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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4482/2006

ATA/282/2007 du 05.06.2007 ( DES ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : ; CHAUFFEUR DE TAXI ; AUTORISATION D'EXERCER ; HONNEUR
Normes : LTaxis.11.al1; RTaxis.5
Résumé : Condition d'honorabilité. L'honorabilité est une condition d'octroi de la carte professionnelle, non de l'autorisation d'exploiter un taxi. Le département ne peut donc pas refuser de délivrer cette dernière au motif que le recourant ne présente pas de garanties d'honorabilité suffisantes, dès lors qu'il a renoncé à suspendre ou révoquer la carte professionnelle.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4482/2006-DES ATA/282/2007

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 5 juin 2007

dans la cause

 

Monsieur L_____
représenté par Me Jacques Barillon, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'ÉCONOMIE ET DE LA SANTÉ


 


EN FAIT

1. Monsieur L_____, né en 1966, a obtenu la carte professionnelle de chauffeur de taxi indépendant le 26 février 1998 et exerce cette activité depuis le 2 mars 1998.

2. Lors de l’entrée en vigueur de la loi sur les services de taxis du 26 mars 1999 (ci-après : aLTaxis), il a obtenu l’autorisation d’exercer la profession de chauffeur de taxi indépendant sans permis de stationnement et sans employé.

3. Suite à l’entrée en vigueur, le 15 mai 2005, de la loi sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles) du 21 janvier 2005 (LTaxis - H 1 30) l’intéressé a déposé, en date du 10 mai 2006, auprès du service des autorisations et patentes du département de l’économie et de la santé (ci-après : le département), une requête en vue de l’obtention d’une autorisation d’exploiter un taxi de service public en qualité d’indépendant.

4. Par décision du 27 octobre 2006, le département a refusé l’autorisation sollicitée par M. L_____.

Ce dernier s’était vu retirer son permis de conduire pendant trois mois, le 7 juin 2005, pour avoir circulé en état d’ébriété au volant d’une voiture, sur l’autoroute A1, avec un taux d’alcoolémie qualifié de 1,03 o/oo. Ce type de mesure était un motif de suspension ou de retrait de la carte professionnelle de chauffeur de taxi, ce qui entrainerait de facto la suspension ou l’annulation de l’autorisation d’exploiter un service de taxi. Toutefois, compte tenu du fait qu’aucune sanction administrative n’avait été prononcée par le département au moment des faits, ce dernier renonçait à prononcer maintenant la suspension ou le retrait de la carte professionnelle, comme de l’autorisation d’exploiter un service de taxi de l’intéressé.

Toutefois, en procédant à l’examen des conditions propres à la délivrance de ladite autorisation, l’autorité compétente avait constaté que l’intéressé faisait l’objet d’actes de défaut de biens pour un montant de CHF 17'972.-. Dès lors, celui-ci n’offrait pas les garanties de solvabilité exigées par la loi, les poursuites à son encontre étant en rapport avec son activité professionnelle dans le transport de personnes.

5. Par acte mis à la poste le 29 novembre 2006, M. L_____ a recouru auprès du Tribunal administratif contre la décision susmentionnée, concluant à son annulation et à l’octroi de l’autorisation sollicitée, subsidiairement à l’octroi d’une autorisation provisoire d’exploiter un taxi de service public en qualité d’indépendant, sous réserve d’un réexamen.

Il avait conclu un arrangement financier avec le service du contentieux de la caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse) et avait tenu ses engagements, de sorte que la somme totale des cotisations encore dues n’était plus que de CHF 13'972.- Il était à jour pour le règlement des cotisations pour l’année 2006.

Le département avait fondé sa décision notamment sur l’article 3 du règlement d’exécution de la loi sur les services de taxis du 8 décembre 1999 (RTaxis – H 1 30.01), qui vise les garanties de moralité et de comportement, alors que cette disposition ne concernait pas la délivrance de l’autorisation d’exploiter un taxi de service public, mais uniquement l’octroi de la carte professionnelle de chauffeur de taxi, violant ainsi le principe de la légalité.

Les dettes retenues par le département n’avaient pas de rapport direct avec son activité professionnelle et étaient par ailleurs en cours de règlement. Il n’y avait donc aucun intérêt public à lui refuser l’autorisation sollicitée.

La décision querellée violait en outre le principe de la proportionnalité. Le département était au courant de l’arrangement conclu avec la caisse et n’en avait pas tenu compte. Il n’avait  pas envisagé de lui délivrer une autorisation provisoire, soumise à réexamen, comme le lui permettait l’article 5 alinéa 3 RTaxis.

Le département avait enfin abusé de son pouvoir d’appréciation.

6. Le 15 janvier 2007, le département s’est opposé au recours.

Outre les actes de défaut de biens délivrés pour les dettes de l’intéressé envers la caisse, un autre, d’un montant de CHF 14'774,80, concernait le contrat de leasing pour le véhicule professionnel de celui-ci. Une poursuite était en cours pour le recouvrement d’un émolument de CHF 500.- mis à la charge de M. L_____ par le Tribunal administratif, suite au rejet de son recours contre une suspension de six mois de sa carte professionnelle et une amende administrative de CHF 1'500.-, tranché en septembre 2004. Toutes ces dettes étaient en rapport avec l’activité de l’intéressé dans le domaine du transport professionnel de personnes. Vu l’état de ses finances, il était à prévoir qu’il ne serait pas en mesure d’assumer la taxe unique perçue en cas d’obtention de l’autorisation, même avec des facilités de paiement.

Le retrait de permis dont M. L_____ avait fait l’objet le 7 juin 2005 sanctionnait une faute grave en matière de circulation routière. Il avait, par ailleurs, fait l’objet d’un avertissement le 9 mars 2004. Intervenu dans les trois ans précédant le dépôt de sa requête du 10 mai 2006, le retrait précité permettait au département de considérer que l’intéressé n’offrait pas les garanties de comportement et de moralité suffisantes pour l’octroi d’une carte professionnelle de chauffeur de taxi, et, à fortiori, d’une autorisation d’exploiter un taxi de service public.

7. La cause a été gardée à juger le 18 janvier 2007.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Lors de son entrée en vigueur, la LTaxis a abrogé la loi sur les services de taxis du 26 mars 1999 (aLTaxis).

Parallèlement, le règlement d’exécution de la loi sur les services de taxis du 8 décembre 1999 (aRTaxis) a été abrogé par le RTaxis.

3. Selon l’article 53 alinéa 1 LTaxis, les chauffeurs de taxis titulaires de la carte professionnelle de chauffeur employé ou de chauffeur indépendant sans employé au sens de l’aLTaxis, qui, lors de l’entrée en vigueur de la loi, exercent de manière effective leur profession, se voient délivrer la carte professionnelle de chauffeur de taxi prévue par la nouvelle législation.

4. a. La carte professionnelle de chauffeur de taxi confère à son titulaire le droit d’exercer l’activité de chauffeur de taxi ou de limousine, en qualité d’indépendant, d’employé d’un chauffeur indépendant ou d’une entreprise de taxis ou de limousines, ou encore de locataire d’un véhicule d’une entreprise de taxis de service public (art. 6 al. 1 LTaxis). Cette autorisation est délivrée par le département lorsque le requérant remplit les conditions posées par l’article 6 alinéa 2 LTaxis, dont celle d’offrir des garanties de moralité et de comportement suffisantes (art. 6 al. 2 let. c LTaxis).

b. Le département peut notamment considérer que n’offre pas ces garanties suffisantes le requérant qui, dans les trois ans précédant le dépôt de la requête, s’est vu infliger un retrait de permis de conduire en application des articles 16c ou 16d LCR, soit des fautes graves dans le domaine de la circulation routière (art. 3 al. 3 let. c RTaxis).

c. Le Tribunal administratif a rendu plusieurs arrêts ayant trait à la notion d'honorabilité. Cette notion, uniforme, doit être comprise en rapport également avec les faits reprochés à la personne concernée et à l'activité qu'elle entend déployer, une fois qu'elle aurait été reconnue comme honorable. Une condamnation pénale n'est pas le seul critère pour juger de l'honorabilité d'une personne et le simple fait qu'elle ait été impliquée dans une procédure pénale peut suffire, selon les faits qui lui ont été reprochés, la position qu'elle a prise à l'égard de ceux-ci et l'issue de la procédure proprement dite, à atteindre son honorabilité (ATA/481/2001 du 7 août 2001; ATA/294/2001 du 8 mai 2001; ATA/716/2000 du 21 novembre 2000 ; ATA/377/2000 du 6 juin 2000).

In casu, la question de sa savoir si le retrait de permis de conduire de trois mois notifié au recourant en juin 2005 constitue un motif suffisant pour admettre qu’il n’offre pas les garanties de moralité et de comportement suffisantes requises par la loi, peut demeurer ouverte. En effet, le département a expressément renoncé à suspendre ou retirer la carte professionnelle du recourant en application de la disposition précitée, compte tenu de ce qu’aucune sanction n’avait été prononcée au moment des faits visés dans la décision querellée.

5. a. L’autorisation d’exploiter un taxi de service privé en qualité d’indépendant permet à son titulaire de transporter professionnellement des personnes, dans le cadre d’un usage commun du domaine public dévolu à la circulation et au stationnement de l’ensemble des véhicules (art. 9 al. 1 let. a, 10 et 19 al. 1 LTaxis). Elle est délivrée par le département à une personne physique lorsqu’elle remplit les conditions cumulatives suivantes (art. 10 al. 1 let. a - e LTaxis) : être au bénéfice d’une carte professionnelle de chauffeur de taxi ; disposer d’une adresse professionnelle fixe dans le canton, à laquelle elle peut être atteinte ; justifier de sa solvabilité et de son affiliation à une caisse de compensation ; être propriétaire ou preneur de leasing d’un véhicule répondant aux exigences du droit fédéral et de la LTaxis, immatriculé à son nom dans le canton ; disposer d’une place de stationnement privée pour garer son taxi en dehors des périodes de circulation.

b. La LTaxis ne prévoit pas la possibilité de retirer ou suspendre l’autorisation d’exploiter en cas d’infraction à la législation ou aux conditions particulières de ladite autorisation, contrairement à l’ancien droit, qui permettait au département de prononcer, en tenant compte de la gravité de l’infraction ou de sa réitération, une suspension ou un retrait de l’autorisation d’exploiter, indépendamment de la suspension ou du retrait de la carte professionnelle de chauffeur de taxi (art. 29 et 30 aLTaxis). Si une base légale n’est pas nécessaire pour révoquer une autorisation dont le bénéficiaire ne remplit plus les conditions d’octroi, elle est en revanche nécessaire lorsqu’il s’agit, par cette mesure, de sanctionner un comportement (P. MOOR, Droit administratif, vol. 2, Berne, 1991, p. 330-331). Ainsi, dans le cadre législatif actuel, l’autorisation d’exploiter ne peut-elle être révoquée, respectivement refusée que si le détenteur ou le requérant ne satisfait pas aux conditions posées par l’article 10 LTaxis, pour un taxi de service privé, l’article 11 LTaxis pour un taxi de service public, ou l’article 14 pour une limousine (ATA/178/2007 du 17 avril 2007).

En l’espèce, le département ne pouvait donc pas refuser l’autorisation d’exploiter un taxi de service privé au motif que le recourant ne présentait pas de garanties d’honorabilité suffisantes, condition d’octroi de la carte professionnelle, dès lors qu’il avait renoncé à suspendre ou révoquer cette dernière.

6. Le département a refusé l’autorisation sollicitée au motif que le recourant n’avait pu justifier de sa solvabilité.

Selon l’article 5 alinéa 1 RTaxis, la solvabilité est examinée sur la base d’un relevé des offices des poursuites et des faillites du lieu du domicile du requérant. Le département peut considérer que n’offre pas les garanties de solvabilité suffisantes le requérant dont les poursuites dirigées à son encontre sont en rapport avec son activité professionnelle dans le transport de personnes et ont abouti à une saisie infructueuse ou un acte de défaut de biens après faillite (art. 5 al. 2 RTaxis).

7. Les dettes envers la caisse cantonale genevoise de compensation concernent les cotisations personnelles que doivent verser les personnes exerçant une activité lucrative indépendante en application des dispositions fédérales en matière d’assurances sociales, notamment assurance-vieillesse et assurance-invalidité. Cette obligation est liée à l’exercice de n’importe quelle activité professionnelle et aucun régime particulier n’est prévu pour le secteur du transport de personnes. In casu, le recourant n’a pas d’employé de sorte que les cotisations ne concernent que sa situation propre. Dans ces circonstances, les dettes du recourant dans ce domaine ne peuvent donc être considérées comme spécialement liée à son activité dans le secteur du transport de personnes (ATA/132/2007 du 20 mars 2007).

8. S’agissant de la poursuite relative à un émolument mis à la charge du recourant par un arrêt du tribunal de céans confirmant la suspension de sa carte professionnelle de chauffeur de taxi et une amende administrative, il a été jugé récemment qu’il n’était pas insoutenable de considérer qu’il s’agissait d’une dette en relation avec la profession de chauffeur de taxi (ATA/133/2007 du 20 mars 2007). Toutefois, aucun acte de défaut de biens n’a été délivré dans le cadre de la poursuite engagée, de sorte qu’elle n’est pas infructueuse (art. 5 al. 2 RTaxis). Il n’y a donc pas lieu d’en tenir compte.

9. L’acte de défaut de biens de CHF 14'774,80 délivré à l’encontre du recourant et concernant le contrat de leasing de son véhicule professionnel, se rapporte incontestablement à une dette en relation directe avec son activité dans le domaine du transport de personnes, puisqu’elle a trait à son outil de travail.

Toutefois, au vu des efforts entrepris par le recourant pour régler ses dettes tels qu’ils résultent du dossier, cela apparaît insuffisant pour justifier un refus pur et simple d’autorisation d’exploiter un taxi de service public, sans avoir préalablement examiné si, par son activité, l’intéressé ne pouvait pas être en mesure d’améliorer sa situation financière, une appréciation positive permettant au département de délivrer une autorisation provisoire (art. 15 al. 3 RTaxis).

10. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis partiellement. La décision sera annulée et le dossier renvoyé à l’autorité compétente pour nouvelle décision après complément d’instruction et nouvel examen des conditions d’octroi, cas échéant provisoire, de l’autorisation sollicitée.

11. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 700.- sera mis à la charge du département et un émolument de CHF 300.- à celle du recourant, qui n’obtient que partiellement gain de cause. Une indemnité de CHF 800.- sera allouée à ce dernier, à la charge de l’Etat de Genève (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 novembre 2006 par Monsieur L_____ contre la décision du département de l'économie et de la santé du 27 octobre 2006 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision attaquée ;

renvoie le dossier au département intimé au sens des considérants ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 300.- ;

met à la charge du département de l’économie et de la santé un émolument de CHF 700.- ;

alloue au recourant une indemnité de CHF 800.- à la charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacques Barillon, avocat du recourant ainsi qu’au département de l’économie et de la santé.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :