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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/465/2021

ATA/638/2022 du 14.06.2022 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/465/2021-PRISON ATA/638/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 juin 2022

2ème section

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Charles Archinard, avocat

contre

PRISON B______

 



EN FAIT

1) M. A______ est incarcéré à la prison B______ (ci-après : la prison) depuis le 21 octobre 2020.

Auparavant, il y avait déjà effectué trois séjours, du 28 juin au 26 septembre 2016, du 23 avril au 29 août 2018 et du 10 janvier au 30 octobre 2019.

2) Il avait fait l’objet de quatorze sanctions, prononcées les 15 janvier 2019 (menaces envers le personnel ; trois jours de cellule forte), 22 janvier 2019 (refus d’obtempérer, troubles à l’ordre de l’établissement ; quatre jours de cellule forte), 18 mars 2019 (confection d’un objet prohibé, troubles à l’ordre de l’établissement, possession d’un objet prohibé ; quatre jours de cellule forte), 10 avril 2019 (attitude incorrecte envers le personnel ; une semaine de suppression des activités sportives sur l’étage), 10 avril 2019 (confection d’un objet prohibé, possession d’un objet prohibé, dégradations de mobilier ; trois jours de cellule forte), 11 avril 2019 (injures envers le personnel ; un jour de cellule forte), 17 mai 2019 (attitude incorrecte envers le personnel ; trois jours de suppression des promenades collectives), 18 juillet 2019 (violences physiques exercées sur un détenu, troubles à l’ordre de l’établissement ; quatre jours de cellule forte), 20 juillet 2019 (menaces envers le personnel ; trois jours de cellule forte), 29 juillet 2019 (attitude incorrecte envers le personnel ; deux jours de cellule forte), 16 août 2019 (violences physiques exercées sur un détenu ; trois jours de cellule forte), 17 septembre 2019 (trouble à l’ordre de l’établissement ; trois jours de suppression des promenades collectives), 12 décembre 2020 (violences physiques exercées sur un détenu ; trois jours de cellule forte) et 9 janvier 2021 (violences physiques exercées sur un détenu ; trois jours de cellule forte).

3) Selon un rapport établi le 10 janvier 2021, lorsqu’un agent de détention était venu apporter à M. A______ son repas vers 17h35, celui-ci s’était plaint qu’un autre détenu se trouvait avec lui dans la même cellule forte n° 1______. Les explications de l’agent ne lui convenant pas, M. A______ avait violemment jeté son assiette en carton dans sa direction. L’agent l’avait esquivée et celle-ci était tombée par terre.

Le même jour, après avoir entendu M. A______ à 18h25, le gardien chef adjoint lui avait infligé deux jours de cellule forte pour attitude incorrecte envers le personnel, et lui avait notifié la décision à 18h30.

4) Le lendemain, 11 janvier 2021, à la suite d’une analyse du dossier, et après avoir entendu M. A______ à 14h35, le directeur adjoint avait décidé la révocation de la sanction prononcée et son remplacement par un placement en cellule forte de cinq jours et avait notifié la nouvelle sanction à M. A______ à 14h40.

La sanction a été exécutée du 11 au 16 janvier 2021.

5) Selon un rapport établi le 11 janvier 2021, il était apparu vers 19h21 qu’une fine corde semblait pendre de la fenêtre de la cellule forte n° 1______. Un agent de détention avait demandé à M. A______, détenu dans cette cellule, de lui remettre l’objet, ce que celui-ci avait refusé. Des agents étaient alors entrés dans la cellule pour reprendre l’objet, soit une corde faite avec une couverture de cellule forte, ainsi que la couverture endommagée.

Au bas du rapport, une note manuscrite du gardien chef adjoint indiquait que celui-ci avait « recadré » M. A______ lui-même et qu’au prochain refus d’obtempérer celui-ci irait en cellule forte.

6) Par acte remis à la poste le 10 février 2021, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la sanction prononcée le 11 janvier 2021, concluant au constat du caractère illicite de son maintien en cellule forte du 11 au 16 janvier 2021. Préalablement, il devait être ordonné à la direction de la prison de communiquer le nom du codétenu au moment des faits et celui-ci devait être entendu.

Dans le cadre de l’exécution de la sanction prononcée le 9 janvier 2021, dont il ne contestait pas le bien-fondé, il se trouvait le 10 janvier 2021 en fin de journée dans la cellule forte où on lui avait servi un repas. Un second détenu y avait été amené peu de temps après pour y exécuter une sanction disciplinaire. Or, la cellule forte ne disposait que d’une seule couchette et était dépourvue de séparation protégeant l’intimité du détenu lorsqu’il utilisait les toilettes ou la douche. Choqué par cette violation manifeste des droits élémentaires des détenus, il avait immédiatement manifesté son désaccord et demandé à ce que son codétenu soit déplacé dans une autre cellule forte. Le gardien s’était fortement énervé à la suite de ces protestations et avait refusé de déplacer le nouvel arrivant. Quelque temps plus tard, un autre gardien était venu reprendre son plateau repas. Il avait saisi cette occasion pour réitérer ses plaintes et indiqué au gardien qu’il n’était pas permis de placer dans la cellule forte plus d’un détenu au vu de sa configuration et de son équipement. Le gardien s’était énervé et avait vociféré qu’il y était autorisé. Quelques heures plus tard, des gardiens étaient revenus, au nombre desquels celui qui avait récupéré son plateau repas. Dans un premier temps, ils avaient fait sortir son codétenu pour lui notifier sa sanction et il avait été réintégré dans la cellule forte. Puis ils l’avaient fait sortir lui-même et l’avaient interrogé sur ce qui s’était passé. Il avait expliqué qu’il s’était plaint à deux reprises d’être à deux dans une cellule ne contenant qu’une couchette et ne disposant d’aucun élément permettant à ses occupants d’utiliser la douche ou les toilettes de manière décente. Le gardien lui avait répondu qu’il n’y avait rien d’irrégulier à cela et lui avait notifié une nouvelle sanction, le punissant de deux jours de cellule forte pour avoir lancé son plateau repas sur le gardien venu le chercher. Il avait été abasourdi de découvrir le motif justifiant cette nouvelle sanction. Jamais il n’avait adopté le comportement qui lui était reproché. Plus tard dans la soirée, les gardiens étaient finalement venus chercher son codétenu pour le placer dans une autre cellule forte. Le lendemain, le directeur adjoint de la prison était venu le trouver pour lui notifier une nouvelle sanction qui annulait et remplaçait la précédente. Choqué par le faux rapport qui avait été fait et ses conséquences et craignant qu’un nouveau prétexte ne soit avancé pour le maintenir en cellule forte, il avait refusé de sortir de son lit, d’adresser la parole à quiconque et de toucher aux repas qu’on lui apportait, raison pour laquelle des professionnels de la santé avaient été dépêchés à son chevet. Il avait adressé une plainte pénale contre inconnu au Ministère public le 8 février 2021, ainsi qu’une dénonciation au directeur de la prison.

Les agissements reprochés étaient contestés. Si l’instruction pénale devait confirmer sa plainte, la sanction du 11 janvier 2021 serait illicite dès lors qu’elle reposerait sur un faux rapport.

7) Le 10 mars 2021, la prison a conclu au rejet du recours.

Lorsqu’un agent de détention s’était rendu à la cellule occupée par le recourant pour récupérer l’assiette du repas du soir, celui-ci s’était plaint que la cellule était occupée par deux détenus. L’agent de détention lui avait expliqué que compte tenu du nombre élevé de personnes détenues sanctionnées d’un placement en cellule forte, certaines cellules fortes avaient dû être « doublées » provisoirement. Le recourant n’avait pas apprécié la réponse de l’agent de détention et avait jeté son assiette de repas dans sa direction.

Le recourant n’avait dû partager sa cellule forte que quelques heures et son codétenu avait pu être déplacé dans une cellule qui s’était libérée.

Lors de la notification de la sanction disciplinaire le jour même, le 10 janvier 2021, le recourant n’avait pas contesté les faits. Il ne les avait pas non plus contestés le lendemain, 11 janvier 2021, lorsque le directeur adjoint lui avait notifié la nouvelle sanction. Le recourant n’avait pas non plus décrit les faits tels qu’il les alléguait dans son recours.

Le rapport d’incident du 10 janvier 2021 avait été établi par un agent de détention assermenté. Il ne ressortait pas du dossier du recourant que celui-ci avait eu auparavant des conflits avec cet agent. Le recourant n’avait pas apporté d’éléments permettant de s’écarter des constatations du rapport.

Le placement en cellule forte constituait la sanction la plus adéquate. Un réexamen, prenant en compte le fait que le recourant exécutait une sanction disciplinaire lorsqu’il avait jeté son assiette contre le gardien, avait conduit à revoir la quotité de la sanction à la hausse et à fixer sa durée à cinq jours.

Le recourant affirmait, pour une raison inconnue, que le rapport d’incident constituait un faux dans les titres. Il avait démontré à plusieurs reprises son irrespect du règlement de la prison et l’absence de remise en question.

8) Le recourant n’a pas répliqué dans le délai imparti.

9) Le 15 juin 2021, le juge délégué a interpellé le Ministère public au sujet de la plainte déposée par M. A______.

10) Le 5 juillet 2022, le Ministère public a indiqué que la procédure P/2______/2020 ouverte suite à la plainte déposée le 8 février 2021 avait été transmise à l’inspection générale des services de police (ci-après : IGS) pour complément d’enquête le 11 février 2021, laquelle n’avait pas encore rendu son rapport.

11) Le 11 août 2021, le juge délégué a prononcé la suspension de la procédure jusqu’à droit jugé dans la procédure pénale.

12) Le 17 mars 2022, le Ministère public a rendu une ordonnance de non-entrée en matière.

Il ressortait de la base de données que M. A______ avait occupé la cellule forte n° 1______ du 8 janvier 2021 de à 08h09 au 16 janvier 2021 à 07h35. Un codétenu avait été placé dans cette même cellule forte le 10 janvier de 17h59 à 18h35, puis transféré vers la cellule n° 3______. Cette dernière avait auparavant été occupée par une détenue du 6 janvier 2021 à 09h45 au 10 janvier 2021 à 18h28. Selon le rapport de l’IGS du 7 juillet 2021, les différences d’horaires entre les rapports d’incidents et la base de données relevaient d’erreurs humaines, les gardiens devant horodater a posteriori les événements dans différentes bases de données.

Le codétenu a indiqué qu’un gardien s’était moqué de M. A______ en imitant sa voix aiguë. Ce dernier n’avait pas jeté son assiette vers le gardien. Les gardiens inventaient ce genre d’incident pour punir les détenus. Il ne reconnaissait sur la planche photographique qu’un des trois gardiens présents lors du repas.

Selon les trois gardiens affectés ce jour-là à l’aile des cellules fortes, toutes ces dernières étaient occupées. Le gardien qui avait apporté le repas ne s’était pas moqué de M. A______. Ce dernier s’était plaint du dédoublement de la cellule et avait jeté son assiette à travers le portillon en direction de l’un d’eux, qui l’avait esquivée. Le codétenu n’avait pas pu voir le geste de M. A______ vu sa position dans la cellule. L’incident avait bien eu lieu à 17h35. Le gardien visé par M. A______ ignorait si le dédoublement des cellules était autorisé. Il avait agi sur ordre de sa hiérarchie. Son collègue confirmait que M. A______ avait jeté son assiette contre lui.

Les déclarations des gardiens étaient consistantes. Celles du codétenu, en conflit avec le gardien qui avait assisté aux événements, ce qui l’avait d’ailleurs conduit en cellule forte, n’étaient pas crédibles.

Aucun abus d’autorité ni faux dans les titres n’avait été commis.

L’ordonnance de non-entrée en matière est entrée en force.

13) Le 21 mars 2022, le juge délégué a ordonné la reprise de la procédure et invité les parties à faire connaître leurs déterminations.

14) Le 21 avril 2022, M. A______ a persisté dans ses conclusions et sollicité un transport sur place ainsi que l’apport d’une assiette en carton dans laquelle on sert les détenus en cellule forte pour vérifier si le contenu du rapport figurant à la procédure est « simplement physiquement possible ».

15) Le 3 mai 2022, la prison s’en est rapportée à justice quant à la reprise de la procédure.

16) Le 9 mai 2022, M. A______ a déposé une « détermination et allégués complémentaires ».

Les différences mineures entre les indications horaires ne pouvaient expliquer une différence de près d’une heure entre le rapport établi contre le codétenu et la base de données s’agissant du placement dans la cellule n° 3______. Le rapport d’incident du 10 janvier 2021 à l’encontre du codétenu indiquait que celui-ci avait été placé dans la cellule n° 3______, alors qu’il ressortait du rapport de l’IGS qu’il avait été placé dans la cellule n° 1______ de M. A______, ce qui relèverait d’une « manœuvre tendant à dissimuler les faits objet de la présente procédure ». Compte tenu des explications données par les gardiens sur le renseignement des heures, aucun crédit ne pouvait être accordé au fait que le codétenu aurait été sorti de la cellule n° 1______ à 18h35. Le temps qu’il avait passé avec le codétenu excédait de loin celui retenu par le Ministère public, soit 1h35. On ne comprenait pas pourquoi la détenue qui occupait auparavant la cellule n° 3______ n’aurait subi que quatre jours et demie de cellule forte et non une sanction en jours entiers. Il fallait éclaircir quels gardiens avaient sorti la détenue de la cellule n° 3______, s’il s’agissait d’une autre équipe, si la cellule avait été nettoyée conformément à l’obligation de salubrité. On ne lui avait pas indiqué que le placement de son codétenu était une solution temporaire. Tout laissait au contraire à penser que la cohabitation serait durable, puisqu’un matelas supplémentaire avait été apporté. Aucun des gardiens n’était au clair avec les règlements en vigueur, ce qui donnait d’autant plus de crédit aux faits tels qu’il les avait rapportés.

S’il n’avait pas recouru contre l’ordonnance de non-entrée en matière du Ministère public, c’était uniquement pour des raisons financières, l’assistance juridique lui ayant été refusée. La procédure pénale pourrait être reprise en cas de faits nouveaux.

Un matelas supplémentaire avait été apporté, ce que lui-même, son codétenu et les trois gardiens présents pourraient confirmer. La conception de la porte et de son portillon ne permettait pas de jeter violemment une assiette en carton usagée, ce qu’un transport sur place et l’apport d’une assiette type établiraient. La taille de la cellule n° 1______ permettait à tout observateur se trouvant dans celle-ci de voir le geste qu’on lui reprochait, ce que son audition et celle de son codétenu ainsi qu’un transport sur place confirmeraient. Son codétenu n’avait pas été immédiatement déplacé dans une autre cellule après la notification de la sanction, mais réintégré avec lui dans la cellule n° 1______ pendant un temps indéfini.

Le dédoublement de la cellule n° 1______, qui ne comportait qu’un lit, une douche et un siège de toilettes, était contraire aux conditions de détention minimales.

La direction de la prison avait failli à son obligation de tenir un registre des placements en cellule forte, en indiquant des heures drastiquement différentes dans différents documents, en violation de l’art. 47 al. 6 règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04).

La direction aurait dû être immédiatement informée de sa requête relative au dédoublement et du différend qui s’en était suivi, comme le prescrivait l’art. 58 al. 1 et 2 RRIP. Sa plainte était justifiée. Son codétenu avait d’ailleurs été déplacé et une autre détenue avait vu sa sanction écourtée, ce qui laissait à penser que la direction reconnaissait son tort d’avoir dédoublé la cellule n° 1______. Si la procédure instituée par l’art. 58 al. 1 et 2 RRIP avait été respectée, il n’aurait pas eu à se plaindre trois fois et n’aurait pas subi de sanction.

17) Le 9 mai 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Bien que la sanction de cinq jours de cellule forte ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celle-ci, quand bien même il a quitté la prison le 30 juin 2021 pour être soumis à des mesures de substitution, compte tenu des griefs soulevés et dès lors qu'il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire à l’occasion d’une nouvelle détention (ATA/774/2020 du 18 août 2020 consid. 3b ; ATA/637/2020 du 30 juin 2020 consid. 1).

2) Le recourant conclut préalablement à son audition, celle de son codétenu et de trois gardiens présents, ainsi qu’à un transport sur place et à la production d’une assiette en carton du type de celles qu’il lui est reproché d’avoir lancée en direction du gardien.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit à une audition orale (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1), ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

b. En l’espèce, le recourant a eu l’occasion d’exposer ses arguments et de produire toute pièce utile lors de son audition à la prison ainsi que, par écrit, à trois reprises devant la chambre de céans. Il n’explique pas en quoi son audition serait susceptible d’apporter des éléments complémentaires.

Son codétenu ainsi que les gardiens ont été entendus par l’IGS dans le cadre de la plainte pénale qu’il a déposée. Il sera vu plus loin que leurs déclarations et la portée que leur a attribué l’ordonnance de non-entrée en matière sont suffisantes pour trancher le litige, et que le transport sur place et la production d’une assiette en carton n’apparaissent pas nécessaires, pas plus que l’établissement par témoignages de l’éventuel ajout d’un matelas supplémentaire.

Il ne sera pas donné suite aux actes d’instruction demandés.

3) Le litige a pour objet la conformité à la loi de la sanction de cinq jours de cellule forte infligée au recourant le 11 janvier 2021.

4) a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le RRIP, dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, notamment, d'une façon générale, de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement (art. 45 let. h RRIP).

c. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer, notamment, la privation de travail (let. f) et le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (art. 47 al. 7 RRIP). L'art. 47 al. 7 RRIP prévoit que le directeur peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l'al. 3 à d'autres membres du personnel gradé. Les modalités de la délégation sont prévues dans un ordre de service. L'ordre de service B 24 de la prison prévoit une telle délégation pour le placement en cellule forte de un à cinq jours en faveur du membre « consigné » de la direction, et pour la suppression de travail en faveur du gardien-chef adjoint (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

d. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

e. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation, le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limitant à l'excès ou l'abus de ce pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/97/2020 précité consid. 4f et les références citées).

f. Dix jours de cellule forte ont été confirmés par arrêt de la chambre de céans (ATA/1418/2019 du 24 septembre 2019) à l’encontre d’un détenu dont l'attitude, en particulier son refus d'obéir et de se soumettre, avait entraîné un grand désordre manifeste dans l'établissement, un surveillant ayant même été blessé.

Huit jours de cellule forte ont été confirmée par le chambre de céans pour une détenue qui avait exercé de la violence physique sur le personnel, l’avait injurié, avait refusé d’obtempérer et avait troublé l’ordre de l’établissement (ATA/97/2020 du 28 janvier 2020).

Sept jours de cellule forte ont été confirmés par la chambre de céans pour trouble à l’ordre de l’établissement, refus d’obtempérer (remonter à l’étage), insultes à l’encontre du personnel pendant plusieurs minutes notamment (« Fils de pute, nique ta mère ! »), le détenu ayant précédemment fait l’objet de huit sanctions disciplinaires (ATA/1189/2018 du 6 novembre 2018).

La chambre de céans avait rejeté un recours contre une sanction disciplinaire de sept jours de cellule forte pour violence physique envers le personnel de la prison. La décision était proportionnée et cohérente par rapport aux précédentes sanctions de, respectivement deux, trois et cinq jours de cellule forte ainsi qu’en raison du refus persistant du détenu de se conformer aux instructions du personnel de la prison (ATA/1282/2015 du 1er décembre 2015).

Cinq jours de cellule forte pour avoir menacé le personnel, l'avoir insulté et avoir troublé l'ordre de l'établissement ont été confirmés par la chambre de céans (ATA/1242/2018 du 20 novembre 2018).

Cinq jours de cellule forte ont été confirmés par la chambre de céans pour injures et menaces envers le personnel de la prison (ATA/1820/2019 du 17 décembre 2019).

g. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/284/2020 précité consid. 4f et les références citées).

h. La jurisprudence pose le principe selon lequel l’autorité administrative est en principe liée par les constatations de fait d’un jugement pénal, notamment lorsque celui-ci a été rendu au terme d’une procédure publique ordinaire au cours de laquelle les parties ont été entendues et des témoins interrogés. Si les faits retenus au pénal lient donc en principe l’autorité et le juge administratifs, il en va différemment des questions de droit et de l’appréciation juridique à laquelle s’est livrée le juge pénal (arrêt du Tribunal fédéral 1C_202/2018 du 18 septembre 2018 consid. 2.2 ; ATA/1060/2020 du 27 octobre 2020 consid. 7f et les références citées).

5) a. En l’espèce, le recourant conteste avoir jeté une assiette en direction du gardien et soutient qu’un tel geste ne serait pas possible vu la configuration des locaux.

Il ressort toutefois des déclarations concordantes des gardiens assermentés devant l’IGS que le recourant a projeté son assiette en carton contre l’un d’eux, qui l’a esquivée. Le codétenu du recourant a certes contesté devant l’IGS que celui-ci avait jeté son assiette, toutefois les gardiens ont exposé qu’il ne lui était pas possible de voir ce que faisait le recourant au travers du portillon et que par ailleurs, il entretenait de mauvaises relations avec l’un d’eux dans le cadre desquelles une sanction lui avait été infligée. Comme le Ministère public, la chambre de céans accordera, selon sa pratique constante, une foi accrue aux déclarations des gardiens assermentés et moins de crédit aux déclarations du recourant ainsi qu’à celles de son codétenu, pour les motifs évoqués ci-avant.

Le recourant infère des divergences horaires concernant son codétenu, du fait que la cellule forte n° 3______ a été indiquée pour le placement de celui-ci et du caractère trop bref du séjour de la précédente détenue dans cette même cellule que les rapports et les déclarations des gardiens et de la prison seraient dépourvues de crédibilité. Il perd de vue que l’enquête de l’IGS a permis de clarifier une erreur quant aux heures, mais confirmé que l’incident le concernant s’était produit à 17h35. Le recourant évoque lui-même l’hypothèse que le séjour de la précédente détenue de la cellule n° 3______ ait pu être écourté en raison de la sur-occupation des cellules fortes. Quant aux indications sur le placement du codétenu, elles apparaissent exactes, abstraction faite du bref passage dans la cellule du recourant et ne sauraient, comme le prétend celui-ci, être vues comme l’indice d’une volonté de dissimulation de la part de la prison. Il n’y a ainsi pas lieu d’investiguer son hypothèse selon laquelle des équipes différentes auraient pu convoyer les détenus.

Le recourant évoque encore la durée de sa cohabitation avec son codétenu. Dans son recours, il l’évalue à « plusieurs heures », soit au moins trois heures. Dans ses dernières écritures, il évoque un temps bien supérieur à celui de 1h35 retenu par le Ministère public. Son codétenu a pour sa part affirmé à l’IGS avoir passé une heure avec lui dans la cellule. La chambre de céans retiendra comme le Ministère public que la cohabitation a pu durer environ 1h30, de 17h00 environ à 18h35.

Cette cohabitation s’explique par la nécessité de faire de la place pour pouvoir exécuter sans attendre toutes les sanctions. Sa durée doit être considérée comme brève à l’échelle de la sanction et même à l’échelle d’une journée. Le recourant, qui se plaint du caractère irrégulier de cette cohabitation et des suites données à ses protestations formelles, ne prétend pas en avoir souffert, de sorte que dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la sanction contestée la cohabitation, dût-elle ne pas être conforme aux standards de détention – ce qui souffrira de rester indécis – demeurera sans portée, tant sous l’angle d’une éventuelle circonstance qui aurait pu expliquer le comportement du recourant que sous l’angle d’une éventuelle aggravation de la sanction de placement en cellule forte.

La cohabitation dans la cellule forte n° 1______ ayant duré 1h30 environ, l’apport d’un matelas supplémentaire, évoqué par le recourant dans ses dernières écritures et l’éventualité que la prison ait envisagé une cohabitation plus longue, sont sans pertinence pour la solution du litige.

Il en va de même du nettoyage de la cellule n° 3______, qui ne concerne pas le recourant, et au sujet duquel il est observé qu’il a pu être effectué dans l’intervalle séparant le départ de la précédente détenue et l’arrivée du codétenu.

Pour le surplus, la présente procédure porte sur la sanction prononcée et non sur les conditions de détention du recourant, d’éventuels manquements dans la tenue du registre du placement en cellule forte – étant toutefois observé que les données pertinentes ont été communiquées par la prison à l’IGS – ou encore sur d’éventuels manquements à l’art. 58 al. 1 et 2 RRIP – étant observé que les doléances répétées du recourant, puis sa réaction et la sanction qui l’a suivie se sont produites en l’espace d’une demi-heure à peine (soit de 17h00 à 17h35), et qu’il n’est pas certain que ces événements aient eu le temps de prendre, ou en tout cas de garder, le caractère d’un différend au sens de cette disposition, la direction ayant par ailleurs été informée dans le cadre de la procédure disciplinaire.

La chambre de céans retiendra ainsi, comme le Ministère public, que les agissements du recourant ont été correctement établis par la prison.

Les agissements reprochés au recourant dans la présente procédure correspondent à une attitude incorrecte envers le personnel et constituent une violation de l’art. 44 RRIP. Ils justifiaient une sanction.

b. Il reste à examiner le bien-fondé de la nature et de la quotité de la sanction.

S'il est vrai que le placement en cellule forte constitue la sanction la plus sévère mentionnée à l'art. 47 al. 3 RRIP, il convient de retenir que le recourant, à teneur du dossier, a fait l'objet de quatorze précédentes sanctions durant ses incarcérations, et possède donc des antécédents fournis. Il exécutait en outre une sanction lorsqu’il a adopté le comportement qui lui est reproché. Son geste, même si l’assiette était en carton et n’a pas atteint le gardien, est d’une violence certaine et sa faute doit être considérée comme sérieuse. L'autorité intimée était dès lors fondée à faire preuve de sévérité en lui infligeant une sanction de cinq jours de cellule forte, dont la quotité se situe au demeurant au milieu de la fourchette, un placement en cellule forte pouvant être prononcé pour dix jours au plus, et correspond par ailleurs à la jurisprudence précitée.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l’autorité intimée n'a ni abusé ni excédé son pouvoir d'appréciation, ni violé le principe de la proportionnalité, en prononçant le placement du recourant en cellule forte pour cinq jours.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

6) La procédure est gratuite (art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, il n'y a pas lieu d’allouer une indemnité de procédure
(art. 87 al. 2 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 février 2021 par M. A______ contre la décision de la prison B______ du 11 janvier 2021 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Charles Archinard, avocat du recourant, ainsi qu'à la prison B______.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. Specker

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :