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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19112/2025

ACPR/918/2025 du 07.11.2025 sur ONMMP/4057/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;DROIT D'OBTENIR UNE DÉCISION;REFUS DE STATUER;ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;CONCURRENCE DÉLOYALE;INFRACTIONS CONTRE L'HONNEUR
Normes : Cst.29.al2; CPP.310; CP.173; LCD.23

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19112/2025 ACPR/918/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 7 novembre 2025

 

Entre

A______ SÀRL, représentée par Me B______, avocat,

recourante,

 

contre l’ordonnance de non-entrée en matière rendue le 28 août 2025 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 10 septembre 2025 par messagerie sécurisée, A______ SÀRL recourt contre l’ordonnance du 28 août 2025, notifiée le 1er septembre suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d’entrer en matière sur sa plainte du 25 août 2025.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l’annulation de cette ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public pour ouverture d’une instruction des chefs de diffamation (art. 173 CP) et d’infraction à l’art. 23 cum 3 al. 1 let. a LCD.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'200.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ SÀRL est une société basée à Genève ayant pour but le commerce de gros de divers produits et articles, la fourniture de tous types de conseils et services aux entreprises dans divers domaines, les opérations d'achat, de vente et de transfert de billets de banques et toutes opérations de change s'y rapportant, le conseil dans le domaine du crédit et des assurances, ainsi que l'assistance liée à la télécommunication.

b. A______ SÀRL possédait une relation bancaire auprès de [la banque] C______.

c. Par courrier du 24 mars 2025, C______ a informé A______ SÀRL de la résiliation de cette relation bancaire, ayant constaté que les obligations de diligence existantes ne pouvaient pas être respectées.

d. Le 2 mai 2025, A______ SÀRL a déposé une requête de mesures superprovisionnelles auprès du Tribunal de commerce du canton de Berne, par laquelle elle concluait, notamment, au maintien de la relation bancaire jusqu’à droit connu au fond.

e. Dans sa réponse du 30 mai 2025 – reçue le 3 juin suivant par le Tribunal de commerce du canton de Berne, puis transmise à une date indéterminée à Me B______, conseil de A______ SÀRL –, C______ a conclu à l’irrecevabilité de cette requête, subsidiairement à son rejet.

Sur la base d’une dénonciation d’un lanceur d’alerte survenue en octobre 2024 et d’informations publiquement accessibles sur internet, elle soupçonnait fortement que des fonds – ayant transité par les comptes de A______ SÀRL ouverts auprès d’elle – avaient été utilisés pour financer le terrorisme ou placés sous le contrôle d’une organisation terroriste.

Elle alléguait notamment ce qui suit :

-        « Im Rahmen ihrer Abklärung musste die Gesuchsgegnerin feststellen, dass die Gesuchstellerin, mit ihrer Geschäftstätigkeit in Verbindung mit Terrororganisationen und Terrorismusfinanzierung gebracht wird », soit en traduction libre « Dans le cadre de ses investigations, la partie défenderesse a dû constater que la partie requérante est associée, par son activité commerciale, à des organisations terroristes et au financement du terrorisme » ;

-        « Die Gesuchstellerin wird im Rahmen ihrer Geschäftstätigkeit als Money Transmitter auch im Zusammenhang mit Terrororganisationen erwähnt. Konkret wird sie öffentlich von der mit D______ in Verbindung stehenden Organisation E______ als ihre bevorzugte Zahlungsabwicklerin genannt », soit en traduction libre « dans le cadre de son activité de société de transfert de fonds, la partie requérante est également mentionnée en lien avec des organisations terroristes. Concrètement, elle est publiquement désignée par l’organisation E______, liée à D______, comme son prestataire de paiement privilégié ».

Elle fondait ses allégations sur diverses pièces produites à l’appui de sa réponse, lesquelles n’ont toutefois pas été annexées à la plainte de la recourante, notamment un rapport de O______ Finance du ______ octobre 2024, « E______ openly recruits members and collects donations for D______ by using legal payment processors », et un extrait du site « www.E______.ch », dans sa teneur au mois de novembre 2024.

Elle indiquait encore qu’il ressortait du rapport de O______ Finance que E______ recrutait ouvertement des membres et collectait des dons pour D______ en utilisant des sociétés de transfert de fonds telles que A______ SÀRL. Cette dernière était par ailleurs désignée, sur le site internet de E______, comme « trusted transfer agent », ce qui était un indice clair qu’il existait une coopération éprouvée entre A______ SÀRL, d’une part, et l’organisation E______ liée à D______, d’autre part, comme société de transfert de fonds.

f. Par courriel du 17 juin 2025, A______ SÀRL a transmis à C______ les déterminations spontanées qu’elle avait adressées la veille au Tribunal de commerce du canton de Berne, à la suite de sa réponse du 30 mai 2025, accompagnées d’un bordereau de pièces, l’informant avoir été victime d’une campagne de « fake news » et la priant de bien vouloir reconsidérer sa position.

g. Le 23 juin 2025, C______ lui a répondu maintenir sa position et contester les explications contenues dans ses envois des 16 et 17 précédents.

h. A______ SÀRL a déposé plainte en raison de ces faits le 25 août 2025, des chefs de diffamation (art. 173 CP) et d’infraction à l’art. 23 cum 3 al. 1 let. a LCD.

Elle estimait que l’atteinte contenue dans la réponse du 30 mai 2025 était dirigée directement contre elle, en tant que personne titulaire du droit à l’honneur, ainsi que ses activités. L’allégation à teneur de laquelle elle serait associée à une organisation terroriste, fait réprimé par l’art. 260ter al. 1 let. b CP, et à un groupe terroriste, notoirement connu pour l’abjection de ses kidnappings et viols de masse, était manifestement et objectivement attentatoire à son honneur. Cette allégation avait été faite dans des écritures devant être communiquées à son avocat, Me B______ – dont l’adresse était indiquée dans le mémoire de réponse du 30 mai 2025 –, et lui ayant effectivement été communiquées. Les personnes derrière ces accusations devaient, à tout le moins, avoir accepté qu’elles pussent être fausses. Elles ne pouvaient se prévaloir de la preuve libératoire de la bonne foi au vu du caractère grossièrement faux du site internet sur lequel se fondaient ces assertions et de la volonté exprimée de C______ de se départir de leur relation. Il existait en outre un rapport concurrentiel entre les deux sociétés, de sorte que les allégations de C______ – dénigrantes, fausses et potentiellement susceptibles de l’entraver dans l’ouverture de comptes auprès d’autres établissements – étaient également constitutives d’infraction à l’art. 23 cum 3 al. 1 let. a LCD.

À l’appui de sa plainte, elle a produit, notamment :

-        un article de presse de P______ [organisation non gouvernementale] du 24 mars 2021 en lien avec les actes de violence – incluant des crimes de masse, des meurtres et des viols – perpétrés par D______ au Nigeria, notamment contre les femmes et les filles ;

-        une recherche « Perplexity AI » effectuée sur sept sociétés de transfert d’argent (F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______), dont il ressort que certaines sont actives au niveau mondial et d’autres plus localement ;

-        la copie d’une plainte pénale contre inconnu déposée le 29 novembre 2024, en son nom et celui de M______, pour dénonciation calomnieuse, calomnie qualifiée et concurrence déloyale, complétée ultérieurement les 6 et 23 décembre 2024, après qu’un individu non identifié eut fait paraître un article dénonçant la prétendue participation de certains intermédiaires financiers au financement du groupe terroriste D______ ; ainsi que l’ordonnance du Ministère public du 7 février 2025, par laquelle cette autorité a refusé d’entrer en matière sur ces faits, faute d’avoir pu identifier les auteurs ;

-        une lettre de C______ du 24 avril 2025, par laquelle celle-ci maintenait sa décision de résilier sa relation d’affaires. Elle expliquait être dans l’obligation de mettre en œuvre les exigences en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Les relations d’affaires avec les sociétés de transfert de fonds étaient considérées comme à « risques accrus », devaient être surveillées périodiquement et entraînaient, de ce fait, des dépenses supplémentaires. Il s’était avéré, au terme d’un examen approfondi, que le « risque accru » découlant de leur relation n’était plus acceptable ;

-        un communiqué de presse de la Poste du ______ avril 2024 faisant état de la conclusion d’un partenariat stratégique avec [la société de transfert d’argent] N______.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a considéré que les propos litigieux étaient des allégués de fait dans une procédure civile opposant les parties sur la question de la continuation des services de transferts de fonds offerts par C______, services que celle-ci refusait de continuer à fournir. Les accusations formulées l’avaient été dans le cadre d’une procédure civile – où le fardeau de l’allégation s’imposait aux parties –, à des personnes soumises au secret de fonction, par ailleurs informées des circonstances particulières de la procédure et formées pour les interpréter à l’aune de leur contexte, de sorte qu’elles n’étaient pas punissables à teneur de la jurisprudence (arrêts du Tribunal fédéral 6B_185/2011 du 22 décembre 2011 consid. 6.2 et 6S_3/2007 consid 4.3). Il appartiendrait cas échéant au juge civil de « faire la part des choses » et de déterminer la valeur probante des pièces fournies par C______.

D. a. Dans son recours, A______ SÀRL dénonce en premier lieu une violation de son droit d’être entendu, le Ministère public n’ayant pas examiné le chef d’accusation de concurrence déloyale, de sorte qu’il convenait d’annuler l’ordonnance querellée pour ce seul motif déjà. Les éléments constitutifs de l’infraction de diffamation (art. 173 CP) étaient réunis. Malgré les critiques de la doctrine, le Tribunal fédéral n’avait pas modifié sa jurisprudence et continuait de considérer l’avocat comme étant, en principe, un tiers (ATF 145 IV 462, c. 4.3.3). Les arrêts invoqués par le Ministère public n’excluaient d’ailleurs pas la réalisation de cette infraction lorsque les propos attentatoires à l’honneur étaient adressés à l’avocat d’une partie. Les accusations attentatoires à son honneur avaient été communiquées à un tribunal dans le cadre d’une procédure civile l’opposant à C______. Elles avaient ainsi été portées à l’attention, tant du juge instruisant la cause, que de son conseil à elle, et il importait peu que ces personnes fussent soumises au « secret de fonction » dès lors qu’elles devaient être considérées comme des tiers. Que le fardeau de l’allégation incombât aux parties n’y changeait rien non plus, des limites devant être observées, notamment celles consistant à présenter de simples soupçons comme tels. Tel n’avait pas été le cas, dans la mesure où les accusations diffamatoires avaient été formulées sans réserve dans l’écriture de C______ du 30 mai 2025, alors que cette dernière ne pouvait, de bonne foi, les considérer comme vraies, eu égard à leur caractère manifestement faux et grossier.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours. L’application de l’art. 23 cum 3 al. 1 let. a LCD n’avait de sens que si l’acte ne tombait pas déjà sous le coup de l’art. 173 CP. Dès lors que l’allégation de C______, à teneur de laquelle A______ SÀRL serait utilisée pour le financement du terrorisme, visait un comportement pénal et clairement réprouvé par les conceptions morales généralement admises,
l’art. 23 LCD entrait en concours idéal avec l’art. 173 CP, la question du fait justificatif légal de l’art. 14 CP se posant de la même manière pour chacune de ces dispositions. Il persiste pour le surplus dans l’argumentation développée à l’appui de son ordonnance querellée, se référant à l’arrêt de la Chambre de céans du 5 décembre 2024 (ACPR/915/2024), dont les principes s’appliquaient mutatis mutandis au cas d’espèce.

c. La recourante réplique et persiste. Les principes dégagés de l’arrêt invoqué par le Ministère public dans ses observations n’avaient pas vocation à s’appliquer in casu, dans la mesure où C______ ne disposait pas d’éléments probants pour l’associer de manière affirmative au financement du terrorisme. Cette dernière s’était appuyée sur le courriel d’un soi-disant lanceur d’alerte qui se référait à des informations publiées sur un site prétendument lié à l’organisation terroriste D______. Or, elle ne pouvait pas, de bonne foi, tenir pour crédibles – et encore moins pour établies – les informations véhiculées par ce site « complètement hallucinant », à savoir un site affilié à une organisation terroriste qui serait accessible sur le net, mentionnerait ses soutiens financiers, un numéro de téléphone fixe suisse pour la joindre, ainsi que son adresse. Si C______ les avait réellement tenues pour crédibles, elle aurait de toute évidence saisi les autorités pénales compétentes ou procédé à une communication au MROS, conformément à son obligation, ce qu’elle n’avait pas allégué avoir fait. Cette société avait dès lors fait preuve de légèreté en formulant des allégations aussi graves, sans la moindre réserve, dans le seul but de se débarrasser de leur relation d’affaires.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue, reprochant au Ministère public d’avoir omis d’examiner l’infraction à l’art. 23 cum 3 al. 1 let. a LCD, pourtant expressément mentionnée dans sa plainte.

2.1.       Le droit d'être entendu, garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, l'attaquer utilement s'il y a lieu et afin que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. L'autorité doit ainsi mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause
(ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3 p. 46; 142 I 135 consid. 2.1).

La motivation peut également être implicite et résulter des différents considérants de la décision. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1).

Un éventuel manquement à cet égard peut être réparé devant la juridiction supérieure qui dispose d'un plein pouvoir d'examen, pour autant que l'autorité intimée ait justifié et expliqué sa décision dans un mémoire de réponse et que le recourant ait eu la possibilité de s'exprimer sur ces points dans une écriture complémentaire
(ATF 125 I 209 consid. 9a p. 219). La Haute cour admet également la réparation d'une violation du droit d'être entendu, y compris en présence d'un vice grave, lorsqu'un renvoi à l'instance inférieure constituerait une vaine formalité, respectivement aboutirait à un allongement inutile de la procédure, incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable
(ATF 145 I 167 consid. 4.4).

2.2.       En l’espèce, il faut concéder à la recourante que, bien que sa plainte mentionnât expressément deux dispositions légales, à savoir la diffamation (art. 173 CP) et l’art. 23 cum 3 al. 1 let. a LCD, la décision du Ministère public n’a, en réalité, traité que la première de ces deux infractions.

Cela étant, le Procureur s’est succinctement exprimé, dans ses observations, sur ce point. La recourante a ensuite eu la possibilité de répondre à cette détermination, occasion qu’elle n’a toutefois pas saisie, s’étant contentée, dans sa réplique, d’expliquer pour quelles raisons les principes dégagés de l’arrêt évoqué par le Ministère public – qui portait exclusivement sur des délits contre l’honneur, à l’exclusion de toute autre infraction –, n’avaient pas vocation à s’appliquer.

La violation sus-évoquée a donc été réparée durant la procédure de recours. Dite réparation n'induit aucun préjudice pour la recourante. En effet, la Chambre de céans statue avec un plein pouvoir de cognition (art. 391 al. 1 et 393 al. 2 CPP) sur les problématiques dont elle est saisie. À cela s'ajoute qu'un renvoi de la cause au Ministère public pour ce motif constituerait une vaine formalité, au vu des raisons qui seront exposées ci-après.

Ces considérations scellent le sort du grief.

3.             La recourante reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte.

3.1.       Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

3.2.       Aux termes de l'art. 173 ch. 1 CP, se rend coupable de diffamation quiconque, en s'adressant à un tiers, accuse une personne ou jette sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, quiconque propage une telle accusation ou un tel soupçon.

Le comportement délictueux peut consister soit à accuser une personne, c'est-à-dire à affirmer des faits qui la rendent méprisable, soit à jeter sur elle le soupçon au sujet de tels faits, soit encore à propager - même en citant sa source ou en affirmant ne pas y croire - une telle accusation ou un tel soupçon (ATF 117 IV 27 consid. 2c p. 29). La diffamation suppose une allégation de fait, et non pas un simple jugement de valeur (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.2 ; ATF 117 IV 27 consid. 2c).

La diffamation s'insère parmi les infractions contre l'honneur dont jouit non seulement toute personne physique, mais toute personne morale ou entité capable d'ester en justice, à l'exception des collectivités publiques et des autorités (ATF 114 IV 14 consid. 2a et les arrêts cités). Une personne morale est atteinte dans son honneur, lorsqu'il est allégué qu'elle a une activité ou un but propre à la rendre méprisable selon les conceptions morales généralement admises (cf. par analogie: ATF 117 IV 27 consid. 2c ; 116 IV 205 consid. 2). Tel est le cas, par exemple, si elle est assimilée à une organisation criminelle ou à un parti politique que l'histoire a rendu méprisable ou encore si l'on suggère qu'elle a de la sympathie pour le régime nazi
(cf. ATF 121 IV 76 consid. 2a/bb ; arrêt du Tribunal fédéral 6S_504/2005 du 28 février 2006 consid. 2.1). Une personne morale est également atteinte dans son honneur lorsqu'on la dénigre elle-même, en évoquant le comportement méprisable de ses organes ou employés (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1020/2018 du 1er juillet 2019 consid. 5.1.1 et la référence citée).

Des déclarations objectivement attentatoires à l'honneur peuvent être justifiées par le devoir d'alléguer des faits dans le cadre d'une procédure judiciaire. Tant la partie que son avocat peuvent se prévaloir de l'art. 14 CP à condition de s'être exprimé de bonne foi, de s'être limité à ce qui est nécessaire et pertinent et d'avoir présenté comme telles de simples suppositions (ATF 131 IV 154 consid. 1.3.1; 123 IV 97 consid. 2c/aa ; 118 IV 248 consid. 2c et d ; 116 IV 211 consid. 4a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_632/2022 du 6 mars 2023 consid. 2.5.1).

Ce fait justificatif doit en principe être examiné avant la question des preuves libératoires prévues par l'art. 173 ch. 2 CP (ATF 135 IV 177 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_541/2019 du 15 juillet 2019 consid. 2.2).

3.3.       L’art. 23 LCD – délit de mise en danger abstraite (V. MARTENET/ P. PICHONNAZ (éds), Commentaire romand, Loi contre la concurrence déloyale, Bâle 2017, n. 5 ad art. 23) – réprime, sur plainte, quiconque se rend coupable de concurrence déloyale au sens, notamment, de l’art. 3 al. 1 let. a LCD.

En vertu de cette dernière norme, agit de façon déloyale celui qui dénigre autrui, ses marchandises, ses œuvres, ses prestations, ses prix ou ses affaires par des allégations inexactes, fallacieuses ou inutilement blessantes.

L'auteur du comportement déloyal n'est pas nécessairement un concurrent, ni un client de la victime du dénigrement, mais peut être une tierce personne (ACPR/202/2022 du 22 mars 2022, consid. 6.2.3 ; V. MARTENET/ P. PICHONNAZ (éds), op. cit., n. 10 ad art. 3 al. 1 let. a et n. 7 et ss ad art. 23).

Le dénigrement doit atteindre l’un ou des client(s) de celui qu'il prend pour objet. Le terme "client" doit être compris de manière large: il s'agit non seulement de celui qui recourt aux prestations proposées par la victime, mais également de toute personne amenée à entrer en relation d'affaires avec elle (par exemple le fournisseur à l'égard du distributeur dénigré ; ACPR/126/2023 du 17 février 2023, consid. 2.3.1).

Le dénigrement n'est pas illicite en soi. Au contraire, il n'est d'abord que l'expression d'une opinion, dont la liberté fait l'objet de la garantie constitutionnelle (art. 16 Cst). C'est dans ce contexte constitutionnel qu'il y a lieu de faire la part entre le dénigrement licite et le dénigrement illicite. En cas de doute, la licéité l'emporte (V. MARTENET / P. PICHONNAZ (éds), op. cit., n. 20 et 26 ad art. 3 al. 1 let. a LCD).

L’acte incriminé doit être propre à altérer le jeu de la concurrence, autrement dit apte à influencer la décision du client [de traiter avec la personne dénigrée] (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1038/2018 du 29 mai 2019 consid. 5.1). Est décisif le sens que le destinataire moyen – figure artificielle qui émerge des caractéristiques des clients actuels et potentiels – donne aux allégations litigieuses (V. MARTENET/ P. PICHONNAZ (éds), op. cit., n. 13 ad art. 3 al. 1 let. a).

3.4.       En l’espèce, les propos litigieux sont contenus dans une écriture judiciaire adressée au Tribunal de commerce du canton de Berne, en réponse à la requête de mesures superprovisionnelles précédemment déposée auprès de cette autorité par la recourante. Ils constituent des allégués, accompagnés d'offres de preuve, par lesquels la mise en cause cherche notamment à prouver le bienfondé de la résiliation de sa relation d’affaires avec la recourante, qu’elle redoute d’être associée, par son activité commerciale, à des organisations terroristes et au financement du terrorisme.

Sans même examiner s'ils sont attentatoires à l'honneur, les propos en cause sont, de toute manière, justifiés sur la base de l'art. 14 CP.

Par ses allégués, la mise en cause expose certes la recourante à la lumière d'âpres critiques, l’accusant notamment d’avoir coopéré, en sa qualité de société de transfert de fonds, avec des organisations terroristes, agissements qui pourraient s'avérer contraires au droit pénal. Cela étant, sa réponse devant le Tribunal de commerce du canton de Berne implique de prouver le bienfondé des motifs l’ayant conduite à résilier sa relation d’affaires avec la recourante. On ne saurait dès lors lui reprocher, en l'occurrence, d’avoir exposé que celle-ci eût pu avoir des liens avec de telles organisations, ce d'autant que c’est en qualité de partie défenderesse à la procédure civile – après que la recourante eut introduit une requête de mesures superprovisionnelles la visant – qu’elle a eu à le faire, d’une part, et qu’elle a proposé des offres de preuve à l'appui de ses allégués, d’autre part.

Par ailleurs, les propos litigieux, bien que catégoriques, restent confinés au sujet et aux éléments utiles à l'action judiciaire, aussi déplaisant que cela puisse être pour la recourante. Leur nature affirmative, et non sous la forme de suppositions, se légitime par les preuves offertes. Le fait que la mise en cause se soit basée pour ce faire sur des éléments provenant d’un site que la recourante considère comme « complètement hallucinant » n’y change rien. Incriminer de tels allégués, énoncés dans le respect des conditions de forme, limiterait à l'excès les écritures judiciaires, surtout en matière civile, majoritairement gouvernées par le fardeau de l'allégation.

Compte tenu de ce qui précède, les passages litigieux ne sauraient être poursuivis sur la base de l'art. 173 CP.

Ils ne sauraient non plus l’être sur la base de l’art. l’art. 23 cum 3 al. 1 let. a LCD. En effet, dans la mesure où les propos incriminés ont été adressés par la mise en cause à une autorité judiciaire, dans le but de prouver le bienfondé de la résiliation de sa relation d’affaires avec la recourante, et non à un client aux fins d’altérer le jeu de la concurrence, cette disposition n’a pas vocation à s’appliquer. Quand bien même l’aurait-elle eu, que les considérations qui précèdent, fondées sur l’art. 14 CP, vaudraient mutatis mutandis dans le cadre de l’examen cette infraction.

C'est donc à bon droit que le Ministère public n'est pas entré en matière sur la plainte déposée par la recourante.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             La recourante succombe sur le fond (art. 428 al. 1 CPP), mais voit son grief tiré d'une violation du droit d'être entendu admis (arrêt du Tribunal fédéral 7B_512/2023 du 30 septembre 2024 consid. 3.1).

Elle sera, en conséquence, condamnée aux trois-quarts des frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), soit au paiement de CHF 900.-.

Le solde de ces frais (CHF 300.-) sera laissé à la charge de l'État et restitué à la recourante.

6.             La recourante a requis le versement de dépens, qu'elle n'a toutefois pas chiffrés.

6.1.  En vertu de l'art. 436 al. 1 CPP, les prétentions en indemnité dans les procédures de recours sont régies par les art. 429 à 434 CPP.

L'art. 433 CPP prévoit l'octroi d'une juste indemnité à la partie plaignante pour les dépenses occasionnées par la procédure, qu'elle doit chiffrer et justifier.

6.2.  En l'espèce, la recourante, partie plaignante qui obtient partiellement gain de cause, n'a pas chiffré ni justifié de prétentions en indemnité (art. 433 al. 2 cum
436 al. 1 CPP), quand bien même elle y était tenue, de sorte qu'il ne lui en sera point alloué (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7.2).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Rejette le recours.

Condamne A______ SÀRL aux trois-quarts des frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'200.-, soit au paiement de CHF 900.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Laisse le solde des frais de la procédure de recours (CHF 300.-) à la charge de l'État.

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ SÀRL le solde en CHF 300.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Catherine GAVIN et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).

P/19112/2025

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'115.00

Total

CHF

1'200.00