Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1945/2020

ATA/1178/2020 du 24.11.2020 ( AIDSO ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : ASSISTANCE PUBLIQUE;PRESTATION D'ASSISTANCE;AIDE FINANCIÈRE;BÉNÉFICIAIRE DE PRESTATIONS D'ASSISTANCE;REMBOURSEMENT DE FRAIS(ASSISTANCE);RESTITUTION(EN GENERAL);BONNE FOI SUBJECTIVE
Normes : LIASI.38; LIASI.40
Résumé : Admission partielle du recours d'une bénéficiaire de l'aide sociale ayant reçu en héritage une somme d'environ CHF 175'000.-, à laquelle l'hospice réclame le remboursement des prestations financières perçues en attente du règlement de la succession, ainsi qu'une partie de celles perçues auparavant. L'hospice devra procéder à un nouveau calcul pour déterminer le montant à restituer, tenant compte du fait que la recourante a dû, dans l'attente de la décision attaquée, subvenir à son entretien durant de longs mois sans autres ressources que celles provenant de son héritage.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1945/2020-AIDSO ATA/1178/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 24 novembre 2020

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Manuel Bolivar, avocat

contre

HOSPICE GÉNÉRAL

 



EN FAIT

1) Madame A______, née le ______ 1969, a bénéficié de prestations financières de l'Hospice général (ci-après : l'hospice) du 1er février 2009 au 31 décembre 2018 pour un montant total de CHF 204'040.20.

2) Dans ce contexte, elle a signé à plusieurs reprises le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l'Hospice général »
(ci-après : « Mon engagement »), aux termes duquel elle a notamment pris acte du caractère subsidiaire de l'aide financière à toute autre ressource, provenant notamment de la fortune, et s'est engagée à rembourser toute prestation exigible à teneur de la loi applicable.

3) Au début de l'année 2016, Mme A______ a commencé une activité dans le domaine du gardiennage de chiens.

4) Le 7 août 2017, la tante de Mme A______ est décédée, lui léguant une partie de sa fortune, qu'elle a acceptée.

5) Le 2 mars 2018, Mme A______ en a informé l'assistante sociale de l'hospice en charge de son suivi. Cette dernière lui a confirmé, par courrier du même jour, que dès qu'elle disposerait de sa part dans la succession, le remboursement des prestations d'aide financière accordées depuis le jour du décès de sa tante lui serait demandé. Dans le cas où elle entrait en possession d'une fortune importante, l'hospice pourrait en outre lui demander le remboursement total ou partiel des prestations versées depuis le début de l'aide financière.

6) Le 28 novembre 2018, Mme A______ a perçu, au titre de sa part dans la succession de sa tante, une somme de CHF 174'083.65, nette d'impôts.

7) Mme A______ a cessé de percevoir les prestations financières de l'hospice le 31 décembre 2018.

8) La somme des prestations d'aide sociale versées pour la seule période du 1er août 2017 au 31 décembre 2018 s'élevait à CHF 26'502.20.

9) Mme A______ a été reçue en entretien par l'assistante sociale le 7 janvier 2019.

10) Le 26 février 2019, le centre d'action sociale (ci-après : CAS) de ______ a demandé à Mme A______ le remboursement des prestations d'aide sociale versées à titre d'avances successorales depuis août 2017 ainsi que d'une partie des prestations versées avant l'ouverture de la succession, soit au total CHF 149'083.65.

11) Le 18 mars 2019, Mme A______ a formé opposition contre cette décision. Consciente que l'hospice l'avait beaucoup aidée, elle était disposée à rembourser l'institution d'une manière ou d'une autre.

Cependant, après avoir toujours connu des situations professionnelles précaires, elle estimait mériter son héritage vu les efforts considérables qu'elle fournissait depuis quatre ans pour tenter de vivre de son activité. Elle souhaitait pouvoir subvenir à ses besoins en bénéficiant d'une partie de son héritage. Ignorant quel montant allait lui réclamer l'hospice, elle avait décidé de commencer par régler ses dettes. Dès lors qu'elle ne percevait plus de prestations d'aide sociale depuis le mois de décembre 2018, elle avait dû puiser dans cet argent pour s'acquitter de ses charges courantes et frais médicaux. Elle avait élaboré des projets tenant compte de son héritage, de sorte qu'il lui était difficile d'envisager à présent de se séparer de sa fortune en remboursant l'hospice en une seule fois.

