Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/348/2023 du 04.04.2023 ( FPUBL ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3789/2022-FPUBL ATA/348/2023 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 4 avril 2023 |
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dans la cause
M. A______
représenté par Me Romain Jordan, avocat
contre
DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ
1) Par arrêté du 31 octobre 2022, notifié le 3 novembre 2022, le Conseiller d’État en charge du département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : le département) a ordonnée l’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de M. A______, B______ à la police C______, engagé depuis le 1er septembre 2008, vu les faits qui s’étaient produits entre le 25 juillet 2016 et le 9 janvier 2019 ayant donné lieu à l’ordonnance pénale du 10 mars 2022, reconnaissant l’intéressé coupable de violations du secret de fonction.![endif]>![if>
À plusieurs reprises, dans le cadre de sa relation avec M. D______, gérant d’un salon de massages E______, M. A______ lui aurait remis des informations acquises dans l’exercice de ses fonctions. Si ces faits se vérifiaient, les manquements reprochés pourraient justifier une sanction disciplinaire relevant de la compétence du Conseil d’État.
2) Par acte tamponné par la poste le 15 novembre 2022, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision d’ouverture d’une enquête administrative, concluant à son annulation et à ce qu’il soit constaté que sa responsabilité disciplinaire était prescrite. L’effet suspensif attaché au recours devait être constaté car l’autorité avait renoncé à déclarer sa décision exécutoire nonobstant recours. Sur le fond, le recours était recevable, en ce qu’il permettait de conduire immédiatement à une décision finale, sa responsabilité disciplinaire étant incontestablement prescrite. ![endif]>![if>
En effet, l’ouverture d’une enquête administrative entraînerait l’audition de nombreux témoins, car il avait l’intention de faire entendre l’ensemble de ses collègues et de ses supérieurs hiérarchiques pour témoigner de ses compétences et de ses qualités morales. Il faudrait également déterminer la pratique de l’autorité intimée en matière de sanctions pour violation du secret de fonction – il avait produit des pièces démontrant que la sanction prononcée à son encontre revêtait une sévérité particulière.
Les faits s’étaient déroulés entre le 25 juillet 2016 et le 9 janvier 2019, avaient été portés à la connaissance de l’autorité intimée en novembre 2019, laquelle avait transmis le cas à la cheffe de la police en février 2020. Fin avril 2020, un nouveau rapport de l’inspection générale des services de la police (ci-après : IGS), n’apportant aucun élément supplémentaire avait été transmis à la cheffe de la police, qui ne l’avait reçu qu’en mai 2020. Entre mai 2020 et le 31 octobre 2022, aucun acte d’enquête de nature disciplinaire n’avait été conduit. Depuis lors, le délai n’avait connu ni suspension, aucune enquête administrative n’ayant été ouverte, ni interruption, le délai de prescription disciplinaire n’y étant pas soumis. L’autorité intimée aurait dû ouvrir une enquête disciplinaire parallèlement à la procédure pénale. En ne le faisant pas, elle y avait renoncé par actes concluants. Y procéder tardivement consacrait un abus de droit manifeste.
3) Le 1er décembre 2022, le département a conclu à l’irrecevabilité et au rejet du recours. ![endif]>![if>
La décision avait été notifiée le 3 novembre 2022 et le recours avait été remis à la poste le 15 novembre 2022. Or le délai de recours de dix jours avait expiré le 14 novembre 2022.
M. D______ avait été arrêté le 14 février 2019 et l’IGS avait adressé au Ministère public (ci-après : MP) deux rapports, des 21 octobre 2019 et 20 avril 2020. Les délais de prescription relatif et absolu de la poursuite disciplinaire avaient été suspendus par la procédure pénale et la responsabilité disciplinaire n’était pas prescrite.
À titre de mesure provisionnelle urgente et avant toute mesure d’instruction, l’effet suspensif devait être retiré au recours. Dans cette attente, l’enquêtrice désignée par le département avait été priée de surseoir à son activité.
4) Par écriture déposée le 12 décembre 2022 dans le délai prolongé à sa demande, M. A______ a conclu au refus de la demande de retrait de l’effet suspensif.![endif]>![if>
Son recours avait été remis à temps à la poste ainsi qu’en attestait le suivi des envois de la lettre recommandée suisse n° 98.40.4161196.00049064 qu’il produisait.
Une audience publique au sens de l’art. 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) devait être tenue sur la question de l’effet suspensif, compte tenu des enjeux et de la question de principe que posait son recours. L’intimé avait eu tout loisir de prononcer l’ouverture d’une enquête administrative à réception du premier rapport de l’IGS, ce qu’elle n’avait pas fait ; elle avait encore eu cette possibilité à réception de l’ordonnance pénale le 22 mars 2022, mais n’avait pas agi durant plus de sept mois. Elle aurait pu déclarer sa décision exécutoire nonobstant recours, mais y avait renoncé et elle ne pouvait demander à la chambre administrative de suppléer à ses carences. Dès lors qu’elle avait elle-même suspendu l’enquête administrative dans l’attente de l’arrêt de la chambre administrative, elle adoptait un comportement contradictoire contraire à la bonne foi, respectivement rejoignait sa position sur l’effet suspensif.
5) Par décision du 13 décembre 2022, la chambre administrative a retiré l’effet suspensif au recours et invité M. A______ à se déterminer sur le moment du dépôt de l’envoi postal de son recours (ATA/1263/2022).![endif]>![if>
6) Le 20 décembre 2022, M. A______ a produit un récépissé MyPost ainsi que le Track&Trace de la poste concernant l’envoi de son acte de recours déposé le 14 novembre 2022 à 20h33. Le 4 janvier 2023, il a produit une attestation de la Poste indiquant que l’envoi recommandé avait bien été déposé à l’heure indiquée mais avait été transformé en colis en raison de ses dimensions. De ce fait, le no d’envoi avait été modifié par la Poste. ![endif]>![if>
7) Le 13 janvier 2022, le département a produit des observations.![endif]>![if>
L’ordonnance pénale avait fait l’objet d’une opposition auprès du Tribunal de police. La prescription disciplinaire était toujours suspendue concernant les informations remises les 6 décembre 2016 et 9 janvier 2019.
8) Le 23 janvier 2023, M. A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions.![endif]>![if>
L’action en responsabilité disciplinaire était prescrite, la position du département était insoutenable. La passivité de l’autorité constituait une violation flagrante du principe de célérité.
9) Les parties ont été informées le 25 janvier 2023 que la cause était gardée à juger, le département ayant renoncé à produire des observations complémentaires dans le délai fixé.![endif]>![if>
1) Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, la preuve du dépôt du recours le 14 novembre 2022, soit dans le délai de dix jours, ayant été apportée (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).![endif]>![if>
2) a. L’ouverture d’une enquête administrative constitue une décision incidente au sens de l'art. 57 let. c LPA (ATA/1235/2020 du 8 décembre 2020 consid. 2b ; ATA/1124/2020 du 10 novembre 2020 consid. 2b et l'arrêt cité). De telles décisions sont susceptibles d'un recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA).![endif]>![if>
b. En l'espèce, l'enquête administrative implique que l’enquêtrice externe entende d'éventuels témoins puis rédige un rapport. La procédure nécessitera ensuite plusieurs actes d'instruction, d'abord devant l'autorité intimée puis, en cas de recours, devant la chambre de céans. La production d’écritures par les parties est, en outre, à prévoir. Or, si la chambre de céans devait admettre que l’action disciplinaire est prescrite, cela mettrait immédiatement un terme à la procédure.
Dans ces circonstances et vu, notamment l’ancienneté particulière des faits, le recours sera déclaré recevable.
3) Il convient d’examiner si l’action disciplinaire est prescrite, comme le soutient le recourant.![endif]>![if>
a. Fonctionnaire de police, le recourant est soumis depuis le 1er mai 2016 à la loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05). L'art. 36 al. 1 LPol dispose que selon la gravité de la faute, les sanctions disciplinaires suivantes peuvent être infligées au personnel de la police : a) le blâme ; b) les services hors tour ; c) la réduction de traitement pour une durée déterminée ; d) la dégradation pour une durée déterminée ; e) la révocation. La dégradation entraîne une diminution de traitement, la révocation entraîne la suppression de ce dernier et de toute prestation à la charge de l'État, les dispositions en matière de prévoyance demeurant réservées (art. 36 al. 2 LPol). Selon l'art. 36 al. 3 LPol, la responsabilité disciplinaire se prescrit par un an après la connaissance de la violation des devoirs de service et en tout cas par cinq ans après la dernière violation ; la prescription est suspendue pendant la durée de l'enquête administrative ou de l'éventuelle procédure pénale portant sur les mêmes faits.
En vertu de l'art. 37 LPol, le blâme est prononcé par le chef du service concerné, tandis que les services hors tour sont infligés par le commandant (al. 1) ; le chef du département est compétent pour prononcer la réduction de traitement pour une durée déterminée et la dégradation pour une durée déterminée, tandis que la révocation est prononcée par le Conseil d'État (al. 2).
Après l'échéance du délai de prescription, la sanction d'une faute professionnelle n'est plus possible, même lorsqu'elle serait utile à la sauvegarde de l'intérêt général (arrêt du Tribunal fédéral 8C_281/2017 du 26 janvier 2018 consid. 5.4.5 ; Gabriel BOINAY, Le droit disciplinaire de la fonction publique et dans les professions libérales, particulièrement en Suisse romande, in RJJ 1998 p. 1 ss, n. 48 p. 26).
b. S’agissant du dies a quo du délai d’un an, une abondante et constante jurisprudence de la chambre de céans rappelle qu’il court à compter de la connaissance des faits par l’autorité décisionnaire (ATA/175/2023 du 28 février 2023 consid. 5 et les références citées).
Le Tribunal fédéral a rappelé qu'il n'est pas insoutenable de considérer que le délai d'une année de l'art. 37 al. 6 aLPol commence à courir à partir seulement du moment où l'autorité compétente pour infliger la peine disciplinaire apprend elle-même l'existence d'une violation des devoirs de service. À la nécessité pour l'administration d'agir sans retard, on peut opposer, de manière défendable, que la prescription d'un an ne peut pas dépendre du seul comportement du supérieur hiérarchique, qui peut commettre une erreur d'appréciation sur la gravité des faits ou qui, pour d'autres motifs, tarderait à informer l'autorité compétente (arrêt du Tribunal fédéral 8C_621/2015 du 13 juin 2016 consid. 2.4, qui confirme l’ATA/652/2015 du 23 juin 2015). Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a en revanche précisé qu’il était insoutenable de considérer que l’action disciplinaire ne commencerait à courir que lorsque l’autorité compétente pour le prononcé de la sanction, qui avait connaissance de la violation des devoirs de service et des motifs d’une condamnation pénale, se ferait envoyer le dossier complet de l’intéressé. En effet, ces démarches dépendaient d’elle seule et cela lui permettrait de repousser à sa guise le dies a quo de la prescription de l’action disciplinaire (arrêt du Tribunal fédéral 8D_7/2021 du 5 septembre 2022 consid. 3.4).
c. S’agissant de la suspension du délai pendant la procédure pénale, la chambre de céans a procédé à l’interprétation de l’art. 36 al. 3 LPol dans l’arrêt ATA/36/2022 du 18 janvier 2022, retenant que dès lors qu’une ordonnance de non-entrée en matière avait été rendue sur les mêmes faits reprochés au recourant et lui ayant valu sanction disciplinaire que ceux visés dans un rapport de l'IGS, il était conforme à la volonté du législateur d'attendre l'issue de la procédure pénale pour ouvrir une enquête administrative, l'application de l'art. 29 al. 2 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), invoqué par le recourant, étant désormais expressément exclue en cette hypothèse.
4) En l’espèce, l’arrêté querellé indique que les faits reprochés au recourant sont issus des rapports de l’IGS des 21 octobre 2019 et 20 avril 2020 ainsi que de l’ordonnance pénale du 10 mars 2022, laquelle a retenu que le recourant avait violé son secret de fonction à deux reprises, les 6 décembre 2016 et 9 janvier 2019. Les autres informations transmises à M. D______, retenues dans les rapports de l’IGS et mentionnées dans l’ordonnance pénale, ont ainsi fait l’objet d’un classement implicite. ![endif]>![if>
L’IGS, chargée de tâches relevant de la police C______ qui concernent les membres du personnel de la police (art. 63 LPol) a mené des investigations à la suite d’une découverte fortuite faite lors de l’arrestation de M. D______, le 14 février 2019 par l’exploitation de son téléphone portable. Il a été découvert que le recourant avait transmis certaines informations à M. D______ par F______, ce qui avait provoqué l’ouverture d’une investigation policière en vertu de l’art. 306 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), lors de laquelle l’IGS avait établi deux rapports à l’intention du MP, les 21 octobre 2019 et 20 avril 2020. Le rapport du 21 octobre 2019 a été transmis à la commandante à la suite de la note de service au Procureur général de l’IGS et au « n’empêche » du MP du 19 novembre 2019. Le timbre humide de réception de la commandante indique le 3 février 2020, le dossier ayant alors été transmis au chef d’état-major le 4 février 2020 puis au secrétariat du service juridique.
Il découle de ce qui précède que le délai de prescription de l’action disciplinaire, laquelle concerne les mêmes faits que la procédure pénale – ce qui n’est au demeurant pas contesté – a été suspendu depuis l’ouverture de cette dernière. Cette suspension n’a pas pris fin, s’agissant des deux faits s’étant déroulés les 6 décembre 2016 et 9 janvier 2019, l’ordonnance pénale n’étant pas entrée en force. S’agissant des autres faits portés à la connaissance de la commandante le 3 février 2020, la suspension du délai de prescription de l’action disciplinaire a pris fin par le classement implicite de la procédure pénale, le 10 mars 2022.
Ainsi, il faut constater que lors de l’ouverture de l’enquête administrative par l’arrêté litigieux, le délai de prescription ayant commencé à courir le 11 mars 2022 pour une partie des faits objets de l’enquête, n’était pas échu, l’action disciplinaire n’étant ainsi pas prescrite s’agissant de ces faits.
Infondé, le recours sera rejeté.
5) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).![endif]>![if>
Compte tenu des conclusions du recours, la valeur litigieuse est supérieure à CHF 15'000.- (art. 112 al. 1 let. d de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 [LTF - RS 173.110]).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 14 novembre 2022 par M. A______ contre l’arrêté du département de la sécurité, de la population et de la santé du 31 octobre 2022 ;
au fond :
le rejette ;
met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de M. A______ ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public ;
le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat du recourant, ainsi qu'au département de la sécurité, de la population et de la santé.
Siégeant : M. Mascotto, président, Mmes Krauskopf, Payot Zen-Ruffinen, Lauber et Michon Rieben, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
F. Scheffre
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| le président siégeant :
C. Mascotto |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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