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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/185/2022

ATA/155/2022 du 11.02.2022 ( MARPU ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/185/2022-MARPU ATA/155/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 11 février 2022

sur effet suspensif

dans la cause

 

A______

et

B______

et

C______

représentées par Me Guillaume Francioli, avocat

 

contre

 

VILLE DE GENÈVE

et

 

D______

représentée par Me Daniel Guignard, avocat



Vu en fait la décision de la Ville de Genève, département de l'aménagement, des constructions et de la mobilité (ci-après : la ville) du 22 décembre 2021, adressée par pli simple le 5 janvier 2022, informant A______, B______ et C______ (ci-après : le consortium) de ce que le marché – portant sur des travaux de constructions légères préfabriquées, pavillons scolaires modulaires, pour les écoles E______, F______, G______ et H______ – pour lequel il avait déposé une offre, avait été attribué à la société D______ (ci-après : D______), pour un montant de CHF 32'257'759.25 ;

que la décision précise que l'offre d'D______ remplissait pleinement les conditions qui permettaient d'être adjudicataire selon le règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01), conformément à la grille d'évaluation annexée faisant partie intégrante de ladite décision ;

vu le recours interjeté par le consortium par devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) le 17 janvier 2022 contre cette décision, dont il a principalement demandé l’annulation, et cela fait, qu'un jugement réformatoire le désigne adjudicataire du marché ;

que le consortium a conclu, préalablement, à l’octroi de l’effet suspensif et à ce qu’il soit fait interdiction à la ville de conclure tout contrat en lien avec le marché public jusqu'à droit jugé au fond, exposant qu’aucun intérêt public important ne s’y opposait ; il n’y avait pas d’urgence à commencer les prestations en question et son intérêt à ce que la ville soit empêchée de conclure un contrat pendant l'instruction du recours était important ; l'admission de son recours, dont les chances de succès étaient manifestes, aurait pour conséquence de lui donner la possibilité de se voir attribuer le marché ;

qu'il a exposé que la décision d'attribution publiée sur le site simap.ch le 5 janvier 2022 précisait que la ville avait retenu « le concurrent ayant déposé l'offre économiquement la plus avantageuse selon les critères d'adjudication, et ayant obtenu le nombre de points maximum » ;

qu'ainsi, ni la décision qui lui avait été notifiée, ni celle parue sur le site simap.ch ne satisfaisaient aux exigences de motivation minimum, de sorte que l'art. 45 RMP était violé ;

qu'il apparaissait que l'offre de l'adjudicataire était de CHF 7'594'459.25 supérieure à la sienne, d'un montant de CHF 24'663'300.-, soit 30,8 %, étant relevé que les travaux avaient été estimés à CHF 17'053'000.- dans l'appel d'offres ; le montant de l'adjudication, de CHF 32'257'759.25 était de près de 90 % supérieur à cette estimation ;

que la notation était également critiquable et ne semblait dans son cas pas prendre en compte à leur juste valeur les quatre critères d'évaluation autres que le prix, pour lesquels il avait invariablement et sans autre motivation reçu la note de 3, alors que les notes attribuées à l'adjudicataire avaient été nuancées pour chacun des critères au quart de point près ; le consortium avait mis en évidence, ce qui ressortait en particulier du procès-verbal de clarification de l'offre, une bonne compréhension de la problématique, des réponses pertinentes aux questions de planning, fait état de références en adéquation et de la confirmation de sa capacité à réaliser les travaux à satisfaction ; il privilégiait l'utilisation de bois local, de béton bas carbone, ce qui limitait drastiquement les transports de matériaux et de main-d'œuvre et était parfaitement conforme aux exigences du projet architecturalement et techniquement ; en substance, la différence en sa défaveur par rapport à l'adjudicataire des trois notes attribuées pour ces critères (fiabilité et pertinence du planning, organisation, qualité techniques, références), ne se justifiait pas, étant relevé qu'il avait obtenu en revanche une note supérieure pour le critère du prix ;

qu'il existait par ailleurs une suspicion de préimplication ; le délai pour le dépôt de l'offre, de six semaines à compter du 5 octobre 2021, avait été extrêmement bref pour un marché d'une telle ampleur et il était pour le moins étonnant que seuls deux soumissionnaires aient répondu et, en définitive, que seule l'offre de l'adjudicataire ait été jugée suffisamment aboutie pour qu'elle se voie adjuger le marché ;

que selon le document de synthèse du dossier de demande d'autorisation de construire du bureau I______ (ci-après : I______), « étant donné l'urgence et les délais courts pour la réalisation de ces pavillons modulaires, la Ville de Genève a[vait] lancé un appel d'offres en procédure ouverte à un tour pour les prestations d'architecte en novembre 2020. Ce mandat a[vait] été attribué au bureau I______en mars 2021 » ;

que dans ce contexte, il était fort probable que l'adjudicataire ait été consultée lors de la phase de préparation de l'appel d'offres, par I______, de sorte qu'elle aurait disposé d'un avantage concurrentiel majeur, en temps et en informations, imposant dans un tel cas la prise de mesures compensatrices (art. 14 de la loi fédérale sur les marchés publics du 16 décembre 1994 - LMP - RS 172.056.1), ce qui n'avait nullement été le cas ;

que seules les auditions des personnes concernées au sein de la ville, de I______ et de D______ permettraient de clarifier ces points suscitant l'incompréhension ;

vu le courrier du 20 janvier 2022 de la juge déléguée au terme duquel elle a fait, à titre superprovisionnel, interdiction à la ville de conclure le contrat d'exécution de l'offre jusqu'à droit jugé sur la requête en restitution de l'effet suspensif ;

vu la détermination de la ville du 1er février 2022 au terme de laquelle elle a conclu au rejet de la requête d’effet suspensif ; au demeurant, les chances de succès du recours étaient faibles ;

que l'intérêt hypothétique du consortium à se voir attribuer le marché devait clairement céder le pas en l'espèce à l'intérêt public en jeu, à savoir l'urgence de mettre des pavillons scolaires à disposition vu l'augmentation rapide et plus importante que prévue des effectifs des écoles, dont trois de ces structures, sur les sites E______ et F______, devaient être mises à la disposition à la rentrée scolaire d'août 2022 ;

qu'en substance, les raisons de l'attribution du marché à D______ étaient simples et avaient été expliquées au consortium, à savoir que l'offre d'D______ avait été jugée clairement meilleure – une différence très nette – sur les autres critères que celui du prix, en particulier de la qualité technique et des références ;

que s'agissant du grief d'une prétendue préimplication d'D______, le mandataire de la ville, I______, avait certes pris quelques renseignements auprès de celle-là, dans la phase initiale de conception du projet, soit bien avant le dépôt de demandes d'autorisation de construire et la rédaction du dossier d'appel d'offres, pour vérifier que certains aspects qu'elle souhaitait intégrer dans le projet ne posaient pas de problème de faisabilité, soit des renseignements généraux sur l'état de la technique dans le domaine de modules tridimensionnels préfabriqués, autrement dit un dialogue technique jugé licite par la jurisprudence, pour autant qu'il ne porte pas atteinte à l'égalité de traitement et ne supprime pas la concurrence ; dans ce cadre, I______ n'avait apporté aucune information à D______ ni transmis quelconque document ; D______ n'avait donc bénéficié d'aucune information qui lui aurait permis de préparer son offre de manière anticipée ;

vu les déterminations d'D______ du 2 février 2022 au terme desquelles elle a conclu au refus de restitution de l'effet suspensif au recours du consortium, recours qui ne paraissait pas suffisamment fondé ;

que c'était à l'issue d'un examen approfondi, pratiqué en toute objectivité, que la notation des offres était intervenue, conformément aux dispositions applicables en matière de marchés publics ; son résultat ne pouvait être qualifié d'usage abusif ou excessif du pouvoir d'appréciation de l'adjudicateur ;

qu'elle a notamment relevé que son expérience en matière de constructions légères préfabriquées représentait le cœur de son modèle d'affaires, dont la réalisation d'écoles modulaires dans toute la Suisse depuis quinze ans, mais également à l'étranger, soit en Allemagne et au Luxemburg depuis son site de production argovien ;

que le grief d'une préimplication était infondé ; au printemps 2021, I______ l'avait interpellée pour connaître quelques éléments techniques, soit la faisabilité de l'intégration d'une dalle mixte bois-béton dans un module bois ainsi que sur la possibilité de créer de grandes ouvertures vitrées afin de maximiser l'apport de lumière naturelle ; elle-même ne s'était dans ce cadre pas vu confier l'élaboration de l'appel d'offres ni du moindre document le composant ; elle n'avait pas bénéficié, antérieurement à la mise en soumission du marché, d'informations qui lui auraient permis d'élaborer son offre, ni de devancer la publication de l'appel d'offres en connaissant à l'avance les besoins du pouvoir adjudicateur et les caractéristiques du marché à venir ; le consortium n'apportait pas le commencement d'une preuve qu'elle-même aurait bénéficié d'un quelconque avantage et pour cause, puisqu'elle n'avait pas été préimpliquée dans la procédure d'appel d'offres ;

qu'il était indispensable sous l'angle de l'intérêt public, que l'effet suspensif ne soit pas accordé ; un report de la signature du contrat de plusieurs semaines et a fortiori de plusieurs mois, le temps du traitement du recours, rendrait non seulement impossible la livraison de pavillons pour la rentrée scolaire 2022, mais compromettrait également celle des pavillons prévue pour la rentrée 2023 ;

vu la transmission par la ville le 2 février 2022 du procès-verbal caviardé d'audition d'D______ du 2 décembre 2021 ;

vu la transmission par la ville le 3 février 2022, après avoir obtenu l'accord du consortium, de documents fournis par celui-ci à l'appui de son offre ;

vu la réplique sur effet suspensif du consortium du 10 février 2022 qui a exposé que l'intérêt public, qui rejoignait son propre intérêt privé, s'appliquait également à la question de la garantie du bon usage des deniers publics, l'adjudicataire ayant articulé un prix de CHF 7'000'000.- supérieur à celui qu'elle-même proposait ;

que les échanges intervenus lors de la séance du 11 janvier 2022, pas plus que les indications fournies sur le prix d'adjudication et sur la méthode de pondération, ne palliaient l'absence de motivation suffisante quant au choix opéré sur la base des critères d'adjudication fixés, pour lesquels aucune explication n'avait été donnée par la ville ;

que les notes « tout juste suffisantes » attribuées au consortium découlaient principalement d'une comparaison subjective des offres, largement infondée, et non d'une notation fondée sur les critères établis dans l'appel d'offres ; de plus l'absence de prototype 1:1 dans l'offre d'D______ n'avait nullement été prise en compte lors de la notation, alors qu'il s'agissait d'un élément crucial de l'appel d'offres permettant la validation de la qualité du produit final ;

que les premières notes attribuées le 30 novembre 2021 avaient toutes été augmentées après la séance de clarification de l'offre du 2 décembre 2021, à part celles attribuées au prix, et rien n'expliquait la faible augmentation de celles attribuées au consortium ni l'importante augmentation de celles attribuées à D______ ;

qu'il revenait sur les critères en détail ;

que s'agissant notamment du critère « organisation », les principes de transparence, d'égalité de traitement et de non-discrimination avaient été violés dans la mesure où D______ s'était vue notée sur davantage que les deux CV requis dans l'appel d'offres ; ce non-respect par D______ dudit critère aurait dû entraîner une notation de 0 ;

que s'agissant de la problématique de la préimplication, on voyait mal comment D______ aurait pu donner des renseignements techniques à I______ sans avoir d'informations sur le projet en cours d'élaboration ; le caviardage de l'offre de l'adjudicataire confirmait la suspicion de préimplication, la partie « garantie des délais » de l'annexe ADJ4 permettant de comprendre qu'D______ était déjà prête pour débuter une adjudication en décembre 2021, avec une équipe de projet déjà constituée ; il n'était d'autre part pas réaliste que celle-ci ait eu le temps de dessiner l'intégralité des bâtiments et leurs détails au vu du temps à disposition ;

que ni I______ ni D______ ne produisaient de documents attestant des propos échangés, alors même qu'ils connaissaient la problématique de la préimplication et l'enjeu d'exclusion qui planait sur le soumissionnaire ; ces échanges, incluant ceux intervenus avec la ville, devaient être versés au dossier ;

que, sur ce, les parties ont été informées, le 10 février 2022, que la cause était gardée à juger sur effet suspensif ;

que la teneur des pièces versées à la procédure, de même que les arguments des parties seront pour le surplus repris ci-dessous dans la mesure nécessaire au prononcé de la présente décision ;

Considérant, en droit, qu'interjeté en temps utile devant l'autorité compétente, le recours est recevable (art. 15 al. 2 de l'accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ; art. 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d'État à adhérer à l'accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 - L-AIMP - L 6 05.0 ; art. 56 al. 1 RMP) ;

que les mesures provisionnelles sont prises par la présidente ou le vice-président de la chambre administrative ou, en cas d'empêchement de ceux-ci, par un autre juge (art. 21 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020) ;

qu'aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n'a pas d'effet suspensif ; toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l'autorité de recours peut, d'office ou sur demande, octroyer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose ;

que l'examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; l'effet suspensif doit être refusé au recours manifestement dépourvu de chances de succès et dont le résultat ne fait aucun doute ; inversément, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d'emblée à justifier l'octroi d'une mesure provisoire, mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/217/2021 du 1er mars 2021 consid. 2 ; ATA/1349/2019 du 9 septembre 2019 ; ATA/446/2017 du 24 avril 2017 consid. 2 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, 2010, p. 317) ;

que, lorsqu'une autorité judiciaire se prononce sur l'effet suspensif ou d'autres mesures provisoires, elle peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit (examen prima facie), en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2 ; 131 III 473 consid. 2.3) ;

que la restitution de l'effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics, et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu'avec restriction (ATA/1349/2019 précité ; ATA/446/2017 précité consid. 2 ; ATA/62/2017 du 23 janvier 2017 consid. 2 ; ATA/793/2015 du 5 août 2015 consid. 2) ;

que l'on se trouve en présence d'un marché public lorsque la collectivité publique, qui intervient sur le marché libre en tant que « demandeur », acquiert auprès d'une entreprise privée, moyennant le paiement d'un prix, les moyens nécessaires dont elle a besoin pour exécuter ses tâches publiques (ATF 145 II 252 consid. 4.1 et les références citées ; Étienne POLTIER, Droit des marchés publics, 2014, n. 138 p. 283) ;

que les marchés publics cantonaux et communaux font l'objet d'une réglementation intercantonale, à savoir l'AIMP, auquel tous les cantons de la Confédération suisse ont adhéré (Étienne POLTIER, op.cit., n. 39 p. 18) ;

que l'AIMP vise l'ouverture des marchés publics (art. 1 al. 1 AIMP) ; il poursuit plusieurs objectifs, notamment assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l'égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l'impartialité de l'adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP) et assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) ;

que ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 AIMP, notamment let. a et b AIMP).

que les autorités compétentes de chaque canton édictent des dispositions d’exécution, qui doivent être conformes à l’AIMP (art. 3 AIMP) ;

que, dans le canton de Genève, les dispositions d'exécution de l'AIMP sont du ressort du Conseil d'État (art. 4 L-AIMP, art. 3 AIMP), lequel a adopté, le 17 décembre 2007, le RMP, entré en vigueur le 1er janvier 2008 ;

que le recourant se plaint dans un premier grief d'une motivation insuffisante de la décision adjudication ;

que selon l'art. 45 al. 1 RMP, l'autorité adjudicatrice rend une décision d'adjudication sommairement motivée, notifiée soit par publication sur la plateforme électronique sur les marchés publics gérée par l’association simap.ch (www.simap.ch), soit par courrier à chacun des soumissionnaires, avec mention des voies de recours ;

que le droit d’être entendu comprend notamment le droit d’obtenir une décision motivée. L’autorité n’est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives, mais doit se prononcer sur celles-ci (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; 137 II 266 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_597/2013 du 28 octobre 2013 consid. 5.2 ; 2C_713/2013 du 22 août 2013 consid. 2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, p. 531 n. 1573). Il suffit, du point de vue de la motivation de la décision, que les parties puissent se rendre compte de sa portée à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; 138 I 232 consid. 5.1 ; 136 I 184 consid. 2.2.1) ;

qu'en matière de marchés publics, cette obligation se manifeste par le devoir qu’a l’autorité d’indiquer au soumissionnaire évincé les raisons du rejet de son offre (Jean-Baptiste ZUFFEREY/Corinne MAILLARD/Nicolas MICHEL, Le droit des marchés publics, 2002, p. 256). Ce principe est concrétisé par les art. 13 let. h AIMP et 45 al. 1 RMP (ATA/1089/2018 du 16 octobre 2018 consid. 4b ; ATA/492/2018 du 22 mai 2018 consid. 6b) ;

que selon la doctrine, les règles spéciales applicables en matière d'adjudication de marché prévoient que l'autorité peut, dans un premier temps, procéder à une notification individuelle, voire par publication, accompagnée d'une motivation sommaire ; sur requête du soumissionnaire évincé, l'autorité doit lui fournir des renseignements supplémentaires relatifs notamment aux raisons principales du rejet de son offre ainsi qu'aux caractéristiques et avantages de l'offre retenue. L'ensemble des explications de l'autorité (fournies le cas échéant en deux étapes) doit être pris en considération pour s'assurer qu'elles sont conformes, ou non, aux exigences découlant du droit d'être entendu ; de surcroît, la pratique admet assez généreusement la réparation d'une motivation insuffisante dans la procédure de recours subséquente (Étienne POLTIER, Droit des marchés publics, 2014, p. 250, n. 392) ;

qu'en l'espèce, la décision d’adjudication du 22 décembre 2021 notifiée au recourant se limite à indiquer qui est adjudicataire du marché, dont « l'offre remplit pleinement les conditions » selon le RMP, et que le pouvoir adjudicateur se tenait à disposition pour tout complément d'information ;

que toutefois la ville indique, sans être contredite, que le consortium aurait obtenu des explications lors d'un entretien à la direction du patrimoine bâti de la ville le 11 janvier 2022 et, ce qui est mentionné en pied de ladite décision d'adjudication, que le tableau multicritères comparatif des offres lui a été remis avec ladite décision ;

que ce grief semble prima facie infondé, étant rappelé l'exigence de motivation sommaire de la décision d'adjudication telle qu'exigée par l'art. 45 al. 1 RMP ;

que le recourant conteste ensuite la notation de l'adjudicateur et le fait que le marché ait été attribué à un prix de près de 90 % supérieur à celui estimé dans l'appel d'offres ;

que selon l’art. 43 RMP, l'évaluation est faite selon les critères prédéfinis conformément à l'art. 24 RMP et énumérés dans l'avis d'appel d’offres et / ou les documents d'appel d’offres (al. 1) ; le résultat de l'évaluation des offres fait l'objet d'un tableau comparatif (al. 2) ; le marché est adjugé au soumissionnaire ayant déposé l'offre économiquement la plus avantageuse, c'est-à-dire celle qui présente le meilleur rapport qualité / prix ; outre le prix, les critères suivants peuvent notamment être pris en considération : la qualité, les délais, l'adéquation aux besoins, le service après-vente, l'esthétique, l'organisation, le respect de l'environnement (al. 3) ; l'adjudication de biens largement standardisés peut intervenir selon le critère du prix le plus bas (al. 4) ;

qu'en matière d'évaluation des offres, la jurisprudence reconnaît une grande liberté d'appréciation au pouvoir adjudicateur (ATF 125 II 86 consid. 6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_35/2017 du 5 avril 2018 consid. 5.1 ; ATA/1685/2019 du 19 novembre 2019 consid. 8b et les références citées), y compris s'agissant de la méthode de notation (ATA/676/2020 du 21 juillet 2020 consid. 4b et les références citées). Le juge doit veiller à ne pas s'immiscer de façon indue dans la liberté de décision de l'autorité chargée de l'adjudication (arrêt du Tribunal fédéral 2D_35/2017 précité consid. 5.1). L'appréciation de la chambre administrative ne saurait donc se substituer à celle de ladite autorité. Seul l'abus ou l'excès du pouvoir d'appréciation doit être sanctionné (ATF 130 I 241 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_35/2017 précité consid. 5.1 ; ATA/1685/2019 du 19 novembre 2019 consid. 8b et les références citées). En outre, pour que le recours soit fondé, il faut encore que le résultat, considéré dans son ensemble, constitue un usage abusif ou excessif du pouvoir d'appréciation (décision de la Commission fédérale de recours en matière de marchés publics du 29 juin 1998, publiée in JAAC 1999, p. 136, consid. 3a ; ATA/1389/2019 du 17 septembre 2019 consid. 5).

qu'en l'espèce l'appel d'offres mentionnait expressément les critères d'adjudication, à savoir le prix (30 %), la fiabilité et la pertinence du planning (10 %), l'organisation (10 %), la qualité technique (25 %) et les références (25 %) ;

que la ville a repris dans ses écritures du 1er février 2022 le détail des remarques, figurant dans le rapport de pré-évaluation/tableau du 30 novembre 2021 (pièce 19 du chargé de la ville du 2 février 2022), joint par I______ à son courrier du 6 décembre 2021 à la ville (pièce 14 du même chargé), à savoir négatives pour la totalité des critères de l'offre du consortium, autres que le prix, respectivement leur comparaison avec celles positives portant sur l'offre d'D______ qu'elle a qualifiées de « très peu nombreuses » ; à l'inverse, les remarques positives étaient peu nombreuse pour le recourant et nombreuses pour la société adjudicataire ;

que la ville indique avoir procédé à l'appréciation des critères selon le barème de la conférence de coordination des services de la construction et des immeubles des maîtres d’ouvrage public (KBOB), tel qu'annoncé dans les documents d'appel d'offres, et qu'une différence très nette était apparue lors de la réunion du comité d'évaluation le 16 décembre 2021 entre les deux offres sur les critères de la qualité technique et des références ; après les pondérations fixées pour chaque critère de l'appel d'offres, le classement final était de 363 points pour le consortium et de 385 points pour D______ ;

que toutes les notes des critères autres que le prix attribuées au recourant, de 3, s'expliquaient selon la ville par le fait que les éléments apportés par le consortium correspondaient aux exigences de l'appel d'offres mais n'amenaient rien de particulier qui aurait « permis de considérer les éléments importés comme de très bonne ou d'excellente qualité, conformément à l'échelle de notation » ;

que le consortium de son côté soutient que ces notes de 3 ne semblaient pas « prendre à leur juste valeur les quatre critères d'évaluation autres que le prix », étaient basées sur des critiques non avérées ou « balayées » lors de la séance d'explications et fondées à tort sur la seule comparaison des deux offres ;

que sans être contredite, la société adjudicataire expose réaliser des écoles modulaires dans toute la Suisse depuis quinze ans, mais également à l'étranger ; le consortium ne se prévaut apparemment pas d'une telle expérience, étant relevé que pour le critère « organisation », la ville relève que seule une des personnes clé du consortium aurait fait des bâtiments modulaires ;

qu’au vu de ces éléments, il ne peut, à ce stade, être retenu que le pouvoir adjudicateur aurait, à l’évidence, commis un abus ou excès du large pouvoir d’appréciation qui lui est reconnu en matière d’appréciation des critères et sous-critères ;

que le recourant suspecte enfin une préimplication de l'adjudicataire, vu selon lui le délai de six semaines extrêmement bref pour un marché d'une telle ampleur, les réponses à l'appel d'offres de deux soumissionnaires seulement et, en définitive, l'attribution à l'adjudicataire dont l'offre avait été jugée suffisamment aboutie ; le recourant soupçonnait des contacts entre I______ et la ville en amont de l'appel d'offres ;

qu'il y a préimplication lorsqu’un soumissionnaire a collaboré à l’élaboration de l’appel d’offres. Il doit s’agir d’une collaboration, aux côtés du pouvoir adjudicateur, à la planification ou à la préparation du marché public, par exemple en préparant les documents d'appel d'offres (ATA/492/2018 du 22 mai 2018 consid. 8d et les références citées) ;

qu'en l’absence de dispositions dans l’AIMP, la question de la préimplication relève du droit cantonal de procédure des marchés publics. Cette question est susceptible de poser des problèmes au regard du droit à l’égalité de traitement garanti à tous les soumissionnaires d’un marché public (ATA/492/2018 du 22 mai 2018 consid. 8c et les références citées) ;

que les membres de l'autorité adjudicatrice qui participent à la préparation et à l'élaboration des documents d'appel d'offres ou aux procédures de passation des marchés publics ne peuvent présenter d'offre (art. 31 al. 1 let. a RMP) ;

que l'autorité adjudicatrice indique, dans les documents d'appel d'offres, si le prestataire ayant effectué une prestation préalable en lien avec le marché à adjuger peut présenter une offre et pour quels motifs (art. 31 al. 2 RMP) ;

que, sur le plan fédéral, une étude de marché requise par l’adjudicateur préalablement à l’appel d’offres n’entraîne pas la préimplication des soumissionnaires mandatés. L’adjudicateur publie les résultats de l’étude de marché dans les documents d’appel d’offres (art. 14 al. 3 LMP) ;

qu'en cas de contestation d'une attribution de marché, le soumissionnaire qui prétend avoir de meilleures chances de se voir attribuer le marché en excluant le soumissionnaire prétendument préimpliqué doit prouver la préimplication de même que sa nature et son intensité. Le fait que la préimplication entraîne un avantage concurrentiel est une présomption légale ; en revanche, le fait qu'aucun avantage de ce type n'a été obtenu ou que l'avantage a été suffisamment compensé incombe selon les constellations soit au pouvoir adjudicateur soit au soumissionnaire préimpliqué (ATAF 2020 IV/6 consid. 3.1.1 et les références citées) ;

que le grief portant sur la préimplication d'un soumissionnaire doit être soulevé dès la connaissance du motif invoqué. Il faut par ailleurs distinguer cette situation du dialogue technique entre le pouvoir adjudicateur et un futur soumissionnaire : un tel dialogue est en effet licite dans la mesure où il ne porte pas atteinte à l'égalité de traitement des soumissionnaires et ne supprime pas la concurrence (RDAF 2017 I p. 508) ;

que le Tribunal cantonal vaudois a déjà eu l'occasion de trancher qu'il n'y avait pas de préimplication lorsqu'un bureau ayant effectué une étude préalable de faisabilité pour le pouvoir adjudicateur ne disposait, d'une part, pas d'informations privilégiées et, d'autre part, qu'il n'avait pas participé à l'élaboration du dossier d'appel d'offres (RDAF 2017 I p. 508) ;

qu'en l'espèce, la ville reconnaît que I______ a pris auprès d'D______ quelques renseignements généraux sur l'état de la technique dans le domaine de modules tridimensionnels préfabriqués et la faisabilité de certains aspects qu'elle souhaitait intégrer dans le projet ce, dans sa phase initiale de conception, avant le dépôt des demandes d'autorisation de construire et la rédaction du dossier d'appel d'offres ;

qu'D______ confirme cette prise de contact au printemps 2021, qui s'était toutefois limitée à répondre à I______ sur la faisabilité de l'intégration d'une dalle mixte bois-béton dans un module bois, ainsi que sur la possibilité de créer de grandes ouvertures vitrées afin de maximiser l'apport de lumière naturelle ;

que ces éléments ne suffisent toutefois pas à rendre vraisemblable qu'D______ aurait bénéficié d'un quelconque avantage et en particulier aurait collaboré à l’élaboration de l’appel d’offres ou à la préparation du cahier des charges, ce qui aurait dû empêcher le pouvoir adjudicateur de l'inviter à participer au marché ;

qu'il semble prima facie que ce contact puisse répondre à la définition retenue par la jurisprudence précitée de « dialogue technique licite » ;

que le recourant ne rend ainsi à ce stade pas vraisemblable qu'D______ aurait bénéficié, antérieurement à la mise en soumission du marché, d'informations qui lui auraient permis d'élaborer son offre et de devancer la publication de l'appel d'offres en connaissant à l'avance les besoins du pouvoir adjudicateur et les caractéristiques du marché à venir ;

que, dès lors, la question de la préimplication de l'adjudicataire ne se pose prima facie pas de manière suffisante pour qu'il incombât au pouvoir adjudicateur d'indiquer, dans les documents d'appel d'offres, si l'adjudicataire, dont il ne peut en l'état être dit qu'il aurait effectué une prestation préalable en lien avec le marché à adjuger, pouvait présenter une offre et pour quels motifs ;

que le grief d'une préimplication ne paraît a priori pas fondé ;

qu’au vu des éléments qui précèdent, si le recours n'est pas manifestement dépourvu de chances de succès, il ne peut être retenu que son résultat ne fait aucun doute ;

que le pouvoir adjudicateur invoque toutefois l'urgence à la conclusion du contrat et au démarrage des travaux, afin de garantir le nombre de locaux suffisants pour accueillir de nombreux nouveaux effectifs d'élèves en particulier et au plus pressé à la rentrée scolaire 2022-2023 s'agissant de l'implantation de trois pavillons ;

que l'adjudicataire confirme cette urgence ;

que le recourant ne remet pas en cause cette urgence, si ce n'est sous l'angle de l'intérêt public d'un bon usage des deniers publics et l'exigence que la procédure de recours soit instruite au fond ;

qu'elle ne saurait dès lors se prévaloir du fait que les travaux prévus ne seraient ni indispensables ni urgents ;

qu'il existe ainsi manifestement un intérêt public prépondérant à la conclusion du contrat et à la réalisation des travaux ;

qu’au vu de l’ensemble de ces éléments, il convient de refuser la requête d’octroi de l’effet suspensif, dont il sera rappelé qu'il demeure l'exception en matière de marchés publics, l’intérêt public et privé des intimés à la conclusion du contrat primant sur l’intérêt du recourant ;

qu’enfin, il sera statué sur les frais de la présente décision dans l’arrêt au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la requête d'octroi d’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n'est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l'accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s'il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les
art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de
l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession des recourantes, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique la présente décision à Me Guillaume Francioli, avocat du consortium, à la Ville de Genève, ainsi qu’à Me Daniel Guignard, avocat de D______.

 

 

Le vice-président :

 

 

 

C. Mascotto

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

la greffière :