Elle proposait alternativement : d'être aidée dans la concrétisation d'un projet lui permettant de devenir financièrement indépendante (boutique d'habits de seconde main, épicerie bio, coffee shop, centre de thérapies naturelles) ; de verser à l'hospice une somme inférieure à celle demandée et de rembourser le reste par acomptes tout en poursuivant son activité actuelle ainsi qu'une future activité d'animatrice parascolaire ; de devenir auto-entrepreneuse, de verser à l'hospice une partie de ses revenus et de garder la totalité du capital hérité.

12) Par décision du 3 juin 2020, le directeur général de l'hospice a rejeté l'opposition du 18 mars 2019 et confirmé la décision du 26 février 2019 en tant qu'elle réclamait à Mme A______ la somme de CHF 149'083.65.

Les dispositions applicables en cas d'héritage d'une fortune importante, ce qui était le cas, étaient claires. Il n'y avait pas lieu en l'occurrence de s'en écarter. Le montant qu'elle avait perçu devait être affecté au remboursement des prestations qui lui avaient été versées par l'hospice, sous réserve d'une somme de CHF 25'000.- de fortune qui était laissée à sa disposition.

Lorsque l'argent de l'héritage avait été versé sur son compte en fin d'année 2018, la gestionnaire financière administrative de l'hospice lui avait téléphoné et l'avait priée de bien le conserver en vue du remboursement qui allait lui être réclamé. Le calcul permettant de déterminer le montant à rembourser lui avait été expliqué lors de l'entretien du 7 janvier 2019. Entre le 1er février 2009 et le 31 juillet 2018 (recte 2017), elle avait perçu des prestations d'aide financière à hauteur de CHF 177'538.-.

13) Le 2 juillet 2020, Mme A______, sous la plume d'un conseil, a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision sur opposition précitée, concluant à son annulation ainsi qu'à celle de la décision du 26 février 2016 (recte 2019), à ce qu'il soit constaté qu'elle n'était pas tenue au remboursement des prestations perçues et à ce que la cause soit retournée à l'hospice pour nouvelle décision, notamment pour l'examen de la demande de remise.

Contrairement à ce qu'affirmait l'hospice, elle n'avait pas été invitée à conserver la somme héritée. Cela n'aurait de toute façon pas été possible, dès lors que, sans autres revenus ni ressources, elle avait dû, depuis le 31 décembre 2018, continuer à assumer ses charges. Dans la mesure où son activité, en développement, ne lui permettait pas encore de couvrir ses frais et où l'hospice avait rendu la décision litigieuse plus d'une année et demie après qu'elle eut perçu son héritage - sans en prononcer l'exécution nonobstant recours - elle n'avait eu d'autre choix que d'utiliser ce dernier. Cela était encore le cas à ce jour. En 2019, ses revenus nets avaient été de CHF 15'732.80. Ils avaient drastiquement chuté en 2020 en raison de la crise sanitaire. Elle avait également réglé ses dettes à hauteur de CHF 12'918.40 et dû faire face à des dépenses relatives au développement de son activité (formation, matériel professionnel et informatique, véhicule adapté). Au 31 mai 2020, le solde du montant provenant de son héritage s'élevait à CHF 70'954.93. De bonne foi, ayant interprété le long silence de l'hospice durant plus d'un an comme un renoncement à demander le remboursement, elle n'était pas en mesure de rembourser le montant réclamé, sauf à se retrouver dans une situation très précaire la contraignant de recourir à nouveau à l'aide sociale. En revanche, l'annulation de la décision entreprise lui permettrait de s'insérer durablement dans le monde professionnel et de ne plus dépendre de l'hospice.

Partant, la décision attaquée était contraire au droit et aux principes de la proportionnalité, de la légalité et de la bonne foi.

Au surplus et alors que son opposition devait être comprise comme une demande de remise, la décision entreprise ne statuait pas clairement à ce sujet. En tout état, une remise devait lui être accordée car le remboursement du montant réclamé aurait pour effet de la placer dans l'indigence.

14) Le 19 août 2020, la direction générale de l'hospice a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision attaquée.

Celle-ci était conforme aux dispositions légales applicables. Le fait que le remboursement pourrait, à terme, contraindre la recourante à solliciter à nouveau l'aide sociale n'était pas pertinent. En effet, cela revenait à rendre inapplicables les dispositions sur le remboursement et à préjuger qu'une personne sortant de l'aide sociale grâce à un héritage n'aurait pour seules ressources à l'avenir que le capital hérité pour subvenir à ses besoins, ce qui ne lui était pas souhaitable.

Il n'existait par ailleurs pas de motif pour que les dettes de la recourante soient réglées au détriment de celle à l'égard de l'hospice, soit la collectivité publique, qu'elle s'était engagée à rembourser en signant le document « Mon engagement ». Il était ainsi justifié de ne pas en tenir compte dans le calcul du montant à rembourser.

La situation financière de la recourante à prendre en considération pour lui réclamer le remboursement était celle qui existait au moment où elle avait perçu son héritage et non celle prévalant actuellement. À défaut, le remboursement d'une dette à l'hospice serait pratiquement impossible et la créance pourrait s'éteindre du seul fait de l'écoulement du temps et de l'utilisation par le bénéficiaire de son héritage à d'autres fins que celles du remboursement.

La recourante ne pouvait pas se prévaloir de sa bonne foi en ayant interprété le temps écoulé entre son opposition et la décision attaquée comme un renoncement à requérir le remboursement ou à tout le moins comme une acceptation des arrangements qu'elle avait proposés. Un accusé de réception du 21 mars 2019 lui avait clairement indiqué qu'une décision sur opposition lui parviendrait ultérieurement. De plus, la loi ne prévoyait pas la possibilité d'arrangements tels que ceux qu'elle avait soumis.

Enfin, faute d'avoir formulé une demande de remise dans son opposition et se trouvant hors du délai de trente jours dès la notification de la demande de remboursement, l'hospice avait considéré que cette question n'avait pas à être traitée. En tout état, l'octroi de la remise supposait la réalisation de deux conditions cumulatives, à savoir que le bénéficiaire devait être de bonne foi et que le remboursement le placerait dans une situation financière difficile. Or, la recourante ne pouvait pas prétendre être de bonne foi, dès lors qu'elle ne pouvait pas ignorer, vu sa signature du document « Mon engagement » et les explications données par son assistante sociale, qu'elle serait tenue, à réception de son héritage, de rembourser les prestations d'aide financière dont elle avait bénéficié.

15) Le 14 septembre 2020, Mme A______ a répliqué, persistant dans les conclusions de son recours.

L'hospice se bornait à invoquer le droit cantonal applicable, restant muet sur la violation du droit fédéral invoquée. Par ailleurs, le montant des dettes qu'elle avait remboursées devait être déduit de celui de son héritage avant de procéder au calcul visant à lui laisser une fortune de CHF 25'000.-. Dans le cas contraire, elle serait empêchée de sortir définitivement de l'aide sociale.

L'hospice ne pouvait pas considérer qu'il fallait tenir compte de sa situation au moment de la perception de son héritage. Le principe de la bonne foi avait été violé en raison du long délai écoulé entre l'opposition et la notification de la décision attaquée. Sans ressources durant cette période, elle n'avait pas eu d'autre solution que celle d'utiliser une partie de son héritage pour subvenir à ses besoins. Or, il appartenait à l'intimé de statuer avec diligence et non à la recourante de vivre durant une période indéterminée dans une complète indigence.

Dans son opposition, la recourante avait prié l'hospice de renoncer au remboursement de la somme de CHF 149'083.65, indiquant que celui-ci la placerait dans une situation difficile. Il fallait ainsi admettre que la demande de remise avait été formée à cette occasion, ce d'autant qu'elle n'était, à ce stade de la procédure, pas assistée d'un avocat. De plus, sa demande de remise était recevable puisque, conformément à la jurisprudence, une telle demande devait être formée dans un délai de trente jours après l'entrée en force de la demande de restitution et qu'en l'occurrence tel n'était pas le cas à ce jour. Enfin, les conditions d'octroi d'une remise étaient réalisées, dès lors que la recourante était de bonne foi au moment où elle avait perçu les prestations dont la restitution était exigée.

16) Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 52 de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 - LIASI - J 4 04 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur la demande de l'hospice à la recourante de restituer les prestations financières d'aide sociale perçues à titre d'avances successorales entre le 1er août 2017 et le 31 décembre 2018, ainsi que d'une partie des prestations perçues avant l'ouverture de la succession, soit au total CHF 149'083.65, et sur le refus de l'intimé d'accorder une remise.

3) La recourante allègue que la décision attaquée serait contraire au droit et contreviendrait au principe de la bonne foi en tant que l'intimé considère comme déterminant pour calculer la somme à restituer le montant de l'héritage au jour où elle l'a perçu.

4) a. Aux termes de l'art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), quiconque est dans une situation de détresse et n'est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d'être aidé et assisté, et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine.

Le droit constitutionnel fédéral ne garantit toutefois que le principe du droit à des conditions minimales d'existence ; il appartient ainsi au législateur fédéral, cantonal et communal d'adopter des règles en matière de sécurité sociale qui ne descendent pas en dessous du seuil minimum découlant de l'art. 12 Cst. mais qui peuvent aller au-delà (arrêts du Tribunal fédéral 2P.318/2004 du 18 mars 2005 consid. 3 ; 2P.115/2001 du 11 septembre 2001 consid. 2a ; ATA/790/2019 du 16 avril 2019 et les références citées). L'art. 39 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst- GE - A 2 00) reprend ce principe : « toute personne a droit à la couverture de ses besoins vitaux afin de favoriser son intégration sociale et professionnelle ».

b. En droit genevois, la LIASI et le règlement d'exécution de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01) mettent en oeuvre ce principe constitutionnel.

La LIASI a pour but de prévenir l'exclusion sociale et d'aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1). Ses prestations sont fournies sous forme d'accompagnement social et de prestations financières (art. 2 LIASI). Ces dernières sont subsidiaires à toute autre source de revenu (art. 9 al. 1 LIASI) et leurs bénéficiaires doivent faire valoir sans délai leurs droits auxquels l'aide financière est subsidiaire (art. 9 al. 2 LIASI ; ATA/790/2019 précité et les références citées).

Ont droit à des prestations d'aide financière les personnes qui ont leur domicile et leur résidence effective sur le territoire du canton de Genève, ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien et répondent aux autres conditions de la loi (art. 11 al. 1 LIASI). Les conditions financières donnant droit aux prestations d'aide financière sont déterminées aux art. 21 à 28 LIASI.

En contrepartie des prestations auxquelles il a droit, le bénéficiaire s'engage, sous forme de contrat, à participer activement à l'amélioration de sa situation (art. 14 LIASI). Il est tenu de participer activement aux mesures le concernant (art. 20 LIASI), de fournir tous les renseignements nécessaires pour établir son droit et fixer le montant des prestations d'aide financière (art. 32 al. 1 LIASI) et de se soumettre à une enquête de l'hospice lorsque celui-ci le demande (art. 32
al. 2 LIASI).

c. Si les prestations d'aide financière prévues par la LIASI ont été accordées dans l'attente de la liquidation d'une succession, du versement d'un capital pour cause de décès par la prévoyance professionnelle ou par une assurance-vie, les prestations d'aide financière sont remboursables (art. 38 al. 1 LIASI). L'hospice demande au bénéficiaire le remboursement des prestations d'aide financière accordées depuis l'ouverture de la succession, dès qu'il peut disposer de sa part dans la succession ou du capital provenant de la prévoyance professionnelle ou d'une assurance-vie (art. 38 al. 2 LIASI). L'action en restitution se prescrit par cinq ans, à partir du jour où l'hospice a eu connaissance du fait qui ouvre le droit au remboursement. Le droit au remboursement s'éteint au plus tard dix ans après la survenance du fait (al. 4).

Selon l'art. 40 LIASI, intitulé « dessaisissement et gains extraordinaires », si des prestations d'aide financière prévues par la LIASI ont été accordées alors que le bénéficiaire s'est dessaisi de ses ressources ou de parts de fortune, les prestations d'aide financière sont remboursables (al. 1). Il en est de même lorsque le bénéficiaire est entré en possession d'une fortune importante, a reçu un don, réalisé un gain de loterie ou d'autres revenus extraordinaires ne provenant pas de son travail, ou encore lorsque l'équité l'exige pour d'autres raisons (al. 2). L'action en restitution se prescrit par cinq ans, à partir du jour où l'hospice a eu connaissance du fait qui ouvre le droit au remboursement. Le droit au remboursement s'éteint au plus tard dix ans après la survenance du fait (al. 3).

d. Les limites de fortune permettant de bénéficier des prestations d'aide financière se montent à CHF 4'000.- pour une personne seule majeure (art. 1
al. 1 RIASI).

e. La chambre administrative a eu l'occasion de procéder à une interprétation historique de l'art. 40 al. 2 LIASI à la lumière des travaux préparatoires de la LIASI. Elle a retenu que cette disposition ne pouvait viser le seul remboursement des prestations servies dès l'entrée en possession de la fortune, mais bien aussi des prestations servies auparavant. En l'absence de limite temporelle passée fixée par la loi, on devait retenir que le législateur avait visé l'ensemble des prestations déjà servies, sans limite de temps, mais dans les seules limites de l'équité et de la proportionnalité (ATA/508/2016 du 14 juin 2016 consid. 8 et la référence citée). Cette jurisprudence a été confirmée par le Tribunal fédéral.

S'agissant de la définition de la « fortune importante », il a été retenu qu'un héritage de CHF 606'000.-, dont à déduire la créance de l'hospice en CHF 26'373.-, était une fortune importante au sens de la LIASI, de même qu'un héritage de CHF 495'730.-, dont à déduire la créance de l'hospice en CHF 252'091.90. Il a aussi été précisé que les prestations versées en faveur du bénéficiaire à un tiers devaient être remboursées si les montants étaient prouvés, comme par exemple dans le cas des primes d'assurance-maladie (ATA/508/2016 précité consid. 8 et la référence citée).

f. Il ressort par ailleurs des normes édictées par la Conférence suisse des institutions d'action sociale (ci-après : normes CSIAS) et en particulier de la norme E.3.1, dans sa teneur en vigueur jusqu'en décembre 2020, que le montant pouvant être considéré comme « fortune importante » a été clarifié dès décembre 2010 dans les directives, lesquelles précisent qu'il convient de laisser un montant approprié (CHF 25'000.- pour les personnes seules, CHF 40'000.- pour les couples, plus CHF 15'000.- par enfant mineur) aux personnes qui, en raison d'une entrée en possession de biens importants, n'ont plus besoin d'aide matérielle. Ces montants laissés à la libre disposition devraient également être appliqués lorsque, après la fin de l'aide, il existe une obligation de rembourser des prestations obtenues antérieurement en raison de l'entrée ultérieure en possession d'une fortune avant l'expiration du délai de prescription défini par le droit cantonal (ATA/508/2016 précité consid. 9 et les références citées).

g. Enfin, la chambre de céans a déjà considéré à plusieurs reprises qu'il n'appartenait pas à l'État et indirectement à la collectivité, de désintéresser d'éventuels créanciers. En effet, tel n'est pas le but de la loi, qui poursuit celui de soutenir les personnes rencontrant des difficultés financières, en les aidant à se réinsérer socialement et professionnellement, étant rappelé que l'aide est subsidiaire, de manière absolue, à toute autre ressource. Il n'est ainsi pas acceptable d'être au bénéfice d'une aide sociale ordinaire et d'utiliser sa fortune personnelle et récemment acquise pour désintéresser ses créanciers (ATA/479/2018 du 15 mai 2018 consid. 6 et les références citées).

5) Le principe de la bonne foi entre administration et administré, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst., exige que l'une et l'autre se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l'administration doit s'abstenir de toute attitude propre à tromper l'administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 129 I 161
consid. 4 ; 129 II 361 consid. 7.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1013/2015 du 28 avril 2016 consid. 3.1 ; ATA/393/2018 du 24 avril 2018 consid. 6b). Ne peut prétendre à être traité conformément aux règles de la bonne foi que celui qui n'a pas lui-même violé ce principe de manière significative. On ne saurait ainsi admettre, dans le cas d'espèce, de se prévaloir de son propre comportement déloyal et contradictoire (arrêt du Tribunal fédéral 2A.52/2003 du 23 janvier 2004 consid. 5.2, traduit in RDAF 2005 II 109 ss, spéc. 120 ; ATA/112/2018 du 6 février 2018 consid. 4 ; ATA/1004/2015 du 29 septembre 2015 consid. 6d ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 580).

Le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; 137 I 69 consid. 2.5.1 ; 131 II 627 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_151/2012 du 5 juillet 2012 consid. 4.2.1 ; 2C_1023/2011 du 10 mai 2012 consid. 5). Conformément au principe de la confiance, qui s'applique aux procédures administratives, les décisions, les déclarations et comportements de l'administration doivent recevoir le sens que l'administré pouvait raisonnablement leur attribuer en fonction des circonstances qu'il connaissait ou aurait dû connaître (arrêt du Tribunal fédéral 2P.170/2004 du 14 octobre 2004 consid. 2.2.1, in RDAF 2005 I 71 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 569 s.). Le principe de la confiance est toutefois un élément à prendre en considération et non un facteur donnant en tant que tel naissance à un droit (ATA/252/2018 du 20 mars 2018 consid. 8f ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 569). La protection de la bonne foi ne s'applique pas si l'intéressé connaissait l'inexactitude de l'indication ou aurait pu la connaître en consultant simplement les dispositions légales pertinentes (ATF 135 III 489 consid. 4.4 ; 134 I 199 consid. 1.3.1).

6) En l'espèce, la recourante a bénéficié de prestations d'aide sociale du 1er février 2009 au 31 décembre 2018 pour un montant total de CHF 204'040.20. Suite au décès de sa tante en août 2017, elle a hérité d'une part dans la succession de cette dernière, ce dont elle a informé l'hospice. Il n'est pas contesté que la recourante a été informée, le 2 mars 2018 que, lorsqu'elle recevrait sa part dans la succession, l'hospice allait lui réclamer le remboursement des prestations d'aide financière accordées depuis le jour du décès de sa tante et que, si elle entrait en possession d'une fortune importante, l'hospice pourrait en outre lui demander le remboursement total ou partiel des prestations versées depuis le début de l'aide financière.

La recourante a reçu le 28 novembre 2018 une somme de CHF 174'083.65 au titre de sa part dans la succession précitée. Dès lors qu'elle n'entrait alors plus dans les barèmes de l'aide sociale, l'hospice a cessé de lui verser des prestations financières le 31 décembre 2018. À juste titre et conformément à l'art. 38 al. 1
et 2 LIASI, l'intimé a retenu que le montant de CHF 26'502.20 qu'elle avait perçu entre le 1er août 2017 (décès de sa tante) et le 31 décembre 2018 (fin des prestations) au titre d'avances dans l'attente de la liquidation de la succession devait être restitué.

La recourante a hérité d'une fortune pouvant être qualifiée d'importante au sens de l'art. 40 al. 2 LIASI et de la jurisprudence, ce qui n'est pas contesté. C'est ainsi également à bon droit que l'hospice, compte tenu du fait que la recourante avait perçu entre le 1er février 2009 et le 31 juillet 2017 des prestations à hauteur de CHF 177'538.-, a considéré qu'il pouvait lui demander en outre le remboursement partiel desdites prestations.

Pour déterminer le montant total à rembourser par la recourante, l'hospice a notamment tenu compte, conformément aux recommandations de la norme CSIAS E.3.1, du fait qu'une somme de CHF 25'000.- devait être laissée à sa disposition.

Dans son calcul, l'intimé a par ailleurs suivi la jurisprudence constante selon laquelle, vu le caractère subsidiaire de l'aide sociale, il n'est pas admissible d'être au bénéfice de prestations et d'utiliser sa fortune personnelle récemment acquise pour désintéresser ses créanciers. En effet, dès lors qu'il n'appartient pas à la collectivité publique d'assumer les dettes contractées par la recourante auprès de tiers, il n'y a pas lieu de déduire du montant de l'héritage la somme alléguée de CHF 12'918.40.

La décision attaquée est ainsi conforme au droit sur les éléments qui précèdent et la demande de remboursement s'avère, dans son principe, fondée. Le fait, allégué par la recourante, selon lequel elle serait susceptible de devoir, à terme, recourir à nouveau à l'aide sociale si une partie de son héritage devait servir au remboursement des prestations perçues est irrelevant, dès lors que le prendre en considération reviendrait à rendre inapplicables les dispositions précitées de la LIASI sur la restitution en cas d'héritage.

Il convient cependant de constater, d'une part, qu'il n'est pas possible d'établir qu'il aurait été expressément demandé à la recourante de conserver l'intégralité du montant de son héritage, les déclarations des parties à ce sujet étant contradictoires et la procédure suivie par l'hospice dans une telle situation n'étant pas claire et ne ressortant d'aucune pièce. Dans le contexte particulier d'un héritage, dans lequel l'hospice n'offre plus de garantie de prise en charge des frais de la personne concernée, le simple fait d'avoir signé le document « Mon engagement » ne s'avère pas suffisant pour fonder l'obligation de ne pas utiliser l'argent perçu, sans limite de montant ni de temps.

D'autre part, l'autorité intimée a, en l'occurrence, statué dans un délai particulièrement long de quinze mois depuis l'opposition formée par la recourante en mars 2018. Ainsi, entre la cessation du versement des prestations par l'hospice au 31 décembre 2018 et le prononcé de la décision sur opposition du 3 juin 2020, soit plus de dix-sept mois, la recourante, qui ne pouvait plus prétendre à l'aide sociale vu la fortune héritée, a été contrainte de faire face à tout le moins à ses charges courantes pour subvenir à son entretien.

Par conséquent, l'hospice, conscient de ce qu'aucune autre solution que celle d'utiliser une partie de son héritage pour couvrir ses charges ne s'offrait à la recourante, puisque son droit à l'aide sociale aurait été dénié, ne pouvait pas retenir de bonne foi que la somme déterminante pour calculer le montant à restituer devait être celle qui lui avait été versée le 28 novembre 2018, à savoir CHF 174'083.65, alors qu'il lui appartenait de statuer avec diligence dans un délai raisonnable de soixante jours, conformément à l'art. 52 al. 1 LPA. Bien que l'intimé ait adressé à la recourante un accusé de réception indiquant qu'il se prononcerait, il ne pouvait pas être exigé de celle-ci qu'elle attende plus de quinze mois pour connaître le sort de son opposition, sans pouvoir prétendre à l'aide sociale et sans utiliser une partie de la fortune dont elle disposait pour vivre et payer ses charges.

La décision attaquée contrevient ainsi au principe de la bonne foi dans la mesure où l'autorité intimée réclame à la recourante un montant total de CHF 149'083.65 sans tenir compte du fait qu'elle a dû subvenir à son entretien, sans autres ressources que celles provenant de son héritage, durant de nombreux mois.

L'hospice devra en conséquence procéder à un nouveau calcul du montant dont il peut réclamer la restitution, en déterminant puis déduisant de la somme de l'héritage les montants nécessaires à la couverture des besoins vitaux de la recourante et lui garantissant le droit à des conditions minimales d'existence durant la période où elle se sera trouvée sans autre ressource que son héritage. Il appartiendra à l'hospice de déterminer quelles charges parmi celles alléguées et/ou prouvées par la recourante dans le cadre de son recours devront être prises en considération dans ce nouveau calcul.

7) La recourante prétend avoir sollicité une remise sur la somme à restituer, alors que l'intimé considère que sa demande a été formée hors délai et doit en tout état être refusée.

a. À teneur de l'art. 42 LIASI, le bénéficiaire qui était de bonne foi n'est tenu au remboursement, total ou partiel, que dans la mesure où il ne serait pas mis, de ce fait, dans une situation difficile (al. 1) ; dans ce cas, il doit formuler par écrit une demande de remise dans un délai de trente jours dès la notification de la demande de remboursement ; cette demande de remise est adressée à l'hospice (al. 2). Les conditions de la bonne foi et de la condition financière difficile sont cumulatives (ATA/1377/2017 du 10 octobre 2017 consid 11).

b. En l'espèce, les questions de savoir si et quand la recourante, non représentée au stade de son opposition, aurait formé une demande de remise auprès de l'intimé en lui proposant plusieurs options pour ne pas se défaire de l'entier de son héritage, le cas échéant si les conditions d'une telle remise seraient réalisées, peuvent souffrir de rester indécises, dès lors que le montant initialement réclamé à la recourante devra, vu ce qui précède, être rectifié et faire l'objet d'une nouvelle décision de l'intimé.

Le recours sera ainsi partiellement admis. La cause sera retournée à l'autorité intimée pour qu'elle rende une nouvelle décision et procède dans le sens des présents considérants pour déterminer le montant à restituer, sous réserve d'une éventuelle remise par l'intimé ou d'un éventuel arrangement, étant précisé que ces aspects ne font pas partie de l'objet du présent litige circonscrit par la décision querellée.

8) Vu la nature et l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87
al. 1 LPA ; art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l'intimé, sera allouée à la recourante qui, assistée d'un avocat, y a conclu (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 juillet 2020 par Madame A______ contre la décision sur opposition de l'Hospice général du 3 juin 2020 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule la décision de l'Hospice général du 3 juin 2020 en tant qu'elle réclame le remboursement de CHF 149'083.65 ;

renvoie la cause à l'Hospice général pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Madame A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à la charge de l'Hospice général ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Manuel Bolivar, avocat de la recourante ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Verniory, Mme Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :