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Décisions | Tribunal pénal

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P/7257/2018

JTCO/11/2023 du 26.01.2023 ( PENAL ) , JUGE

Normes : CP.117; CP.127
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

pouvoir judiciaire

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL CORRECTIONNEL

 

Chambre 5


26 janvier 2023

 

MINISTÈRE PUBLIC

A______, partie plaignante, assisté de Me D______

B______, partie plaignante, assistée de Me D______

contre

X______, née le ______1983, domiciliée ______, prévenue, assistée de Me C______


CONCLUSIONS FINALES DES PARTIES :

Le Ministère public conclut au prononcé d'un verdict de culpabilité des chefs d'homicide par dol éventuel et de lésions corporelles graves par dol éventuel. Il conclut au prononcé d'une peine privative de liberté d'ensemble de 7 ans, ainsi qu'au prononcé d'une interdiction fondée sur l'art. 67 al. 2 CP d'une durée de 10 ans. Il conclut au prononcé d'une expulsion d'une durée de 5 ans. L'entier des frais de la procédure devra être mis à la charge de la prévenue. Enfin, il s'agira de faire droit aux conclusions civiles des parties plaignantes.

Subsidiairement, si le Tribunal devait ne pas retenir l'homicide par dol éventuel, il s'agira de condamner la prévenue du chef d'homicide par négligence, d'exposition et de lésions corporelles graves. Il s'agira alors de prononcer une peine privative de liberté d'ensemble de 4 ans, d'une interdiction fondée sur l'art. 67 al. 2 CP d'une durée de 10 ans et une expulsion d'une durée de 5 ans. L'entier des frais de la procédure devra être mis à la charge de la prévenue. Enfin, il s'agira de faire droit aux conclusions civiles des parties plaignantes.

Me D______, conseil de B______ et A______, conclut au prononcé d'un verdict de culpabilité des chefs de meurtre et de lésions corporelles graves. Il conclut à ce qu'il soit fait bon accueil aux conclusions civiles déposées en lien avec un tort moral et un dommage matériel, ainsi qu'à la demande d'indemnisation pour les dépenses obligatoires causées par la procédure.

Me C______, conseil d'X______, ne s'oppose pas à un verdict de culpabilité du chef d'homicide par négligence. Il conclut à l'acquittement de sa mandante pour toutes les autres infractions visées par l'acte d'accusation. Il conclut au prononcé d'une peine compatible avec un sursis complet. Il s'oppose au prononcé d'une mesure d'interdiction fondée sur l'art. 67 CP. Il s'oppose au prononcé d'une expulsion. Il s'en rapporte à l'appréciation du Tribunal s'agissant des conclusions civiles et de la demande d'indemnisation des frais de défense.

***


 

EN FAIT

A. a.a. Par acte d'accusation du 28 septembre 2022, il est reproché à X______, gardienne d'enfants diplômée de E______ depuis le 5 décembre 2017, d'avoir, au domicile de l'enfant, le 12 avril 2018, entre 10h et 11h – alors qu'il avait précédemment vomi, qu'elle venait de le sortir de la baignoire, dans laquelle elle l'avait placé pour le nettoyer, qu'elle l'avait enveloppé dans une serviette et qu'elle avait constaté qu'il faisait un malaise – saisi sous les aisselles et intentionnellement secoué violemment d'avant en arrière à plusieurs reprises tout en l'appelant par son prénom, étant relevé que par la suite il n'a présenté aucune réaction, ne tenant plus son corps et sa tête, et qu'il a souffert, suite aux secousses infligées, d'un hématome sous-dural aigu des deux convexités cérébrales, de part et d'autre de la faux du cerveau, de la tente du cervelet et de la base du crâne au niveau du pôle temporal droit, d'une rupture avec thrombose de veines ponts, de discrètes lésions axonales aigües bilatérales de la substance blanche para-sagittale frontale et du cingulum, d'une encéphalopathie post-anoxique aigüe sévère avec œdème cérébral, des suffusions hémorragiques aiguës des tissus mous situés derrière l'articulation atlanto-axiale à gauche (entre C1 et C2), d'infiltrations hémorragiques à l'origine des nerfs optiques bilatéralement ainsi qu'au sein des muscles oculo-moteurs supérieur et interne de l'œil droit, d'hémorragies rétiniennes multifocales et bilatérales s'étendant à la périphérie et à la chambre antérieure, prédominant à gauche, de quatre ecchymoses en région frontale, pariétale et rétro-auriculaire gauches, associées à des infiltrations hémorragiques sous-jacentes et quelques ecchymoses du thorax, des genoux et de la cuisse droite associées à des infiltrations hémorragiques sous-jacentes, une suffusion hémorragique de la pointe de la langue et des traces d'un ancien hématome sous-dural des deux côtés, symptômes d'un traumatisme crânio-cérébral non accidentel par secouement, soit un syndrome du bébé secoué, conduisant à son décès le 15 avril 2018 à 16h52 aux services des soins intensifs de la pédiatrie des Hôpitaux Universitaires de Genève (ci-après : HUG), à tout le moins par dol éventuel, envisageant et acceptant de la sorte le risque de le tuer, étant relevé qu'elle connaissait parfaitement l'existence du syndrome du bébé secoué, voire ne pouvait l'ignorer, en sa qualité de garde d'enfant diplômée d'un certificat d'aptitude professionnelle en petite enfance et qu'elle lui avait déjà fait subir des secousses lors d'un premier épisode entre janvier et avril 2018, faits qualifiés de meurtre au sens de l'art. 111 CP (rubrique 1.1 de l'acte d'accusation).

a.b. Il lui est en outre reproché d'avoir, au domicile de l'enfant, alors qu'elle connaissait parfaitement l'existence du syndrome du bébé secoué, voire ne pouvait l'ignorer en sa qualité de garde d'enfants diplômée, secoué violemment d'avant en arrière à plusieurs reprises E______, entre le mois de janvier et le 12 avril 2018, lui causant intentionnellement de la sorte à tout le moins des lésions traumatiques cérébrales, soit un hématome sous-dural bilatéral, dont des traces ont pu être constatées dans le rapport d'autopsie de l'enfant du 18 octobre 2018 (rubrique 1.2.2 de l'acte d'accusation) et, le mardi 9 janvier 2018, vers 12h, cogné E______ au niveau de la région orbitaire gauche contre un objet contendant, acceptant à tout le moins par dol éventuel de lui causer de la sorte une ecchymose du bout du nez, un hématome en monocle de l'œil gauche et des lésions traumatiques cérébrales soit un hématome sous-dural bilatéral dont des traces ont pu être constatées dans le rapport d'autopsie de l'enfant du 18 octobre 2018, étant relevé qu'X______ a expliqué les lésions causées par une chute dans les escaliers avec l'enfant dans les bras (rubrique 1.2.3 de l'acte d'accusation), faits qualifiés de lésions corporelles graves au sens de l'art. 122 CP (rubrique 1.2. de l'acte d'accusation).

Dans le même acte d'accusation, le Ministère public a présenté l'accusation subsidiaire suivante :

b.a. Il est subsidiairement reproché à X______ d'avoir, dans les circonstances décrites sous lettre a.a. ci-dessus, en secouant violemment E______ d'avant en arrière à plusieurs reprises, intentionnellement accepté d'exposer celui-ci, alors âgé de 10 mois et incapable de se protéger lui-même, à un danger grave, imminent et concret pour sa vie, à tout le moins pour sa santé et son intégrité corporelle, sous la forme du syndrome du bébé secoué, en dépit du devoir de veiller sur lui qui lui incombait en sa qualité de garde d'enfant diplômée d'un certificat d'aptitude professionnelle en petite enfance et du fait qu'elle connaissait parfaitement le syndrome du bébé secoué, voire ne pouvait l'ignorer, faits qualifiés d'exposition au sens de l'art. 127 CP (rubrique 1.3. de l'acte d'accusation).

b.b. Il lui est en outre reproché d'avoir, dans les circonstances décrites sous lettre a.a., tandis qu'elle gardait et veillait en sa qualité de garde d'enfant diplômée d'un certificat d'aptitude professionnelle en petite enfance sur l'enfant E______, âgé de 10 mois, qui lui avait été confié par ses parents, enfreint de manière fautive les règles élémentaires de la prudence qui imposent de ne jamais secouer un bébé, alors qu'elle connaissait parfaitement, voire ne pouvait l'ignorer, en sa qualité de garde d'enfant diplômée, le syndrome du bébé secoué et les précautions à prendre pour l'éviter, qu'elle avait conscience ou aurait pu avoir conscience du danger de mort lié à ses gestes et aurait pu et dû prévoir que son comportement cause la mort de l'enfant, faits qualifiés d'homicide par négligence au sens de l'art. 117 CP (rubrique 1.4. de l'acte d'accusation).

b.c. Il lui est également reproché d'avoir, dans les circonstances décrites sous chiffre 1.2.3. de l'acte d'accusation, en secouant violemment E______ d'avant en arrière à plusieurs reprises, intentionnellement accepté d'exposer l'enfant, âgé de 10 mois et incapable de se protéger lui-même, à un danger grave, imminent et concret pour sa vie, à tout le moins pour sa santé et son intégrité corporelle, sous la forme du syndrome du bébé secoué, en dépit du devoir de veiller sur lui qui lui incombait en sa qualité de garde d'enfant diplômée d'un certificat d'aptitude professionnelle en petite enfance, faits qualifiés d'exposition au sens de l'art. 127 CP (rubrique 1.5. de l'acte d'accusation).

b.d. Il lui est finalement reproché d'avoir, dans les circonstances décrites sous lettre a.b. ci-dessus, tandis qu'elle gardait et veillait en sa qualité de garde d'enfant diplômée sur l'enfant E______ âgé de 8 mois qui lui avait été confié par ses parents, enfreint de manière fautive les règles élémentaires de la prudence qui imposent de ne jamais secouer un bébé, étant précisé qu'elle connaissait ou aurait dû connaître, en sa qualité de titulaire d'un certificat d'aptitude professionnelle en petite enfance, le syndrome du bébé secoué et les précautions à prendre pour l'éviter et qu'elle avait conscience ou aurait pu avoir conscience du danger de lésions graves lié à ses gestes, si bien qu'elle aurait pu et dû prévoir que son comportement cause les lésions graves subies par l'enfant E______, faits qualifiés de lésions corporelles graves par négligence au sens de l'art. 125 al. 2 CP (rubrique 1.6. de l'acte d'accusation).

B. Il ressort de la procédure et de l'audience de jugement par-devant le Tribunal les éléments pertinents suivants :

I. Contexte général

Profil et parcours professionnel d'X______

a.a. X______ est née le ______ 1983. Elle est de nationalité française. Elle est mariée à F______ depuis 2008 et mère de deux enfants nés en 2009 et 2015.

a.b. S'agissant de sa formation professionnelle, selon ses déclarations, elle a achevé en 2000 un Brevet d'études professionnelles (ci-après : BEP) dans le domaine des services à la personne. En parallèle de cette formation, elle a effectué des stages, l'un dans la crèche "G______", à H______, avec pour tâche le service des repas, et l'autre dans une maison de retraite. Passionnée par la petite enfance, elle s'est tournée vers ce domaine et a continué à travailler dans la crèche "G______", étant en charge du service des repas. Durant la même période, elle a suivi des cours par correspondance et obtenu le 3 juillet 2003 un certificat d'aptitude professionnelle (ci-après : CAP). Grâce à ce diplôme, elle a pu devenir aide éducatrice et a travaillé pendant trois ans dans la crèche précitée, d'abord dans le groupe des bébés, lequel comprenait des enfants âgés de 3 mois à 1 an, puis dans le groupe des enfants âgés de 3 à 4 ans. Par la suite, elle a travaillé au sein de la I______, un foyer où les enfants âgés de 3 à 16 ans étaient accueillis à la suite d'une décision judiciaire, en premier lieu durant une année en qualité de veilleuse de nuit et, en second lieu, durant deux ou trois ans, comme éducatrice. Dans ce cadre, elle a côtoyé des enfants ayant eu des enfances très difficiles et pour lesquels la gestion des crises était un défi. Désirant découvrir de nouvelles méthodes de travail dans d'autres pays, elle a également travaillé pendant deux ans au sein de la crèche J______, dans le quartier des Pâquis, à Genève, avec un groupe d'enfants âgés de 1 à 2 ans. En 2008, elle est revenue travailler à la I______. Elle a accouché de son premier enfant en 2009 et a repris son emploi au sein de la I______ après son congé maternité. Cela étant, vu les difficultés des enfants dont elle s'occupait et son nouveau statut de maman, elle a éprouvé le besoin de faire une pause dans cette activité. Elle a alors commencé à travailler en tant qu'aide à domicile pour des personnes âgées et handicapées. En 2013, elle a travaillé en tant qu'assistante dentaire. Elle a commencé une formation qu'elle n'a pas achevée, étant précisé que le cabinet qui l'employait a finalement dû fermer ses portes. Elle a occupé un poste de caissière durant sa seconde grossesse et a pris un congé parental de deux ans après son accouchement, jusqu'à fin 2016. A ce moment-là, se sentant suffisamment solide pour garder des enfants seule, attirée par le travail chez les particuliers et les horaires qui cadraient avec sa vie de mère de famille, elle a déposé son dossier de candidature auprès de K______, une agence de placement à Genève, spécialisée dans les gardes d'enfant à domicile. Ses tâches étaient plus variées puisqu'elle pouvait être amenée à aller chercher les enfants à l'école, les amener à des anniversaires ou encore faire plein d'activités avec eux le mercredi. Ce travail lui avait permis un contact plus rapproché avec les parents et un lien plus fusionnel avec les enfants. Elle a travaillé à temps partiel, du 9 janvier au 30 juin 2017, pour une première famille de trois enfants âgés entre 2 et 13 ans, puis, à partir du 5 décembre 2017, à raison de deux jours par semaine au sein de la famille L______, la fin de la mission étant prévue le 28 juin 2018. Après le décès de E______, le 15 avril 2018, elle n'avait plus ce qu'il fallait pour se retrouver seule en charge d'un enfant. Elle a cessé son activité au sein de l'agence de placement K______ et s'est posée la question de continuer ou non à travailler avec des enfants. Elle a effectué un suivi psychologique et a conclu qu'elle ne pouvait pas renoncer à travailler avec ceux-ci, si bien qu'elle est retournée travailler entre juillet 2018 et septembre 2021 en équipe auprès d'enfants, âgés de 3 à 8 ans, au sein de la I______. A cette époque, ne se sentant plus capable d'assumer des dossiers émotionnellement compliqués, préférant une activité sans charge mentale et désirant se consacrer à la présente procédure pénale, elle a commencé un emploi de vendeuse en boulangerie qu'elle a occupé jusqu'au début du mois de décembre 2022 (C-2ss, audience de jugement).

a.c. Figurent au dossier le certificat d'aptitude professionnelle dans le domaine de la petite enfance délivré par le Ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche à X______ le 3 juillet 2003, ainsi qu'une fiche de renseignements de l'association K______ contenant des informations très générales sur l'expérience d'X______ dans la garde d'enfants. Sous l'intitulé "vérification des références", trois "expériences" sont mentionnées très brièvement. La première se réfère à un certificat de travail pour une activité du 9 janvier au 30 juin 2017 duquel il ressort que "Mme X______ [leur] a toujours donné pleine et entière satisfaction aussi bien dans son travail que par son attitude, C'est une personne [qu'ils recommandaient] chaleureusement". Un contact avec un chef de service en date du 13 septembre 2016 avait permis de savoir que celui-ci la recommandait "tout à fait" et qu'il lui confierait ses propres enfants, étant précisé qu'il n'était fait état ni du travail effectivement exercé ni de la période concernée. A l'occasion d'un échange avec une directrice de crèche le 13 septembre 2016, il était apparu qu'X______ était à l'aise avec les enfants et qu'elle effectuait beaucoup d'animations variées. Cette directrice la recommandait, ajoutant même qu'elle la réengagerait si elle disposait d'un poste. L'appréciation de K______ était en définitive la suivante: "Mme X______ a changé de voie en 2013 pour faire une formation d'assistante dentaire, mais le contact avec les enfants lui manque. Elle souhaite travailler en famille afin de disposer d'un suivi personnalisé avec eux. Elle a travaillé 8 ans en institution et dispose d'un savoir-faire en collectivité qu'elle souhaite vivement mettre à disposition d'une famille. D'une nature joviale et ayant gardé une âme d'enfant tout en étant responsable, elle nous a semblé à même de satisfaire aux demandes de familles" (B-95, B-96, C-15).

Etat de santé de E______

b. E______, né le ______ 2017, était le fils de B______ et A______.

c.a. La Dre M______, pédiatre, a suivi E______ depuis sa naissance. Il ressort du dossier médical qu'il était, de manière générale, en bonne santé, qu'il présentait une évolution favorable et qu'il éprouvait des difficultés de sommeil. Entendue par-devant le Ministère public, la Dre M______ a précisé que c'était un enfant "souriant, joyeux et tonique. Il se développait normalement". Elle n'avait pas constaté un état léthargique ou apathique. A une reprise, alors qu'il était fébrile et malade, elle avait constaté qu'il était amorphe et plus calme, ce qui n'était pas inquiétant. Entre les 15 et 24 mars 2018, E______ avait souffert d'épisodes de vomissements et d'un manque d'énergie. Il avait perdu du poids. Il était hautement probable qu'il ait eu une infection virale qui, le 22 mars 2018, était en voie d'amélioration et qui était guérie quatre jours après. Le 6 avril 2018, il avait été pesé et avait bien repris du poids. Elle ignorait la survenance des épisodes des 21 décembre 2017 et 9 janvier 2018. Elle avait constaté un épuisement des parents et un peu d'énervement face au sommeil compliqué de leur fils. Dans un courrier du 1er février 2018 adressé à la Dre N______, spécialiste du sommeil, elle avait indiqué que "la maman en particulier [était] excédée par son enfant" (B-256 ss, C-156 ss).

c.b. La Dre N______ a été consultée les 27 février 2018 et 19 mars 2018 en relation avec les problèmes de sommeil rencontrés par l'enfant. Elle avait posé le diagnostic de "troubles du sommeil sur habitudes" (B-275).

c.c. Aux termes du rapport de consultation du service d'accueil et des urgences pédiatriques du 16 mars 2018, l'anamnèse évoquait le fait que E______ présentait depuis une semaine une baisse de l'état général avec de la fièvre par intermittence. Lors de la consultation, le 15 mars 2018 à 22h02, il était davantage apathique, s'endormait dans les bras de ses parents et avait vomi à deux reprises. Le diagnostic posé était celui d'une angine aigüe, d'une alcalose respiratoire et d'une anémie normochrome (B-249 ss).

c.d. Le 29 mars 2018, les parents de E______ ont consulté un autre pédiatre, le Dr O______, de sorte à obtenir un second avis. Il ressort des notes de consultation qu'il avait perçu chez l'enfant une gastrite persistante et qu'il avait notamment recommandé une diète enrichie (B-287).

c.e. Selon la lettre de décès des HUG du 15 avril 2018, laquelle reprend les déclarations des parents, E______ était en relativement bonne santé. Son développement était normal. Il avait présenté des coliques importantes durant les quatre premiers mois de vie, avec des difficultés à faire ses nuits, mais son comportement était normal durant le jour. Il avait une bonne prise pondérale jusqu'à six mois de vie. Il avait eu un retard de prise pondérale entre 6 et 9 mois, avec la prise d'environ 500 grammes seulement. Depuis la chute dans les escaliers avec sa nounou en janvier 2018, leur fils s'était réveillé chaque nuit en hurlant. Il avait fait cinq nuits entières depuis la naissance. Dès le 6 mars 2018, il avait présenté un état fébrile par intermittence et était plus fatigué, mais il gardait bon appétit. Dès le 15 mars, il avait souffert de vomissements chaque deux ou trois jours, à tout moment de la journée, qui avaient motivé plusieurs consultations aux urgences et chez la pédiatre. Début avril, ces symptômes s'étaient résolus, E______ avait repris du poids et son comportement s'était amélioré. Le 8 avril 2018, il avait montré un nouvel état fébrile avec l'apparition d'une toux grasse et rhinorrhée (C-10'063 ss).

Garde de E______ - relations entre les époux L______ et X______

d. Un contrat de travail a été conclu le 23 novembre 2017 entre B______ et A______, d'une part, et X______, d'autre part, portant sur la garde d'enfant et les travaux ménagers en lien avec celui-ci. Les rapports de travail devaient commencer le 5 décembre 2017, à raison de deux jours par semaine, les mardis et jeudis durant la journée, pour un total hebdomadaire de 19h00, au domicile de l'enfant, sis ______. La fin de la mission était prévue le 28 juin 2018 (B-97 ss).

e. Si les mardis et jeudis E______ était confié à X______, c'étaient les membres de sa famille qui s'occupaient de lui les autres jours de la semaine, puisque le lundi, il était gardé par son père A______, le mercredi par sa mère B______ - hormis entre 18h00 et 19h30 où il était confié à ses grands-parents paternels - et le vendredi par ses grands-parents maternels (B-67, B-77).

f. X______ (sous l'alias "______"), B______ et A______ échangeaient par le biais de l'application WhatsApp, dans des discussions individuelles et dans un groupe intitulé "Nounou de E______ ". Ces échanges permettaient de se coordonner et de transmettre des informations au sujet de l'enfant. X______ envoyait en outre des clichés de celui-ci à ses parents. Le flux de discussion contient en particulier les extraits suivants (NB: textuellement; C-61 ss):

22 décembre 2017 dès 09h25:

X______: Bonjour B______. J'espère que la soirée père/fils c'est bien passée! Et aussi que le bleu de E______ n'a pas empiré ? ( )

B______: Coucou, oui tout s'est bien passé. Papa a oublié de signaler le bleu à maman qui a pris peur ce matin au réveil de E______ Ah ces papas ! ( )

9 janvier 2018 dès 22h09:

B______: Bonsoir X______, j'espère que tu es bien rentrée et que tu n'as pas trop de douleurs. E______ va toujours bien ( )

X______: Bonsoir, tant mieux si E______ va bien. Tu me donneras tout de même des petites nouvelles demain Moi ça va, d'après une copine kiné, j'aurais une petite foulure de 4eme oreille j'irais faire vérifier demain mais c'est rien du tout !!!

10 janvier 2018 dès 10h30:

X______: Bonjour ! E______ à passé une bonne nuit ?

B______: Coucou, oui la nuit a été bonne. C'est un peu moins enflé mais un peu plus bleu. Il n'a pas l'air d'avoir mal. Et toi ?

X______: Bon, je suis rassuré !! Dommage pour la couleur mais si il n'a pas mal, c'est génial ! Pourvu que ça dure ! Moi, l'orteil est féle. Mais alors rien de grave comparé à ton bout de choux. Ce n'est rien ! Merci pour ces nouvelles !

B______: Soigne bien ton orteil fêlé. Est-ce que ça ira pour demain ?

X______: Oui Oui !!!! Ça ira ! A demain !

11 janvier 2018 dès 12h49:

A______: Très bien pour les câlins, ça prouve bien qu'il n'est pas fâché ! Bravo E______ d'avoir tout mangé, tu deviens un grand garçon.

X______: Oui !!! Il est gentil avec sa nounou et pas rancunier !

11 avril 2018 dès 13h17:

X______: Hello ! J'ai oublié de vous dire que je vous ai ramené un petit fromage de chèvre d'Ardèche. Il est au frigo. Si vous aimez ça régalez vous. E______ va bien ? A demain !! Bisous.

B______: Coucou, merci bien, c'est très gentil ! E______ avait un peu de fièvre hier soir mais plus aujourd'hui. Il tousse et a le nez très bouché mais bon ça devrait passer. A demain. Bises

12 avril 2018 à 10h33:

X______: Coucou les parents! Après une nouvelle activité de patouille eau/maïzena, un bon biberon, nous sortons prendre le soleil !!

13 avril 2018 à 21h19:

X______: Désolé, je ne veux vraiment pas être intrusive, mais si vous aviez des petites nouvelles parce que je vis les choses difficilement aussi. Grosses pensées.

14 avril 2018 à 00h02:

A______: Bonsoir, les nouvelles ne sont pas très bonnes. E______ est toujours aux soins intensifs, dans un état critique. On ne connaît toujours pas la cause du malaise, ils sont encore en train de chercher. Nous sommes là pour lui et nous sommes entourés. Courage à toi. Merci.

15 avril 2018 à 20h11:

X______: Cette nuit, une bougerie brillera à H______ pour montrer à E______ que je l'accompagne. Je vous envoie tout le courage possible ! Restez fort comme il vous à toujours vu l'être. Je suis de tout cœur avec vous. Enormes bisous. "Nounou".

g. Figurent en outre au dossier deux cahiers de liaison alimentés principalement par X______ et dans lesquels elle raconte les journées passées avec E______ (humeur, repas, siestes, activités ou encore selles) jusqu'au 10 avril 2018 (B-100 ss).

Le 21 décembre 2017, X______ a notamment indiqué ce qui suit: "Dodo de 13h30 à 15h50. Sein à 16h30". A côté de ces propos a été inscrite, avec une autre écriture, la mention suivante: "16h00 cube rouge me tombe sur l'œil droit" (B-111 ss).

Le 9 janvier 2018, X______ a notamment indiqué ce qui suit: "Réveil à 8h50. Papa est encore là. Ouf car j'appréhendais un peu les retrouvailles Et puis E______ m'a fais comprendre que je me suis inquiété pour rien. Biensur qu'il est heureux de revoir sa nounou". Sur la même page, a été inscrite, avec une autre écriture, la mention suivante: "12h05 - Chute dans les escaliers, œil gauche enflé mais sans gravité" (B-113 ss).

Le 16 janvier 2018, X______ a notamment indiqué ce qui suit: "Toilette et habillage rapide tout de même car la colère n'est pas loin. (Je remarque une griffure ?) ( ) Après ce repas engloutie vite fait, nous nous installons sur le canapé pour danser avec le livre que je lui offre (pour me faire définitivement pardonné )" (B-117 ss).

h. B______ et A______ ont délivré, le 20 mai 2018, un certificat de travail à X______ attestant du fait qu'elle avait travaillé à temps partiel, à raison de deux jours par semaine, pour un total de 19 heures, du 5 décembre 2017 au 19 mai 2018. Pour l'essentiel, sa teneur est la suivante : "Souriante et discrète avec son entourage, Madame X______ est une personne qui s'investit dans son travail qu'elle accomplit avec sérieux. C'est quelqu'un sur qui l'on pouvait compter et à qui nous avons toujours fait confiance. Elle remplissait un cahier de liaison chaque jour de travail, ce qui permettait une transparence entre nous. Elle a toujours su s'adapter au contexte familial proche. Nous avons aussi pu constater que dans des situations délicates, elle maitrisait les différents gestes de premiers secours, tout en gardant son calme. Madame X______ nous a toujours donné pleine et entière satisfaction aussi bien dans son travail que par son attitude. C'est une personne de confiance que nous recommandons chaleureusement" (C-16).

II. Faits survenus le 12 avril 2018

Engagement des secours

i. Il ressort des divers appels passés entre les centrales 118, 144, de la REGA et la Centrale d'engagement, de coordination et d'alarme de la police genevoise (ci-après : CECAL), de même que des rapports de renseignements de la police (B-2), ainsi que du courrier du Dr P______ et de Q______, du Département de médecine communautaire de premier recours et des urgences des HUG (B-163) que, le 12 avril 2018, à 11h14, la centrale SIS 118 a effectué un premier appel à la centrale 144 et tenté de lui transférer l'appel d'X______, en vain. La centrale 144 a alors tenté de joindre la centrale 118 et X______ à 11h15, sans y parvenir. A 11h16, la centrale 144 est parvenue à communiquer avec la centrale 118, laquelle l'a informée que la nounou avait signalé à son interlocuteur que l'enfant dont elle s'occupait avait vomi par le nez et la bouche, qu'il ne respirait plus et qu'il était mort. A 11h17, la centrale 144 est parvenue à communiquer durant plus de onze minutes avec X______ qui l'avait rappelée. Celle-ci a alors expliqué qu'elle avait essayé de laver l'enfant dont elle s'occupait, âgé de 10 mois, après qu'il avait vomi, puis perdu connaissance. Elle a signalé à plusieurs reprises que l'enfant avait vomi par la bouche et par le nez, qu'il ne respirait plus, que son cœur ne battait plus et qu'il était mort. Elle a ajouté qu'il était "tout blanc" et avait demandé plusieurs fois "mais qu'est-ce qu'il a eu ?", "que s'est-il passé ?", "mais qu'est-ce qu'il a eu bordel ?", "putain mais c'est pas possible mais qu'est-ce qu'il a eu ?" (sic !) ou encore "mais qu'est-ce qu'il a eu ce bébé ? il faut que ça arrive avec moi", tout en effectuant les gestes de réanimations indiqués par son interlocutrice. Celle-ci a indiqué à plusieurs reprises qu'un hélicoptère de la REGA et une patrouille de police étaient engagés et allaient arriver. A 11h19, la centrale 144 a annoncé à la CECAL qu'un hélicoptère de la REGA était en train d'intervenir au domicile de E______, découvert en arrêt cardiorespiratoire par sa puéricultrice. A 11h56, la centrale 144 a informé les urgences pédiatriques que l'hélicoptère de la REGA s'apprêtait à se poser aux urgences adultes avec à son bord un bébé qui avait fait un arrêt cardiorespiratoire avec récupération de pouls. Selon les informations fournies par la nounou et relayées par le 144, l'enfant avait vomi par la bouche et le nez et fait un arrêt cardiorespiratoire par la suite. Ni chute ni trauma n'avaient été évoqués. Il ressort de l'appel échangé entre le 144 et la REGA que l'équipe médicale intervenue supposait, à ce stade, que l'enfant avait vomi et bronchoaspiré. Les policiers étaient en train de masser, à l'arrivée sur les lieux de l'équipe médicale. Selon les informations obtenues par celle-ci, la nounou, laquelle s'occupait de l'enfant, l'avait massé et ventilé suite à un malaise. Celui-ci avait été "récupéré", mais demeuraient désormais inconnues les lésions neurochirurgiques. Le 144 ignorait à quel moment la nounou avait entamé les premières mesures de réanimation, le contact ayant pris, au départ, du temps à s'établir. Par la suite, E______ avait été conduit aux urgences adultes, puis aux soins intensifs de pédiatrie des HUG, où ses parents s'étaient rendus après avoir été avisés.

