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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1350/2022

ATA/591/2022 du 03.06.2022 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1350/2022-FPUBL ATA/591/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 3 juin 2022

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Charles Piguet, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ

 



Attendu, en fait, que :

1) Monsieur A______, né en 1970, a obtenu le grade de sergent-chef le 1er avril 2017.

2) Par ordonnance pénale du 5 mars 2019, le Ministère public (ci-après : le MP) a déclaré M. A______ coupable de soustraction d’objets mis sous main de l’autorité
(art. 289 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0) et d’infraction à l’art. 19 al. 1 let. d de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121). Il l’a condamné à une peine pécuniaire de nonante jours-amende à CHF 140.- le jour avec sursis, le délai d’épreuve étant fixé à trois ans. Il l’a en outre condamné à une amende de CHF 2'520.- et prononcé une peine privative de liberté de substitution de dix-huit jours.

Le MP a retenu que le 13 janvier 2018, vers 05h20, au poste de police Blandonnet, alors qu’il terminait son service de nuit, l’intéressé s’était rendu dans la partie fermée du garage du poste. Il avait ouvert une petite serre en plastique qui se trouvait sur l’emplacement réservé au dépôt des saisies de drogue et en avait pris deux petites pousses de cannabis. Ces dernières avaient été saisies par ses collègues la veille. L’intéressé les avait placées dans un gobelet et les avait prises avec lui dans le vestiaire. Il était passé près de M. B______ qui lui avait demandé s’il s’agissait d’une saisie de la nuit. Il avait répondu par l’affirmative, placé les plants dans son armoire personnelle et l’avait fermée à clé. Il avait ensuite participé à l’apéritif de fin de nuit avec notamment MM. C______ et D______ avant de rentrer chez lui.

3) Le 24 mai 2019, le Tribunal de police (ci-après : le TP) a confirmé que M. A______ s’était rendu coupable de soustraction d’objets mis sous main de l’autorité et d’infraction à l’art. 19 al. 1 let. d LStup. Il l’a condamné à une peine pécuniaire de nonante jours-amende à CHF 130.- le jour avec sursis, le délai d’épreuve étant fixé à trois ans.

La faute de M. A______ n’était pas anodine. Les faits retenus avaient été commis par un gendarme expérimenté qui ne pouvait ignorer les conséquences de la disparition de stupéfiants saisis sur une enquête pénale en cours.

4) Le 16 octobre 2019, le Conseil d’État a révoqué M. A______ de ses fonctions avec effet au 31 janvier 2020.

M. A______ avait gravement failli à ses devoirs de service. Il était intolérable qu’un policier, en tant que tel chargé de faire respecter la loi, profite de son statut pour soustraire des objets se trouvant sous la garde, respectivement sous la responsabilité de l’État, indépendamment du fait que les violations commises relevaient du pénal. Une telle attitude était aux antipodes du comportement exemplaire et digne que l’employeur devait pouvoir en tout temps attendre d’un policier. Elle était également préjudiciable à la fonction de policier ainsi qu’au respect et à l’intégrité dont devait bénéficier l’État et des agents auprès de ses administrés.

À cela s’ajoutait que contrairement à ses collègues qui avaient admis les violations commises, il avait vainement tenté de construire une version des faits qui lui était favorable. Cette attitude contrevenait au principe de loyauté et de fidélité et avait définitivement rompu tout lien de confiance.

La faute de l’intéressé était particulièrement grave puisque du fait de sa fonction, il savait que les pousses de cannabis constituaient des pièces à conviction et qu’il ne devait, sous aucun prétexte, ni les déplacer, ni les soustraire. Bien que le dossier de l’intéressé ne contienne pas d’antécédents disciplinaires prononcés les dix années précédentes, ses états de service ne pouvaient être qualifiés d’excellents. Les faits étaient établis et il n’y avait pas lieu d’attendre l’issue de la procédure pénale.

5) Par arrêt du 27 août 2020 (ATA/826/2020), la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a partiellement admis le recours formé par M. A______ contre cette décision et renvoyé le dossier au Conseil d’État pour qu'il détermine la suite au sens des considérants.

La révocation prononcée consacrait un abus et un excès du pouvoir d’appréciation par le Conseil d’État.

La faute commise par M. A______ était grave. Elle devait toutefois être mise en relation avec son parcours professionnel de trente ans au sein du corps de police. Les sanctions disciplinaires prononcées jusque-là étaient anciennes, ayant été infligées respectivement treize et vingt-six ans avant la décision querellée. Il ne ressortait, en outre, pas du dossier que ces sanctions auraient empêché le recourant de faire carrière et de grader au sein de la police, l’intéressé ayant, à plusieurs reprises, été félicité et remercié pour son dévouement et la qualité de son travail. Au vu de ces éléments, le prononcé d’une sanction moins sévère était apte, d’une part, à faire prendre conscience au recourant de la gravité de son acte et, d’autre part, à réparer l’image de la police, la faible quantité et la qualité du stupéfiant subtilisé permettant de nuancer l’atteinte portée à la réputation du corps de police au regard de son parcours professionnel.

Le dossier devait donc être renvoyé à l’intimé pour qu’il prononce une sanction administrative précédée, le cas échéant, d’une enquête administrative.

6) Par arrêté du 20 janvier 2021, le Conseil d’État a libéré M. A______ de son obligation de travailler, dès notification de l’arrêté. Cette mesure était sans incidence sur le traitement de l’intéressé.

7) Par décision du 12 juillet 2021, le Conseil d’État a ouvert une procédure de reclassement.

La faute de M. A______ était grave et le Conseil d’État ne pouvait pas tolérer qu’un policier, dont la mission consistait notamment à protéger la population et à faire respecter les lois, s’empare de stupéfiants, produits illicites, saisis par des collègues et répertoriés comme pièces à conviction et les place dans son armoire personnelle, sans en référer à sa hiérarchie. Ce comportement était inacceptable quelle que soit la nature et la quantité des pièces subtilisées. L’ensemble des éléments, en particulier ceux retenus au cours de la procédure pénale, démontraient que M. A______ n’était plus apte à sa fonction de policier, de sorte qu’il existait un motif fondé de résiliation des rapports de service. Les démarches de reclassement n’avaient pas abouti.

8) Selon le compte rendu d’entretien du 1er novembre 2021, l’employeur envisageait de clore la procédure de reclassement et de résilier les rapports de service, les démarches de reclassement n’ayant pas abouti.

9) Par décision du 11 mars 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, le Conseil d’État a résilié les rapports de service pour motif fondé, à savoir inaptitude à remplir les exigences du poste.

10) Par acte déposé au guichet le 2 mai 2022, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre cette décision, concluant à son annulation et à sa réintégration immédiate. Préalablement, il sollicité la restitution de l’effet suspensif.

Il était libéré de son obligation de travailler depuis le 20 janvier 2021, de sorte que l’intérêt public à maintenir la confiance de la population n’entrait pas en ligne de compte. La décision entreprise le privait de ses moyens de subsistance, étant précisé qu’il était père de trois enfants.

11) Par réponse du 13 mai 2022, le Conseil d’État a conclu au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif.

M. A______ ne démontrait pas que le refus de restituer l’effet suspensif à son recours lui causerait un dommage difficile à réparer, étant précisé qu’un intérêt financier ne suffisait pas.

Les chances de succès du recours devaient être considérées comme faibles. Si la chambre administrative avait estimé qu’une sanction moins sévère que la révocation aurait dû être envisagée, compte tenu de la longue carrière de l’intéressé et du fait que l’atteinte portée à l’image de la police devait être nuancée, elle n’avait pas écarté la possibilité de prononcer une résiliation des rapports de service. Les agissements commis par l’intéressé étaient graves et avaient irrémédiablement rompu tout lien de confiance avec l’employeur.

12) Par réplique du 23 mai 2022, M. A______ a persisté dans ses conclusions sur effet suspensif.

L’examen prima facie des chances de succès du recours ne s’opposait nullement à la restitution de l’effet suspensif. La résiliation des rapports de service constituait une sanction déguisée, ce que la chambre administrative prohibait explicitement. La prétendue rupture du lien de confiance invoquée par l’autorité intimée à l’appui de la résiliation des rapports de service avait déjà été invoquée par l’autorité pour justifier sa tentative de révocation.

13) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur la question de l'effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) Les décisions sur mesures provisionnelles sont prises par la présidente ou le
vice-président de la chambre administrative ou, en cas d’empêchement de ceux-ci, par un autre juge (art. 21 al. 2 LPA et art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).

2) Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

3) L’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).

4) Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1112/2020 du 10 novembre 2020 consid. 5 ; ATA/1107/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II
253-420, 265).

5) L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

6) Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

7) Pour effectuer la pesée des intérêts en présence qu’un tel examen implique, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

8) En l'espèce, le recourant est libéré de l’obligation de travailler depuis le 20 janvier 2021. Le seul enjeu de la présente procédure sur effet suspensif est donc le maintien de son traitement pendant la procédure.

À cet égard, selon la jurisprudence constante de la chambre de céans, l'intérêt privé du recourant à conserver les revenus relatifs au maintien des rapports de travail doit céder le pas à l'intérêt public à la préservation des finances de l'État (ATA/762/2021 du 15 juillet consid. 9 ; ATA/174/2021 du 18 février 2021 ; ATA/191/2019 du 26 février 2019).

À cela s’ajoute, et sans préjudice de l’examen au fond, que les chances de succès du recours ne paraissent pas à ce point manifestes qu’elles justifieraient à elles seules la restitution de l’effet suspensif.

La restitution de l'effet suspensif au recours sera dès lors refusée.

9) Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse de restituer l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique la présente décision à Me Charles Piguet, avocat du recourant, ainsi qu'au département de la sécurité, de la population et de la santé.

 

Le vice-président

 

C. Mascotto

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :