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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3714/2012

ATA/565/2013 du 28.08.2013 ( TAXIS ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3714/2012-TAXIS ATA/565/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 août 2013

en section

 

dans la cause

 

Monsieur B______
représenté par Me Pierre Bayenet, avocat

contre

SERVICE DU COMMERCE

 



EN FAIT

Monsieur B______, né le ______ 1971, domicilié à Genève, exerce la profession de chauffeur de taxi depuis 1998.

Le 25 mai 2005, M. B______ s’est inscrit sur la liste d’attente ouverte auprès du service du commerce (ci-après : Scom) en vue d’obtenir une autorisation d’exploiter un taxi de service public.

Le 18 décembre 2007, il a obtenu une autorisation d’exploiter un taxi de service privé sous le numéro de plaques GE ______.

Le 2 septembre 2009, le Scom a proposé à M. B______ de lui délivrer une autorisation d’exploiter un taxi de service public en contrepartie du paiement d’une taxe de CHF 60’000.-.

M. B______ a accepté la proposition du Scom mais a contesté le montant de la taxe précité, considérant ne devoir payer que CHF 25’000.-. Cette contestation a donné lieu à un échange de correspondance entre l’avocat de M. B______ et le Scom.

Le 9 novembre 2009, le Scom a notifié M. B______ une décision par laquelle il confirmait lui délivrer l’autorisation requise d’exploiter un taxi de service public, moyennant le paiement de la somme de CHF 60’000.-.

Le 9 décembre 2009, M. B______ a interjeté recours contre la décision du Scom du 9 novembre 2009 auprès du Tribunal administratif, devenu le 1er janvier 2011 la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

Le 20 avril 2010, M. B______ a fait l’objet d’un rapport d’arrestation pour injures, menaces et lésions corporelles simples à la suite d’une plainte pénale de Monsieur A______, un autre chauffeur de taxi. Le 16 avril 2010, M. B______, qui conduisait son taxi de service privé, avait frappé ce dernier en lui causant des lésions au visage lors d’une altercation au sujet d’une cliente, que le plaignant avait prise en charge alors que l’intéressé considérait qu’elle était la sienne. Les faits étaient contestés par M. B______.

Le 10 juin 2010, le Scom, qui avait reçu copie du rapport d’arrestation précité, a imparti à M. B______ un délai échéant le 24 juin 2010 pour se déterminer sur ces faits, car il envisageait le prononcé d’une éventuelle sanction et/ou mesure disciplinaire, au sens des art. 45 à 47 de la loi sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles) du 21 janvier 2005, entrée en vigueur le 15 mai 2005 (LTaxis - H 1 30).

M. B______ a répondu le 23 juin 2010 par l’intermédiaire de son conseil, auprès duquel il faisait élection de domicile. Il a contesté les faits reprochés, qui faisaient l’objet d’une procédure pénale encore en cours. La procédure administrative devait être suspendue dans l’attente de l’issue de cette dernière.

Par courrier du 22 juillet 2010, le Scom a suspendu la procédure administrative et en a avisé le conseil de l’intéressé.

Par arrêt du 30 novembre 2010, le Tribunal administratif a rejeté le recours de M. B______ au sujet de la délivrance de son autorisation d’exploiter un taxi de service public. L’obligation qui lui était faite de s’acquitter d’un montant de CHF 60’000.- était conforme à la loi (ATA/845/2010 du 30 novembre 2010).

Le 12 janvier 2011, M. B______, sans passer par son avocat, a écrit au Scom pour réclamer un bulletin de versement afin de payer le montant de CHF 60’000.-. En réponse, le Scom lui adressé la facture demandée à son domicile privé, par pli recommandé du 20 janvier 2011, dont il devait s’acquitter du solde dans les dix jours.

Le 7 février 2011, le Scom a délivré une autorisation d’exploiter un taxi de service public à titre d’indépendant à M. B______, en lui accordant le numéro de plaques GE ______.

Le 13 septembre 2012, M. B______ a fait intervenir un nouvel avocat auprès du Scom pour réclamer le remboursement d’un montant de CHF 20’000.- qu’il considérait avoir payé en trop pour la taxe unique. Le Scom a répondu à ce dernier le 28 septembre 2012. La requête était irrecevable et il refusait définitivement d’entrer en matière sur un remboursement.

Le 17 octobre 2012, répondant à une requête du Scom du 12 octobre 2012, le Ministère public lui a transmis un jugement du Tribunal de police du 10 février 2012, définitif et exécutoire, condamnant M. B______.

Il était établi à teneur dudit jugement, notamment par le témoignage de la cliente qui avait été prise en charge par M. A______ le 16 avril 2010, que M. B______ avait porté à son collègue un coup de poing « certes petit et sans force » au visage alors que celui-ci se trouvait assis au volant de son taxi, puis au moins un deuxième coup de poing au visage après qu'il en était sorti, lui causant des lésions péri-orbitales. Si la culpabilité de M. B______ était établie, il fallait prendre en compte dans la fixation de la peine certains facteurs qui lui avaient fait perdre le contrôle de lui-même, soit la frustration de perdre une cliente et les insultes reçues du plaignant, que celui-ci admettait avoir proférées. M. B______ était coupable de lésions corporelles simples de peu de gravité au sens de l’art. 123 ch. 1 al. 2 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) pour les faits précités et condamné à une peine de douze jours-amende à CHF 35.-, assortie d’un sursis de trois ans.

Par pli recommandé du 31 octobre 2012, le Scom a écrit à M. B______ à son domicile privé, ______, chemin S______ à Genève. Se fondant sur l’art. 31 al. 1 LTaxis, il révoquait les autorisations accordées à M. B______ d’exercer comme chauffeur de taxi et d’exploiter un taxi de service public en qualité d’indépendant. Ce dernier devait restituer sa carte professionnelle de chauffeur de taxi dans les dix jours suivant l’entrée en force de cette décision et les plaques de police GE ______ à l’office cantonal des automobiles et de la navigation, devenu depuis l’office cantonal des véhicules (ci-après : OCV) dans le même délai. S’il ne s’exécutait pas, il encourait les sanctions pénales prévues à l’art. 292 CP, dont la teneur lui était rappelée.

M. B______ s’était rendu coupable d’infraction dénotant un caractère instable et dangereux, ce qui était particulièrement grave pour un professionnel du domaine du transport de personnes qui se devait d’exercer sa profession dans le respect de la sécurité et de la moralité publiques. Son attitude était susceptible de mettre en péril le bon exercice de sa profession et le Scom ne pouvait plus considérer qu’il présentait des garanties de moralité et de comportement suffisantes au sens de l’art. 6 al. 2 let. c LTaxis permettant l’octroi de la carte professionnelle.

Selon le site de La Poste permettant de retracer le suivi des envois, le pli contenant la décision du Scom précitée a été posté le jeudi 1er novembre 2012 et est arrivée à l’office postal de Bernex le 2 novembre 2012, pour être distribué. M. B______ n’ayant pas pu être atteint, il a été avisé le même jour de l’arrivée du pli recommandé et invité à le retirer à l’office postal par avis déposé dans sa boîte aux lettres. Le 12 novembre 2012, le pli n’ayant pas été retiré, il avait été retourné au Scom avec la mention « non réclamé ».

Le 6 décembre 2012, le Scom a transmis à M. B______, par pli simple, un exemplaire de la décision du 31 octobre 2012 qu’il n’avait pas retirée à la poste. Cet envoi ne valait pas nouvelle notification de cette décision, qui était censée, selon la jurisprudence, lui être parvenue le dernier jour du délai de garde de sept jours suivant la remise de l’avis de retrait déposé dans sa boîte aux lettres.

Par pli recommandé posté le 10 décembre 2012, M. B______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la décision du 31 octobre 2012 précitée, concluant à son annulation. Son droit d’être entendu avait été violé car le Scom avait pris une sanction, soit la révocation de son autorisation, en vertu de l’art. 31 LTaxis, non envisagée dans le courrier qu’il lui avait adressé le 10 juin 2010. En outre, le Scom ne lui avait pas notifié la décision de reprise de l’instruction de la procédure après sa suspension. Formellement, le Scom n’était pas compétent pour révoquer l’autorisation. Sur le fond, le Scom avait apprécié de manière inexacte la gravité de l’infraction commise le 16 mai 2010.

Sur requête du juge délégué, le Scom a transmis le 21 décembre 2012 les justificatifs relatifs à la notification de la décision du 31 octobre 2012, puis, le 5 février 2013, le dossier de l’intéressé qui avait conduit à la prise de ladite décision.

Le 14 mars 2013, le Scom a conclu au rejet du recours. Il était l’autorité compétente chargée par la loi d’appliquer les dispositions de la LTaxis. Si la suspension de la procédure administrative pouvait être prononcée jusqu’à droit connu sur des questions de nature civile, pénale ou administrative, l’art. 14 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), qui prévoyait cette faculté, n’imposait pas à l’autorité d’informer la partie recourante de la reprise de la procédure administrative la concernant. Le recourant avait été informé que la procédure serait suspendue jusqu’à droit connu sur la procédure pénale. Il devait donc s’attendre à cette que cette procédure reprenne d’office dès le prononcé du jugement du Tribunal de police.

Le droit d’être entendu du recourant avait été respecté. Celui-ci avait pu se déterminer auprès du Scom à la suite du courrier du 10 juin 2010. Les débats contradictoires menés devant le juge pénal lui avaient d’ailleurs permis de confronter sa version des faits à celle du plaignant et du témoin. Il aurait pu interjeter appel contre le jugement, ce qu’il n’avait pas fait. Le Scom n’était pas tenu de lui adresser un nouveau délai pour s’exprimer à la suite du prononcé du jugement pénal.

Le fait que le Scom, qui n’avait initialement envisagé que l’hypothèse d’une sanction ou d’une mesure administrative au sens des art. 45 et 46 LTaxis, n’ait pas fait part au recourant de son intention de prononcer une révocation de sa carte professionnelle de chauffeur de taxi et de son autorisation d’exploiter un taxi de service public en qualité d’indépendant, n’avait aucune incidence sur le droit d’être entendu du recourant. Le retrait de la carte professionnelle avait les mêmes conséquences qu’une révocation, à la seule différence que l’autorité était tenue d’entrer en matière dans le cas du dépôt d’une nouvelle requête dans les deux ans qui suivaient l’entrée en force de la décision. Lorsque le recourant avait été invité, le 10 juin 2010, à se prononcer sur un éventuel retrait de sa carte professionnelle, il aurait pu faire valoir des griefs pertinents pour s’opposer à une révocation. En tout état, la chambre administrative ayant le même pouvoir d’examen que l’autorité décisionnaire, une violation du droit d’être entendu pourrait être réparée devant elle.

Sur le fond, la décision attaquée était bien fondée. Le Scom avait le droit de révoquer les autorisations prévues par le chap. 2 de la LTaxis lorsque les conditions de leur délivrance n’étaient plus remplies. Le recourant avait commis une infraction de lésions corporelles simples. Le fait qu’il ait pu se sentir frustré parce que sa cliente lui avait échappé au profit d’un concurrent ou qu’il ait été heurté par les insultes proférées par son collègue était sans pertinence. Un chauffeur de taxi était quotidiennement confronté à ce type de frustrations dans l’exercice de sa profession et devait pouvoir y faire face.

La sanction était proportionnée. La suspension et le retrait prévus par l’art. 46 LTaxis étaient des sanctions administratives. Elles visaient à dissuader le justiciable de commettre de nouvelles infractions. La révocation de la carte professionnelle poursuivait un but différent, soit celui de préserver les intérêts poursuivis par la LTaxis, en évitant qu’un chauffeur de taxi puisse poursuivre son activité alors qu’il ne remplissait plus les conditions d’exercice de sa profession. En l’espèce, par la révocation de la carte professionnelle et de l’autorisation d’exploiter du recourant, le respect de la sécurité publique était assuré. La révocation d’une carte professionnelle entraînait forcément celle de l’autorisation d’exploiter un taxi de service public. Il n’y avait pas d’espace d’appréciation pour l’autorité décisionnaire sur ce point.

Un retrait de la carte professionnelle de chauffeur de taxi au sens de l’art. 46 LTaxis n’aurait pas été plus favorable au recourant parce qu’elle l’aurait privé de la possibilité de solliciter une nouvelle carte professionnelle pendant un délai de deux ans. Constituant une sanction, elle aurait en outre constitué un antécédent, qui aurait aggravé la quotité de toute nouvelle sanction prononcée à son endroit.

Une suspension de la carte professionnelle de chauffeur de taxi n’aurait pas permis d’atteindre le but recherché puisque le recourant aurait pu reprendre son activité à l’expiration du délai de suspension, qu’il présente ou non le caractère moral exigé par la loi.

La révocation était dès lors la seule mesure de garantir le respect de la sécurité publique et l’égalité de traitement entre chauffeurs de taxis. Les conséquences de la décision entreprise n’étaient pas aussi lourdes que le prétendait le recourant. Rien ne s’opposait à ce que qu’il sollicite la délivrance d’une nouvelle carte professionnelle de chauffeur de taxi trois ans après sa condamnation et reprenne son activité de chauffeur de taxi en qualité d’employé.

Le 22 mars 2013, le recourant a répliqué. Le fait qu’il ait pu s’expliquer devant le juge pénal n’emportait pas le respect du droit d’être entendu dans le cadre de la procédure administrative. L’argument du Scom relatif à l’identité des sanctions tombait à faux. Le retrait de la carte professionnelle l’écartait temporairement de sa profession tandis que la révocation de celle-ci l’atteignait de manière « immensément plus importante », avec une interdiction définitive de pratiquer son métier. Une sanction sous forme de retrait portait atteinte provisoirement à sa liberté économique, tandis que la révocation touchait au noyau même de cette liberté. Cette différence rendait d’autant plus important le respect de son droit d’être entendu et l’obligation de lui permettre de se déterminer sur une révocation, si celle-ci était envisagée. La réparation de la violation du droit d’être entendu devant la chambre administrative n’était pas complète puisque les juridictions administratives n’étaient pas compétentes pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée. L’art. 41 LPA prévoyait expressément que les parties avaient le droit d’être entendues par l’autorité compétente avant que ne soit prise une décision, sans possibilité de dérogation.

Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

La chambre administrative est l’autorité de recours ordinaire en matière administrative (art. 132 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05). A ce titre, elle est compétente pour connaître des recours contre les décisions du Scom.

Les décisions administratives sont notifiées à leurs destinataires (art. 46 al. 1 LPA). La notification fait courir le délai de recours (art. 62 LPA). Selon l'art. 62 al. 4 LPA, un envoi recommandé qui n’a pu être distribué est réputé l’avoir été le septième jour suivant la première tentative infructueuse de distribution.

En l’espèce, l’avis d’arrivée du pli recommandé contenant la décision litigieuse a été placé le 2 novembre 2012 dans la boîte aux lettres du recourant. Le délai de recours échéait le dimanche 9 décembre 2012. Celui-ci étant un jour férié légal, cette échéance était dès lors reportée au premier jour utile suivant, soit au lundi 10 décembre 2012. Le recours ayant été déposé ce jour-là, il est recevable (art. 17 al. 3 et 62 al. 1 let. a LPA).

Le service des transports de personnes est régi dans le canton de Genève par la LTaxis. C’est le département des affaires régionales, de l'économie et de la santé (ci-après : le département), soit pour lui le Scom, qui est chargé de l’application de cette loi (art. 1 al. 1 du règlement d’exécution de la loi sur les taxis et limousines - transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles – RTaxis - H 1 30.01).

L’exercice de la profession de chauffeur de taxi implique d’être titulaire d’une carte professionnelle de chauffeur de taxi (art. 5 al. 1 LTaxis), qui est délivrée aux conditions énoncées à l’art. 6 al. 2 LTaxis. Parmi celles-ci, figure la nécessité d’offrir des garanties de moralité et de comportement suffisantes (art. 6 al. 2 let. c LTaxis).

Le titulaire d’une carte professionnelle de chauffeur de taxi peut être mis au bénéfice par le Scom d’une autorisation d’exploiter un taxi de service privé aux conditions de l’art. 10 LTaxis ou de service public à celles de l’art. 11 LTaxis.

Le titulaire d’une autorisation prévue par la LTaxis est tenu d’informer l’autorité sans délai de tout fait qui pourrait affecter les conditions de l’autorisation (art. 30 al. 1 LTaxis).

Selon l’art. 31 al. 1 LTaxis, le département révoque les autorisations prévues par le chap. 2 LTaxis lorsque les conditions de leur délivrance ne sont plus remplies. Sont ainsi entre autres révocables les cartes professionnelles de chauffeur de taxi ainsi que les autorisations d’exploiter un service de transport de personnes au sens de l’art. 9 LTaxis. L’art. 31 al. 1 LTaxis réserve les sanctions administratives, au sens des art. 46 et 47 LTaxis.

Selon l’art. 46 LTaxis, en cas de manquement aux devoirs imposés par la loi ou ses dispositions d’exécution par un chauffeur de taxi employé ou indépendant, le département peut, en tenant compte de la gravité de l’infraction ou de sa réitération, sanctionner le titulaire de la carte professionnelle de chauffeur de taxi d’une suspension de celle-ci pour une durée de dix jours à six mois (art. 46 al. 1 let. a LTaxis) ou du retrait de ladite carte (art. 46 al. 1 let. b LTaxis).

Le prononcé de cette sanction a pour effet de suspendre ou d’annuler l’autorisation d’exploiter une entreprise de taxi de service public ainsi que le permis de service public qui y est rattaché. Lorsque le retrait d’une carte professionnelle et d’une autorisation d’exploiter a été prononcé, le département ne peut plus entrer en matière sur une nouvelle demande pendant un délai de deux ans à compter du jour où la décision est entrée en force (art. 46 al. 3 LTaxis).

Le Scom est compétent pour prononcer les mesures et sanctions administratives. L’art. 48 al. 1 LTaxis instaure cependant une commission de discipline, formée des représentants des milieux professionnels, des organes de police et de l’OCV, qui est appelée à donner son préavis sur les mesures et sanctions administratives prononcées par le département. Lesdits préavis ont une valeur consultative et ne lient pas le département. Selon l’art. 74 RTaxis, pour les infractions impliquant des amendes en application de l’art. 45 LTaxis, le préavis de la commission de discipline peut être donné au service par la seule approbation d’un barème.

Les procédures instaurées par les art. 31 et 46 LTaxis ont des finalités différentes. L’art. 31 LTaxis permet à l’autorité de révoquer les autorisations délivrées qui sont en force lorsqu’elle constate après coup que les conditions d’octroi de celles-ci ne sont plus réalisées, indépendamment d’une faute imputable au chauffeur. L’art. 46 LTaxis constitue la base légale pour qu’elle puisse sanctionner les chauffeurs qui ont contrevenu fautivement à leurs obligations professionnelles découlant de la LTaxis.

Dans ces deux situations procédurales, le droit d’être entendu du chauffeur de taxi doit être respecté.

Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l’autorité de recours n’est pas possible, l’annulation de la décision attaquée, sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 137 I 195 consid. 2.2 p. 197 ; 133 III 235 consid. 5.3 p. 250). Il comprend notamment le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 138 II 252 consid. 2.2 p. 255). L’étendue du droit d’être entendu dépend de l’intensité de l’atteinte susceptible d’être portée aux parties par la décision à prendre : plus celle-ci est importante, plus large sera le droit d’être entendu (T. TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 507 n. 1527). Il comprend avant tout le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, ainsi que l’art. 41 LPA le rappelle (T. TANQUEREL, op. cit., p. 509 n. 1528). Il implique que l’administré soit informé de l’objet de la procédure et du contenu prévisible de la décision envisagée à son égard. Il doit avoir la possibilité de se prononcer préalablement à celle-ci sur l’appréciation juridique des faits et l’argumentation juridique si l’autorité envisage de la fonder sur une norme ou un motif qu’aucune des parties à la procédure n’avait invoquée jusque-là, ou dont elle ne pouvait supputer la pertinence (ATF 125 V 368 ; 124 I 49 p.149 ; T. TANQUEREL, op. cit., p. 509 n. 1529).

En l’espèce, le Scom a notifié le 31 octobre 2012 une décision de révocation fondée sur l’art. 31 al. 1 LTaxis, sans avoir préalablement averti le recourant de cette intention ni l’avoir invité à se déterminer à ce propos. Certes, il lui avait écrit le 10 juin 2010, soit deux ans avant cette décision, pour l’inviter à se déterminer sur les conséquences juridiques de l’incident du 16 avril 2010. Il avait cependant envisagé dans ce courrier de ne prononcer que des sanctions administratives au sens de l’art. 46 LTaxis, dont les conséquences ne sont pas aussi graves que celles d’une révocation au sens de l’art. 31 LTaxis. En effet, en cas de mesure disciplinaire conduisant à une suspension de l’autorisation, le chauffeur de taxi sanctionné a la possibilité de reprendre son activité et, en cas de retrait de cette autorisation, celle de présenter une nouvelle requête après deux ans.

La violation du droit d’être entendu peut être réparée devant une instance de recours lorsque celle-ci dispose du même pouvoir d’examen que l’autorité intimée (ATF 135 I 279 ; 133 I 201 et la jurisprudence citée). Une réparation devant l’autorité de recours doit rester cependant l’exception (ATF 135 I 279) et n’entre pas en ligne de compte lorsque la violation du doit d’être entendu est grave (ATF 126 I 68 ; 125 V 368). Une exception à ce principe est reconnu lorsque l’annulation de la décision et le renvoi à l’autorité inférieure entraînerait une procédure purement formelle et un retard inutile incompatible avec l’intérêt de la partie concernée à un traitement rapide ce la cause (ATF 133 I 201 ; 132 V 387 ; T. TANQUEREL, op. cit., p. 516 n. 1555).

La chambre administrative, qui statue en instance unique de recours sur le plan cantonal, a un plein pouvoir d’examen de la légalité des décisions prises par le Scom. Le dossier dont elle dispose lui permettant d’effectuer sans attendre le contrôle de la conformité au droit de la décision attaquée, elle renoncera à renvoyer la cause à l’autorité de première instance pour nouvelle décision, qui respecterait le droit d’être entendu du recourant, et entrera en matière sur le fond du recours.

Le Scom a fondé sa décision sur l’absence d’honorabilité du recourant à la suite de l’altercation qu’il a eue avec son collègue et de sa condamnation pénale pour ces faits.

Le Tribunal administratif, dont la chambre administrative a repris les compétences, a rendu plusieurs arrêts ayant trait à la notion d’honorabilité. Cette notion, uniforme, doit être comprise en rapport avec les faits reprochés à la personne concernée et à l’activité qu’elle entend déployer, une fois qu’elle aurait été reconnue comme honorable. Une condamnation pénale n’est pas le seul critère pour juger de l’honorabilité d’une personne, et ce même si le simple fait que celle-ci ait été impliquée dans une procédure pénale puisse suffire à atteindre son honorabilité. Cette question doit cependant être examinée en fonction de la nature des faits reprochés, de la position qu’elle a prise à l’égard de ceux-ci et de l’issue de la procédure proprement dite (ATA/282/2007 du 5 juin 2007 et la jurisprudence citée).

Concernant les chauffeurs de taxi, le Tribunal administratif a retenu qu’une violation grave des règles de la circulation routière et une tentative d’induction de la police en erreur ne suffisaient pas en soi à refuser la délivrance de la carte professionnelle de chauffeur de taxi plus de deux ans après les faits (ATA/770/2002 du 3 décembre 2002). En revanche, un chauffeur de taxi condamné pour lésions corporelles graves, qui avait commis un excès de vitesse trois ans après, ne remplissait plus les conditions d’exercice de la profession de chauffeur de taxi (ATA/206/2003 du 8 avril 2003). Il en allait de même d’un chauffeur de taxi condamné à trois reprises par voie d’ordonnances pénales pour des infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121 ; ATA/946/2003 du 16 décembre 2003), ou d’un chauffeur qui avait été condamné pour faux dans les certificats et à une peine d’emprisonnement (ATA/76/2005 du 15 février 2005).

En outre, dans deux cas où des actes de violence étaient reprochés à des chauffeurs de taxi, le Tribunal administratif a admis qu’un chauffeur de taxi condamné pour lésions corporelles graves en 1999, puis qui avait commis un excès de vitesse en septembre 2002, ne remplissait plus les conditions pour exercer la profession de chauffeur de taxi (ATA M. du 8 avril 2003). De même, un chauffeur de taxi qui avait été impliqué dans deux altercations à deux ans d’intervalle alors qu’il se trouvait au volant de sa voiture privée a été considéré comme ne remplissant pas la condition de l’honorabilité de l’art. 6 al. 2 let. c LTaxis, ce qui ne lui donnait pas droit à la carte professionnelle de chauffeur de taxi (ATA/126/2004 du 3 février 2004).

En l’espèce, le Scom a décidé de déclarer le recourant inapte au transport de personnes et de révoquer sa carte professionnelle pour les faits sanctionnés par le jugement du Tribunal de police du 10 février 2012. L’agression qu’il a commise sur un de ses collègues est effectivement inadmissible. Toutefois, il ne ressort pas du dossier soumis à la chambre administrative que le recourant ait commis d’autres faits similaires depuis 1998, date du début de ses activités. Le Scom ne pouvait donc pas, sur la base de cette seule condamnation, inférer qu’il était incapable de se contrôler et n’offrait plus des garanties de moralité et de comportement suffisantes, ce qui rendait nécessaire de révoquer toutes les autorisations lui permettant d’exercer sa profession. La décision du 31 octobre 2012, qui est intervenue plus de trois ans après les faits sans qu'aucun autre incident, au vu du dossier, ne soit intervenu, doit être annulée. Le dossier sera retourné au Scom pour le prononcé d’une sanction au sens des art. 45 ou 46 LTaxis, étant précisé qu’en cas de sanction allant au-delà du prononcé d’une amende administrative, le cas du recourant devra être présenté à la commission de discipline prévue par l’art. 48 LTaxis pour préavis avant décision finale.

Le recours sera admis. Aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1’500.- sera allouée au recourant, à la charge de l’Etat de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 décembre 2012 par Monsieur B______ contre la décision du service du commerce du 31 octobre 2012 ;

 

au fond :

l’admet ;

annule la décision du service du commerce du 31 octobre 2012 ;

renvoie la cause au service du commerce pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Monsieur B______ une indemnité de procédure de CHF 1’500.-, à la charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pierre Bayenet, avocat du recourant, ainsi qu’au service du commerce.

Siégeants : Mme Junod, présidente, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.