Eléments médicaux

j.a. Il ressort du dossier médical des HUG que E______ a été emmené aux urgences adultes par la REGA en raison d'un arrêt cardio-respiratoire. A son arrivée, l'enfant était inconscient, ses pupilles étaient peu réactives, il souffrait d'une hypotonie axiale et périphérique et n'effectuait pas de mouvement spontané. Il était pâle, marbré, bien hydraté et afébrile. Le diagnostic posé d'emblée était un arrêt cardio-respiratoire, une bronchoaspiration et un ileus paralytique (C-10'023 ss).

j.b. Selon la lettre de décès du 15 avril 2018 établie par les Doctoresses R______, S______ et T______, du Service de néonatalogie et des soins intensifs pédiatriques, la première nommée s'était entretenue par téléphone avec X______. Il ressort des explications rapportées par celle-ci qu'avant de prendre son biberon à 10h00, E______ s'était comporté comme à son habitude. Elle l'avait placé dans la douche pour le laver. Il avait eu un comportement normal et avait joué avec le jet de la douche. Elle en avait profité pour laver le body souillé. L'enfant n'avait pas pu avaler ou aspirer d'eau dans la baignoire. Après la douche, alors qu'elle était en train de le sécher, il s'était crispé en gémissant soudainement, avait contracté ses bras en flexion sur son torse avec un regard anormal, puis était devenu flasque et blanc avant de perdre connaissance. Il avait eu une respiration lente et très ample par la suite. Puis, elle avait essayé de le secouer et de le gifler pour le stimuler. Elle avait tenté de l'asseoir sur sa chaise haute, mais il n'avait pas tenu. Elle l'avait couché par terre. Elle avait tenté d'appeler les parents, sans succès. E______ avait cessé de respirer. Elle avait joint le 118, puis le 144. Elle avait commencé le massage cardiaque et la ventilation jusqu'à l'arrivée de l'équipe médicale, soit durant en tout cas quatorze minutes. Elle estimait à cinq minutes le temps écoulé entre la perte de connaissance et l'appel au 144.

A son admission, E______ avait un hématome frontal gauche, sans notion de chute, la nounou pensant qu'elle avait dû le cogner en essayant de le stimuler. La réalisation d'un "total body scan" n'avait pas montré d'atteinte cérébrale aigüe. Sur le plan hémodynamique, les médecins étaient frappés par la réanimation, dès lors qu'il était peu commun de récupérer un rythme sinusal après deux minutes de massage et de ventilation par des professionnels, si l'arrêt était cardiaque. Cela se produisait plutôt suite à des problèmes respiratoires et donc hypoxiques.

Le 13 avril 2018, E______ avait présenté un nouvel épisode d'arrêt cardio-respiratoire. Sur le plan respiratoire, il avait été ventilé du 12 au 15 avril 2018, à 16h30. Les sédations de midazolam et de dexmedetomidine avaient été stoppées, respectivement, les 12 et 13 avril 2018, après le second arrêt cardio-respiratoire. L'IRM cardiaque effectuée le 13 avril 2018 avait mis en évidence une altération sévère de la fonction ventriculaire gauche et modérée de la fonction ventriculaire droite. Le 14 avril 2018, le statut neurologique demeurait identique. Une IRM cérébrale avait été réalisée. Le radiologue de garde indiquait ne pas avoir trouvé de signes pouvant expliquer l'arrêt cardio-respiratoire. Il avait mis en évidence un œdème cortical généralisé et une petite lésion ischémique cérébelleuse. Aucun fond de l'œil ou radiographie des os longs n'avait été réalisé. Au vu du second arrêt cardiorespiratoire et du risque supplémentaire de lésion neurologique, avec un pronostic sombre, une redirection de soin avait été décidée le 14 avril 2018 et les traitements avaient été progressivement arrêtés. Les parents avaient été mis en relation avec les pédopsychiatres et un aumônier pour bénéficier d'un soutien. La Doctoresse R______ avait vu les proches et contacté la pédiatre ainsi que la nounou. E______ était décédé le 15 avril 2018 à 16h52, auprès de ses parents (C-10'067 ss).

j.c. La Doctoresse T______ a délivré un constat de décès le 15 avril 2018 (B-4).

j.d. Selon l'ordonnance relative à la personne décédée concernant E______, établie le 15 avril 2018 par l'Officier de police de service pour le compte du Ministère public, l'enquête préliminaire écartait l'hypothèse de maltraitance. Les éléments médicaux n'avaient pas déterminé l'origine du problème, mais c'était surtout l'hypothèse d'un problème médical qui était retenue. Aucun traumatisme n'avait été révélé lors des examens. En conséquence, la levée de corps et la remise de celui-ci à la famille avaient été ordonnées (B-5).

j.e. Si le compte-rendu du scanner cérébral pratiqué le 12 avril 2018 faisait initialement état d'une absence d'hémorragie intracrânienne, de thrombose veineuse intracrânienne et de syndrome de masse intracrânienne, une mention avait ensuite été ajoutée. En effet, la revue du cas effectuée le 16 avril 2018 avec la Professeure T______ avait révélé un hématome sous-dural de la faux du cerveau à prédominance droite remontant en frontal gauche et des hémorragies sous arachnoïdiennes pariétales gauches. Le tout était hautement évocateur de lésions de maltraitance (syndrome du bébé secoué) (C-11'181 ss). Le résumé du 16 avril 2018 de l'IRM cérébrale pratiquée le 14 avril 2018 mentionnait en outre que les hémorragies sous arachnoïdiennes évoquaient une thrombose des veines ponts, expliquant les lésions ischémiques corticales étendues bilatéralement (C-10'226).

j.f. A teneur de l'ordonnance relative à la personne décédée concernant E______, établie le 16 avril 2018 par l'Officier de police de service pour le compte du Ministère public, la Doctoresse R______ avait indiqué qu'un autre radiologue avait interprété les images "comme hautement susceptibles d'être le résultat d'un cas de maltraitance à l'inverse de ce que ses collègues avaient interprété jusque-là". Le Ministère public avait ainsi ordonné la mise en sûreté du corps de E______ aux fins d'autopsie (B-6).

j.g. A teneur du rapport d'examen neuropathologique du 26 juin 2018 établi par les Docteurs ______ et ______, du Service de pathologie clinique des HUG, le diagnostic neuropathologique a mis en évidence, au niveau du système nerveux central, une encéphalopathie post-anoxique aiguë sévère avec un œdème cérébral diffus, un hématome sous-dural aigu des deux convexités cérébrales et, de part et d'autre de la faux du cerveau, des discrètes lésions axonales aiguës de la substance blanche parasagittale frontale et du cingulum, une suffusion hémorragique aiguë des tissus mous situés derrière l'articulation atanto-axiale gauche, ainsi que des traces d'un ancien hématome sous-dural bilatéral. Les lésions aiguës avaient contribué au décès et étaient compatibles avec un évènement survenu deux jours avant le décès (B-204 ss).

j.h. Le rapport médical sur la cause du décès établi le 27 juin 2018 par la Doctoresse R______ mentionne un arrêt cardio-respiratoire suite à des séquelles neurologiques graves postérieurement à arrêt cardio-respiratoire à domicile demeurant inexpliqué (C-10'049 ss).

k.a. Entendue par le Ministère public le 7 mars 2019, la Doctoresse R______, évoquant la prise en charge de E______ au services des urgences, a indiqué que le diagnostic différentiel, très large, était fondé sur les éléments transmis par les urgentistes, qu'il n'y avait pas d'explication claire à ce stade et que trois grandes pistes avaient été évoquées, soit la piste neurologique, la piste cardiaque et la piste métabolique. Les premiers examens effectués ne faisaient pas penser à un problème cardiaque et au final, aucun problème de cette nature n'avait été trouvé chez E______. Ce qui avait été présenté à l'anamnèse était précis, mais ne permettait pas d'expliquer ce qu'il s'était passé. A ce stade, il n'y avait pas d'éléments évocateurs de maltraitance, étant toutefois précisé qu'ils ne les avaient pas cherchés. Le rapport du 16 avril 2018 faisait état d'informations supplémentaires, soit de signes évocateurs de maltraitance (syndrome du bébé secoué), lesquels étaient déjà présents le 12 avril 2018, étant relevé que les conclusions et les explications des scanners et des IRM étaient parvenues postérieurement au décès de E______. Les éléments du 16 avril 2018 avaient donné une explication à ce qu'il s'était passé. Il était très dommage de ne pas avoir pu poser le diagnostic dans les premières 24 heures, car l'incertitude était très difficile pour les parents et la famille. En définitive, cela n'aurait rien changé aux chances de survie de E______, vu les atteintes déjà très sévères qu'il présentait dès le départ. La prise en charge médicale n'aurait pas été différente. En revanche, les explications données et la prise en charge des parents auraient été adaptées (C-46 ss).

k.b. Lors de la même audience, la Doctoresse T______ a confirmé le questionnement des médecins, en relation avec des hypothèses de type cardiaque, respiratoire, neurologique et traumatique. Dans la mesure où ils n'avaient rien trouvé, dans l'histoire, qui pouvait expliquer ce qu'il s'était passé, le diagnostic différentiel était vraiment très large. Le pronostic vital de l'enfant était engagé depuis le début de la prise en charge (C-52 ss).

k.c. La Doctoresse V______, cheffe de clinique en radiologie, a expliqué par-devant le Ministère public qu'elle avait rendu un premier rapport provisoire faisant état d'une première interprétation et que ledit rapport avait été revu par la Professeure T______ le 16 avril 2018. Elle avait eu des doutes sur les images et avait préféré confirmer avec cette dernière. Elle se souvenait avoir vu des lésions ischémiques lors de l'imagerie. Le scanner pratiqué le 12 avril 2018 faisait état d'un saignement, information qu'elle avait lue dans la correction ultérieure (C-55 ss).

k.d. Entendue le 20 mars 2019 par-devant le Ministère public, la Professeure T______ a déclaré qu'en revoyant, le lundi matin, les imageries effectuées le week-end, elle avait constaté la présence d'une hémorragie, soit un hématome sous-dural de la faux du cerveau et des hémorragies sous-arachnoïdiennes. Un hématome sous-dural était un hématome situé dans les différentes couches du cerveau, soit entre la dure-mère et l'arachnoïde et en tant que tel, un hématome sous-dural n'était "pas quelque chose de grave, mais [c'était] lorsqu'il [était] associé à quelque chose d'autre" qu'il l'était, ce qui était le cas en l'espèce. Dès lors qu'il s'agissait d'un saignement, la datation précise n'était pas possible, seule une fourchette l'était, étant précisé qu'il ne s'agissait pas d'un "saignement qui date d'il y a 3 mois". Ces lésions étaient hautement évocatrices d'un traumatisme non accidentel, soit de lésions de maltraitance ou du syndrome du bébé secoué. Pour un radiologue, cela signifiait qu'il y avait des signes de 85% à 90% que la tête de l'enfant avait été secouée d'avant en arrière. Chez un enfant de moins de deux ans, le cerveau était plus petit que la boîte crânienne et il bougeait plus facilement. Elle avait fait corriger les rapports à sa cheffe de clinique et avait informé les cliniciens en charge de l'enfant. La cheffe de clinique qui avait interprété les images le 12 avril 2018 n'avait pas vu les signes évocateurs de maltraitance qui étaient présents (C-151 ss).

III. Investigations

Autopsie

l.a. Les Doctoresses W______ et Y______ de l'Unité Romande de Médecine Forensique ont procédé à l'autopsie du corps de E______ le 17 avril 2018.

l.b. Elles ont rendu un rapport préliminaire le 20 avril 2018, qui décrit leurs constatations, à savoir:

-     des hématomes sous-duraux bilatéraux, avec foyers multifocaux en regard de la faux du cerveau des deux côtés, et extension en région pariétale bilatérale, au pôle temporal droit et à la tente du cervelet;

-     des hémorragies rétiniennes multifocales et bilatérales, plus importantes à gauche;

-     des infiltrations hémorragiques des nerfs optiques;

-     une infiltration hémorragique au sein des muscles oculo-moteurs supérieurs et internes de l'œil droit;

-     trois ecchymoses en région frontale, pariétale et rétro-auriculaire gauches, associées à des infiltrations hémorragiques sous-jacentes;

-     quelques ecchymoses des cuisses et du genou droit, associées à des infiltrations hémorragiques sous-jacentes;

-     des signes d'intervention médicale.

Ces constatations étaient compatibles avec un décès consécutif à un traumatisme cérébral non accidentel (syndrome du bébé secoué) (B-7).

l.c. Selon le rapport d'autopsie du 16 octobre 2018 dressé par les Médecins légistes W______et Y______, et approuvé par le Docteur Z______, les constatations faites au cours des examens d'imagerie forensique, de l'autopsie, de l'examen des globes oculaires, de l'examen neuropathologique et des examens histologiques et immunohistochimiques concernaient essentiellement des constatations en lien avec un traumatisme non accidentel par secousses en présence d'un hématome sous-dural multifocal et bilatéral, de ruptures avec thromboses de veines ponts, de discrètes lésions axonales aiguës bilatérales de la substance blanche, d'infiltrations hémorragiques des nerfs optiques, des muscles oculomoteurs supérieurs et internes de l'œil droit, d'hémorragies rétiniennes multifocales et bilatérales, s'étendant à la périphérie et à la chambre antérieure, prédominant à gauche, des suffusions hémorragiques aigües des tissus mous situés derrière l'articulation atlanto-axiale à gauche (entre les 1ère et 2ème vertèbres cervicales), ainsi que d'une encéphalopathie post-anoxique aiguë sévère. Plusieurs lésions traumatiques d'aspect frais à récent, sous forme de quatre ecchymoses au niveau de la tête à gauche (front, région pariétale et rétro-auriculaire), des genoux et de la cuisse gauche avaient été mises en évidence, de même que d'autres lésions traumatiques à caractère plus ancien, sous forme de traces d'un ancien hématome sous-dural bilatéral.

Compte tenu de l'ensemble du tableau lésionnel présenté par E______ et de l'absence de pathologie associée et préexistante pouvant favoriser sa venue spontanée (trouble de la coagulation sanguine, trouble métabolique), les hémorragies intracrâniennes, rétiniennes, de la charnière crânio-cervicale et les lésions axonales cérébrales constatées devaient être considérées comme étant d'origine traumatique. Le diagnostic de traumatisme crânien non accidentel par secouement était certain dans trois configurations alternatives, soit en cas i) d'hématomes sous-duraux plurifocaux avec caillots à la convexité traduisant la rupture des veines ponts ou ii) d'hématomes sous-duraux plurifocaux et hémorragies rétiniennes quelles qu'elles soient ou encore iii) d'hématomes sous-duraux unifocal avec lésions cervicales et/ou médullaires.

Le syndrome du bébé secoué était une forme de maltraitance infantile intéressant dans la majorité des cas des enfants dès leur premier mois de vie jusqu’à un an, alors qu’ils ne tenaient pas encore leur tête. L’enfant était alors saisi par les bras ou par le thorax, pour être ensuite secoué à plusieurs reprises d’une façon très rapide et violente. Ce traumatisme pouvait typiquement entraîner des lésions intracrâniennes, telles que des hémorragies cérébrales, et des hémorragies rétiniennes à la suite des forces d’accélération et de décélération subies lors des secousses. Les ruptures des veines ponts avec développement d’hémorragies sous-durales, les hémorragies rétiniennes et les lésions hypoxiques cérébrales, et les lésions cervicales étaient typiquement observées dans ce type de mécanisme. S'agissant du cas d'espèce, les quelques ecchymoses constatées au niveau de la tête à gauche n'entraient pas en contradiction avec le diagnostic. Il s'agissait de lésions traumatiques contuses n'expliquant pas directement le tableau lésionnel intracrânien constaté. Elles pouvaient toutefois être en relation avec des secousses indépendantes et consécutives à d'autres traumatismes. Par ailleurs, les signes d'anciens saignements intracrâniens pouvaient entrer chronologiquement en lien avec le traumatisme de janvier 2018, soit la chute dans les escaliers décrite par X______, étant relevé que ces lésions pouvaient également être survenues précédemment ou ultérieurement. Ainsi, "l'ensemble des données [ ] réunies permet de rapporter le décès de l'enfant E______, âgé de 10 mois et 10 jours, à un traumatisme crânio-cérébral non accidentel par secouement (syndrome du bébé secoué)". Un dossier photographique de E______ était joint audit rapport (B-172ss, B-217ss).

Expertise et auditions des experts

m.a. Les Docteurs Z______, W______ et AA______ ont ont établi un rapport d'expertise le 18 septembre 2020 (C-229 ss). Ils ont commenté ledit rapport et fourni des indications complémentaires principalement lors de l'audience d'instruction du 9 mars 2021 (C-308 ss). Il en ressort notamment les éléments suivants:

§  s'agissant des événements du 21 décembre 2017:

En relation avec les explications données par X______ en lien avec la chute d'un cube en plastique que E______ tenait dans la main à hauteur de son bras et qui lui aurait provoqué des lésions à l'œil, les experts ont déclaré qu'au vu de la multiplicité des lésions visibles, de la répartition de ces lésions sur différentes régions du visage (paupière supérieure et région zygomatique) et de la hauteur de la chute de l'objet proposé, il semblait très peu probable que le mécanisme évoqué par la nounou puisse être à l'origine de telles lésions. Ils émettaient l'hypothèse que ces lésions avaient probablement été causées par des traumatismes contondants, conséquences d'un (plusieurs) heurt(s) du corps contre un (des) objet(s), un (des) objet(s) contre le corps ou encore de pression(s) ferme(s), étant précisé qu'étant toutefois trop peu spécifiques, il n'était pas possible de se prononcer sur l'origine précise de ces lésions (C-272 ss). Si les explications d'X______ leur semblaient peu probables, dès lors qu'il aurait fallu que l'objet rebondisse à trois reprises sur le visage de l'enfant, il n'était toutefois pas possible de les exclure formellement (C-311, C-317).

§  s'agissant des événements du 9 janvier 2018:

En relation avec les explications données par X______ en lien avec une chute dans les escaliers en portant E______, les experts ont en premier lieu exposé que la pointe du nez était une zone saillante, ce que l'orbite n'était pas. En cas de chute sur une surface plane, la région orbitaire (œil et paupières) était en général indemne de lésion, de par ce facteur de protection. Il s'agissait d'une région plutôt lésée en cas de coup(s) porté(s). Au vu de la configuration des lieux présentée, il était difficile d'imaginer comment l'enfant aurait pu se blesser le bout du nez et l'œil gauche alors qu'il était porté dans les bras, sans se blesser d'autres zones saillantes du corps ou l'arrière de la tête en premier lieu, si bien que le bilan lésionnel présenté par l'enfant semblait très difficilement compatible avec les allégations d'X______ (C-275 ss). Les explications de celle-ci n'étaient pas en adéquation avec les lésions subies par E______ et elles leur semblaient peu probables, même s'il n'était pas possible de les exclure formellement (C- 311). L'ecchymose à l'œil était plutôt située dans une face protégée, ce qui tendrait à dire que la face saillante aurait dû recevoir un impact, à tout le moins sur une surface plane, étant précisé que, sur une surface irrégulière, cela pouvait être différent (C-317). Les causes possibles des lésions étaient des traumatismes contondants, étant précisé qu'elles étaient trop peu spécifiques pour se prononcer sur une origine précise (C-277). Alors que, à l'audience du 9 mars 2021, X______ avait fourni d'autres indications ("je tenais l'enfant dans mes bras, la tête au-dessus de mon bras et je suis tombée dans l'escalier. Je ne me suis pas cognée à la rambarde, mais je suis tombée réellement en avant. Je me suis d'ailleurs tapé le genou et fait mal au doigt de pied, ce que les parents de E______ savent. Je n'ai pas lâché E______, je l'ai tenu très fort, je suis tombée en amortissant sa chute"), l'expert Z______ a constaté que cette nouvelle explication, différente de ce qui avait été proposé dans la procédure, lui semblait possible (C-317 ss). Sur un plan médical, il était possible qu'en dépit de chocs différents allégués, les lésions subies le 21 décembre 2017 à l'œil droit soient identiques à celles subies le 9 janvier 2018 à l'œil gauche (C-277). Elles n'étaient pas des conséquences de secousses, étant relevé que dans un mécanisme de secousses, il était possible qu'un enfant heurte un objet. Les lésions observées pouvaient être la conséquence d’un coup porté ou d’un heurt contre un objet (C-311).

§  s'agissant du profil de risque, en lien avec le syndrome du bébé secoué:

Sur le plan épidémiologique, les enfants les plus à risque sont ceux remplissant plusieurs facteurs, parmi lesquels le fait d'être de sexe masculin, d'avoir des épisodes de pleurs inconsolables et de présenter des difficultés alimentaires. Ces trois facteurs ont été mis en évidence en lien avec E______ (C-257). Les enfants faisant face à des pleurs inconsolables ou à des troubles du sommeil sont perçus comme étant difficiles, par les personnes qui les secouent. Une telle personne ne souhaite pas nuire à l'enfant, mais elle perd le contrôle à la suite d'une accumulation de fatigue ou de facteurs de stress qui peuvent par exemple être provoqués par des pleurs inconsolables, par plusieurs nuits sans sommeil ou par le refus de se nourrir, ce qui est difficile pour la personne en charge de l'enfant, laquelle peut être la mère, le père, un membre de la famille ou un professionnel (C-318). A la connaissance des experts, il n'existait pas, dans la littérature, de cas de secousses provoquées par une personne en panique (C-321).

§  s'agissant des problèmes rencontrés par E______ dans les mois ayant précédé son décès:

Les experts ont considéré que les périodes d'apathie et les problèmes de poids observés chez cet enfant depuis début 2018 pouvaient découler d'une lésion cérébrale, surtout en étant accompagnés de vomissements, mais il s'agissait de symptômes aspécifiques dont les causes les plus fréquentes étaient d'origine digestive ou infectieuse. Il était possible que le retard de la prise pondérale de E______ ait été la conséquence d'une atteinte neurologique grave. Les difficultés de sommeil auxquelles E______ avait dû faire face étaient extrêmement fréquentes chez les nourrissons de moins d'une année. Il était possible que ces difficultés aient été la conséquence d'une atteinte neurologique subie lors d'un épisode de secousses, mais d'autres diagnostics plus fréquents entraient également en ligne de compte. Des vomissements pouvaient être un signe d'une atteinte neurologique grave, mais d'autres diagnostics plus fréquents pouvaient provoquer des vomissements. Il était possible que les vomissements de E______ aient été la conséquence d'une atteinte neurologique grave (C-270 ss).

§  s'agissant des événements du 15 mars 2018 (consultation aux urgences pédiatriques):

Les vomissements, l'apathie et la somnolence pouvaient être évocateurs de maltraitance, mais ils pouvaient aussi être expliqués par le contexte infectieux présenté par l'enfant. Selon les experts, le diagnostic posé d'infection virale était justifié. La coexistence d'un syndrome du bébé secoué était possible, mais aucun élément à l'anamnèse ni au status ne permettait de faire suspecter un syndrome du bébé secoué dans ce contexte infectieux. Il était toutefois possible que E______ souffrait déjà d'un syndrome du bébé secoué en mars 2018 (C-278 ss). S'il était possible de dire cela, les experts ne pouvaient en revanche pas évaluer la probabilité. Cela restait une hypothèse, ils ne pouvaient pas l'affirmer avec certitude, comme pour les événements aigus. Chaque symptôme constaté pouvait s'expliquer en lui-même par une autre cause, causes qui ne sont pas rares. Un virus pouvait par exemple expliquer les vomissements (C-311).

§  s'agissant des diagnostics différentiels et autres hypothèses écartés:

Le diagnostic différentiel principal est le traumatisme crânien accidentel, or une chute de moins de 1m50 ne peut provoquer ni hématome sous-dural plurifocal ni hémorragie rétinienne diffuse et/ou bilatérale. Une telle chute ne cause aucune lésion conséquente dans la majorité des cas. Une chute d'une faible hauteur peut être exceptionnellement à l'origine d'un hématome sous-dural isolé, localisé en regard du site d'impact, avec contusion du cuir chevelu et éventuel trait de fracture en regard. En cas de chute dans les escaliers, on peut observer des lésions multiples en regard de diverses régions du corps en relation avec plusieurs impacts, or le bilan lésionnel attendu (ecchymoses, contusions, fractures) est différent du tableau lésionnel présenté par E______. Une chute du lit parental aux alentours du mois de février 2018 ne devrait pas entraîner d'hématome sous-dural multifocal de nature à expliquer les traces de saignement ancien détectées lors de l'autopsie, si la hauteur du lit est inférieure à 60 cm ou moins de 1.2-1.8 mètre (C-260 ss, C-268 ss, C-288, C-315). L'ensemble du tableau lésionnel présenté par E______ ne pouvait pas s'expliquer par des actes de réanimation, même inadaptés (C-268, C-289). L'hypothèse de la présence d'un hématome sous-dural chronique ne pouvait pas être retenue en l'espèce et aucun élément parlant en faveur de la survenue d'un re-saignement n'avait été constatée (C-263, C-285). Des lésions telles qu'un hématome sous-dural, une thrombose des veines ponts et des lésions ischémiques corticales massives pourraient trouver leur origine, de manière générale, par un traumatisme à haute énergie à l'origine d'une accélération ou décélération importante, comme par exemple en cas de chute d'une hauteur importante ou d'un accident de la circulation (C-268 ss). Dans le cas particulier, le diagnostic différentiel crédible serait un accident de la circulation routière ou la chute d'une hauteur importante, ce qui ne ressortait toutefois pas du dossier (C-315). En l'espèce, les diagnostics différentiels pouvant être à l'origine de l'ensemble du tableau lésionnel avaient été exclus (C-262, C-265).

§  s'agissant du diagnostic de traumatisme crânien non accidentel (TCNA) par secouement:

Selon les recommandations de la Haute Autorité de Santé française, après exclusion des diagnostics différentiels, un tel diagnostic de traumatisme crânien non accidentel était certain, chez un nourrisson, en présence d'hématomes sous-duraux pluri-focaux avec caillots à la convexité (vertex), traduisant la rupture des veines ponts ou d'hémorragies sous-durales plurifocales et d'hémorragies rétiniennes quelles qu'elles soient ou d'un hématome sous-dural unifocal avec lésions cervicales et/ou médullaires (C-259, C-314). Il fallait relever l'absence d'intervalle libre entre le secouement et les symptômes, puisque dans tous les cas de victimes de traumatisme crânien non accidentel avec lésions entraînant le décès, les symptômes survenaient immédiatement après le secouement (C-258, C-266). Chez le nourrisson, le dommage du tissu cérébral, provoqué pendant les secousses, était immédiat, sans latences pouvant expliquer l'intervalle libre (C-317). Les symptômes étaient la conséquence des secousses et survenaient après le secouement (C-266). Le fait de secouer un enfant était un geste d'une grande violence, totalement différent des gestes du quotidien et des maladresses de la vie quotidienne, insuffisantes à provoquer ce type de tableau lésionnel (C-267). Des secousses violentes lors desquelles la tête est projetée d'avant en arrière représentent un acte de violence infligée mettant la vie de l'enfant en danger (C-289).

§  s'agissant des événements du 12 avril 2018:

Les symptômes décrits par X______ - regard "vide", contraction des membres, absence de pleurs, perte de connaissance, renvoi par le nez, absence de colonne vertébrale, bébé mou comme une "poupée de chiffon", absence de respiration hormis entre deux et cinq grandes respirations saccadées et absence de pouls - étaient des symptômes d’un état comateux avec dysfonction cardio-respiratoire et évocateurs d'une souffrance cérébrale, avec respiration agonale. Typiquement, tous ces symptômes survenaient immédiatement après les secousses, sans intervalle libre, dans le cadre du syndrome du bébé secoué. La symptomatologie présentée par E______ le 12 avril 2018 correspondait à la présentation clinique aigue typique d'un traumatisme crânien non accidentel avec un secouement suffisamment intense pour créer les lésions observées à l'intérieur du crâne, les hémorragies rétiniennes et rachidiennes cervicales. Les secousses à l'origine du tableau lésionnel constaté étaient violentes, étant relevé que, de manière générale, il n'était pas possible de déterminer si la gravité des lésions était la conséquence de la force des secousses, puisque cela dépendait aussi de la résistance individuelle de l’enfant (C-310). Les lésions intracrâniennes provoquées par le secouement violent de l’enfant avaient causé la perte de connaissance puis le décès de E______ (C-291).

§  s'agissant de l'hypothèse de la survenance d'un malaise:

Un malaise spontané d’une autre origine, sans cause décelable par les investigations et examens médicaux, suivi de secousses, semblait fortement improbable aux experts, alors que la survenue de secousses expliquait l’ensemble du tableau clinique (C-289). Ils ne disposaient pas d'élément pouvant leur permettre d'identifier une cause de perte de connaissance avant les secousses et ignoraient sur quelle base le fait de vomir pouvait provoquer une perte de connaissance, sans compter que E______ n'avait pas perdu connaissance par le passé (C-319). Les causes de perte de connaissance chez un enfant pouvaient être multiples (lésion cérébrale, malformation, crise d'épilepsie, malformation cardiaque, éléments traumatiques ou malaise vagal). Chez un enfant de moins d'un an, une telle perte de connaissance était rare (C-320). Un malaise vagal suite à un vomissement n'expliquait pas les autres symptômes rapportés par X______, soit la contraction des membres et le plafonnement du regard. Ces éléments étaient symptomatiques d'une lésion cérébrale grave et étaient nécessairement intervenus après que l'enfant ait été secoué. Ces symptômes étaient incompatibles avec un malaise vagal suite à un vomissement (C-321).

§  s'agissant de la datation de la survenance des lésions décrites dans le rapport d'autopsie:

Les experts étaient d'avis que les lésions crâniennes en lien avec un traumatisme non accidentel par secousses étaient compatibles avec un événement survenu deux jours avant le décès, que l'ancien hématome sous-dural bilatéral devait être considéré comme remontant au moins à plus d'un mois avant le décès, que la datation des hémorragies rétiniennes était difficile, mais qu'elles pouvaient être considérées comme "fraîches" et que l'aspect macroscopique des ecchymoses à la tête parlait en faveur de lésions "fraîches". En conclusion, l'ensemble des données à disposition évoquait un mécanisme lésionnel concomitant dont la survenance était compatible avec un traumatisme localisé survenu peu avant l'admission de l'enfant aux HUG. Au niveau des membres inférieurs, les lésions traumatiques contuses aux cuisses et genoux avaient un caractère "frais", leur apparition devant théoriquement se situer dans les 24 à 48 heures avant le décès, mais ces ecchymoses pouvaient également être survenues peu avant ce laps de temps ou peu avant ou pendant l'hospitalisation de l'enfant du 12 avril 2018. Les traces de saignement ancien autour de la gaine du nerf optique se rapportaient à un épisode de saignement remontant à au moins plus de cinq jours auparavant. En définitive, l'ensemble des constatations évoquait des lésions traumatiques fraîches compatibles avec des événements survenus le 12 avril 2018 ainsi qu'un ou plusieurs épisodes de traumatisme ancien, survenu(s) plus d'un mois avant le décès (C-282 ss). Les traces de saignement ancien autour de la gaine du nerf optique ne correspondaient pas forcément à un autre épisode que celui ayant conduit au décès, étant précisé qu'au microscope, ils avaient constaté des traces d'anciens saignements (petites cicatrices) au niveau de la dure-mère qu'il était possible de remonter à au moins plus d'un mois et des cellules de l'œil qu'ils avaient pu dater à au moins cinq jours. Il était possible qu'il s'agisse d'un même événement, mais cela ne voulait pas dire qu'il y avait eu un seul épisode ou que le même événement ait provoqué les deux lésions (C-310). Il était possible que les lésions plus anciennes datent d'un mois ou plus avant le décès, étant précisé qu'il s'agissait d'une estimation non précise au jour près (C-311).

§  s'agissant de l'origine des lésions constatées:

Pour les experts, toutes les lésions fraîches observées avaient été causées par le secouement, mais pour ce qui était des lésions anciennes, il y avait moins de certitude, en ce sens qu'elles pouvaient avoir d'autres origines, notamment par exemple en lien avec l'accouchement. Il s'agissait de lésions traumatiques pouvant être observées en cas d'accouchement difficile avec forceps ou ventouse (C-310). Certains saignements intracrâniens étaient décrits dans le contexte de l'accouchement et, dans ce cas, les lésions sous-durales n'étaient pas liées à des impacts, mais plutôt à des phénomènes de compression statique. Un hématome sous-dural asymptomatique pouvait se rencontrer précocement après un accouchement, le plus souvent après une naissance par ventouse/forceps ou par césarienne. Ces hématomes sous-duraux, souvent plurifocaux, se résolvaient spontanément en moins d'un mois (C-287). Les lésions traumatiques à caractère plus ancien (signes d'anciens saignements intracrâniens), décrites dans l'autopsie comme pouvant "entrer chronologiquement en lien avec le traumatisme décrit en janvier 2018 (chute dans les escaliers, selon la version de la nounou)" et comme pouvant "également être survenues précédemment ou ultérieurement", pourraient correspondre à un autre épisode de secouement, par exemple. Un autre événement que la chute dans les escaliers, comme un secouement avec impact ou un traumatisme à haute énergie, à une autre date, aurait pu causer ces lésions traumatiques, mais ce n'était pas le cas d'une chute du lit parental aux alentours du mois de février 2018. Ces traces d'anciens saignements sous-duraux bilatéraux étaient compatibles avec au moins un épisode de traumatisme par secousses préexistant aux événements du 12 avril 2018. Il était possible que ces lésions plus anciennes soient la conséquence de secousses subies, par hypothèse, le 21 décembre 2017, le 9 janvier 2018 et/ou le 15 mars 2018 (C-287 ss). Un secouement antérieur pouvait ne pas laisser de traces externes (C-310). En définitive, ces traces d'anciens saignements à différents endroits pouvaient correspondre à un autre épisode de secouement, à un épisode avec impact, à un traumatisme à haute énergie ou à une suite d'accouchement (C-309). Si l'autopsie de l'enfant avait montré la présence de traces de saignements anciens dans l'espace sous-dural, l'examen neuropathologique complet du cerveau fixé n'avait montré aucun signe d'une lésion cérébrale décelable préexistante ou antérieure aux événements du 12 avril 2018 (C-286, C-309). Enfin, l'ancien saignement à l'œil pouvait avoir une autre cause, comme par exemple un traumatisme à l'œil (C-310).

m.b. Lors de l'audience du 17 novembre 2021 par-devant le Ministère public, pour l'essentiel consacrée à une reconstitution des faits du 12 avril 2018, l'appréciation des experts a évolué une tenant compte des explications fournies par X______ à cette occasion.

X______ a indiqué que E______ était fatigué depuis le début de la journée et qu'il avait vomi après avoir ingurgité son biberon. Il avait le nez bouché et était inconfortable, mais il n'avait pas spécialement pleuré. Elle l'avait laissé sur sa chaise haute pour le cas où il continuerait à vomir et en attendant qu'elle nettoie la cuisine. Elle lui avait ôté ses vêtements et était montée à la salle de bain, à l'étage, avec l'enfant en body dans ses bras. Elle l'avait dévêtu et lui avait fait une rapide douche dans la baignoire. Après l'avoir rincé, elle l'avait pris dans ses bras avec une serviette pour l'essuyer. Ils s'étaient regardés dans le miroir et E______ avait eu "les yeux inversés". Il était "tombé dans les pommes". Il avait eu le regard un peu vide et était "parti tout mou dans [ses] bras". Elle avait paniqué, hurlé son prénom et l'avait secoué pour le faire revenir à lui et tenter une réaction de sa part.

X______ a ensuite procédé à la reconstitution des faits, en les mimant avec un poupon. Les propos tenus dans le film réalisé à cette occasion peuvent être retranscrits comme suit:

"Vu qu'il avait vomi, je voulais lui laver le visage, on est passés dans sa chambre sur la table à langer, je l'ai déshabillé. Je lui avais enlevé la couche sur moi, je l'avais posée sur le coin de la baignoire.

[le poupon est placé comme s'il était dans une baignoire]

En fait, il tenait assis, là il tient pas, mais il était assis. Moi j'étais à genoux à côté de lui et c'est moi qui avais le pommeau de douche dans la main. Comme le visage était déjà fait, je lui ai mis de l'eau un peu partout sur son dos.

Lui il tenait assis, moi j'avais mes deux mains, j'avais le body, l'eau coulait, en fait j'avais mis le pommeau vers son dos et en même temps, avec l'eau qui coulait, bon j'avais mes deux mains par contre, il était assis, l'eau qui coulait.

Il était bien, en même temps je lui parlais, on discutait, j'ai juste rincé un petit peu le body qui était un peu souillé. En même temps j'arrosais E______. Ça n'a pas duré très longtemps.

Après, une fois qu'il était tout propre, je l'ai savonné, il était tout propre, je l'ai pris, je l'ai emballé dans la serviette que j'étais allée chercher dans la chambre de ses parents, je l'avais emballé, il était assis sur moi comme ça, donc je le séchais.

Là c'est le lavabo, il y a le miroir qui est là, une fois qu'il était sec, j'ai posé la serviette, on était comme ça, il était sur moi, on se regardait dans le miroir, on jouait un petit peu, on se regardait, je chantais des petites chansons qu'il avait l'habitude de son livre et puis en fait, je voyais dans le miroir, c'était son regard qui était pas pareil, qui était comme vitreux, dans le vide, il était pas comme d'habitude, son visage était comme ça, il avait un peu moins de réaction.

Et puis d'un coup, j'ai senti que ça devenait plus lourd en fait, ses membres étaient lourds, je sentais beaucoup de poids dans mon bras, et puis sa tête et ses yeux qui ont tourné et après ses yeux se sont fermés, toujours dans mes bras, et là je le regardais, je fais "E______ qu'est-ce qui se passe, E______ qu'est-ce qui se passe".

Là en fait, je l'ai regardé comme ça, il était lourd, et sa tête ne tenait plus, elle s'est penchée sur le côté comme ça, donc là, je l'ai pris comme ça [devant elle], j'ai regardé, j'avais aucune réaction, j'avais l'impression qu'il respirait plus, vu qu'il était nu, je voyais plus sa poitrine bouger.

Et puis là ben du coup c'est là que j'ai paniqué, j'ai hurlé dans la salle de bains.

[gestuelle: elle tient le bébé devant elle, par le torse, en hauteur et elle secoue]

"E______ respire, respire, qu'est-ce qu'il y a, E______ respire" et puis j'avais aucune réaction, sa tête qui était toujours comme ça, il était lourd, il est devenu blanc, mais aussi blanc que le poupon, donc là je savais plus quoi faire, j'ai hurlé dans cette salle de bains, [mots incompréhensibles] aucune réaction, sa tête, il y avait un peu de vomi qui ressortait plus par la bouche, mais par le nez, il n'avait aucune réaction, il bougeait plus, là je suis descendue avec E______ dans les bras, non je crois que c'est là, après voilà il a fait des grandes respirations, des immenses respirations comme ça, ça redescendait pas, ça bloquait, ça a fait 3/4 fois comme ça, là je saurais plus vous dire dans quel ordre, qu'est-ce qu'il a fait, il a fait une espèce de gazouillis, il s'est rétracté et après il n'a plus rien eu.

[La Procureure indique ce qu'elle mentionne au procès-verbal et demande à X______ si elle arrive à dire combien de secousses elle a fait, ce à quoi l'intéressée hoche de la tête négativement, puis la Procureure lui demande si elle peut au moins mimer, ce que fait X______, étant précisé qu'elle secoue à au moins cinq reprises]

J'hurlais en même temps " E______ respire, respire E______", sa tête était pas comme ça, sa tête elle tenait plus, il y avait plus rien, il avait plus aucun tonus, plus rien du tout, il était lourd, sa tête bougeait parce qu'elle ne tenait plus du tout, elle était pas du tout comme ça, elle était là sur son menton, sur sa poitrine".

Après la reconstitution, X______ a encore indiqué ne plus se rappeler dans quel ordre s'étaient produits les événements, mais que E______ avait eu les mains qui s'étaient rétractées, qu'il avait les yeux fermés et rétractés et qu'il avait pris trois ou quatre grandes respirations qui s'étaient coupées et avaient repris. Il avait eu un petit gémissement très court, sans rouvrir les yeux. Il n'avait pas de tonus et pesait très lourd dans les bras. Il avait perdu connaissance dans ses bras après avoir fermé ses yeux.

L'expert Z______ a confirmé que la description des faits mimés par X______ était compatible avec le bilan lésionnel décrit. Il a ajouté, qu'au niveau de l'intensité des secousses produites par celle-ci, elles avaient dû être plus intenses, étant relevé qu'une seule secousse était suffisante pour provoquer les lésions et que, selon ses souvenirs, celle-ci avait dit avoir secoué E______ environ cinq fois. L'expert Z______ a perçu qu'X______ avait décrit une situation légèrement différente de ce qu'elle avait précédemment indiqué: "Mme X______ décrit avant les secousses une perte de connaissance de l'enfant qui me semble banale et les symptômes après les secousses. J'explique que la déviation du regard, le trouble de la respiration et la crispation ou contraction des membres décrites avant les secousses par Mme X______ étaient contestées, car nous n'avions pas trouvé de lésion pour cela, à part les lésions provoquées par les secousses. En revanche, aujourd'hui Mme X______ décrit une perte de connaissance, une perte de tonus musculaire, soit un malaise avant les secousses. Cela est tout à fait possible qu'un enfant fasse ce type de malaise sans substrat pathologique au préalable. L'experte W______ a appuyé le positionnement de son confrère, indiquant ce qui suit: "je confirme qu'aujourd'hui on a un tableau clinique différent s'agissant de ce qui s'est passé avant les secousses. Je confirme que ce tableau clinique, soit la déviation du regard, les anomalies respiratoires, la contraction des membres, qui évoquent des lésions cérébrales graves sont compatibles avec ce qu'on a retrouvé soit le tableau lésionnel et qui sont issus des secousses". Enfin, l'expert Z______ a ajouté les propos suivants: "j'explique qu'il y a des pertes de connaissance qui n'ont pas de cause chez les bébés. Cela est possible. Cela s'appelle "brief resolved unexplained events". Il s'agit d'une perte de connaissance très brève de moins d'une minute [ ]. Ces événements étaient transitoires, soit au moment où les enfants étaient amenés aux urgences, il n'y avait plus rien. Cela est donc possible d'avoir une perte de connaissance chez un enfant sain". Il a pour le surplus fourni une copie d'un article de l'American Academy of Pediatrics du 5 mai 2016 à ce sujet. (C-329ss, C-339ss).

m.c. Lors de l'audience de jugement par devant le Tribunal, les experts ont confirmé la teneur et les conclusions de leur rapport d'expertise du 18 septembre 2020 ainsi que leurs déclarations à la procédure. S'agissant de l'épisode du 9 janvier 2018, la particularité des lésions était qu'il y en avait une à la pointe du nez, qui était une partie saillante, et l'autre au niveau de l'orbite, soit une partie protégée. Un impact sur une surface irrégulière, tel un escalier avec des marches, pouvait expliquer de telles lésions, mais pas sur une surface lisse ou plate. Ainsi, la blessure était compatible avec les lésions constatées si la chute avait eu lieu sur le coin d'une marche.

En lien avec la question de savoir s'il était possible d'évaluer la probabilité que les lésions traumatiques à caractère plus ancien constatées sur E______ aient pour origine la chute dans les escaliers du 9 janvier 2018, selon la version de la prévenue, ou un éventuel épisode de secouement qui serait intervenu le 9 janvier 2018 ou à une autre date entre janvier et avril 2018, selon la thèse soutenue par le Ministère public, les experts ont évoqué un tableau que l'on pouvait observer en lien avec un épisode de secouement, mais il y avait également des diagnostics différentiels. Typiquement, un accident de la circulation pourrait expliquer ces anciens saignements. Il était peu probable que cela soit issu d'une chute à hauteur d'homme. Le mécanisme décrit du bébé qui tombe avec la nounou, laquelle le protège dans sa chute, ne pouvait pas expliquer les anciens saignements sous-duraux et au niveau des yeux qui dataient de plus de cinq jours avant l'autopsie dès lors que l'énergie en jeu n'était pas suffisante. Ainsi, la chute dans les escaliers ne pouvait pas être à l'origine des traces d'anciens saignements. Seule la durée minimale de la datation d'anciennes lésions était possible à définir. Dans le présent cas, il était possible de déterminer que les saignements au niveau des yeux avaient au moins cinq jours, tandis que le reste des anciens saignements au niveau du crâne au moins un mois. Il était toutefois impossible de déterminer s'il s'agissait d'un seul ou de plusieurs événements distincts. En outre E______ avait pu subir des secousses qui avaient causé des saignements, mais pas des lésions cérébrales préexistantes, si bien que le tissu cérébral n'avait pas été abîmé. Les lésions anciennes n'avaient à leur connaissance pas pu être cachées par de nouvelles lésions. Il manquait des investigations radiologiques pour confirmer l'hypothèse du syndrome du bébé secoué en lien avec les symptômes observés sur E______ au mois de mars 2018, soit l'apathie, la diminution de la réactivité, le manque d'appétit, les vomissements ou encore la perte de poids. A cette époque, il avait certes une infection, mais également des symptômes qui étaient tout à fait compatibles avec des secousses. A la question de savoir si les anciens saignements pouvaient correspondre à une suite d'accouchement, il a été expliqué que les accouchements qui se passaient difficilement, soit par exemple avec l'utilisation de la ventouse, étaient associés à un taux élevé de petites hémorragies sous-durales qui disparaissaient en quelques semaines, de sorte que selon une experte, après l'âge de 2 mois, il n'y avait plus de traces d'hémorragies sous-durales en cas d'accouchement difficile. Dans le cas présent, ce n'était ainsi pas une option, si bien que lesdites traces des anciens saignements étaient la conséquence de secousses ou d'un ou de plusieurs traumatismes à haute énergie. Un expert a toutefois précisé ne pas être sûr que 10 mois après la naissance, on ne retrouve aucune trace d'anciens saignements à l'autopsie. Il ne pouvait pas exclure qu'on retrouve de telles traces à l'autopsie.

Dans la littérature, le mécanisme du bébé secoué était souvent répété. Il n'y avait pas de profil-type de personnes qui secouaient les bébés à plusieurs reprises, notamment sur le plan socio-économique ou par rapport au statut de la personne vis-à-vis de l'enfant. Ce geste ne pouvait être le fait de tout un chacun, dès lors que pour une personne qui connaissait ses limites, il n'était pas naturel de secouer un enfant. Il s'agissait souvent de personnes qui devaient faire face à une situation de grande frustration ou un épuisement en lien avec un bébé qui ne se nourrissait pas ou qui pleurait. La personne perdait le contrôle de ses émotions et secouait l'enfant. Elle souhaitait rarement nuire à l'enfant. Elle faisait face à une perte de contrôle et de moyens, à une situation de détresse ou encore de débordement émotionnel, étant relevé que l'enfant cessait de pleurer lorsqu'il était secoué. Ainsi, ce mécanisme renforçait la répétition puisqu'il s'agissait d'un geste qui, en apparence, fonctionnait. La littérature ne contenait par ailleurs aucune description d'un scénario semblable à celui qui était proposé dans le cas d'espèce, à savoir que la personne paniquait et secouait l'enfant pour le réanimer. Les lésions pouvaient être rattachées à un geste, mais pas à une motivation. Dans la prévention, l'apprentissage consistait à connaître ses limites en terme de fatigue et d'intolérance à la frustration pour être apte à demander de l'aide et éviter de commettre des gestes maltraitants. Toute personne témoin de ce geste maltraitant se rendait compte que l'enfant était en danger de mort. Ce n'était pas un geste anodin.

La déviation du regard et la crispation des membres étaient des symptômes qui ne pouvaient s'être produits qu'après une manœuvre de secousses. Cela s'expliquait par des lésions neurologiques graves. Les experts avaient modifié leur position en lien avec la possibilité d'un éventuel malaise ayant précédé les secousses en raison du fait que le récit d'X______ avait changé, celle-ci ayant d'abord expliqué que le bébé s'était crispé, qu'il avait eu une déviation du regard, des mouvements respiratoires saccadés, et qu'elle l'avait ensuite secoué, ce qui n'était pas possible selon les experts, puis, que l'enfant avait perdu connaissance et était devenu flasque et pâle, ce qui faisait référence à un malaise bénin, qui dure 20 ou 30 secondes, comme cela pouvait arriver à un enfant sain de cet âge, hypothétiquement après un vomissement ou une régurgitation. Si auparavant ce malaise était qualifié de "Near-missed sudden infant death syndrom" et que ce phénomène était considéré comme dangereux, aujourd'hui les médecins savaient que tel n'était pas le cas. Cela se produisait rarement et les causes demeuraient à ce jour inexpliquées. La personne pouvait avoir l'impression que l'enfant était mort pendant quelques secondes. En réalité, face à un tel malaise, le comportement à avoir aurait été de parler à l'enfant et de le toucher. Sans le secouement, le bébé aurait rouvert les yeux et repris sa respiration normalement.

IV. Déclarations des parties plaignantes et conclusions civiles

n.a. Par courrier de leur conseil du 5 novembre 2018, B______ et A______ se sont constitués parties plaignantes au pénal et au civil, suite à la réception des conclusions du rapport d'autopsie du 16 octobre 2018, dont la teneur leur avait été expliquée par la Doctoresse R______ (A-1).

Déclarations de B______

n.b.a. Entendue par la police le 20 avril 2018, B______ a indiqué que la garde de son fils s'organisait de la manière suivante : le lundi, il était avec son papa, le mardi et le jeudi avec X______, le mercredi avec elle à l'exception de la tranche horaire 18h00-19h30 durant laquelle il était avec ses grands-parents paternels et le vendredi avec ses grands-parents maternels. En apprenant qu'ils ne disposeraient ni de place en crèche ni de nounou par le biais de l'association AB______, son mari et elle-même avaient recherché une nounou à domicile à travers l'association K______. Ils avaient été pressés par le temps et avaient retenu le dossier d'X______, celle-ci leur ayant fait bonne impression et bénéficiant de recommandations élogieuses. Ils avaient également eu le sentiment que "ça collait bien avec E______". Ils lui avaient toujours fait confiance. A ce jour, ils étaient d'avis qu'elle avait sauvé leur fils. Ils étaient toujours dans l'attente des conclusions médicales pour leur permettre de comprendre ce qu'il s'était passé, espérant qu'il s'agisse d'un décès naturel et non d'une négligence de la nounou ou de l'un de leurs parents, eux-mêmes n'ayant jamais maltraité leur fils. Elle avait une confiance totale en son conjoint. Depuis sa naissance, E______ n'avait dormi que cinq nuits complètes. Son mari et elle-même ignoraient pour quelle raison il dormait si mal. Ils avaient consulté la Doctoresse M______ et la Doctoresse N______. Ils avaient commencé un protocole pour apprendre à leur fils à se rendormir seul en cas de réveil. L'objectif était de remplacer les contacts physiques par la voix, avant de le laisser complètement seul. Ils n'avaient pas eu le temps d'achever le protocole, E______ étant tombé malade dix jours après son commencement. A partir du 6 mars 2018 et durant les trois jours qui avaient suivi, son fils avait été fiévreux. Le 15 mars, E______ avait passé la journée avec sa nounou. Il "n'avait pas de fièvre mais était complètement apathique". Il avait dormi entre son retour du travail à 17h00 et 20h00, s'étant brièvement réveillé pour prendre son biberon aux alentours de 19h00. Constatant que E______ n'était pas dans son état normal, elle avait demandé à sa mère de l'aider. Elles étaient inquiètes et avaient décidé de se rendre aux HUG. Vers 20h30, il avait vomi une quantité "astronomique" correspondant aux repas de la journée. Il était "très pâle" et s'était immédiatement rendormi. Elles étaient arrivées aux urgences pédiatriques vers 22h00. E______ avait été gardé en observation durant toute la nuit. Elle était restée avec lui. Les médecins avaient estimé que son fils devait avoir attrapé un virus un peu virulent. Le 16 mars, vers 12h00, son mari les avait rejoints à l'hôpital et ils étaient rentrés chez eux. E______ allait mieux, mais il était "éteint" par rapport à son habitude. Aux alentours de 18h00, il avait à nouveau vomi. Ils avaient été contactés par les urgences pour refaire une prise de sang en raison d'un échange qui avait précédemment eu lieu avec les analyses d'un autre enfant. Après un bref retour aux HUG, aucune erreur de résultat n'avait finalement été décelée. E______ avait encore vomi vers 21h00. Les médecins n'avaient pas prescrit de traitement. L'état de E______ s'était peu à peu amélioré les jours qui avaient suivi. Depuis leur retour de l'hôpital, il n'avait plus vomi. Ils lui avaient donné un peu d'Algifor les samedi 17 et dimanche 18 mars 2018. Les mercredi 21 et jeudi 22 mars 2018, son fils avait à nouveau eu des épisodes de vomissements. Le 22 mars 2018, en compagnie d'X______, elles avaient consulté la Doctoresse M______, laquelle avait également conclu à un virus. Cette dernière avait conseillé de "chouchouter" E______, d'être souple sur les horaires et les repas et de le prendre dans les bras la nuit. E______ avait repris des forces et son état s'était amélioré. Les mardi 27 et mercredi 28 mars 2018, il avait à nouveau eu des épisodes de vomissements. Elle avait contacté sa pédiatre qui lui avait suggéré de diminuer les doses de lait. Dubitative, elle avait sollicité un deuxième avis médical auprès du Docteur O______, lequel avait pesé son fils et constaté qu'il était redescendu au poids de ses six mois. Il avait prescrit des anti-vomitiques et conseillé un régime un peu plus riche. Pendant les vacances de Pâques, du 29 mars au 7 avril 2018, son époux et elle-même étaient en congé et s'étaient occupés de E______, lequel n'avait plus vomi et avait repris du poids. Il avait toutefois continué à mal dormir. Entre les 2 et 6 avril 2018, ils avaient consulté un homéopathe pour les problèmes de sommeil de leur fils. Dès le 8 avril 2018, E______ avait commencé à tousser. La nuit du 11 au 12 avril 2018 avait été compliquée. Son fils s'était réveillé à plusieurs reprises en raison de la toux, si bien que vers 23h00, elle l'avait pris dans le lit conjugal pour la nuit et qu'il avait dormi sur son ventre. Vers 03h30, elle avait essayé de le remettre dans son lit, mais il s'était réveillé à 04h00. Son époux avait repris leur fils dans leur lit et l'avait mis sur son ventre. Il s'était rendormi jusqu'à 06h30-06h45. Aux alentours de 07h30, elle avait quitté son fils pour se rendre au travail, à trois minutes du domicile familial, soit à l'école de Bellevue, où elle était enseignante. A 10h33, elle avait reçu un message d'X______ qui l'informait que son fils avait bien pris son biberon et qu'ils s'apprêtaient à sortir. A midi, alors qu'elle était au travail, elle avait constaté que la nounou avait tenté de la joindre à six reprises et, au même moment, elle avait reçu un appel de son époux. Paniqué, il lui avait demandé de rentrer immédiatement à leur domicile, puis de rester à l'école où quelqu'un viendrait la chercher. Elle avait compris que l'urgence concernait son fils. Son mari lui avait indiqué que la police et l'hélicoptère étaient présents et que E______ allait être emmené à l'hôpital. Elle avait commencé à crier et pleurer. Un collègue de son mari les avait emmenés aux urgences adultes des HUG. En route, son mari lui avait annoncé que E______ avait eu un malaise, qu'il avait été réanimé et qu'il avait été héliporté aux HUG. Sur place, elle avait dû attendre un moment avant de pouvoir retrouver son fils qui, en dépit de son arrêt cardiaque, avait retrouvé ses constantes normales. Elle avait parlé à la nounou qui avait été emmenée par la police aux HUG vers 16h00. Celle-ci leur avait expliqué qu'aux alentours de 10h30, E______ avait bu son biberon dans sa chaise haute pendant qu'elle était en train de faire la vaisselle. Elle avait compris que son fils avait vomi tandis qu'il se trouvait assis sur sa chaise haute. X______ avait ajouté qu'elle avait placé E______ dans la baignoire pour le déshabiller et le laver. Tandis qu'elle avait nettoyé son body dans la baignoire, il avait joué avec ses jouets de bain. Elle l'avait sorti de la baignoire pour l'habiller et il s'était alors "contracté". Il avait pris trois grandes respirations, avant de se relâcher complétement. Elle avait cru qu'il était mort. Elle avait pris E______ et l'avait appelé [il est précisé dans le procès-verbal que B______ mime la nounou avec son fils dans les bras en secouant légèrement les avant-bras]. Lorsqu'X______ leur avait mimé la scène, elle avait montré son fils couché horizontalement dans ses bras, avec une main sous la nuque et une autre sous les fesses. Elle avait remis E______, lequel était "tout mou et totalement inconscient", dans sa chaise haute pour appeler les secours, puis l'avait déplacé pour le poser par terre. Finalement, elle avait suivi les instructions de réanimation dictées par son interlocuteur du 144. Par la suite, en discutant avec la Doctoresse R______ à l'hôpital, ils avaient compris que leur fils allait s'éteindre et que son cerveau était complètement abîmé, si bien qu'ils avaient pris la décision de le laisser partir. Ils avaient autorisé la doctoresse à appeler la nounou pour l'informer de l'état de E______ et lui indiquer qu'elle pouvait venir le voir si elle le souhaitait. C'était ainsi que le samedi 14 avril 2018, aux alentours de 21h00, X______ était venue aux HUG et la première parole qu'elle avait dite à son mari et elle-même était "vous savez, avant de faire son malaise, E______ jouait bien. Il n'a pas souffert", puis elle avait répété à plusieurs reprises "il n'a pas souffert". La nounou ne semblait toutefois pas savoir ou accepter que E______ allait mourir, lui demandant plusieurs fois de se réveiller. E______ était décédé dans ses propres bras le 15 avril 2018 peu avant 17h00, en la seule présence de son mari et d'elle-même. Par ailleurs, deux accidents impliquant E______ s'étaient produits précédemment en compagnie d'X______. Le 21 décembre 2017, en rentrant du travail, elle avait constaté que son fils avait deux bleus, l'un au-dessus et l'autre au-dessous de l'œil droit. La nounou lui avait rapporté qu'en jouant couché sur le dos, E______ s'était lâché un cube de jeu en plastique sur l'œil. L'hématome s'était résorbé en une à deux semaines. Le 9 janvier 2018, elle avait reçu un appel à 14h55 de son époux qui l'avait informée qu'X______ était tombée avec E______ , qu'il n'y avait rien de grave mais qu'elle devrait rentrer à 16h00 après le travail. Arrivée chez elle, elle avait aperçu que E______ avait "un œil poché". Selon les explications d'X______, l'œil avait déjà bien dégonflé. Celle-ci lui avait expliqué qu'elle avait été surprise par le chat en montant les escaliers alors qu'elle portait E______ dans les bras et avait trébuché, entraînant l'enfant dans sa chute, lequel s'était cogné le visage au niveau de l'œil gauche. Elle n'avait pas su lui dire si son propre coude avait heurté le visage de E______ en tentant de se rattraper ou si la tête de son fils avait heurté le poteau de la rambarde, en haut de l'escalier. Elle avait ajouté qu'elle avait été dans un tel état de choc qu'elle s'était immédiatement rendue après la chute chez les grands-parents de E______ dans la maison voisine. Elle y était restée le temps de reprendre ses esprits. X______ avait en outre expliqué que les grands-parents l'avaient dissuadée de les appeler, elle ou son mari. Ce dernier n'avait ainsi été informé qu'à 14h50 des événements qui s'étaient produits. Avec son mari, ils avaient signalé à ses beaux-parents qu'ils n'étaient pas d'accord avec la manière de procéder. Le jour même, elle avait appelé la pédiatre qui l'avait rassurée en lui disant de ne pas s'inquiéter si son fils mangeait et s'il avait un comportement normal. Le lendemain, pour se rassurer, elle l'avait emmené consulter les assistantes de la Doctoresse M______, lesquelles l'avaient rassurée (B-59 ss).

n.b.b. Entendue le 4 février 2019 par-devant le Ministère public, B______ a confirmé ses précédentes déclarations. Pour le surplus, elle a indiqué que E______ était en bonne santé. "C'était un enfant très souriant, joyeux, curieux, qui aimait sortir et découvrir le monde". Son époux et elle-même étaient parvenus à gérer les nuits compliquées. "Chaque journée avec E______ était pour [son mari et elle-même] un cadeau. C'était un enfant tellement souriant que lorsque le matin il [leur] souriait, cela effaçait la mauvaise nuit qu'il avait passée". Ils avaient un bon rapport avec X______, en qui ils avaient confiance. S'agissant des événements du 21 décembre 2017, elle a ajouté que sur le moment les explications données par X______ leur avaient parues cohérentes, même s'ils les avaient trouvées étranges compte tenu du fait qu'à ce moment-là E______ n'arrivait pas à saisir correctement les cubes avec ses mains. Pour ce qui était des événements du 9 janvier 2018, elle avait compris en rentrant à la maison que les faits s'étaient produits à midi alors qu'elle avait toujours cru que ceux-ci s'étaient passés entre 14h15 et 14h30. Elle n'avait pas saisi les raisons pour lesquelles elle n'avait pas été prévenue, dès lors qu'elle ne travaillait pas entre 12h00 et 14h00 et que son lieu de travail se trouvait à cinq minutes à pied de son domicile. Elle avait fait part de son étonnement à la nounou s'agissant du fait qu'elle ne les avait pas prévenus plus tôt et celle-ci avait répondu que les grands-parents l'en avaient empêchée, ce qui avait été contredit par ces derniers. X______ n'avait d'ailleurs pas rapporté ces deux événements dans le cahier de liaison, c'était elle-même qui les avaient rédigés. S'agissant des faits du 12 avril 2018, elle a ajouté qu'à aucun moment durant l'hospitalisation de E______, les médecins des HUG ne les avaient orientés sur le syndrome du bébé secoué. Suite au décès de son fils, elle avait repris son travail à la rentrée scolaire 2018. A l'annonce des résultats de l'autopsie, elle avait été remise en arrêt. Elle s'apprêtait à reprendre de manière thérapeutique en présence d'un tiers dans la classe, après les vacances de février 2019. Elle était suivie par une psychiatre. Ils étaient "loin d'être au bout du chemin". Ils avaient entrepris des démarches pour vendre leur maison, laquelle était pleine de souvenirs, et souhaitaient prendre un nouveau départ (C-20 ss).

n.b.c. Lors de l'audience de jugement, B______ a confirmé la teneur de sa plainte pénale et ses précédentes déclarations. E______ était "très vivant, très souriant, très solaire". Près de cinq ans après le décès de celui-ci, elle n'allait pas bien. C'était très compliqué de se rendre compte à présent qu'il avait autant souffert. Elle avait dû avoir un arrêt de travail partiel, suite à la réception de l'acte d'accusation et des dates de l'audience de jugement. Cela avait "remué tellement de choses". Le soutien de leurs filles et de leurs proches les aidait à traverser les événements. " E______, de là-haut, [leur donnait] beaucoup de courage". Ils avaient essayé de ne pas entraîner leurs filles dans la tourmente de la procédure, ce qui avait été un "vrai challenge émotionnel". Pour l'aînée, E______ était un "grand frère ange qui était au ciel". Ils emmenaient leurs filles au cimetière. Une photo de E______ était exposée dans leur maison accompagnée d'une bougie allumée presque constamment. La procédure pénale avait été longue et cela les avait énervés. Ils avaient eu l'impression que cela avait été fait exprès pour les faire souffrir. L'audience de jugement était "un aboutissement douloureux", qui leur permettrait de s'adonner à présent à la prévention. Leur rôle consistait désormais à faire passer un message. Sur question du Tribunal qui souhaitait savoir si l'accouchement de E______ avait été ou non difficile, elle a indiqué avoir accouché naturellement de E______, sans avoir été provoquée. Elle avait dû pousser longtemps, car le cordon ombilical était court, mais cela ne les avait pas mis en danger, E______ et elle. A la toute fin, les médecins avaient un tout petit peu aidé le travail avec la ventouse, dès lors qu'elle commençait à fatiguer et qu'ils voulaient éviter que l'accouchement ne dure trop longtemps.

Déclarations de A______

n.c.a. Entendu le 20 avril 2018 par la police, A______ a confirmé les déclarations de son épouse, notamment au sujet des difficultés de son fils en matière de sommeil. Il a expliqué qu'au travers de l'association K______, ils avaient fait la connaissance d'X______ et avaient "eu un bon feeling". Ils n'avaient pas contacté ses précédents employeurs, mais ils avaient eu accès à son dossier et aux évaluations de familles auprès desquelles elle avait travaillé. L'association avait effectué toutes les démarches en vue de régulariser la situation de la nounou en Suisse. E______ était tombé malade à partir du 6 mars 2018. La semaine du 12 mars 2018, il était parti en camp avec des élèves et avait été contacté le jeudi 15 mars par son épouse, qui lui avait signalé que " E______ était dans un état bizarre, qu'il était tout patraque, qu'il avait de la fièvre et qu'il était posé sur son épaule". En raison de vomissements, son épouse et sa belle-mère l'avaient emmené aux urgences, où il était resté durant la nuit. Il les avait rejoints le lendemain. Les médecins avaient suspecté une mononucléose ou un autre virus. Le soir-même, pour une raison de mélange d'analyses sanguines, ils avaient dû retourner aux HUG, où E______ avait à nouveau vomi, si bien que le diagnostic du virus avait été confirmé. Ils avaient pu rentrer chez eux. Le lundi suivant, ils s'étaient rendus chez leur pédiatre pour un contrôle et celui-ci avait confirmé que "tout lui semblait normal", étant relevé que E______ était en-dessous de la courbe de poids, n'ayant pris que 500 grammes entre ses 6 et 9 mois. Jusqu'au 28 mars 2018, son fils avait eu plusieurs épisodes de fièvre et de vomissements. Sur conseil de leur pédiatre, ils lui avaient donné un autre type de lait. Les 29 mars et 4 avril 2018, ils avaient consulté un autre pédiatre pour un second avis médical en lien avec les vomissements de leur fils, ainsi qu'un homéopathe au sujet des problèmes nocturnes. A partir du 6 avril 2018, E______ avait retrouvé son appétit, la forme et l'envie de marcher. Il avait été pesé et avait repris du poids, ce qui les avait rassurés. La nuit du 10 au 11 avril 2018 avait été difficile, E______ s'étant réveillé à de nombreuses reprises. Celle qui avait suivi avait été un peu meilleure mais il s'était tout de même réveillé. Le 12 avril 2018, aux alentours de 07h00, E______ avait reçu son traitement homéopathique et avait pris son biberon, refusant le morceau de pain qu'il avait pour habitude de manger le matin. Son état général était bon. Son épouse était partie au travail vers 07h30, ce qui avait fait beaucoup pleurer son fils. X______ était arrivée vers 08h30 et il était parti aux alentours de 08h40. Comme à son habitude, E______ avait pleuré. A 10h30, son épouse et lui-même avaient reçu un message d'X______ les informant qu'elle avait donné le biberon à E______ et qu'ils allaient se promener à l'extérieur. A 11h09, la nounou avait tenté de le joindre, ainsi que son épouse, en vain. Il avait été informé qu'il y avait un problème chez lui à 11h33 par son voisin. Il était arrivé au domicile familial à 11h45-11h50, mais n'avait pas pu pénétrer à l'intérieur de celui-ci, en ayant été empêché par un gendarme. X______ lui avait indiqué que, peu de temps après avoir ingurgité son biberon, E______ avait vomi, si bien qu'elle l'avait amené à l'étage, lui avait ôté sa couche et son body et lui avait donné une douche. Il allait bien et avait joué dans la baignoire. Par la suite, l'état de son fils s'était détérioré. Il avait eu un problème respiratoire, puis avait perdu connaissance. Elle l'avait appelé à plusieurs reprises par son prénom. Elle avait appelé le 118, avait été transférée au 144 et, en suivant les instructions données, avait commencé la réanimation. Lorsque la nounou était par la suite arrivée à l'hôpital, en état de choc, elle leur avait raconté la même histoire. Le personnel de l'hôpital leur avait indiqué qu'X______ avait "très bien agi lors de la réanimation", si bien qu'ils pensaient alors qu'elle avait sauvé leur fils. Le vendredi 13 avril 2018, E______ avait fait un nouvel arrêt cardiaque dans l'après-midi. Après une nouvelle réanimation son cœur était reparti. Ils savaient déjà que "cela allait être difficile de le récupérer", son cerveau ne fonctionnant plus. Seule la respiration réflexe persistait. Le samedi 14 avril 2018, le corps médical leur avait expliqué avoir constaté la présence d'œdèmes ainsi que de lésions dans le cortex et dans le tronc cérébral, ce qui avait expliqué les longs arrêts cardiaques. Trois possibilités leur avaient été données : celle de laisser les médicaments et l'assistance en faveur de E______, celle de tout arrêter ou celle de stopper les médicaments. Ils avaient choisi cette dernière option et avaient su que E______ allait partir dans les heures qui allaient suivre, ce qui était arrivé peu après, E______ étant parti dans les bras de son épouse. Au début de la semaine suivante, la doctoresse R______ lui avait fait part du fait que les médecins suspectaient que son fils avait pu être secoué. X______ était revenue aux HUG le samedi 14 avril 2018. Elle n'allait pas bien. Elle ne semblait pas avoir compris que E______ n'allait pas se réveiller. Il lui avait expliqué la situation et elle avait pu lui dire au revoir. Depuis le décès, elle leur avait envoyé plusieurs messages de soutien et leur avait annoncé qu'elle viendrait à l'enterrement de leur fils. Le jeudi 21 décembre 2017, la nounou avait rendu E______ en fin de journée avec un bleu sur le front. Elle leur avait expliqué qu'un jouet, qu'il tenait dans la main, lui était tombé dessus alors qu'il était couché dans son parc. Le 9 janvier 2018, elle l'avait informé, vers 14h30, que, surprise par le chat, elle était tombée dans les escaliers, aux alentours de 12h15, avec E______ dans les bras. Elle n'avait jamais lâché leur fils des bras. Il s'était cogné la tête contre le poteau de l'escalier ou contre son bras, ce qui l'avait blessé à l'œil gauche. Elle s'était rendue chez ses parents qui habitaient la maison voisine. Sa mère lui avait dit que cela n'était pas grave et qu'elle n'avait pas besoin de l'appeler immédiatement. Suite à ces deux incidents, ils n'avaient pas eu de soupçons de maltraitance. Ils n'avaient pour l'heure aucune raison d'avoir des doutes concernant X______ (B-72 ss).

A la suite du procès-verbal d'audition de A______, figurent des photographies de E______, parmi lesquelles un cliché où on le voit avec une tétine dans la bouche, étant vêtu d'un pyjama bleu avec des pingouins blancs. L'enfant présente un cocard à l'œil gauche suite à la chute du 9 janvier 2018. Sur une autre photo, il tient son bras tendu et porte un jouet dans la main. D'autres clichés montrent une ecchymose au-dessus de son œil droit (B-83 ss). Ont aussi été versées au dossier une photographie du journal des appels passés par X______ aux centrales 118, à 11h13, et 144, à 11h17, ainsi que des photographies du lavabo et de la baignoire de la salle de bain, sans compter des clichés d'une couverture et de serviettes jonchant le sol et d'un biberon terminé, étant observé que, selon toute évidence, ces images ont été prises par la police lors de l'intervention du 12 avril 2018 (B-88 ss).

n.c.b. Entendu le 4 février 2019 par-devant le Ministère public, A______ a confirmé ses précédentes déclarations. Son fils avait un bon développement moteur et était en bonne santé. Son épouse et lui-même avaient consulté un pédiatre spécialisé pour le sommeil, lequel leur avait conseillé de créer un rythme pour E______, en le faisant toujours manger aux mêmes heures. Il était vrai qu'ils étaient fatigués, mais ils savaient que "cela évoluerait vers le mieux". S'agissant des événements du 9 janvier 2018, il avait compris en discutant le soir-même avec son épouse que ceux-ci s'étaient produits à midi, alors qu'il n'avait été informé que plus tard. X______ ne leur avait pas réellement fourni d'explications à ce sujet. Elle avait aussi indiqué que sa mère [à lui] lui avait suggéré de ne pas les déranger, compte tenu du fait que la chute n'était pas grave. Il avait par la suite parlé à ses parents qui lui avaient expliqué que toutes les personnes présentes avaient jugé qu'il ne s'agissait pas d'une urgence vitale et qu'il n'y avait pas lieu de les appeler. Il leur avait signalé qu'en cas de chute d'un enfant avec un choc à la tête, il était nécessaire de les prévenir immédiatement. Suite à cet incident, ils avaient inscrit dans le cahier de liaison les numéros des secours. Le 12 avril 2018, lorsqu'il avait revu son fils à l'hôpital, "il était tout froid, tout pâle et il ne bougeait pas". Il y avait des fils partout. Assez vite, ils avaient été informés qu'ils devaient attendre entre 48 et 72 heures pour avoir des images plus claires. Les médecins étaient "dans le flou" s'agissant des causes. Ils avaient compris que leur fils avait fait un malaise bizarre et inexpliqué d'origine plutôt cardiaque. Il avait discuté avec X______ lorsqu'elle était venue aux soins intensifs et elle avait répété qu'elle ne comprenait pas ce qu'il s'était passé. Ils avaient également fait venir une guérisseuse et fait baptiser leur fils à l'hôpital, entouré de ses parrain et marraine, du pasteur et de l'aumônier. Le samedi matin, il avait compris à la suite de tests réflexes qu'ils ne récupéreraient pas E______. Suite à cela, ils avaient pris la décision de réduire les médicaments pour ne laisser plus que l'intubation. Lorsqu'ils avaient revu X______ le jeudi qui avait suivi les faits, elle leur avait expliqué que, suite au malaise de E______, elle l'avait secoué. Ce n'était que le 2 novembre 2018, à la réception du rapport d'autopsie, qu'ils avaient appris que les causes du décès étaient uniquement liées aux secousses. Ils étaient soudés et avaient une force incroyable. Il avait pu reprendre le travail comme son épouse, mais avait dû être remis à l'arrêt après avoir eu connaissance des conclusions de l'autopsie. Il avait repris à 50% en janvier 2019. Il était suivi par un psychologue et avait entamé une thérapie "Eye Movement Desensitization and Reprocessing" en lien avec des images lui revenant sans cesse en tête. Ils avaient pris part à un groupe de parole pour les parents endeuillés et avaient fait de l'art thérapie (C-20 ss).

n.c.c. Lors de l'audience de jugement, A______ a confirmé sa plainte pénale et ses précédentes déclarations. E______ était "[leur] rayon de soleil, [leur] premier enfant. Il était merveilleux, chou. Il grandissait vite et était vif. Il marchait presque. Il [les] rendait heureux". Près de cinq après le décès de celui-ci, il allait toujours mal. Sa vie avait été détruite et chamboulée en avril 2018. Il avait depuis lors "une déchirure à vie". Il était suivi psychologiquement et prenait des médicaments. Il avait changé et n'était plus le même, n'ayant plus la même motivation, la même envie et la même énergie pour se battre. Les activités physiques et sportives demeuraient plus difficiles. Il avait dû différer sa reprise professionnelle et avait changé à deux reprises de travail en raison du fait que celui-ci était en lien avec les enfants. Il avait dû quitter sa maison et sa commune de naissance pour refaire une vie ailleurs. Son épouse et lui-même avaient une force incroyable qui leur permettait d'avancer. Ils avaient deux filles merveilleuses, ainsi qu'un entourage qui les aidait. Il avait été difficile de faire garder leurs filles et de refaire confiance aux autres. Celles-ci allaient à la crèche, mais cela était difficile. Il ignorait s'il parviendrait à accepter qu'elles participent à des activités sans la présence de son épouse et de lui-même ou d'un tiers de leur entourage. Il était toujours pompier volontaire, ayant trouvé un sens à sa mission. A l'hôpital, personne ne les avait mis sur la piste de la maltraitance. Il avait fallu attendre six ou sept mois pour connaitre les conclusions du rapport d'expertise des médecins-légistes. Lorsqu'ils avaient appris la teneur de celui-ci, "cela [avait] été horrible, un tsunami". Ils avaient été "dévastés". Il avait été à nouveau mis en arrêt maladie, ne parvenant pas à comprendre que quelqu'un ait pu faire cela à E______. C'était une souffrance de savoir que la personne qui avait tué leur fils était une personne proche. L'attitude d'X______ après le décès de E______ avait généré une souffrance. Il se demandait toujours pour quelle raison elle était venue à l'hôpital et à l'enterrement. Son épouse et lui-même avaient contribué à la prévention du syndrome du bébé secoué par le biais d'un livre et d'un film. Ils avaient également pour projet de créer une association pour faire avancer la réflexion sur le syndrome du bébé secoué et sa prévention. C'était également un moyen de rendre justice à E______, "afin que ce qui lui est arrivé serve à quelque chose et évite que d'autres soient touchés par cela". La procédure pénale, laquelle avait duré cinq ans, avait été longue, pénible et vraiment difficile. Leur présence à l'audience de jugement était pénible mais il leur fallait faire face "pour comprendre et pour continuer [leur] chemin". Il espérait clore ce chapitre, pour se concentrer à présent sur la prévention.

Courriers adressés au Ministère public et conclusions civiles

n.d. Le 14 juillet 2020, B______ et A______ ont écrit au Ministère public pour relater leur parcours suite au drame vécu en 2018 et signaler que désormais, ce qui était le plus dur pour eux, était l'attente liée à la procédure pénale. Ils avaient l'impression de ne jamais arriver au bout de leur deuil. Pour leur fille, née le 18 décembre 2019, son grand frère était "un ange veillant sur elle" (C-227 ss).

n.e. Le 21 mars 2022, B______ et A______ ont encore adressé un courrier au Ministère public. Ils avaient eu un troisième enfant l'automne précédent. Cela étant, l'attente liée à la procédure pénale demeurait "extrêmement difficile". Leurs enfants grandissaient sans qu'ils puissent terminer leur deuil. Ils souhaitaient que "justice soit rendue pour E______". Depuis l'audience du 17 novembre 2021, ils étaient sans nouvelles du Ministère public, situation qui était source d'angoisse et d'énorme peine. Ils gardaient toutefois espoir que la procédure pourrait désormais s'achever rapidement (C-372).

n.f. Par courrier de leur Conseil du 4 mai 2022, B______ et A______ ont conclu à ce qu'X______ soit condamnée à leur verser à titre de réparation du tort moral, CHF 50'000.- chacun, avec intérêts à 5% dès le 15 avril 2018 et CHF 11'720.80 avec intérêts moyens à 5% dès le 1er juillet 2018 à titre de dommages-intérêts pour les frais antérieurs et consécutifs au décès (C-374 ss). A l'appui de leurs conclusions civiles, ils ont en premier lieu produit plusieurs certificats médicaux établis en 2021 et 2022. Il apparaît qu'à compter du 17 avril 2018, A______ a consulté, avec son épouse, le médecin traitant de celle-ci, durant de nombreux mois, à une fréquence d'une séance toutes les deux ou trois semaines. Lors du premier rendez-vous, il avait notamment présenté des symptômes compatibles avec un état dépressif sévère ainsi que des éléments en lien avec le syndrome de stress post-traumatique. Une médication sous forme d'un traitement anxiolytique et antidépresseur lui avait été prescrite. En parallèle, il avait bénéficié d'un suivi psychothérapeutique ainsi que d'une thérapie d'accompagnement de couple. Dès la première consultation, B______ avait également présenté tous les symptômes d'un état dépressif sévère. Elle s'était vue prescrire un traitement anxiolytique et antidépresseur. En parallèle, elle avait bénéficié d'un suivi psychothérapeutique ainsi que d'une thérapie d'accompagnement de couple et de séances d'acupuncture. Les résultats de l'autopsie avaient engendré chez eux une péjoration psychique (C-377 ss). Les parties plaignantes ont par ailleurs produit diverses factures portant sur les dépenses liées au décès de leur fils, soit une facture des nuitées à la ______, de l'avis de décès et des remerciements, des obsèques, de la verrée, des fleurs, de la concession au cimetière, de la marbrerie, des HUG et d'ASSURA (C-389 ss).

n.g. Le 19 janvier 2023, par l'intermédiaire de leur Conseil, B______ et A______ ont fourni plusieurs certificats médicaux attestant des nouveaux arrêts de travail dont ils avaient bénéficié, respectivement, dès le 14 novembre 2022 pour B______ et dès le 18 janvier 2023 pour A______. Ils ont aussi pris des conclusions à hauteur de CHF 50'755.95, à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure, notes d'honoraires à l'appui.

V. Déclarations des grands-parents de E______

o.a. Entendu le 14 mai 2018 par la police, AC______, grand-père paternel de E______, a indiqué que son épouse, AD______, et lui-même vivaient dans la maison mitoyenne de celle de leur fils et leur belle-fille. Leur petit-fils était "un joli bébé, toujours calme et souriant". Il pleurait peu, presque uniquement en cas de faim ou lorsqu'il s'agissait de le mettre au lit. Lorsque B______ avait repris le travail, il avait d'abord été convenu que son épouse et lui-même s'occuperaient de leur petit-fils les jeudis durant la journée. Cela étant, une nounou en la personne d'X______ avait finalement été engagée pour garder E______ les mardis et jeudis, si bien que son épouse et lui-même s'étaient retrouvés sans jour précis de garde, étant relevé que les parents savaient qu'ils se tenaient à disposition en cas de besoin, étant tous deux à la retraite. Ils gardaient fréquemment E______ les lundis après-midi, ainsi que les mercredis entre 18h00 et 20h00, lorsque B______ se rendait à un cours de danse. Ils avaient gardé leur petit-fils pour la dernière fois le 9 avril 2018 entre 12h00 et 16h00. L'enfant était enrhumé. Celui-ci avait pour habitude de faire de courtes siestes de 20 à 30 minutes dans les bras de sa grand-mère, il se mettait à pleurer lorsqu'il était placé dans son lit. E______ n'avait jamais passé de nuit chez eux, mais il était au courant que son petit-fils avait de la peine à dormir la nuit. Il avait constaté que son fils et sa belle-fille étaient fatigués, ils n'étaient ni excédés ni totalement épuisés. Quelques semaines auparavant, tandis que son fils était en camp de ski, B______ et sa mère avaient conduit E______ aux urgences en raison de vomissements. Aucune maladie n'avait été décelée sur l'enfant, étant relevé que les HUG avaient rappelé son fils et sa belle-fille pour les faire revenir d'urgence en raison du fait que deux flacons avaient été échangés. Après avoir pris connaissance des résultats rassurants de la nouvelle prise de sang effectuée à E______, ils avaient pu rentrer chez eux. Dans la semaine qui avait suivi, ils avaient consulté le pédiatre de E______ qui avait conclu à un virus et l'enfant avait finalement repris "du poil de la bête". Le 12 avril 2018, aux alentours de midi, en rentrant des commissions en compagnie de son épouse, alors qu'ils s'apprêtaient à manger au restaurant, celle-ci avait reçu un appel de leur fils qui lui avait signalé "qu'il y avait un problème", que E______ "avait fait un malaise" et qui leur a demandait de rentrer immédiatement pour "consoler la nounou", étant relevé que leur fils et leur belle-fille devaient se rendre à l'hôpital. Ils avaient quitté le restaurant sans manger et avaient accueilli la nounou, "sous le choc" et les larmes aux yeux, chez eux en compagnie d'une psychologue. X______ était restée environ une heure. Elle leur avait relaté que vers 11h15, elle avait donné un biberon à E______, qui avait immédiatement vomi le contenu par le nez. Elle lui avait donné un bain pour le nettoyer. L'enfant s'était raidi et ses yeux s'étaient révulsés. Elle était descendue au rez-de-chaussée pour appeler le 118 et avait été redirigée vers le 144. Elle avait été guidée par la centrale d'appel du 144 pour réanimer E______. Elle avait "l'air choquée et semblait ne pas comprendre ce qu'il s'était passé", paraissant "désespérée". En fin de journée et tous les jours qui avaient suivi jusqu'à son décès, son épouse et lui-même s'étaient rendus au chevet de E______. Par ailleurs, un jour, au début du mois de janvier, aux alentours de 12h15-12h30, la nounou s'était présentée à la porte de leur villa avec son petit-fils dans les bras, lequel pleurait et avait un "cocard autour de l'œil gauche". Elle pleurait et "semblait assez choquée". Elle leur avait expliqué qu'elle était tombée dans les escaliers en s'encoublant sur le chat, alors qu'elle tenait E______ dans les bras. La nounou et E______ étaient restés trois quart d'heure avant de retourner au domicile de ce dernier. Son épouse avait pris l'enfant dans les bras pour le consoler et ils avaient réconforté X______. Ils n'avaient pas jugé la situation comme étant "grave" et ainsi pas estimé nécessaire d'emmener E______ aux urgences. X______ lui avait toujours fait "bonne impression", l'intéressée lui ayant paru "sympathique et appropriée". Son épouse et lui-même n'avaient jamais rien noté de particulier la concernant (B-18 ss).

