y compris pour la décision de rejet de la suspension de la procédure, sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 500.- lui sera allouée, à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 21 mai 2024 par A______ contre la décision de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 17 avril 2024 ;
au fond :
l'admet partiellement ;
réduit le montant de l'amende de CHF 9'900 à CHF 5'500.- ;
rejette le recours pour le surplus ;
met un émolument réduit de CHF 1'500.- à la charge de A______ ;
alloue une indemnité de procédure de CHF 500.- à A______ à la charge de l'État de Genève ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Efstratios SIDERIS, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail.
Siégeant : Eleanoro McGREGOR, présidente, Patrick CHENAUX, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière :
C. MEYER
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| la présidente siégeant :
E. McGREGOR |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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