o.b. Entendue par la police le même jour, AD______, grand-mère paternelle de E______, a indiqué que le décès de son petit-fils avait été "un événement tragique pour toute la famille" et qu'ils avaient tous été "beaucoup perturbés". Son petit-fils était un enfant joyeux et en bonne santé. Il dormait très mal, cela ne lui paraissant toutefois pas anormal. Il se réveillait souvent en hurlant. Elle a confirmé les déclarations de son époux s'agissant de la fréquence à laquelle ils gardaient leur petit-fils, ainsi que des événements du 12 avril 2018. Ce jour-là, aux alentours de 12h15, son fils l'avait appelée par téléphone et lui avait expliqué être rentré précipitamment à son domicile, où E______ venait de faire un arrêt cardiaque. Il lui avait demandé de rester avec la nounou, laquelle avait été prise en charge par une psychologue, pendant qu'il se rendait à l'hôpital en compagnie de son épouse. Arrivée sur place, elle avait constaté la présence de nombreux véhicules de police. Elle avait proposé aux personnes présentes de venir chez elle. La psychologue qui s'était entretenue avec X______, laquelle était "assez calme, mais quand même choquée", leur avait expliqué que son petit-fils avait vomi son biberon par le nez et qu'il avait fait un malaise dans la baignoire, dans laquelle la nounou avait voulu le laver. L'enfant s'était raidi, puis était devenu tout mou. La nounou était descendue au rez-de-chaussée, avait appelé les secours et pratiqué les premiers secours jusqu'à l'arrivée de l'hélicoptère. Son époux et elle-même n'avaient rien remarqué d'anormal en lien avec la nounou. Après le départ des policiers, ils s'étaient retrouvés seuls dans la maison et avaient attendu des nouvelles de leur fils en compagnie de leur fille. AD______ a également évoqué l'incident de janvier 2018, expliquant qu'X______ était arrivée chez elle en pleurs avec E______ dans les bras. Elle avait expliqué, entre deux sanglots, qu'en montant les escaliers, elle s'était encoublée à cause du chat et qu'elle était tombée par terre. Son petit-fils, qui était dans les bras de sa nounou, s'était cogné la tête sur la rambarde de l'escalier. Il avait un cocard visible sur l'œil gauche. Son époux et elle avaient entretenu des rapports cordiaux avec X______ (B-27 ss).

o.c. Entendue par la police le même jour, AE______, grand-mère maternelle de E______, a indiqué qu'elle gardait son petit-fils les vendredis en compagnie de son époux. A partir de janvier ou février 2018, ils avaient tenté de respecter des horaires pour les siestes et les repas de celui-ci, afin qu'il parvienne à faire ses nuits. D'ordinaire, E______ se réveillait deux à trois fois par nuit en pleurant. Les parents étaient très fatigués. Ils géraient cette situation en se levant à tour de rôle et avaient consulté un médecin du sommeil. Elle n'avait croisé X______ que très brièvement une seule fois dans le courant du mois de mars. Sa fille lui avait rapporté qu'au cours de la première semaine de janvier, la nounou avait fait une chute dans les escaliers avec E______ dans les bras. Sa fille et son beau-fils avaient été informés de l'accident que plusieurs heures après celui-ci, les parents de son beau-fils ayant décrété qu'il n'était pas nécessaire de les prévenir. Sans affirmer que cette chute avait précipité les difficultés de santé de son petit-fils, elle l'avait trouvé, depuis lors, moins en forme. En effet, entre janvier et mars 2018, E______ avait commencé à être plus souvent malade. Il avait pris moins de poids et avait eu des épisodes de fièvre et de vomissement échelonnés. Il oscillait entre "des moments de mal-être" et "des moments où il était en pleine forme". Il n'était plus aussi tonique. Par moment, il lui arrivait d'être prostré dans ses bras, de ne plus bouger et de fermer les yeux un moment. Sur la base de discussions avec sa fille et son beau-fils, son mari et elle-même s'étaient fait la réflexion que les mardis et jeudis soirs étaient les jours où leur petit-fils était "le plus mal" et que "quand il était avec la nounou, il n'avait pas l'air bien". Ils avaient abordé le sujet avec les parents de E______, soupçonnant "un problème de feeling avec sa nounou" depuis la chute dans les escaliers. Sa fille n'avait eu aucune preuve que cela se passait mal avec X______ ou de mauvais traitement de la part de celle-ci; au contraire les parents de E______ étaient contents de la nounou et s'entendaient bien avec elle. Le jeudi 15 mars 2018, au soir, tandis que sa fille était seule avec E______, elle l'avait appelée en raison du fait que celui-ci n'allait pas bien, avait de la fièvre et avait abondamment vomi. Elle s'était rendue chez sa fille pour la soutenir et l'aider. Lorsqu'elle était arrivée, son petit-fils venait de vomir à nouveau en grande quantité. Il était prostré. Elles l'avaient emmené aux urgences pédiatriques des HUG, où il avait encore vomi. Il y était resté durant toute la nuit et était ressorti le lendemain, les médecins ayant conclu à un virus. A ce moment-là, il était encore prostré et pâle. Le jeudi 22 mars 2018, toute la famille s'était retrouvée chez son frère. E______ avait à nouveau vomi en grande quantité. Son mari et elle-même l'avaient gardé pour la dernière fois durant la nuit du 31 mars au 1er avril 2018 et elle l'avait vu pour la dernière fois le 11 avril 2018 au domicile de sa fille. Elle se souvenait qu'elle l'avait trouvé pâle (B-34 ss).

o.d. Entendu le 14 mai 2018 par la police, AF______, grand-père maternel de E______, a déclaré que le décès de son petit-fils avait été "une énorme perte pour toute [la] famille. E______ était une joie pour nous tous. Il était vif et joyeux, intéressé par tout". Il a confirmé les déclarations de son épouse au sujet de la fréquence de la garde de leur petit-fils, étant relevé que dans la mesure où il travaillait sa femme s'en occupait plus que lui-même. Depuis janvier 2018, la santé de E______ était moins bonne. "Il était plus apathique", "bougeait moins qu'à l'accoutumée" et vomissait parfois ses repas. Il était souvent prostré. Sa fille et son beau-fils avaient consulté un pédiatre à ce sujet. La chute dans les escaliers d'X______ avec E______ dans les bras avait coïncidé avec le début des nausées et de son état de prostration. Son épouse et lui-même avaient remarqué que leur petit-fils "était moins joyeux après ses journées avec la nounou". Ils n'avaient pas suspecté de maltraitance, mais soupçonné que E______ s'ennuyait de sa mère repartie au travail. Ils avaient tous été frappés par le fait que E______ avait été de bonne humeur durant toutes les vacances de Pâques. Son épouse et lui-même avaient gardé leur petit-fils durant une nuit au cours desdites vacances. E______ s'était réveillé à deux reprises en hurlant. Il n'avait jamais vu une telle panique. Il n'avait pas rencontré X______. A sa connaissance, sa fille et son beau-fils étaient contents de ses services (B-42 ss).

VI. Déclarations d'X______

p.a. Entendue par la police le 7 mai 2018 en qualité de personne appelée à donner des renseignements, X______ a expliqué que le jeudi 12 avril 2018, tandis qu’elle était en route pour le travail ou la veille, B______ l'avait informée par message que son fils avait eu le nez très bouché, qu’il toussait et qu'il avait eu de la fièvre, mais que tel n'était plus le cas le matin-même. Elle était arrivée au domicile des époux L______ vers 08h40 et s'était entretenue avec A______, lequel l'avait informée que son fils pleurait depuis le départ de sa mère et qu'il avait commencé à se calmer. Il lui avait en outre indiqué que la veille, ils lui avaient donné du sirop contre la fièvre, si bien qu'il n'en avait plus au réveil. Le matin-même, il lui avait fait un lavage du nez. A______ était parti au travail aux environs de 09h00. Durant ce temps, E______ était comme à son habitude. Il avait pleuré pendant quelques secondes au départ de son père. Elle l'avait pris dans les bras et était montée à l'étage afin de lui lire un livre et jouer avec lui. Par la suite, ils étaient descendus et avaient joué avec un mélange d'eau et de maïzena. Jusqu'au biberon de 10h00, tout s'était bien passé. Après avoir ingurgité son biberon, E______ était resté un petit moment sur ses genoux, puis sur sa chaise haute. Il gazouillait et jouait avec des œufs de Pâques en plastique. Il n'avait ni fait son rot ni régurgité. Il avait encore une toux grasse et le nez pris. Elle avait ainsi envoyé un message aux parents de E______ pour les informer "qu'après la patouille et un bon biberon, [ils allaient] prendre l'air". Vers 10h40, soit environ 25 minutes après avoir fini son biberon et tandis qu'il se trouvait sur sa chaise haute, il avait vomi une petite quantité par la bouche et par le nez, probablement en raison de la toux. En raison du fait que le body de l'enfant était souillé par le vomi et que celui-ci avait été à selle, elle avait décidé de le rincer sous la douche. Elle était montée à l'étage, puis s'était rendue dans la salle de bains des parents pour prendre une serviette avant d'entrer dans la salle de bain dans laquelle les jouets de E______ se trouvaient. Il avait l'air content d'aller dans la baignoire. Pendant qu'elle avait rincé le body, l'enfant, assis dans la baignoire, s'était amusé avec l'eau qui coulait lentement du pommeau de douche. "Tout allait bien". Elle avait saisi E______ pour le sortir de la douche et le sécher avec une serviette. L'enfant était nu. Elle le portait en le tenant avec ses fesses sur ses avant-bras et une main derrière le dos. Ils s'étaient regardés dans le miroir de la salle de bain et tout s'était produit soudainement. "Tout d’un coup, [les mains de E______] sont montées contre son corps, ses coudes se sont repliés et ses yeux regardaient d'un côté. Ses yeux ne se sont pas révulsés en arrière. Ses bras se sont crispés et ses mains étaient à la hauteur de sa poitrine. Il a gémi un petit son". E______ n'avait ni hurlé, ni crié. Elle avait eu l’impression qu’il avait perdu connaissance. X______ a, dans un premier temps, expliqué que l'enfant n'avait pas eu de difficulté respiratoire et qu'elle avait senti son souffle en plaçant son doigt sous son nez et que sa poitrine bougeait encore. Il était "inconscient et vraiment tout mou, tout relâché", comme s’il n’avait plus de colonne vertébrale. Sa tête était partie "tout en arrière ou tout en avant", même en le tenant, "c’était comme une poupée de chiffon". Elle avait cherché une réaction de sa part et l'avait "secoué de manière instinctive tout en criant son nom et en lui demandant de respirer, ce qu'il faisait faiblement". Elle l'avait secoué "peut-être [ ] environ 5 fois. Sa tête était tellement lourde qu’elle restait soit devant, soit derrière. Elle ne faisait pas d’aller-retour. [Elle n'avait] pas l’image de sa tête qui bouge d’avant en arrière. [ ] En fait, [elle ne pouvait] pas certifier quels mouvements a eu sa tête", elle ne s'en souvenait pas et était choquée. Il n'avait eu aucune réaction. Avant ou après l'avoir secoué, du vomi avait commencé à sortir de son nez. E______ n'avait pas de spasme. Il avait eu quelques respirations saccadées, soit quatre ou cinq grandes respirations. Il avait cherché son air, il n'avait pas expiré par la bouche. Puis, il avait cessé de respirer. X______ a expliqué, dans un deuxième temps, que c'était après avoir mis sa main sur la poitrine de E______ et qu'il lui avait semblé ne sentir ni son cœur, ni ses respirations, qu'elle avait paniqué et l'avait "secoué quelques fois en hurlant son nom et en lui disant de respirer". En le secouant, elle l'avait tenu sous les aisselles et l'avait regardé en même temps. Elle ne lui avait pas "du tout" tenu la tête. Il ne lui semblait pas que la tête de E______ ait "fait des allers-retours en avant et en arrière", pensant plutôt que celle-ci était "restée en avant ou en arrière". Le vomi avait continué à couler du nez de E______. Il n'avait eu aucune réaction. Elle a finalement déclaré qu'elle l'avait secoué "uniquement en raison de sa perte de connaissance". Elle était paniquée et avait voulu le faire revenir à lui. Elle ne l'avait en aucun cas "secoué par énervement ou parce qu'il pleurait". Elle avait décidé de redescendre en le tenant dans les bras afin de téléphoner à B______ et A______. Instinctivement, elle l'avait placé dans sa chaise haute, mais sa tête était partie en arrière. Elle voulait absolument que "sa tête tienne pour ne pas qu’il ravale son vomi qui continuait de couler par le nez". Elle l'avait ainsi déplacé pour l'asseoir par terre et l'adosser contre les barreaux de son parc, mais sa tête était partie en avant. Elle pensait même qu'il avait glissé jusqu'au sol et que sa tête avait heurté le sol du côté gauche. Elle l'avait allongé sur le dos et avait placé sa tête sur le côté puisque le vomi continuait à couler. Elle avait appelé chacun des parents, personne ne lui avait répondu, si bien qu'elle avait saisi le cahier de liaison, dans lequel figuraient les numéros d'urgence et avait appelé le 118. Elle avait été transférée au 144, avait dû faire face à des difficultés de communication et finalement la ligne avait été coupée. Elle avait rappelé le 144 et s'était entretenue avec une femme: "j’ai dit que j’avais un bébé et qu’il était mort. Je lui ai demandé ce que je devais faire. ( ) Je n’arrêtais pas de dire qu’il était mort et la dame m’a dit qu’on allait le réanimer ensemble. Quand elle a dit ça, je me suis calmée". Elle avait suivi les instructions données par téléphone afin de procéder aux manœuvres de réanimation de l'enfant jusqu’à ce que les secours arrivent et prennent le relais. E______ était resté "tout mou" et le vomi avait continué à sortir du nez. Une fois les secours sur place et ayant pris le relai, elle était sortie de la maison et avait vu les grands-parents de E______. Tout s'était passé très vite. Une dizaine de minutes s'était écoulée entre le moment où E______ avait commencé à vomir et l’instant où son état s'était dégradé et qu'elle avait appelé les secours. Suite à la prise en charge de E______ par les secours, elle avait été appelée par un médecin qui lui avait donné des nouvelles de celui-ci. Elle avait croisé les parents de E______ aux soins intensifs, où elle avait pu le voir une dernière fois. Elle s'était en outre rendue à l'enterrement de l'enfant et avait vu B______ et A______ une dernière fois chez eux, quelques jours après l'enterrement, et ils s'étaient rendus ensemble au cimetière. Les parents de E______ lui avaient indiqué qu'un médecin avait constaté des hématomes au cerveau de ce dernier. Ils avaient ajouté que la problématique du bébé secoué et de la maltraitance avaient été écartés. Elle avait été informée que l'enfant avait fait un premier arrêt cardiaque, puis un second à l'hôpital et qu'il était en état de mort cérébrale. Elle considérait la mort de E______ comme non résolue. Elle n'avait pas vraiment eu de sensibilisation par rapport à la problématique des bébés secoués, affirmant qu'en dépit du fait qu'elle travaillait depuis des années dans le domaine de la petite enfance, elle ne connaissait "pas grand-chose des bébés secoués ou des morts subites". Elle n'avait pas non plus reçu de formation spécifique concernant les premiers secours sur les bébés. S'agissant de la chute dans les escaliers au début du mois de janvier 2018, elle a indiqué qu'alors qu'elle était en train de monter dans les escaliers avec E______ dans les bras pour le coucher, elle avait cru qu'elle avait écrasé la queue du chat. Elle s'était encoublée, avait perdu l'équilibre et s'était rattrapée avec le coude sur la rampe de l'escalier. Elle ne savait pas exactement de quelle manière E______ s'était blessé. Il était dans ses bras. Une hypothèse était qu'il avait heurté le bord d'une marche supérieure. Il avait eu, suite à cet événement, un œil au beurre noir à droite et une "petite marque sur le bout du nez". Il avait pleuré et était rapidement allé mieux. La paupière de l'œil avait gonflé, puis était devenue bleue. Affolée, elle s'était immédiatement rendue chez les grands-parents, dans la villa d'à côté. En ce qui concernait les événements du 21 décembre 2017, elle a expliqué que tandis que E______ se trouvait dans son parc, allongé et qu'il jouait avec "une sorte de cube [ ] un peu trop lourd pour lui", il l'avait lâché sur le visage, ce qui lui avait causé "une petite marque vers l'œil". Par la suite, elle avait montré le cube aux parents et avait tout noté dans le carnet. E______ avait une peau qui marquait très vite. A la fin de son audition, X______ s'est encore exprimée en ces termes: " Si j'ai secoué E______, c’est uniquement en raison de sa perte de connaissance. J’étais paniquée et je voulais le faire revenir à lui. En aucun cas, je ne l’ai secoué par énervement ou parce qu’il pleurait » (B-49 ss).

p.b. Entendue par-devant le Ministère public le 18 décembre 2018 en qualité de prévenue, X______ a déclaré que E______ était un enfant "très agréable, très gai, très volontaire", dont les parents s'occupaient bien. Il était "bien évolué" et les journées à ses côtés étaient "très agréables". Elle avait "beaucoup de plaisir à se rendre là-bas et à [s'] occuper de E______ ". "Il aimait beaucoup les bras et avait un petit caractère". Elle avait adapté les activités à son évolution et mis en place un système de cahier de liaison dans lequel elle notait toutes les activités qu'ils pratiquaient, mais également les heures des siestes, les balades, les jeux, les quantités de nourriture ou encore s'il avait de la fièvre, afin que les parents disposent d'un aperçu détaillé de ses journées. Au cours de la journée, elle partageait beaucoup d'informations avec les parents de E______, échangeant des messages avec eux sur un groupe. Ces derniers lui avaient signalé que les nuits étaient compliquées. Ils lui avaient fait part de leur fatigue et elle savait qu'ils avaient consulté un médecin spécialisé pour le sommeil. Elle les écoutait beaucoup. "C'était des « premiers parents » qui vont à la pêche aux expériences et au réconfort". La journée, elle lisait des histoires à E______, lui chantait des chansons et lui faisait beaucoup de câlins. E______ ne pleurait pas beaucoup en sa présence. Il pleurait en général lors du départ de son père, pleurs qui cessaient lorsqu'il ne le voyait plus. En ce qui concernait l'événement de décembre 2018, E______ s'était blessé avec un cube qu'il avait attrapé et laissé tomber sur son visage, tandis qu'il était couché dans son parc. Il s'était fait une petite bosse bleue sous l’œil, ce qui avait suscité chez elle la réaction suivante: "ça m'a surpris qu'un cube qui est tombé de la hauteur de la main de E______, alors qu'il était allongé, puisse lui faire une marque aussi vite. J'en avais parlé avec la maman qui m'avait dit que E______ avait dû hériter de la peau de son papa qui marquait très vite". S'agissant de la chute dans les escaliers au début du mois de janvier 2018, X______ a expliqué qu'elle avait constaté que E______ allait s'endormir, qu'elle était montée à l'étage afin de le coucher et qu'elle avait été surprise par le chat, si bien qu'elle avait raté une marche de l'escalier. L'enfant s'était cogné sur le bout du nez contre le poteau de l’escalier en colimaçon. Il en avait résulté une griffure sur le bout du nez et un bleu sous l’œil. E______ n'avait pas vomi suite à cet événement. Il avait immédiatement pleuré. Elle avait crié, ayant eu peur de le lâcher. Elle avait couru chez les grands-parents avec E______ dans les bras et la grand-mère de celui-ci l'avait rassurée. Sur les photographies présentées, elle a identifié E______ le jour des faits portant un pyjama bleu avec des hiboux blancs. Il avait l'œil gauche gonflé et une tétine dans la bouche. Son œil avait dégonflé et était devenu bleu/violet, ce qui était visible sur la photographie sur laquelle il portait une veste bleue et avait un jouet dans la bouche (B-84). Confrontée aux anciens saignements mis en évidence par l’autopsie, elle a contesté avoir secoué E______ en janvier 2018. A partir du mois de mars, E______ avait été souvent malade. Il avait parfois vomi après les repas. Il avait eu de la fièvre et était plus fatigué et plus pâle. Elle avait été informée qu'il s'agissait d'une gastroentérite, dont E______ avait eu de la difficulté à se débarrasser. A la demande des parents, elle lui avait administré des médicaments. Elle avait accompagné B______ et E______ chez le pédiatre. Il lui semblait que le pédiatre avait constaté que celui-ci avait perdu du poids sur une période de 5 mois "soit déjà avant [qu'elle] commence à travailler". Elle n'avait pas constaté que E______ avait fait face à des problèmes particuliers en lien avec la nourriture. Il avait également consulté un spécialiste du sommeil. Le 12 avril 2018, aux alentours de 10h00, E______ avait bu son biberon sur sa chaise haute et avait immédiatement vomi le contenu de celui-ci. Elle l'avait laissé sur sa chaise haute sur laquelle il tenait bien assis, au cas où il continuait à vomir. Elle avait nettoyé le sol. Elle avait ôté le pull et le pantalon de E______, tandis qu'ils se trouvaient encore en bas, puis était montée à l'étage avec celui-ci en body, afin de lui faire prendre une douche. Après une brève douche, elle l'avait placé dans une serviette contre elle. Ils s'étaient regardés dans le miroir. "A un moment donné son regard est devenu vide, ses mains se sont complètement crispées et sont remontées le long du corps. Sa tête est partie sur le côté et il y a eu un tout petit gémissement et ensuite il est devenu comme une poupée de chiffon. Il n'y avait plus rien, [elle n'avait] jamais vu cela, il n'y avait plus de colonne vertébrale. Même en tenant les bras il partait en arrière, c'était très impressionnant". Pendant le malaise, lorsque sa tête était partie en arrière, du vomi était sorti de son nez. Il ne respirait pas. A ce moment-là, elle avait saisi E______ sous les bras en face d'elle. Il avait fait encore deux grandes respirations, puis avait cessé de respirer. "Il n'y avait aucune réaction, plus rien". Elle avait posé sa main sur sa poitrine et il ne lui avait pas semblé sentir un pouls. Elle l'avait appelé à plusieurs reprises en panique et avait hurlé. Elle avait soufflé sur son visage, sans qu'il ne réagisse. En réponse au Ministère public qui lui communiquait les conclusions de l'autopsie et lui demandait si elle avait secoué E______, X______ s'est exprimée en ces termes: "au moment du malaise, lorsque je tenais E______ devant moi, j’ai pu le secouer pour tenter une réaction, à part à ce moment-là, je n’ai pas secoué E______. Je ne peux pas me rendre compte de la violence de ce geste, mais j’avais un bébé inerte dans mes bras et il est possible que je l’aie secoué pour tenter une réaction de sa part". Elle l'avait secoué une première fois avant sa première respiration, alors qu’il était déjà inerte, puis une seconde fois avant sa deuxième respiration. Il avait eu deux grandes respirations à 20 secondes d’intervalle, puis plus rien. Elle se tenait debout et l'avait tenu face à elle tout en l'appelant par son prénom en lui disant "E______ respire", afin que l'enfant revienne à lui. Cherchant une réaction de sa part, elle l'avait secoué d’avant en arrière sans pouvoir dire combien de fois, "ce n’était pas pendant une heure". Il ne s'était rien passé, si bien qu'elle avait cherché "autre chose" et avait appelé les secours. A cet instant, du vomi était sorti du nez de E______. Elle pensait, sans en être certaine, qu'immédiatement après son malaise et lorsqu'elle l'avait secoué, du vomi était sorti de son nez. Elle avait tenté de joindre les parents de E______, en vain. Elle avait installé E______ dans sa chaise haute mais sa tête était partie en arrière. Elle avait essayé de l'asseoir contre le parc pour que sa tête tienne, mais il avait versé sur le côté. Elle avait finalement décidé de le poser pour pouvoir téléphoner au 118 et avait eu peur qu'il s'étouffe avec son vomi. Pour le surplus, elle a confirmé ses précédentes déclarations s'agissant de la teneur de son appel à la centrale du 118, de la réanimation qu'elle avait effectuée et de la prise en charge par la suite par les secours. Elle avait ressenti une grande culpabilité après les faits. Elle avait essayé d'effectuer les bons gestes. Les pompiers présents sur place et les médecins des soins intensifs l'avaient rassurée. Lors de sa visite aux HUG, elle avait déclaré à plusieurs reprises aux parents de E______ qu'il n'avait pas souffert afin de les rassurer. "Avant le malaise, E______ allait bien, il n'y a pas eu de moment où il allait mal". S'agissant de la problématique du bébé secoué, elle a expliqué qu'elle savait "qu'il ne [fallait] pas secouer un bébé, que cela peut engendrer des séquelles graves, voire la mort. [Elle n'avait] jamais eu à faire cela. [Elle n'avait] jamais rencontré d'enfant qui aurait été secoué ou de famille dans laquelle ça se serait passé. [Elle connaissait] ce syndrome de manière théorique". Pour le surplus, elle était consciente qu'il ne fallait en aucun cas secouer un enfant, pour elle "dans la notion de le secouer il y [avait] une forme de maltraitance et à aucun moment [elle n'avait] voulu faire du mal à E______". Elle avait effectué ce geste pour le sauver. Elle n'avait pas réalisé ce qu'elle avait fait à ce moment-là. "Ce n'était pas un geste de maltraitance, mais un geste de secours. Peut-être que d'autres personnes auraient fait de même". Après les faits, elle avait consulté un psychologue à plusieurs reprises, notamment en lien avec des angoisses liées aux images de la réanimation de E______ (C-2 ss).

p.c. Par courrier du 19 mars 2019, le Conseil d'X______ a relevé que la sœur de B______ s'était occupée à plusieurs reprises de E______, notamment durant la semaine qui avait précédé les premiers vomissements. Par ailleurs, quelques semaines avant les faits, A______ avait dit à X______ avoir laissé son fils seul sur le lit parental sans le surveiller pendant quelques secondes au cours desquelles il était tombé sur le sol (C-58 ss).

p.d. Lors de l'audience du 9 mars 2021 par-devant le Ministère public, X______ a précisé qu'après avoir douché E______ qui avait vomi, elle l'avait pris dans une serviette pour l'essuyer. Ils s'étaient regardés dans le miroir et il avait eu les yeux inversés. Il était tombé dans les pommes. Il avait eu le regard vide et était parti "tout mou dans [ses] bras". Elle avait paniqué et hurlé de manière hystérique son prénom. Elle l'avait secoué pour le faire revenir à lui et tenter une réaction de sa part. Après avoir pris connaissance des conclusions de l'expertise, avec lesquelles elle était d'accord, elle avait été très peinée d'apprendre que c'étaient bien les secousses qui avaient causé le tableau lésionnel constaté par les médecins à la mort de E______. Après le malaise, tout s'était enchainé très vite. Elle était confuse dans la chronologie des symptômes qui avaient suivi et avait pu inverser certains événements. Elle aurait tellement aimé avoir les bons gestes. Elle avait mal géré la panique, admettant avoir déjà mal géré la chute dans les escaliers. En effet, submergée, elle s'était réfugiée chez les grands-parents pour mettre le bébé dans leurs bras. A ce sujet, elle a ajouté, s'agissant des faits du 9 janvier 2018, qu'elle tenait E______ dans ses bras, la tête au-dessus de son bras, lorsqu'elle était tombée dans l'escalier. Elle ne s'était pas cognée à la rambarde, mais était réellement tombée en avant, se blessant au genou et au doigt de pied à cette occasion. Elle n'avait pas lâché E______, qu'elle avait tenu très fortement, et avait amorti la chute de celui-ci. Lorsque les experts avaient parlé d'un choc contre quelque chose, c'était plus clair, car elle était vraiment tombée dans les escaliers et il y avait eu un choc. S'agissant des faits du 21 décembre 2017, ils s'étaient passés devant elle. E______, qui était couché, avait saisi un jouet à sa disposition dans son parc, sans qu'elle ne puisse dire lequel, et il l'avait lâché sur son visage (C-308 ss).

p.e. Lors de l'audience du 17 novembre 2021 par-devant le Ministère public, au cours de laquelle une reconstitution des faits a été réalisée par X______, celle-ci s'est encore exprimée sur le déroulement de la matinée du 12 avril 2018, comme cela a déjà été exposé précédemment (cf. § m.b.).

p.f. Lors de l'audience de jugement par-devant le Tribunal, X______ a expliqué qu'à l'époque des faits, elle avait pour habitude de déposer sa fille vers 07h00, puis d'emmener fils chez une amie et de prendre une heure depuis H______ pour rejoindre Bellevue. Elle terminait son travail vers 18h00 et arrivait chez elle vers 19h30. Ce rythme n'était pas fatiguant, dès lors qu'elle se rendait au travail seulement deux jours par semaine. Tout allait bien dans sa vie. Elle se réjouissait de s'occuper d'un bébé âgé de 6 mois et était ravie de cette mission. Elle s'occupait souvent d'enfants et de bébés de son entourage. Les relations avec les époux L______ étaient très bonnes et elle se rendait avec plaisir au travail. Ils n'avaient jamais eu aucun litige. Elle n'avait jamais été agacée ou énervée par E______. Il était toujours volontaire pour effectuer les activités proposées. Il appréciait les grandes balades en poussette. Les épisodes de vomi de E______ ne l'avaient pas agacée. Lors de ceux-ci, elle avait pour habitude de lui ôter son body, de nettoyer la table en le laissant sur sa chaise haute et de le nettoyer pour qu'il soit bien propre. Par moment, E______ était fatigué. Il ne pleurait pas sans raison durant la journée. Il lui était arrivé de pleurer, mais elle l'avait pris dans les bras et il avait cessé. Il n'était pas "pénible". Le cahier de liaison instauré avec les époux L______ était un support qu'elle avait introduit afin que ces derniers puissent être informés des journées de E______. S'il y avait un élément plus délicat ou négatif à discuter avec les parents, elle en parlait directement de vive voix avec eux, raison pour laquelle elle n'avait pas inscrit dans le cahier les épisodes des 21 décembre 2017 et 9 janvier 2018, au cours desquels E______ avait été blessé, alors qu'il était sous sa garde. Elle avait inscrit que E______ était grognon ou énervé, car le cahier reflétait la "vie réelle d'un bébé". Elle procédait de la même manière à l'époque où elle travaillait en crèche et par exemple, si un enfant était mordu par un autre enfant, cela n'était pas inscrit dans le cahier. En revanche, les éléments en lien avec la santé de l'enfant, tels que la fièvre et les vomissements, y figuraient. Elle a confirmé ses précédentes déclarations s'agissant de l'épisode du 21 décembre 2017, précisant toutefois ne pas avoir vu E______ prendre un cube dans son parc et le lâcher sur visage, mais avoir été à côté de lui et avoir déduit le déroulement des faits. Elle était choquée et attristée que les experts aient estimé que ses explications semblaient très peu probables compte tenu des lésions subies. S'agissant des faits du 9 janvier 2018, elle a maintenu ses précédentes déclarations, précisant que celles-ci n'étaient ni contradictoires ni adaptées aux constatations des experts. Au Tribunal qui lui faisait remarquer qu'elle ne semblait pas avoir une vision claire de ce qu'il s'était passé et qui lui demandait si cela pourrait s'expliquer par le fait que cette scène n'avait jamais eu lieu, elle a répondu par la négative, faisant valoir ce qui suit: "quand on tombe, on reprend nos esprits, on ne sait pas ce qui s'est passé. Quand on chute, cela se passe en une demi-seconde". Elle se demandait comment il était possible qu'on puisse imaginer un autre scénario. Elle avait vécu ces faits et cette panique. Elle contestait avoir secoué E______ ce jour-là. Il avait commencé à s'endormir, alors que sa chambre était à l'étage. Elle était en collant, sans chausson et les escaliers étaient glissants. Elle n'avait pas vu le chat, étant concentrée sur E______, en montant et en lui parlant. Elle avait voulu poser son pied sur une marche, mais elle n'avait pas pu, car il y avait le chat. Son pied était alors parti en arrière et avait glissé sur la marche en-dessous. Elle était tombée en avant et c'était là que E______ s'était cogné, soit sur la marche, soit sur la barre, étant précisé que l'escalier tournait et qu'il y avait un poteau. Elle n'avait jamais lâché E______ qui était en train de s'endormir dans ses bras. Sa réaction avait été celle d'une personne qui ne gère pas la panique. A ce sujet, elle a expliqué qu'elle ne gérait pas bien la panique, s'il y avait du sang, s'il y avait une chute, en illustrant son propos par des exemples tirés de sa pratique en crèche et dans son expérience de maman. Elle n'avait pas de notions de premiers secours, sujet qui n'était pas abordé dans le cadre du CAP qu'elle avait passé et pas non plus lors de l'examen du permis de conduire. Le 9 janvier 2018, elle voulait mettre en sécurité E______ et sachant qu'il y avait les grands-parents, elle l'avait emmené chez eux. C'était la réaction d'une professionnelle qui va sécuriser l'enfant. Elle avait pu reprendre ses esprits et E______ avait arrêté de pleurer. Elle avait tout de suite vu que son œil avait dégonflé. Elle n'avait pas jamais secoué violemment E______ à une ou plusieurs occasions avant le 12 avril 2018. Elle était "sidérée", car ce n'était pas elle et ne voyait pas pourquoi elle l'aurait "fait là". Au mois de mars 2018, elle avait eu de nombreux échanges avec les époux L______ au sujet de l'état de santé de E______. Durant cette période, en raison de son état, "c'était plus cocooning". S'agissant des faits du 12 avril 2018, compte tenu des conclusions des experts, force était d'admettre qu'elle était à l'origine du décès de E______. Le matin même, E______ pleurait plus que d'habitude. Ils avaient toutefois procédé à leur routine de transition et, conformément à leur rituel, au départ de A______, elle était montée avec E______ dans la chambre de celui-ci pour lui lire un livre. Lorsque par la suite E______ avait vomi son biberon et qu'elle avait dû nettoyer le sol, cela ne l'avait pas agacée. Ce n'était pas la première fois qu'elle était confrontée aux vomissements d'un bébé. Il ne s'était rien passé de particulier dans la baignoire lorsqu'elle l'avait nettoyé. S'agissant du malaise de E______ et des suites des secousses, elle n'avait pas donné plusieurs versions différentes. Déjà à la police, elle n'avait pas été apte à se rappeler dans le détail ce qui s'était passé. D'emblée, lorsqu'elle avait expliqué au médecin les effets constatés sur E______, elle les avait énumérés dans un ordre qui n'avait pas d'importance. Elle était "dans le flou total". Pour elle, la base était le malaise de E______. Par la suite, elle avait été suivie par une psychologue et avait été en situation de choc post-traumatique, incapable de déterminer dans quel ordre les choses s'étaient passées. Elle avait beaucoup appréhendé le moment de la reconstitution et avait mimé à ce moment-là les faits tels qu'ils s'étaient produits. Cela avait été très douloureux. A la sortie de la baignoire, elle avait enveloppé E______ dans une serviette. Ils s'étaient regardés dans le miroir et elle avait vu les yeux de E______ "un peu faibles". Elle avait senti que E______ s'était relâché et avait commencé à peser dans ses bras, devenant même très lourd. Il était devenu " très très blanc" et n'avait plus aucune réaction. A ce moment-là, elle l'avait pris en face d'elle, avait hurlé son prénom et l'avait secoué, probablement à cinq reprises, en disant : "Mais E______, respire, respire, respire !". Par la suite, sa tête ne tenait plus et allait d'avant en arrière. Il n'avait plus eu aucune réaction, seul un petit bruit était sorti de sa bouche. Il avait contracté ses bras qui étaient remontés sur son torse. Alors qu'il ne vomissait pas avant les secousses, après celles-ci, du liquide était sorti de son nez. Par crainte qu'il ne s'étouffe avec son vomi, elle avait tenté de le maintenir assis, tandis qu'elle voulait appeler les secours, en vain. Elle l'avait finalement couché par terre avec une serviette sous la tête et avait pu appeler les secours. A aucun moment, elle n'avait pensé à signaler aux époux L______ qu'elle avait secoué leur fils, ignorant que ces gestes étaient ceux qui lui avaient causé la mort. Elle n'avait rien caché aux policiers et aux secours qui s'étaient déplacés sur place. Son incompréhension avait porté pendant longtemps, avant la reddition de l'expertise, sur le malaise inexpliqué de E______. Le fait de secouer était le réflexe qu'elle avait eu dans la panique et la précipitation. Ses propos au terme de son audition à la police du 7 mai 2018 ("En aucun cas, je ne l’ai secoué par énervement ou parce qu’il pleurait », B-54) correspondaient à sa réponse à une question de la police. Si elle avait spontanément parlé des secousses, c'était ensuite la police qui avait abordé ces sujets. Elle se demandait toujours en quoi le fait de secouer E______ aurait pu contribuer à résoudre la situation critique. Cela avait été un réflexe dans la panique. Elle n'avait pas été en capacité de se demander si c'était bon ou pas bon. C'était une tentative de secours, dès lors que E______ ne respirait plus, était déjà inerte et presque mort dans ses bras. Il ne s'agissait pas d'un geste de maltraitance. A aucun moment, elle n'avait envisagé ni la possibilité de lui causer des lésions mortelles, ni celle de lui faire du mal. Elle était "tombée des nues" lorsqu'elle avait appris suite aux conclusions de l'expertise qu'elle avait effectué un geste inapproprié. Le monde s'était effondré. Depuis lors, elle survivait. C'était un "ascenseur émotionnel". Elle avait été suivie par une psychologue. Ni dans le cadre du CAP, ni lorsqu'elle avait travaillé en crèche, le syndrome du bébé secoué n'avait été évoqué. En tout état, elle ne s'en rappelait pas. Elle avait eu connaissance de ce syndrome par le biais des médias. Elle savait que la tête d'un bébé était une zone particulièrement fragile qui devait être maintenue. Au moment de l'enterrement de E______ et des contacts qu'elle avait eus avec les époux L______ avant les résultats de l'autopsie, elle n'était pas au courant de la suspicion de maltraitance. Elle a pour le surplus présenté des excuses aux parents de E______. Leur vie à tous était gâchée même s'ils n'avaient pas tous la même peine, la perte d'un enfant étant le pire événement pouvant se produire. E______ faisait partie de leur vie. Elle avait expliqué à ses enfants qu'elle avait pu faire un geste inadéquat. Tous les mois de juin, le jour de l'anniversaire de E______, ils brûlaient une bougie. Le 12 avril était un jour insupportable. Elle était devenue surprotectrice avec ses enfants. Elle a reconnu les conclusions civiles déposées par B______ et A______.

p.g. X______ a produit un bordereau de pièces contenant notamment quatorze attestations de proches, un certificat de travail de la famille AG______ auprès de laquelle elle avait travaillé entre les 9 janvier et 30 juin 2017, une photographie de son doigt de pied fracturé suite à l'accident de janvier 2018, ainsi qu'un certificat médical du 20 janvier 2023 attestant d'un suivi psychologique à raison de six séances entre le décès de E______ et le 12 décembre 2022.

VII. Déclarations de personnes liées à X______

q.a. Lors des débats, F______, époux d'X______, a déclaré qu'il était au courant des faits reprochés à son épouse et qu'il ne comprenait pas qu'elle soit accusée de maltraitance. Ils partageaient leur vie depuis 21 ans et échangeaient ensemble sur tous les sujets. Elle avait toujours travaillé avec des enfants et était "quelqu'un de bien". Dans leur village, ils étaient respectés et connus pour être des "gens de confiance". Elle avait gardé de nombreux enfants du village, avec lesquels elle avait gardé des contacts, alors qu'ils étaient désormais devenus adultes. Il était désolé pour les époux L______ et leur a présenté des excuses. Depuis le décès de E______, ils ne vivaient pas bien. Cela avait eu des conséquences sur leur couple et leurs enfants. Ceux-ci voyaient souvent leur mère pleurer. Avec leurs enfants, X______ ne s'énervait pas et parvenait toujours à trouver une solution. Il ne l'avait jamais vue crier ou lever la main sur eux. Elle était toujours souriante. Ils leur avaient expliqué progressivement ce qu'il s'était passé.

q.b. Au cours de la même audience, le Tribunal a entendu AH______, amie d'X______, laquelle a déclaré qu'elle était au courant des faits reprochés à celle-ci. Elles se connaissaient depuis 2009 et se fréquentaient quotidiennement depuis 2014. Elle avait eu entière confiance en X______, laquelle avait gardé sa fille lorsqu'elle avait dû s'absenter à plusieurs reprises en raison de son travail. Son amie avait toujours montré une grande capacité à prendre soin d'autrui. Son rapport aux enfants était heureux et il y en avait toujours chez elle. Elle ne l'avait jamais vue ni agacée ou énervée par un enfant, ni parler d'une éventuelle sanction physique, tout au plus avait-elle pu avoir un agacement verbal. Dans son travail, elle avait été en lien avec un lieu de placement où X______ avait travaillé. Elle l'avait toujours vue constante dans sa relation aux enfants, gérant très bien les situations et étant attentive et câline. Au cours de la période de fin 2017 à avril 2018, tout allait bien pour X______. Elle travaillait deux jours par semaine et disposait de temps libre à consacrer à sa propre famille. En deux jours, elle gagnait trois fois un salaire français. Le jour des faits, X______ lui avait indiqué qu'elle avait essayé de faire au mieux et qu'il s'agissait d'un accident. Traumatisée, elle avait évoqué le fait que le bébé avait pu mourir. Désormais, son amie survivait. Elle vivait des montagnes russes émotionnelles. Elle était passée par les étapes de la sidération, de l'incompréhension et de la peur. Pour elle, il s'agissait d'un accident. Elle persistait à se demander comment cela avait pu se produire. A la suite des résultats des expertises et des accusations de maltraitance, X______ avait dû s'expliquer. Cela avait été un choc. Elle sentait son amie traumatisée. Celle-ci avait essayé de tenir au mieux, notamment pour ses enfants. Elle avait pris conscience qu'elle devait tout faire pour que ses enfants profitent de la vie au maximum, dès lors que tout pouvait arriver. Elle avait créé une sorte de parc d'attractions dans le jardin pour ses enfants et, par peur, ne pouvait plus se séparer d'eux. Avant l'accident, X______ aimait vraiment s'occuper et câliner les bébés. Depuis lors, elle en avait peur et ne s'en approchait presque plus.

q.c. AI______, directrice d'une crèche multi-accueil à H______ depuis plus de trente ans, a également été entendue par le Tribunal. Elle a expliqué qu'elle était au courant des faits reprochés à X______. Elle l'avait engagée entre août 2002 et août 2005 dans la crèche. Celle-ci avait intégré les cuisines, puis travaillé avec un groupe d'enfants âgés de 3 mois à 2 ans. Les parents étaient complètement satisfaits de son travail. Elle se souvenait de sa douceur et de son engagement quotidien auprès des enfants. X______ était rigoureuse, ponctuelle et à l'écoute des besoins des enfants. Elle travaillait en équipe, étant relevé que celle-ci était également satisfaite de son travail. Elle avait pour sa part complètement confiance en X______. Tant par le passé qu'à l'heure actuelle, la problématique du bébé secoué n'était pas un sujet abordé à la crèche.

q.d. AJ______, éducateur social en Protection de l'enfance à H______ et ancien collègue d'X______, a indiqué au Tribunal qu'il avait travaillé avec l'intéressée durant un an et deux mois à la I______. A l'époque, ils étaient cinq éducateurs sociaux et une psychologue, accompagnant huit enfants âgés de 4 à 8 ans et placés en raison de situations de danger dans leur famille. Dans le contexte compliqué qu'avait été la période de Covid, X______ avait eu une grande capacité à rassurer et apaiser les enfants. Il était au courant des faits reprochés à X______.

VIII. Situation personnelle d'X______

C. X______ est aujourd'hui âgée de 39 ans. Elle est mariée et mère de deux enfants mineurs. Elle vit à H______, en Haute-Savoie. Elle n'a aucune attache avec la Suisse et n'est plus titulaire d'un permis G. A compter d'octobre 2021, elle a occupé un poste de vendeuse en boulangerie, emploi qu'elle a exercé jusqu'au début du mois de décembre 2022. Elle est en arrêt de travail depuis lors, en lien avec la présente affaire et la perspective du procès. Elle perçoit environ EUR 800.- par mois et n'a pas d'autres sources de revenus. Elle est copropriétaire, avec son conjoint, de sa maison à H______, laquelle a été achetée au moyen d'un crédit, qui n'est à ce jour pas entièrement payé. Elle n'a pas d'autre fortune, ni de dettes. A l'heure actuelle, elle est toujours suivie par une psychologue et prend des antidépresseurs, médicaments dont elle ne peut pas se passer. Elle éprouve de la difficulté à envisager son avenir, étant relevé qu'elle souhaite recommencer à travailler et pouvoir avancer sur ce traumatisme. A teneur de l'extrait du casier judiciaire suisse, elle n'a pas d'antécédent. Elle affirme ne jamais avoir fait l'objet d'une condamnation à l'étranger.

IX. Déroulement de l'instruction

D. L'établissement de l'acte d'accusation du 22 septembre 2022 est intervenu presque quatre ans après l'ouverture de l'instruction. Par ailleurs, il existe un intervalle de deux ans entre la dernière audience de 2019 (20 mars 2019) et la suivante (9 mars 2021) qui n'apparaît pas justifié, même en tenant compte de la mise en œuvre, le 18 novembre 2019, d'une expertise ayant abouti au rapport du 18 septembre 2020 et du contexte lié à la pandémie de Covid-19 à compter de mars 2020.

 

EN DROIT

Culpabilité

1.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH ; RS 0.101) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. ; RS 101) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves.

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, ce principe signifie qu'il incombe à l'accusation d'établir la culpabilité de l'accusé, et non à ce dernier de démontrer son innocence. Il est violé lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que l'accusé n'a pas prouvé son innocence, mais aussi lorsqu'il résulte du jugement que, pour être parti de la fausse prémisse qu'il incombait à l'accusé de prouver son innocence, le juge l'a condamné parce qu'il n'avait pas apporté cette preuve (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 40 et les arrêts cités).

Comme règle de l'appréciation des preuves, le principe in dubio pro reo interdit au juge de se déclarer convaincu d'un état de fait défavorable à l'accusé, lorsqu'une appréciation objective des éléments de preuve recueillis laisse subsister un doute sérieux et insurmontable quant à l'existence de cet état de fait. Des doutes abstraits ou théoriques, qui sont toujours possibles, ne suffisent certes pas à exclure une condamnation. La présomption d'innocence n'est invoquée avec succès que si le recourant démontre qu'à l'issue d'une appréciation de l'ensemble des preuves, le juge aurait dû éprouver des doutes sérieux et irréductibles sur sa culpabilité (ATF 120 Ia 31 consid. 2 p. 33 ss ; ATF 124 IV 86 consid. 2a p. 87 ss).

1.2. Autre est le principe de la libre appréciation des preuves (art. 10 al. 2 CPP), en application duquel le juge donne aux moyens de preuve produits tout au long de la procédure la valeur qu'il estime devoir leur attacher pour se forger une intime conviction sur la réalité d'un fait (arrêt du Tribunal fédéral 6B_348/2012 du 24 octobre 2012 consid. 1.3). Est déterminante la force de conviction attachée à chaque moyen de preuve et non pas le genre de preuve administrée, sur la base d'une évaluation globale de l'ensemble des preuves rassemblées au dossier. Le juge dispose ainsi d'un large pouvoir dans ce cadre (ATF 120 Ia 31 consid. 4b p. 40). Confronté à des versions contradictoires, il forge sa conviction sur la base d'un ensemble d'éléments ou d'indices convergents. L'appréciation des preuves doit être examinée dans son ensemble et l'état de fait déduit du rapprochement de divers éléments ou indices. Un ou plusieurs arguments corroboratifs peuvent demeurer fragiles si la solution retenue peut être justifiée de façon soutenable par un ou plusieurs arguments de nature à emporter la conviction (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_109/2014 du 25 septembre 2014 consid. 2.1, 6B_398/2013 du 11 juillet 2013 consid. 2.1 et 6B_642/2012 du 22 janvier 2013 consid. 1.1).

Lorsque le prévenu avoue, le ministère public ou le tribunal s'assure de la crédibilité de ses déclarations et l'invite à décrire précisément les circonstances de l'infraction (art. 160 CPP). L'aveu est une preuve ordinaire qui n'a pas de valeur particulière. Il permet la condamnation de l'auteur lorsque le juge est convaincu qu'il est intervenu sans contrainte et paraît vraisemblable. Face à des aveux, suivis de rétractation, le juge doit procéder conformément au principe de la libre appréciation des preuves. Le juge doit en particulier se forger une conviction aussi bien sur les premières déclarations du prévenu, respectivement d'un témoin, que sur les nouvelles, valant rétractation, et apprécier les circonstances dans lesquelles l'intéressé a modifié ses déclarations initiales (arrêts du Tribunal fédéral 6B_65/2016 du 26 avril 2016 consid. 2.2.1, 6B_275/2014 du 5 novembre 2014 consid. 6.2, 6B_157/2011 du 20 septembre 2011 consid. 1.2 et 6B_626/2008 du 11 novembre 2008 consid. 2.1 et les référence citées).

2.1.1. L'homicide est réprimé lorsqu'il résulte d'une intention, mais également d'une négligence. Le meurtre, énoncé à l'art. 111 CP, sanctionne d'une peine privative de liberté de cinq ans au moins le comportement de celui qui aura intentionnellement, subsidiairement par dol éventuel, tué une personne.

2.1.2. L'art. 117 CP punit d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire celui qui, par sa négligence, aura causé la mort d'une personne. Il suppose la réunion de trois conditions : le décès d'une personne, une négligence et un lien de causalité entre la négligence et la mort (ATF 122 IV 145 consid. 3 p. 147).

2.1.3. Selon l'art. 122 CP, celui qui, intentionnellement, aura blessé une personne de façon à mettre sa vie en danger ou celui qui, intentionnellement, aura fait subir à une personne toute autre atteinte grave à l'intégrité corporelle ou à la santé physique ou mentale, sera puni d'une peine privative de liberté de six mois à dix ans.

2.1.4. L'art. 125 al. 1 CP sanctionne d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire, sur plainte, le comportement de celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé. Si la lésion est grave, le délinquant sera poursuivi d'office (al. 2).

2.1.5. Se rend coupable d'exposition au sens de l'art. 127 CP, celui qui, ayant la garde d'une personne hors d'état de se protéger elle-même ou le devoir de veiller sur elle, l'aura exposée à un danger de mort imminent ou à un danger grave et imminent pour la santé, ou l'aura abandonnée en un tel danger.

L'art. 127 CP cède le pas face aux différentes formes d'homicides intentionnels (art. 111ss CP), dès lors qu'une intention homicide peut être démontrée (DUPUIS /GELLER/MONNIER/MOREILLON/PIGUET/BETTEX/STOLL, Code pénal, Petit commentaire, n° 17 ad art. 127 CP). En cas d’atteinte intentionnelle à la vie d’autrui, il est admis que CP 111ss – fussent-ils réalisés même uniquement sous l’angle de la tentative – absorbent CP 127. Le concours est en revanche idéal entre CP 117 et CP 127 dans l’hypothèse d’un homicide par négligence (CR CP II-Stettler, art.127 CP N 25)

2.2.1. Agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté (art. 12 al. 2 CP). L'auteur agit déjà intentionnellement lorsqu'il tient pour possible la réalisation de l'infraction et l'accepte au cas où celle-ci se produirait.

Il y a dol éventuel lorsque l'auteur, qui ne veut pas le résultat dommageable pour lui-même, envisage le résultat de son acte comme possible et l'accepte au cas où il se produirait (ATF 133 IV 9 consid. 4.1 p. 16 in JdT 2007 I 573 ; ATF 131 IV 1 consid. 2.2 ; ATF 130 IV 58 consid. 8.2 p. 60 et 61).

Le dol éventuel est une forme d'intention, qui se distingue de la négligence consciente sur le plan volitif, non pas cognitif. Dans les deux cas, l'auteur est conscient que le résultat illicite pourrait se produire, mais, alors que celui qui agit par négligence consciente escompte qu'il ne se produira pas, celui qui agit par dol éventuel l'accepte pour le cas où il se produirait (ATF 133 IV 9 consid. 4 p. 15 ss in JdT 2007 I 573 ; ATF 125 IV 242 consid. 3c p. 251-252 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1189/2014 du 23 décembre 2015 consid. 5.2 et 6B_109/2009 du 9 avril 2009 consid. 2.2).

Pour déterminer si l'auteur s'est accommodé du résultat au cas où il se produirait, le juge doit se fonder sur les éléments extérieurs, faute d'aveux (arrêt du Tribunal fédéral 6B_519/2007 du 29 janvier 2008 consid. 3.1). Parmi ces éléments figurent l'importance du risque – connu de l'intéressé – que les éléments constitutifs objectifs de l'infraction se réalisent, la gravité de la violation du devoir de prudence, les mobiles, et la manière dont l'acte a été commis. Plus la survenance de la réalisation des éléments constitutifs objectifs de l'infraction est vraisemblable et plus la gravité de la violation du devoir de prudence est importante, plus on s'approche de la conclusion que l'auteur s'est accommodé de la réalisation de ces éléments constitutifs. Ainsi, le juge est fondé à déduire la volonté à partir de la conscience lorsque la survenance du résultat s'est imposée à l'auteur avec une telle vraisemblance qu'agir dans ces circonstances ne peut être interprété raisonnablement que comme une acceptation de ce résultat (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3 p. 4 ; ATF 133 IV 222 consid. 5.3 p. 225-226 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_590/2014 du 12 mars 2015 consid. 2).

Cette interprétation raisonnable doit prendre en compte le degré de probabilité de la survenance du résultat de l'infraction reprochée, tel qu'il apparaît à la lumière des circonstances et de l'expérience de la vie (ATF 133 IV 1 consid. 4.6 p. 7-8). La probabilité doit être d'un degré élevé car le dol éventuel ne peut pas être admis à la légère (ATF 133 IV 9 consid. 4.2.5 p.19 ; arrêts du Tribunal fédéral 6S.127/2007 du 6 juillet 2007 consid. 2.3 et 6B_519/2007 du 29 janvier 2008 consid. 3).

2.2.2. Agit par négligence celui qui fait preuve d'une imprévoyance coupable, en ne se rendant pas compte des conséquences de son acte ou n'en tenant pas compte, et agit sans user des précautions commandées par les circonstances et sa situation personnelle (art. 12 al. 3 CP). Pour qu'il y ait négligence, il faut donc, en premier lieu, que l'auteur ait violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et que, d'autre part, il n'ait pas prêté l'attention ou fait les efforts que l'on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir (ATF 134 IV 255 consid. 4.2.3 p. 262 ; ATF 133 IV 158 consid. 5.1 p. 161 ss ; ATF 122 IV 145 consid. 3 p. 147 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_126/2014 du 13 mai 2014 consid. 1.1).

Un comportement viole le devoir de prudence lorsque l'auteur, au moment des faits, aurait pu, compte tenu de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte de la mise en danger d'autrui et qu'il a simultanément dépassé les limites du risque admissible (ATF 136 IV 76 consid. 2.3.1 p. 79 = SJ 2011 I p. 86 ; ATF 135 IV 56 consid. 2.1 p. 64 s. = JdT 2010 IV 43 ; ATF 134 IV 255 précité ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_126/2014 précité). Peu importe toutefois que l'auteur ait pu ou dû prévoir que les choses se passeraient exactement comme elles ont eu lieu (ATF 122 IV 145 consid. 3 aa p. 147 et 148 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_710/2012 du 20 août 2013 consid. 5.3). L'attention et la diligence requises seront d'autant plus élevées que le degré de spécialisation de l'auteur est important. A l'inverse, si l'auteur entreprend une activité sans posséder les qualités requises et sans le concours d'une personne compétente, il viole son devoir de prudence (M. DUPUIS / B. GELLER / G. MONNIER / L. MOREILLON / C. PIGUET / C. BETTEX / D. STOLL [éds], Code pénal - Petit commentaire, Bâle 2012, no 20 ad art. 117 et les références jurisprudentielles citées).

Pour déterminer plus précisément quels étaient les devoirs imposés par la prudence, on peut se référer à des normes édictées par l'ordre juridique pour assurer la sécurité et éviter des accidents. À défaut de dispositions légales ou réglementaires, on peut se référer à des règles analogues émanant d'associations privées ou semi-publiques lorsqu'elles sont généralement reconnues. La violation des devoirs de la prudence peut aussi être déduite des principes généraux, si aucune règle spéciale de sécurité n'a été violée (ATF 133 IV 158 précité ; ATF 129 IV 119 consid. 2.1 p. 121 ; ATF 127 IV 62 consid. 2d p. 65 ; ATF 126 IV 13 consid. 7a/bb p. 17 ; ATF 122 IV 17 consid. 2b/aa p. 20 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_126/2014 précité).

La condition essentielle pour qu'il y ait une violation du devoir de prudence, et par là responsabilité par négligence, est la prévisibilité et "l'évitabilité" du résultat (ATF 135 IV 56 précité et les références citées). L'imputation du résultat typique suppose la prévisibilité du déroulement des événements et de la survenance du résultat incriminé, question qui se résout à l'aide du concept de la causalité adéquate. Il faut également pouvoir établir que le déroulement des événements était évitable moyennant le respect du devoir de diligence (ATF 135 IV 56 précité).

2.2.3. Pour qu'il y ait homicide par négligence, il faut encore un rapport de causalité entre la violation fautive des devoirs de prudence et le décès. Un comportement est la cause naturelle d'un résultat s'il en constitue l'une des conditions sine qua non, c'est-à-dire si, sans lui, le résultat ne se serait pas produit ; il s'agit là d'une question de fait (ATF 133 IV 158 consid. 6.1 p. 167 ; ATF 125 IV 195 consid. 2b p. 197). Il en est la cause adéquate lorsque, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, il est propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit ; il s'agit d'une question de droit (ATF 133 IV 158 précité ; ATF 131 IV 145 consid. 5.1 p. 147 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_126/2014 du 13 mai 2014 consid. 3.1). La causalité adéquate suppose une prévisibilité objective. Il faut se demander si un tiers observateur neutre, voyant l'auteur agir dans les circonstances où il a agi, pouvait prédire que le comportement considéré aurait très vraisemblablement les conséquences qu'il a effectivement eues, quand bien même il ne pouvait prévoir le déroulement de la chaîne causale dans ses moindres détails. L'acte doit être propre, selon une appréciation objective, à entraîner un tel résultat ou à en favoriser l'avènement, de telle sorte que la raison conduit naturellement à imputer le résultat à la commission de l'acte (ATF 131 IV 145 précité ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_439/2009 du 18 août 2009 consid. 1.5.2).

Il y a rupture du lien de causalité adéquate, l'enchaînement des faits perdant sa portée juridique, si une autre cause concomitante – par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou celui d'un tiers – propre au cas d'espèce constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre. Cependant, cette imprévisibilité de l'acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le lien de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à amener celui-ci, notamment le comportement de l'auteur (ATF 134 IV 255 consid. 4.4.2 p. 255 ss ; ATF 133 IV 158 précité ; ATF 131 IV 145 consid. 5.2 p. 148 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_126/2014 du 13 mai 2014 consid. 3.1).

2.2.4. La violation d'un devoir de prudence est fautive, lorsque l'on peut reprocher à l'auteur, compte tenu de ses circonstances personnelles, de n'avoir pas déployé l'attention et les efforts qu'on pouvait attendre de lui pour se conformer à ce devoir (ATF 134 IV 255 consid. 4.2.3 p. 262 ; ATF 133 IV 158 consid. 5.1 p. 162 ss ; ATF 129 IV 119 précité ; ATF 122 IV 17 consid. 2b p. 19 ; ATF 121 IV 207 consid. 2a p. 211 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_126/2014 du 13 mai 2014 consid. 2.2).

Le principe général de l'ordre juridique qui prescrit à l'auteur d'un acte dangereux (créateur d'un risque) de prévenir activement la survenance du dommage prévisible est l'une des implications du devoir général de diligence qui commande de se comporter de manière à ne pas mettre en danger les biens d'autrui, devoir qui se trouve à la base des règles de la prudence (ATF 134 IV 255 consid. 4.2.3 p. 262-263).

2.2.5. Plusieurs affaires concernant des enfants victimes du syndrome du bébé secoué ont été traitées par la justice. En fonction des circonstances des cas, le comportement de l'auteur a été qualifié d'intentionnel ou de négligent. Les cas de bébés décédés en raison de secousses ont souvent donné lieu à des verdicts d'homicide par négligence et la jurisprudence retenant le meurtre par dol éventuel, dans une telle configuration, est peu abondante.

A titre d'illustration, on relèvera que le Tribunal fédéral a retenu le meurtre par dol éventuel dans une affaire argovienne dans laquelle un homme avait, au cours d'une période délictueuse d'environ quatre mois et demi, infligé à l'enfant de sa partenaire, âgé de près de 2 ans et demi, de nombreuses blessures, diverses et parfois importantes, que l'instance précédente avait qualifiées de lésions corporelles simples et intentionnelles au sens de l'art. 123 ch. 1 et ch. 2 al. 3 CP. La gravité progressive des maltraitances physiques récurrentes sur le corps de l'enfant avait finalement conduit à la lésion corporelle létale causée par des secousses massives, de sorte que l'intéressé n'avait pas seulement envisagé l'éventualité de blessures graves pour l'enfant, mais s'était visiblement accommodé de celles-ci en continuant à imposer sa volonté à l'enfant par la force et avec les conséquences qu'il connaissait en termes de blessures. Ce comportement absolument risqué pour un enfant en bas âge ne pouvait plus être qualifié de (simple) négligence, il s'agissait de dol éventuel (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1059/2019 du 10 novembre 2020, consid. 4.4).

Le Tribunal fédéral a également retenu le meurtre par dol éventuel, dans une affaire zurichoise relative à une fillette de 4 mois et demi qui était décédée des suites d'un traumatisme dû aux secousses. Il a considéré que les parents du nourrisson avaient à tout le moins accepté la mort de celui-ci, étant relevé que le père avait déjà, par le passé, gravement maltraité le bébé à plusieurs reprises et d'autres manières, tandis que la mère avait accepté les faits sans réagir, jusqu'à la mort de l'enfant (arrêt du Tribunal fédéral 6B_238/2009 du 8 mars 2010).

Une tentative de meurtre (art. 22 et 111 CP) a été retenue dans une affaire vaudoise où un père – ayant eu quatre enfants, ayant déjà causé de la même manière la mort de deux de ses enfants et ayant été condamné à 15 ans de prison pour cette raison – s'en était pris à son enfant, âgé d'un mois, et l'avait secoué en raison de sa difficulté à supporter ses pleurs. Il l'avait grièvement blessé, le nourrisson ayant dû subir une craniotomie et ayant ainsi terriblement souffert (PE16.018524-MAO du 19 avril 2018).

A l'inverse, la qualification d'homicide par négligence a été retenue à l'endroit de plusieurs pères ayant secoué leur enfant qui ont succombé à leurs lésions, référence étant faite aux cas cités dans l'arrêt AARP/301/2016 rendu le 19 juillet 2016 par la Chambre pénale d'appel et de révision (cas LORETAN jugé en 2003 [http://www.swissinfo.ch/fre/prison-avec-sursis-pour-erhard-loretan/3159050, consulté le 4 juillet 2016], arrêt 6S.370/2006 du 26 septembre 2006), mais également à une affaire jugée l'an dernier par le Tribunal fédéral.

En effet, dans son arrêt 6B_432/2021 du 21 février 2022, le Tribunal fédéral n'a pas désavoué la Cour pénale vaudoise qui avait condamné un père du chef d'exposition (par dol éventuel) et d'homicide par négligence. L'intéressé, qui connaissait les risques liés au secouement d'un enfant, avait violemment secoué son bébé à la santé fragile, mais ne s'était pas accommodé de la mort de son enfant, ayant appelé les secours lors de l'apparition des symptômes et pratiqué un massage cardiaque sur l'enfant, éléments permettant d'exclure l'acceptation de la mort, mais non celle de graves lésions.

Dans le cadre d'une affaire genevoise impliquant une nounou accusée d'avoir causé la mort, par secouement, d'un bébé de sept mois confié à sa garde qui pleurait de manière incessante, le Tribunal correctionnel avait prononcé un verdict de meurtre par dol éventuel et prononcé une peine privative de liberté de six ans. En appel, la Chambre pénale d'appel et de révision avait déclaré la nounou coupable d'homicide par négligence ainsi que d'exposition et l'avait condamnée à une peine privative de liberté de trois ans, assortie du sursis partiel, la partie ferme de la peine étant arrêtée à un an. La Chambre pénale d'appel et de révision avait notamment retenu que la nounou ignorait l'existence du syndrome du bébé secoué, qu'elle n'avait pas correctement évalué la probabilité d'une issue fatale, la sous-estimant grandement, et que même si elle avait envisagé une issue mortelle, elle l'avait considérée comme minime, voire inexistante, et avait ainsi escompté que le résultat ne se produirait pas (arrêt AARP/301/2016 du 19 juillet 2016, consid. 3.5.3). Dans son arrêt 6B_974/2016 du 19 juillet 2017, le Tribunal fédéral avait rejeté le recours formé contre la décision cantonale.

2.3. En l'espèce, au stade de l'établissement des faits, le Tribunal tient pour avéré que la prévenue disposait d'un solide bagage dans le domaine de la petite enfance, puisqu'outre les connaissances théoriques acquises dans le cadre de sa formation ayant abouti à la délivrance d'un CAP, elle pouvait compter sur une expérience professionnelle s'étant déployée sur de nombreuses années, dans diverses structures et à l'égard d'enfants d'âges différents. Grâce à son statut de mère de deux jeunes enfants, ses compétences et son savoir-faire s'en trouvaient encore renforcés.

Les contours de la personnalité de la prévenue se dessinent à travers les témoignages favorables de ses proches et connaissances ainsi que des personnes l'ayant côtoyée dans un contexte professionnel. Il n'existe aucun signe concret que, pendant la période où elle officiait en qualité de nounou de E______, elle aurait été confrontée à des difficultés personnelles, familiales, financières ou encore de santé. Aucun protagoniste ou témoin ne l'a affirmé et l'intéressée elle-même le conteste.

Par ailleurs, rien ne permet de considérer qu'elle aurait, par le passé, adopté un comportement violent à l'égard de quelqu'un, en particulier un enfant, étant observé qu'elle n'a pas d'antécédents judiciaires.

S'agissant de ses rapports avec la famille de E______, on rappellera que B______ et A______ ont indiqué à la procédure qu'elle leur avait fait bonne impression, qu'ils avaient eu un bon feeling avec elle et qu'ils avaient confiance en elle. La forme et la teneur des messages échangés entre eux et la prévenue dès sa prise de fonction sont révélateurs de l'excellente relation qu'ils avaient nouée pour gérer la garde de E______. La prévenue a écarté l'hypothèse d'un contentieux qui les aurait opposés et le dossier ne vient pas soutenir le contraire.

Tout laisse à penser que la prévenue prodiguait à E______ tout ce dont un bébé de son âge avait besoin, en termes d'alimentation, de sommeil, de promenades et d'activités de développement. A cet égard, à teneur du dossier, il n'apparaît pas que les parents de E______ auraient émis des reproches envers la prévenue durant la période d'activité de celle-ci.

Pour B______, la prévenue se montrait en général plutôt contente des journées passées avec E______ et tout se passait bien, ce qui a été confirmé par l'intéressée qui a évoqué le fait que les journées avec E______ étaient très agréables, précisant qu'elle avait beaucoup de plaisir à se rendre au domicile des plaignants et s'occuper de leur fils. Le cahier de liaison, qui pour l'essentiel a été alimenté par la prévenue, témoigne du fait qu'elle semblait s'investir dans sa tâche et l'apprécier.

S'agissant de la personnalité de E______ et de son comportement, il n'y a pas de raison de mettre en doute le portrait qui a été fait de lui par son entourage familial, pour qui il était un bébé qui, certes, dormait mal la nuit, mais qui pour le surplus était calme, adorable, très souriant, joyeux, curieux et avide de sorties ainsi que de découvertes. La prévenue elle-même a décrit E______ comme étant très agréable, très gai et très volontaire, bien évolué et avec un petit caractère. Il était aussi fatigué par moment, mais n'était pas pénible.

Pour ce qui est de la question des pleurs de E______, il apparaît, selon son grand-père paternel, qu'il pouvait pleurer lorsqu'on essayait de le mettre dans son lit et que quand il était réveillé, il pleurait seulement un peu s'il avait faim. Sa grand-mère paternelle a noté qu'il se réveillait souvent en hurlant, ce qui a en substance été confirmé par ses grands-parents maternels. La prévenue a, quant à elle, indiqué qu'il ne pleurait pas forcément beaucoup avec elle et qu'il pleurait en général lors de départ de son père, pleurs qui s'arrêtaient lorsqu'il ne le voyait plus. A l'audience de jugement, elle a déclaré qu'il ne pleurait pas la journée. Il pouvait toutefois lui arriver de pleurer quand il était vraiment très fatigué et qu'il cherchait le sommeil, mais il cessait une fois qu'elle le prenait dans les bras.

De ce qui précède, on peut retenir que E______ n'était pas un enfant pouvant être qualifié de difficile, qui était sujet à de fréquentes crises de larmes ou de nerfs et dont on ne savait pas comment faire façon.

Pour se faire une juste représentation de l'état de santé de E______ dans les mois ayant précédé son décès, le Tribunal s'est en premier lieu attaché aux notes de consultation et aux déclarations de la Doctoresse M______, la pédiatre qui le suivait depuis sa naissance, dont il ressort en substance que E______ était en bonne santé, qu'il éprouvait des difficultés de sommeil, qu'il présentait une bonne évolution et que dès la mi-mars 2018, il avait connu une phase négative, marquée par une apathie, des vomissements, un manque d'énergie, ce qui avait été mis sur le compte d'une infection probablement virale qui, le 22 mars 2018, était en voie d'amélioration et qui était guérie le 26 mars 2018, avec une reprise de poids constatée le 6 avril 2018.

Les indications fournies par B______ et A______ renseignent aussi sur le fait que leur fils était en bonne santé, sous réserve de troubles du sommeil, de fièvre et de vomissements ponctuels, sans compter son état fragilisé courant mars 2018. Ce tableau est aussi corroboré par ce que les médecins-légistes ont fait figurer dans leurs rapports.

2.4. Le cadre général étant posé, il s'agit désormais d'appréhender les faits reprochés à la prévenue.

2.4.1. A titre liminaire, il est observé que l'épisode du 21 décembre 2017, lors duquel E______ a subi des lésions au visage, a été abordé au cours de l'instruction et discuté par les médecins-légistes, mais qu'il n'est pas visé par l'acte d'accusation, pas même en tant que circonstance contextuelle. Dans ces conditions, le Tribunal ne peut que s'étonner que le Ministère public s'autorise à en tirer des conclusions. Il n'en ira pas de même du Tribunal qui n'examinera pas un épisode qui ne lui est pas soumis.

2.4.2. En relation avec la violente manœuvre de secouement qu'il est reproché à la prévenue d'avoir infligée à E______ entre le mois de janvier 2018 et le 12 avril 2018, geste qui de l'avis du Ministère public, a occasionné un hématome sous-dural bilatéral dont les traces ont été mises en évidence à l'autopsie (chiffre 1.2.2 de l'acte d'accusation), il apparaît que la période pénale à considérer devrait plus justement s'achever le 11 avril 2018, puisque les faits du 12 avril 2018 sont visés par un autre volet de l'acte d'accusation (chiffre 1.1.2 en particulier).

La découverte sur E______ de lésions traumatiques à caractère plus ancien sous forme de traces d'un ancien hématome sous-dural bilatéral n'est pas un point anodin et il était légitime de chercher à en savoir davantage. Le Tribunal n'a pas de motifs de mettre en doute l'appréciation des médecins-légistes et des experts dont il faut retenir que :

-     la cause de ces lésions ne peut pas être déterminée avec certitude, dans la mesure où il pourrait s'agir :

o   du traumatisme décrit en janvier 2018, soit la chute dans les escaliers avancée par X______ (B-201);

o   d'un autre épisode de secouement (C-287);

o   de phénomènes de compression statique dans le contexte d'un accouchement, par ventouse/forceps ou par césarienne (C-287), étant à cet égard rappelé que B______ a expliqué lors des débats qu'en fin d'accouchement, les médecins avaient un tout petit peu facilité les choses en faisant usage d'une ventouse (PV jugement, p. 29);

o   ou d'un traumatisme à haute énergie (C-287);

o   sans compter que l'ancien saignement à l'œil pouvait avoir pour cause un traumatisme à l'œil (C-310);

-     à cela s'ajoute que, sur un plan temporel, il n'a pas été possible de rattacher ces lésions à une date ou à une période précise :

o   dans le rapport d'autopsie, il est en effet indiqué que ces lésions pouvaient aussi être intervenues avant le traumatisme de janvier 2018 ou ultérieurement (B-201);

o   dans le rapport d'expertise, la datation est un peu plus précise, puisque les experts ont estimé que les traces de saignements préexistants devaient être considérées comme remontant au moins à plus d'un mois avant le décès, tandis que l'épisode de saignement ancien autour de la gaine du nerf optique remontait à au moins plus de 5 jours auparavant (C-282/283);

o   entendus en audience, les experts ont confirmé leur position (C-310), étant précisé qu'en lien avec l'hypothèse de l'accouchement difficile, un expert a considéré qu'on ne pouvait pas exclure que 10 mois après la naissance, on ne retrouve aucune trace d'anciens saignements à l'autopsie, tandis qu'une autre experte a estimé qu'après l'âge de 2 mois, il n'y avait plus de traces d'hémorragies sous-durales (PV jugement, p. 27).

S'agissant de l'état de santé dégradé de E______ en mars 2018, il est établi que les symptômes constatés ne correspondent pas exclusivement à un tableau évocateur de maltraitance et que le contexte infectieux présenté était aussi une explication possible. La possibilité entrevue par les experts selon laquelle E______ aurait déjà souffert d'un syndrome du bébé secoué en mars 2018 n'est qu'une hypothèse dont la probabilité n'a pas pu être évaluée.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le Tribunal retient que rien n'indique que E______ a effectivement subi des secousses entre janvier 2018 et le 11 avril 2018. Il ne peut pas non plus être établi, au-delà de tout doute raisonnable, que la prévenue lui aurait infligé de telles secousses et que ces secousses auraient causé les lésions traumatiques à caractère plus ancien découvertes à l'autopsie.

La prévenue sera ainsi acquittée de lésions corporelles graves (art. 122 CP) et de lésions corporelles graves par négligence (art. 125 al. 2 CP).

2.4.3. Il s'agit maintenant d'aborder la violente manœuvre de secouement et le fait d'avoir cogné E______ contre un objet contondant, gestes que le Ministère public reproche à la prévenue d'avoir commis le 9 janvier 2018 et qui, selon l'accusation, ont occasionné à E______ une ecchymose sur le bout du nez, un hématome à l'œil gauche et un hématome sous-dural bilatéral (chiffre 1.2.3 de l'acte d'accusation en particulier).

Sur la base des déclarations des parents de E______, de ses grands-parents paternels et de la prévenue, le Tribunal tient pour établi qu'un événement traumatique est survenu le jour en question alors que la prévenue avait E______ sous sa garde. En raison de cet événement traumatique, l'enfant a en tout cas subi des lésions au niveau de son nez et de son œil gauche, lesquelles sont visibles sur les photographies versées à la procédure.

La réaction de la prévenue à cet épisode a consisté à emmener E______ chez AC______ et AD______, qui habitaient dans la maison d'à côté. Il ressort en substance de leur témoignage que E______ pleurait et présentait un cocard visible à l'œil gauche, tandis que la prévenue était aussi en pleurs, assez choquée, avait dû être réconfortée et avait fini par se ressaisir.

Dans son acte d'accusation, le Ministère public a retenu la thèse d'un secouement et d'un cognement, tandis que la prévenue a toujours allégué la survenance d'une chute dans les escaliers, contestant de manière permanente le fait d'avoir secoué E______ ce jour-là.

Force est d'admettre que personne d'autre que la prévenue ne peut savoir ce qu'il s'est passé au domicile de la famille L______ le 9 janvier 2018, puisqu'elle était seule avec E______. De ses hésitations et explications pas toujours identiques fournies tout au long de la procédure, on peut en déduire qu'elle n'a pas une vision claire de la manière dont E______ a été blessé. Pour autant, cela ne saurait encore signifier que ce qu'elle avance est mensonger ou improbable.

C'est le lieu de rappeler que si les experts ont, dans un premier temps, considéré, au vu de la dynamique lésionnelle évoquée, que le bilan lésionnel présenté par E______ semblait très difficilement compatible avec les allégations de la prévenue (C-277) ou encore que cela était peu probable, mais que cela ne pouvait pas être formellement exclu (C-311), ils ont ensuite nuancé leur position, en tenant compte d'une explication fournie lors de l'audience du 9 mars 2021 qui leur a alors semblée possible (C-318). A l'audience de jugement, il a été dit qu'un impact sur une surface irrégulière pouvait expliquer de telles lésions, que la blessure était compatible si la chute avait eu lieu sur le coin d'une marche ou encore que le mécanisme décrit, soit le bébé qui tombe avec l'intéressée qui le protège dans sa chute, pouvait expliquer la lésion et à l'œil, mais pas les anciens saignements (PV jugement, p. 24).

En définitive, s'agissant des blessures subies par E______ au nez et à l'œil, le Tribunal retiendra qu'il s'agit de lésions corporelles simples, que leur origine précise n'est pas déterminée et que rien ne permet d'être convaincu que la prévenue les aurait infligées à E______ de manière volontaire en le cognant contre un objet contondant, dont on ne sait même pas à quoi il pourrait correspondre, puisque le Ministère public ne le précise pas.

Un examen sous l'angle des lésions corporelles simples par négligence au sens de l'art. 125 al. 1 CP n'entre pas en ligne de compte, vu la teneur de l'acte d'accusation et l'absence de plainte déposée dans le délai légal.

Pour ce qui est de l'hématome sous-dural bilatéral que l'accusation attribue à un secouement effectué le 9 janvier 2018, force est de constater qu'il n'existe pas d'éléments suffisants pour retenir que la prévenue aurait adopté à l'encontre de E______ un tel comportement, référence étant pour le surplus faite à l'argumentation développée en lien avec le précédent chef d'accusation, s'agissant en particulier de la datation de cet hématome.

Il est aussi à relever que le fait pour la prévenue d'avoir secoué E______ le 12 avril 2018 - on y reviendra - ne permet pas de considérer sans autre qu'elle aurait déjà agi de la sorte antérieurement.

Au vu de ce qui précède, en relation avec les faits du 9 janvier 2018, la prévenue sera acquittée de lésions corporelles graves (art. 122 CP), de lésions corporelles graves par négligence (art. 125 al. 2 CP) et d'exposition (art. 127 CP).

2.4.4. E______ est décédé le 15 avril 2018 à 16h52 aux HUG, où il était hospitalisé depuis le 12 avril 2018.

A teneur du rapport d'autopsie, le décès de E______ a été rapporté à un traumatisme crânio-cérébral non accidentel par secouement, en d'autres termes à un syndrome du bébé secoué. Les experts ont précisé E______ avait présenté le tableau clinique typique de la forme aiguë du syndrome du bébé secoué. En relation avec cette conclusion, diverses lésions ont été mises en évidence, à savoir un hématome sous-dural aigu, une rupture avec thrombose des veines pont, des discrètes lésions axonales aigues, une encéphalopathie post-anoxique aigue sévère, avec œdème cérébral, des suffusions hémorragiques aigues des tissus mous, des infiltrations hémorragiques à l'origine de nerfs optiques et des hémorragies rétiniennes.

Les experts ont aussi noté que les lésions provoquées par le secouement violent de l'enfant avaient causé la perte de connaissance, puis le décès de E______. L'enchaînement causal précité est établi et n'est pas remis en cause par la prévenue, qui a admis à plusieurs reprises avoir secoué E______ et être à l'origine de son décès, en se référant parfois à l'avis des experts, comme à l'audience de jugement.

Si les conséquences des secousses sont claires, ce qui l'est nettement moins, c'est ce qui les a motivées. Il importe en tous les cas de revenir sur le déroulement des faits ayant précédé la tournure tragique des événements.

La nuit du mercredi 11 au jeudi 12 avril 2018 a été décrite par B______ comme très compliquée, puisque E______ toussait beaucoup et avait le plus souvent dormi dans le lit conjugal suite à plusieurs réveils en début de nuit. A______ a pour sa part évoqué une nuit un peu meilleure, mais néanmoins émaillée de plusieurs réveils de E______, qui n'avait pas de fièvre.

Au matin du 12 avril 2018, E______ présentait un bon état général, selon son papa. Quant à elle, la prévenue a expliqué avoir été informée par B______ de ce que le bébé avait le nez très bouché et qu'il toussait, mais qu'il n'était plus fiévreux, ce qui résulte d'ailleurs du message envoyé le 11 avril 2018 à 22h27 par B______ à la prévenue, sur le groupe WhatsApp partagé.

Vers 07h30, au départ de sa maman, E______ avait beaucoup pleuré, mais avait pu être calmé. A l'arrivée de la prévenue, vers 08h30, il s'était mis à pleurer, comme d'habitude, ce qui a été confirmé par la prévenue, qui a précisé, lors des débats, que ce matin-là, il pleurait beaucoup et davantage que les autres matins. Les pleurs liés au départ de A______ n'avaient pas duré.

La suite du récit de la matinée ne repose que sur les déclarations de la prévenue, puisqu'elle était seule avec E______. A l'en croire, elle avait procédé avec l'enfant à la lecture d'un petit livre pour gérer la transition, puis à une activité consistant à jouer avec un mélange d'eau et de Maïzena. Il est établi qu'à 10h33, elle avait informé les parents de E______, sur le groupe WhatsApp partagé, qu'après la "patouille eau/Maïzena" et un bon biberon, ils sortaient prendre le soleil.

D'après la prévenue, E______ avait pris son biberon vers 10h00, puis avait commencé à vomir vers 10h40, ce qui l'avait conduite à nettoyer le sol et à décider de laver E______, dans une salle de bain située à l'étage. Le déshabillage avait été une étape sans particularité et la rapide douche avait été l'occasion pour E______ de jouer avec l'eau, tandis qu'elle rinçait son body souillé. Elle l'avait ensuite enveloppé dans une serviette pour le sécher, puis l'avait tenu, nu, dans ses bras, devant le miroir dans lequel ils se regardaient tous les deux. Cet instant devait précéder une nette dégradation de la situation.

A partir de là, il est manifeste que la prévenue a, au gré de l'avancement de la procédure, livré des versions différentes de l'enchaînement des faits et des symptômes présentés par E______, pour finir par décrire une scène compatible avec le positionnement des experts.

On rappellera que dans leur rapport d'expertise et dans leurs explications complémentaires, ceux-ci ont toujours été clairs sur les symptômes qui étaient nécessairement survenus immédiatement après les secousses, sans intervalle libre, dans le cadre du syndrome du bébé secoué.

La prévenue n'admet pas le fait d'avoir changé de version et d'avoir adapté ses déclarations pour correspondre à l'avis des experts, faisant notamment valoir que l'ordre n'avait pas d'importance. A cet égard, il faut admettre qu'elle a parfois émis des réserves en relation avec la chronologie des événements, ce qui était déjà le cas lors de sa première audition du 7 mai 2018.

Pour le Tribunal, la divergence des versions livrées peut s'expliquer par le fait que la prévenue a cherché à cacher la réalité de ce qu'il s'est passé, par le fait qu'elle a eu peur d'assumer les conséquences de son geste de secouement ou encore parce que le caractère dramatique de ce qu'il s'est passé le 12 avril 2018 a affecté la précision de ses souvenirs.

Il ressort en substance des éléments fournis par la prévenue en fin d'instruction et des explications livrées lors des débats, que le regard de E______ se serait modifié, que ses membres auraient commencé à devenir lourds, que sa tête se serait relâchée, qu'il serait devenu très pâle, que ses yeux se seraient fermés, qu'il n'aurait plus eu de réaction et qu'elle aurait eu l'impression qu'il ne respirait plus. Elle avait alors hurlé, puis saisi E______ et l'avait secoué, peut-être à cinq reprises, faisant bouger sa tête d'avant en arrière, en l'implorant de respirer, ce qui n'avait toutefois pas engendré de réaction de la part de l'enfant. Les symptômes typiques du syndrome du bébé secoué étaient alors survenus.

Si le Tribunal a utilisé le conditionnel pour évoquer la phase antérieure aux secousses, c'est parce qu'il faut bien admettre qu'il n'existe aucune certitude quant au fait que le malaise décrit par la prévenue a effectivement eu lieu.

La survenance d'un malaise chez E______ est une possibilité, ainsi que le retiennent finalement les experts. Si initialement ils avaient considéré comme fortement improbable, la possibilité d'un malaise spontané d'une autre origine, suivi de secousses, ils ont ensuite évolué dans leur appréciation, en tenant compte des dernières déclarations de la prévenue, estimant désormais qu'il était tout à fait possible qu'un enfant fasse un malaise du type de celui décrit, soit avec une perte de connaissance, une perte de tonus musculaire, et ceci avant les secousses. Ainsi que cela a été précisé lors des débats, un tel malaise bénin peut arriver à un enfant de cet âge, même si cela n'est pas fréquent, et il concerne des enfants parfaitement sains.

Si malaise il y a eu, alors il est possible d'entendre les explications de la prévenue quant au fait que sa manœuvre de secouement était un geste effectué dans un état de panique et destiné à réanimer E______, sans volonté de le violenter, étant toutefois rappelé que de telles secousses correspondent toujours à une grande violence qui n'est pas comparable à des gestes du quotidien et qu'elles ne constituent en aucun cas une méthode admise de réanimation.

L'hypothèse de la survenance d'un malaise est la thèse soutenue par le Ministère public dans son acte d'accusation, mais il faut noter que dans son réquisitoire, la représentante du Ministère public a pris ses distances avec celle-ci, en affirmant qu'un malaise n'avait jamais eu lieu. Le Tribunal s'étonne de ce procédé consistant à plaider une thèse contraire à l'acte d'accusation.

Si le malaise allégué n'a pas eu lieu, cela signifie que les secousses ont été suscitées par une autre configuration. On pense alors évidemment à celle où E______ aurait eu un comportement qui aurait excédé la prévenue et où elle l'aurait secoué pour qu'il cesse. Cette hypothèse ne peut pas être exclue, étant rappelé qu'il s'agit du cas typique du syndrome du bébé secoué. Le fait que E______ n'était de toute évidence pas un enfant difficile et que selon la prévenue, il n'était pas pour elle une source d'agacement n'est clairement pas suffisant pour écarter définitivement l'option d'une perte de contrôle, dans un contexte d'état de détresse, de frustration ou de fatigue.

En définitive, le Tribunal retient que c'est bien les puissantes secousses infligées à E______ par la prévenue qui ont causé les lésions mortelles, mais qu'il n'y a aucune certitude quant aux motifs à l'origine desdites secousses.

Le comportement adopté par la prévenue après son geste démontre qu'elle s'est préoccupée du sort de E______ et qu'elle a cherché une aide extérieure pour qu'il soit secouru. Elle a appelé ses parents, a essayé de sécuriser sa position, puis elle a appelé les secours et suivi les instructions pour procéder à une réanimation durant de longues minutes. Il ressort clairement de l'enregistrement de la conversation avec une collaboratrice du 144 qu'elle a absolument voulu sauver E______, lequel n'est d'ailleurs pas décédé sur place.

Ainsi que cela a été évoqué antérieurement, la jurisprudence relative aux cas d'enfants décédés du syndrome du bébé secoué n'est pas uniforme, puisqu'on trouve des affaires où la qualification juridique retenue a été celle d'un meurtre par dol éventuel et d'autres où il a été considéré que c'est un homicide par négligence qui avait été réalisé.

En l'espèce, il découle des propres déclarations de la prévenue qu'elle avait connaissance du syndrome du bébé secoué et qu'elle savait qu'il ne faut jamais secouer un bébé. Elle savait en outre que la tête d'un bébé est une zone particulièrement fragile et qu'elle doit être maintenue. Ces dernières notions lui étaient forcément familières puisqu'elle était non seulement une professionnelle de la petite enfance, mais aussi la mère de deux enfants - dont le plus jeune était né en 2015, soit relativement peu de temps avant les faits - et une baby-sitter occasionnelle en faveur des bébés de son entourage.

Les risques de causer des lésions graves, voire mortelles, en cas de secouement lui étaient connus, ce qu'elle a admis. Par ailleurs, en agissant comme elle l'a fait, la prévenue a violé son devoir de diligence lié à sa mission d'assurer le bien-être du bébé et de le protéger.

E______ a souffert de la forme aiguë du syndrome du bébé secoué, il est ainsi manifeste que les secousses que la prévenue lui a infligées étaient violentes, ainsi que les experts l'ont retenu. S'agissant du nombre de secousses, il n'est pas possible d'avoir une certitude à ce sujet, mais dès lors qu'elle a évoqué le chiffre de 5 à la police et encore lors des débats, avant de dire qu'elle ne se souvenait pas du nombre de fois, il apparaît vraisemblable que la manœuvre de secouement ait été effectuée dans cette mesure.

Sur la base des gestes qu'elle a reproduits dans le cadre de la reconstitution, le Tribunal a acquis la conviction que les secousses sont intervenues dans une dynamique très rapide, en quelque sorte "en rafale". En conséquence, ce court laps de temps n'est pas compatible avec le fait d'avoir envisagé la possibilité de causer des lésions mortelles à E______. Il n'est pas non plus acquis qu'elle s'est accommodée d'une issue fatale pour le cas où celle-ci surviendrait, même si elle ne la souhaitait pas, étant rappelé qu'elle a déployé tous les efforts possibles pour secourir E______.

Au vu de ce qui précède, en l'absence d'intention homicide, même par dol éventuel, un verdict de culpabilité du chef de meurtre par dol éventuel n'est pas envisageable. La prévenue sera en revanche reconnue coupable d'homicide par négligence au sens de l'art. 117 CP.

2.4.5. En relation avec l'infraction d'exposition, le Tribunal retient qu'il est manifeste que la prévenue revêtait une position de garante envers E______, âgé de quelques mois et incapable de se protéger lui-même, sur la base du contrat qu'elle avait conclu avec les parents de ce dernier.

Par son geste de secouement, elle a exposé l'enfant à un danger grave et imminent pour sa santé, respectivement à un danger de mort, éléments manifestement avérés vu l'issue fatale. L'élément subjectif est réalisé, à tout le moins, par dol éventuel, s'agissant du danger de mort. En effet, en sa qualité de professionnelle diplômée et expérimentée, la prévenue ne pouvait ignorer que l'acte consistant à secouer un bébé était propre à mettre sa vie en danger, sans qu'il n'y ait toutefois la moindre acceptation du résultat.

Partant, un verdict de culpabilité du chef d'exposition (art. 127 CP) sera également prononcé.

Peine

3.1.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution. Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur. A ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même, à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 134 IV 17 consid. 2.1; 129 IV 6 consid. 6.1).

3.1.2. Si en raison d'un ou plusieurs actes, l'auteur remplit les conditions de plusieurs peines du même genre, le juge le condamne à la peine de l'infraction la plus grave et l'augmente dans une juste proportion. Il ne peut toutefois pas excéder de plus de la moitié le maximum de la peine prévue pour cette infraction. Il est en outre lié par le maximum légal de chaque genre de peine (art. 49 al. 1 CP).

Lorsqu'il s'avère que les peines envisagées concrètement sont de même genre, l'art. 49 al. 1 CP impose au juge, dans un premier temps, de fixer la peine pour l'infraction abstraitement - d'après le cadre légal fixé pour chaque infraction à sanctionner - la plus grave, en tenant compte de tous les éléments pertinents, parmi lesquels les circonstances aggravantes ou atténuantes. Dans un second temps, il augmentera cette peine pour sanctionner chacune des autres infractions, en tenant là aussi compte de toutes les circonstances y relatives (ATF 144 IV 317 consid. 1.1.2).

3.1.3. Aux termes de l'art. 40 CP, la durée minimale de la peine privative de liberté est de trois jours. Elle peut être plus courte si la peine privative de liberté est prononcée par conversion d'une peine pécuniaire (art. 36) ou d'une amende (art. 106) non payées (al. 1). La durée de la peine privative de liberté est de 20 ans au plus. Lorsque la loi le prévoit expressément, la peine privative de liberté est prononcée à vie (al. 2).

3.1.4. Selon l'art. 43 CP, le juge peut suspendre partiellement l'exécution d'une peine privative de liberté d'un an au moins et de trois ans au plus afin de tenir compte de façon appropriée de la faute de l'auteur (al. 1). La partie à exécuter ne peut excéder la moitié de la peine (al. 2). Tant la partie suspendue que la partie à exécuter doivent être de six mois au moins. Les règles d'octroi de la libération conditionnelle (art. 86) ne s'appliquent pas à la partie à exécuter (al. 3).

3.1.5. Les conditions subjectives de l'art. 42 CP sont également valables pour l'application de l'art. 43 CP (ATF 134 IV I consid. 5.3.1).

Pour fixer la partie ferme et avec sursis de la peine, le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation. A titre de critère de cette appréciation, il y a lieu de tenir compte de façon appropriée de la faute de l'auteur. Le rapport entre ces deux parties de la peine doit être fixé de telle manière que, d'une part, la probabilité d'un comportement futur de l'auteur conforme à la loi mais aussi sa culpabilité soient équitablement prises en compte. Ainsi, plus le pronostic est favorable et moins l'acte apparaît blâmable, plus la partie de la peine assortie du sursis doit être importante (arrêt du Tribunal fédéral 6B_604/2008 du 26 décembre 2008 consid. 2.1).

Sur le plan subjectif, le juge doit poser, pour l'octroi du sursis, un pronostic quant au comportement futur de l'auteur (ATF 134 IV 5 consid. 4.2.1; 128 IV 193 consid. 3a; 118 IV 97 consid. 2b). Auparavant, il fallait que le pronostic soit favorable. Le sursis est désormais la règle dont on ne peut s'écarter qu'en présence d'un pronostic défavorable. Il prime en cas d'incertitude (ATF 134 IV 5 consid. 4.4.2).

3.1.6. Les art. 5 CPP et 29 al. 1 Cst. garantissent notamment à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable. Ces dispositions consacrent le principe de la célérité et prohibent le retard injustifié à statuer. L'autorité viole cette garantie lorsqu'elle ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans le délai que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable (ATF 143 IV 373 consid. 1.3.1 p. 377 ; cf. ATF 130 I 312 consid. 5.1 p. 331 s.). Comme on ne peut pas exiger de l'autorité pénale qu'elle s'occupe constamment d'une seule et unique affaire, il est inévitable qu'une procédure comporte quelques temps morts. Lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut; des périodes d'activités intenses peuvent donc compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. Le principe de la célérité peut être violé, même si les autorités pénales n'ont commis aucune faute; elles ne sauraient exciper des insuffisances de l'organisation judiciaire (ATF 130 IV 54 consid. 3.3.3 p. 56 s.).

La violation du principe de la célérité peut avoir pour conséquence la diminution de la peine, parfois l'exemption de toute peine ou encore une ordonnance de classement en tant qu'ultima ratio dans les cas les plus extrêmes (ATF 143 IV 373 consid. 1.4.1 p. 377 s. ; 135 IV 12 consid 3.6 p. 26). La violation du principe de célérité peut être réparée - au moins partiellement - par la constatation de cette violation et la mise à la charge de l'Etat des frais de justice (ATF 137 IV 118 consid. 2.2 in fine p. 121 s. et les références citées ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_556/2017 du 15 mars 2018 consid. 2.6 ; 6B_380/2016 du 16 novembre 2016 consid. 8).

Il incombe au juge d'indiquer comment et dans quelle mesure il a tenu compte de cette circonstance (ATF 117 IV 124 consid. 3 et 4 p. 126 ss ; arrêts 6B_556/2017 du 15 mars 2018 consid. 3.1 ; 6B_790/2017 du 18 décembre 2017 consid. 2.3.2).

3.2. En l'espèce, la faute de la prévenue est très lourde. A l'occasion d'un événement unique, elle a porté atteinte au bien juridique le plus précieux, soit la vie d'un bébé qui lui avait été confié.

Grâce à son parcours de vie professionnel et personnel, elle disposait de tous les outils nécessaires pour accomplir adéquatement sa mission auprès de E______, petit être vulnérable dont elle devait prendre soin, conformément aux attentes de ses parents, qui lui vouait une totale confiance.

Quel que soit le motif l'ayant conduite à secouer E______, on ne peut que rester pétrifiés face à la violence qu'elle a déployée, de manière absolument injustifiée.

Confrontée à un éventuel malaise, elle aurait pu décider d'appeler immédiatement les secours et suivre les recommandations de son interlocuteur avisé. Dans l'hypothèse d'une situation de crise et de perte de sang-froid, elle aurait pu déposer E______ dans son lit et prendre un peu de recul.

Rien dans sa situation n'explique ses agissements.

Elle a fait preuve d'une collaboration qui doit être qualifiée de moyenne, dans la mesure où elle a immédiatement reconnu l'acte de secousses, mais a ensuite largement varié dans ses déclarations, rendant ainsi plus ardue la compréhension du déroulement des faits.

Sa prise de conscience n'est pas intervenue dans la foulée de la mort de E______, étant rappelé qu'elle a adopté une posture incompréhensible de personne qui n'a rien à se reprocher, maintenant des contacts avec les parents et se rendant à l'hôpital, à la cérémonie religieuse et au cimetière. La poursuite d'une activité professionnelle au contact d'enfants, même plus âgés, laisse songeur. Lors des débats, elle a exprimé des regrets qui semblent authentiques, mais il apparaît qu'elle est aussi affectée par les conséquences qui la concernent avant tout elle-même.

Sa responsabilité est pleine et entière.

Aucun fait justificatif n'est réalisé.

Aucune circonstance atténuante n'entre en ligne de compte, en particulier pas celle de l'émotion violente au sens de l'art. 48 let. c CP.

Le rythme auquel s'est tenue l'instruction et des temps morts qui l'ont émaillée sont critiquables. En conséquence, le Tribunal constatera une violation du principe de célérité, ce qui conduira à une réduction de la peine.

Il existe un concours d'infractions, ce qui est un facteur aggravant.

La prévenue n'a pas d'antécédents judiciaires, ce qui n'a cependant rien de méritoire.

Au vu de ce qui précède, seule une peine privative de liberté apparaît adéquate pour sanctionner la faute de la prévenue.

La peine de base pour l'infraction la plus grave, soit l'infraction d'exposition, sera augmentée en application du principe de l'aggravation, pour tenir compte de l'infraction d'homicide par négligence. En tenant compte d'une réduction liée à la violation du principe de célérité, c'est une peine privative de liberté de 3 ans qu'il s'impose de prononcer.

Les conditions du sursis partiel sont réalisées, considérant notamment qu'aucun pronostic défavorable ne peut être posé. La partie ferme de la peine sera arrêtée à 12 mois et un délai d'épreuve de 4 ans sera fixé pour la partie suspendue de la peine.

Mesures

4.1.1. En vertu de l'art. 66a al. 1 let. b CP, le juge expulse de Suisse pour une durée de cinq à quinze ans l'étranger condamné pour exposition (art. 127 CP), quelle que soit la quotité de la peine prononcée à son encontre.

4.1.2. Il peut exceptionnellement renoncer à une expulsion lorsque celle-ci mettrait l'étranger dans une situation personnelle grave et que les intérêts publics à l'expulsion ne l'emportent pas sur l'intérêt privé de l'étranger à demeurer en Suisse. A cet égard, il tiendra compte de la situation particulière de l'étranger qui est né ou qui a grandi en Suisse (art. 66a al. 2 CP).

4.2. En l'espèce, l'infraction d'exposition implique le prononcé d'une expulsion obligatoire du territoire suisse et la clause de rigueur ne trouve pas à s'appliquer, faute d'intérêt de la prévenue à demeurer en Suisse, pays où elle ne vit pas, n'a pas d'emploi et n'y a pas d'attaches. La mesure d'expulsion sera prononcée pour une durée de 5 ans.

5.1. Selon l'art. 67 al. 2 CP, si l'auteur a commis un crime ou un délit contre un mineur ou une autre personne particulièrement vulnérable et qu'il y a lieu de craindre qu'il commette un nouvel acte de même genre dans l'exercice d'une activité professionnelle ou d'une activité non professionnelle organisée impliquant des contacts réguliers avec des mineurs ou d'autres personnes particulièrement vulnérables, le juge peut lui interdire l'exercice de cette activité pour une durée de un à dix ans.

5.2. En l'espèce, il ne se justifie pas de prononcer une telle interdiction, étant notamment observé que la pertinence d'une telle mesure a diminué vu les années écoulées depuis les faits et que le risque de récidive n'est pas concret.

Conclusions civiles

6.1.1. La partie plaignante peut faire valoir des conclusions civiles déduites de l'infraction par adhésion à la procédure (art. 122 al. 1 CPP), l'autorité judiciaire saisie de la cause pénale jugeant les conclusions civiles indépendamment de leur valeur litigieuse (art. 124 al. 1 CPP).

Si le lésé décède sans avoir renoncé à ses droits de procédure, ceux-ci passent à ses proches au sens de l'art. 110 al. 1 CP, dans l'ordre de succession (art. 121 al. 1 CPP). En cas de mort du lésé et lorsqu'il y a plusieurs héritiers, les droits restent indivis jusqu'au partage, et les héritiers en sont titulaires en main commune, cela a pour conséquence qu'en procédure civile la légitimation active appartient à tous les héritiers pris conjointement, lesquels forment une consorité nécessaire (JEANDIN/FONTANET, CR-CPP, 2ème éd., 2019, n°1 ad. art. 121).

Les proches d'une personne sont son conjoint, son partenaire enregistré, ses parents en ligne directe, ses frères et sœurs germains, consanguins ou utérins ainsi que ses parents, frères et sœurs et enfants adoptifs (art. 110 al. 1 CP).

Le Tribunal statue sur les conclusions civiles présentées lorsqu'il rend un verdict de culpabilité à l'encontre du prévenu (art. 126 al. 1 lit. a CPP), étant précisé que si le prévenu acquiesce aux conclusions civiles, sa déclaration doit être consignée au procès-verbal et constatée dans la décision finale (art. 124 al. 3 CPP).

6.1.2. Chacun est tenu de réparer le dommage qu'il cause à autrui d'une manière illicite, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence (art. 41 al. 1 CO). La preuve du dommage incombe au demandeur (art. 42 al. 1 CO).

6.1.3. En cas de mort d'homme, les dommages-intérêts comprennent les frais, notamment ceux d'inhumation (art. 45 al. 1 CO).

D'après la jurisprudence, il faut entendre par là les frais qui sont en relation directe avec le décès. Ont ainsi été admis les frais suivants : cercueil, faire-part, enterrement, repas, monument funéraire. La doctrine admet également les frais de réception comme faisant partie, selon les us et coutumes, des frais d'inhumation (arrêt du Tribunal fédéral 1C_264/2009 du 9 octobre 2009 consid. 6.2).

6.1.4. A teneur de l'art. 47 CO, le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles ou, en cas de mort d'homme, à la famille une indemnité équitable à titre de réparation morale.

Le principe d'une indemnisation du tort moral et l'ampleur de la réparation dépendent d'une manière décisive de la gravité de l'atteinte et de la possibilité d'adoucir de façon sensible, par le versement d'une somme d'argent, la douleur physique ou morale. Le montant finalement alloué doit tenir compte de la souffrance effectivement ressentie par le demandeur (ATF 123 III 315). L'ampleur de la réparation morale dépend avant tout de la gravité des souffrances physiques et psychiques consécutives à l'atteinte subie et de la possibilité d'adoucir sensiblement, par le versement d'une somme d'argent, la douleur morale qui en résulte. Sa détermination relève du pouvoir d'appréciation du juge. En raison de sa nature, l'indemnité pour tort moral, qui est destinée à réparer un dommage ne pouvant que difficilement être réduit à une simple somme d'argent, échappe à toute fixation selon les critères mathématiques, de sorte que son évaluation en chiffres ne saurait excéder certaines limites ; l'indemnité allouée doit toutefois être équitable. Le juge en proportionnera le montant à la gravité de l'atteinte subie et évitera que la somme accordée n'apparaisse dérisoire à la victime ; s'il s'inspire de certains précédents, il veillera à les adapter aux circonstances actuelles pour tenir compte de la dépréciation de la monnaie (ATF 125 III 269 consid. 2a p. 273 ; ATF 118 II 410 consid. 2 p. 413 ; arrêt du Tribunal fédéral 6S.470/2002 du 5 mai 2003).

Statuant selon les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC), le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 132 II 117 consid. 2.2.3 in limine ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_188/2010 du 4 octobre 2010).

6.2. Nul besoin de développer le fait que la perte d'un enfant constitue une souffrance incommensurable pour des parents.

Dans le cas d'espèce, il est établi que B______ et A______ ont été et demeurent encore extrêmement affectés par la perte de E______, leur premier enfant qui avait fait d'eux des parents, qui illuminait leur existence et qui avait la vie devant lui. Les circonstances de la mort de E______, dans un contexte d'incertitude de la cause du décès, puis la déflagration des conclusions du rapport d'autopsie et la posture adoptée par la prévenue ont amplifié la douleur ressentie. Les troubles subis par les parents de E______, les prises en charge thérapeutiques et la médication qui se sont avérés nécessaires pour les soutenir donnent la mesure de leur souffrance. Tous les aspects de leurs vies ont été impactés.

Vu ce qui précède, il se justifie de leur allouer, à chacun d'eux, le montant sollicité de CHF 50'000.-, à titre de réparation du tort moral, avec suite d'intérêts. Le montant réclamé à titre de réparation du dommage matériel s'élevant à CHF 11'720.80, avec suite d'intérêts, s'avère également fondé. Enfin, une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure leur sera accordée, à la hauteur demandée, soit CHF 50'755.95.

Objets saisis, indemnisation et frais

7.1. Selon l'art. 267 al. 1 et 3 CPP, si le motif du séquestre disparaît, le ministère public ou le tribunal lève la mesure et restitue les objets et valeurs patrimoniales à l'ayant droit (al. 1). La restitution à l'ayant droit des objets et des valeurs patrimoniales séquestrés qui n'ont pas été libérés auparavant, leur utilisation pour couvrir les frais ou leur confiscation sont statuées dans la décision finale (al. 3).

7.2. En l'espèce, il se justifie d'ordonner la restitution aux plaignants des cubes en plastique figurant sous chiffres 1 et 2 de l'inventaire du 27 septembre 2022.

8.1.1. A teneur de l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès.

8.1.2. Selon l'art. 16 al. 1 du Règlement sur l'assistance juridique et l'indemnisation des conseils juridiques et défenseurs d'office en matière civile, administrative et pénale du 28 juillet 2010 [RAJ; RS E 2 05.04], l'indemnité due à l'avocat et au défenseur d'office en matière pénale est calculée selon le tarif horaire suivant, débours de l'étude inclus : a) avocat stagiaire 65 F; b) collaborateur 125 F; c) chef d'étude 200 F. La TVA est versée en sus.

8.2. En sa qualité de défenseur d'office, le Conseil de la prévenue se verra allouer une indemnité telle que motivée dans la décision en question.

9.1. A teneur de l'art. 426 CP, le prévenu supporte les frais de procédure s'il est condamné (al. 1). Lorsque la procédure fait l’objet d’une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s’il a, de manière illicite et fautive, provoqué l’ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci (al. 2).

9.2. Au vu de l’acquittement de la prévenue des chefs de lésions corporelles graves, de lésions corporelles graves par négligence et d'exposition, en lien avec les chiffres 1.2, 1.5 et 1.6 de l'acte d'accusation, elle sera condamnée à 80% des frais de la procédure, lesquels s'élèvent en totalité à CHF 41'654.85, y compris un émolument de jugement de CHF 3'000.-, et le solde sera laissé à la charge de l’Etat (art. 423 al. 1 et 426 al. 1 CPP).

 

* * *

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL

statuant contradictoirement :

Acquitte X______ de lésions corporelles graves (art. 122 CP), de lésions corporelles graves par négligence (art. 125 al. 2 CP) et d'exposition (art. 127 CP), en lien avec les chiffres 1.2, 1.5 et 1.6 de l'acte d'accusation.

Déclare X______ coupable d'homicide par négligence (art. 117 CP) et d'exposition (art. 127 CP).

Condamne X______ à une peine privative de liberté de 3 ans (art. 40 CP).

Dit que la peine est prononcée sans sursis à raison de 12 mois.

Met pour le surplus X______ au bénéfice du sursis partiel et fixe la durée du délai d'épreuve à 4 ans (art. 43 et 44 CP).

Avertit X______ que si elle devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Constate une violation du principe de célérité (art. 5 al. 1 CPP).

Renonce à ordonner une interdiction au sens de l'art 67 al. 2 CP.

Ordonne l'expulsion de Suisse d'X______ pour une durée de 5 ans (art. 66a al. 1 let. b CP).

Dit que l'exécution de la partie ferme de la peine prime celle de l'expulsion (art. 66c al. 2 CP).

Condamne X______ à payer à A______ CHF 50'000.-, avec intérêts à 5% dès le 15 avril 2018, à titre de réparation du tort moral (art. 47 CO).

Condamne X______ à payer à B______ CHF 50'000.-, avec intérêts à 5% dès le 15 avril 2018, à titre de réparation du tort moral (art. 47 CO).

Condamne X______ à payer à A______ et B______ CHF 11'720.80, avec intérêts à 5% dès le 1er juillet 2018, à titre de dommages-intérêts pour les frais liés au décès (art. 45 CO).

Condamne X______ à verser à A______ et B______ CHF 50'755.95, à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure (art. 433 al. 1 CPP).

Ordonne la restitution à A______ et B______ des cubes en plastique figurant sous chiffres 1 et 2 de l'inventaire du 27 septembre 2022.

Fixe à CHF 25'066.55 l'indemnité de procédure due à Me C______, défenseur d'office de X______ (art. 135 CPP).

Condamne X______ à 80% des frais de la procédure, qui s'élèvent dans leur globalité à CHF 41'654.85, y compris un émolument de jugement de CHF 3'000.- (art. 426 al. 1 CPP).

Laisse le solde des frais de la procédure à la charge de l'Etat (art. 423 al. 1 CPP).

Ordonne la communication du présent jugement aux autorités suivantes : Casier judiciaire suisse, Office cantonal de la population et des migrations, Service des contraventions (art. 81 al. 4 let. f CPP).

 

La Greffière

Céline DELALOYE JAQUENOUD

La Présidente

Dania MAGHZAOUI

 

 

Voies de recours

Les parties peuvent annoncer un appel contre le présent jugement, oralement pour mention au procès-verbal, ou par écrit au Tribunal pénal, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, CH-1211 Genève 3, dans le délai de 10 jours à compter de la communication du dispositif écrit du jugement (art. 398, 399 al. 1 et 384 let. a CPP).

Selon l'art. 399 al. 3 et 4 CPP, la partie qui annonce un appel adresse une déclaration écrite respectant les conditions légales à la Chambre pénale d'appel et de révision, Place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, CH-1211 Genève 3, dans les 20 jours à compter de la notification du jugement motivé.

Si le défenseur d'office ou le conseil juridique gratuit conteste également son indemnisation, il peut interjeter recours, écrit et motivé, dans le délai de 10 jours dès la notification du jugement motivé, à la Chambre pénale d'appel et de révision contre la décision fixant son indemnité (art. 396 al. 1 CPP).

L'appel ou le recours doit être remis au plus tard le dernier jour du délai à la juridiction compétente, à la Poste suisse, à une représentation consulaire ou diplomatique suisse ou, s'agissant de personnes détenues, à la direction de l'établissement carcéral (art. 91 al. 2 CPP).

 

Etat de frais

Frais du Ministère public

CHF

34805.35

Convocations devant le Tribunal

CHF

420.00

Frais postaux (convocation)

CHF

106.00

Indemnités payées aux témoins/experts

CHF

3273.50

Emolument de jugement

CHF

3000.00

Etat de frais

CHF

50.00

Total

CHF

41654.85

==========

 

Indemnisation du défenseur d'office

Vu les art. 135 CPP et 16 RAJ et les directives y relatives;

Indemnité :

Fr.

20'635.80

Forfait 10 % :

Fr.

2'063.60

Déplacements :

Fr.

575.00

Sous-total :

Fr.

23'274.40

TVA :

Fr.

1'792.15

Total :

Fr.

25'066.55

Observations :

- 29h25 admises à Fr. 150.00/h = Fr. 4'412.50.
- 32h20 à Fr. 110.00/h = Fr. 3'556.65.
- 63h20 admises à Fr. 200.00/h = Fr. 12'666.65.

- Total : Fr. 20'635.80 + forfait courriers/téléphones arrêté à 10 % vu l'importance de l'activité déployée (art 16 al 2 RAJ) = Fr. 22'699.40

- 1 déplacement A/R à Fr. 75.– = Fr. 75.–
- 5 déplacements A/R à Fr. 100.– = Fr. 500.–

- TVA 7.7 % Fr. 1'792.15

S'agissant de l'état de frais intermédiaire, en application de l'art. 16 al. 2 RAJ, réductions de 2h00 (collaborateur) et 5h05 (stagiaire) pour le poste "procédure". En effet :

- les recherches juridiques font partie de la formation continue de l'avocat-e et n'ont pas à être prises en charge par l'Etat;

- l'assistance juridique admet 1h00, à bien plaire, pour les recherches juridiques pour les stagiaires;

- la vacation au greffe du Tribunal pénal pour collecter une clé USB n'est pas prise en compte par l'assistance juridique.

Le temps total de l'activité déployée par le chef d'étude s'élève à 28.70 et non pas 29.50 comme mentionné dans l'état de frais présenté.

La présente indemnisation ne couvre que l'activité déployée à partir de la date d'effet de la nomination d'office (01.09.2020), l'activité antérieure déployée par Me ______, nommé d'office du 04.12.2018 au 01.09.2020, ayant été indemnisée en date 12.10.2020 sous référence OMP/13636/2020.

S'agissant de l'état de frais final, il est accepté. Il est ajouté 12h40 d'audience de jugement ainsi que 3 déplacements.

Nous attirons votre attention sur le fait que les heures consacrées à l'acquisition de connaissances, ainsi qu’à la formation du stagiaire en général, ne peuvent ni ne doivent être prises en charge par l'assistance juridique.

 

Voie de recours si seule l'indemnisation est contestée

Le défenseur d'office peut interjeter recours, écrit et motivé, dans le délai de 10 jours, devant la Chambre pénale de recours contre la décision fixant son indemnité (art. 135 al. 3 let. a et 396 al. 1 CPP; art. 128 al. 1 LOJ).

 

Restitution de valeurs patrimoniales et/ou d'objets

Lorsque le présent jugement sera devenu définitif et exécutoire, il appartiendra à l'ayant-droit de s'adresser aux Services financiers du pouvoir judiciaire (finances.palais@justice.ge.ch et +41 22 327 63 20) afin d'obtenir la restitution de valeurs patrimoniales ou le paiement de l'indemnité allouée, ainsi que, sur rendez-vous, au Greffe des pièces à conviction (gpc@justice.ge.ch et +41 22 327 60 75) pour la restitution d'objets.

 

Notification à la prévenue, aux parties plaignantes et au Ministère public par voie postale.