Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/708/2025 du 04.09.2025 sur OMP/13960/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/26923/2024 ACPR/708/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 4 septembre 2025 |
Entre
A______, représenté par Me Fanny ROULET, avocate, FRAvocats, avenue de Frontenex 6, 1207 Genève,
B______, p.a Police, case postale 236, 1211 Genève 8, agissant en personne,
recourants,
contre l'ordonnance de constatation de l'exploitabilité d'un moyen de preuve rendue le 10 juin 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par actes séparés, expédiés, pour l'un, le 17 juin 2025, pour l'autre, le 20 suivant, B______ et A______ recourent contre l'ordonnance du 10 juin 2025, qui leur a été notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a constaté que l'enregistrement vidéo produit par C______ était exploitable et a ordonné son maintien au dossier.
B______ conclut à l'annulation de cette décision, au constat de l'inexploitabilité de l'enregistrement précité, à son retrait du dossier et à sa destruction.
A______ conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée, au constat de l'inexploitabilité de la pièce susmentionnée et au retrait du dossier de celle-ci, ainsi que de l'ensemble des documents de la procédure qui s'y réfèrent.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 27 mars 2025, le Ministère public a ouvert une instruction pénale contre A______ et B______, agents de sécurité publique, des chefs respectivement de menace et d'abus d'autorité pour le premier, et d'abus d'autorité et de violation du secret de fonction pour le second.
Il leur est reproché d'avoir, à Genève, le 10 mai 2024, aux alentours de 00h-00h30, procédé au contrôle des occupants du véhicule conduit par D______, né en 2005, dans lequel se trouvaient C______, né en 2007, E______, né en 2005, F______ et G______, nés respectivement en 2007 et 2006, sans motif et en dehors du cadre légal de leurs attributions.
Il est par ailleurs reproché à A______ d'avoir menacé E______ en lui disant : "Enlève ce putain de sourire de ta gueule, sinon je te sors de la voiture et je te mets ma botte dans ta tête".
Il est également reproché à B______ d'avoir informé les occupants du véhicule que C______ avait, par le passé, conduit sans permis de conduire, information obtenue dans l'application H______.
b. Cette procédure a été ouverte à la suite des plaintes déposées les 15 mai et 23 mai 2024 par C______ et E______.
b.a Le premier nommé – qui s'était présenté, sur convocation orale, accompagné de sa mère, à l'Inspection générale des services de police (ci-après, IGS) – a exposé que, le soir des faits litigieux, il se trouvait avec quatre amis dans un véhicule circulant sur la voie de gauche du boulevard des Philosophes. Arrêtés à hauteur d'un feu de signalisation, ils avaient remarqué un véhicule de la police diplomatique sur la voie de droite, sans toutefois y prêter une attention particulière, poursuivant entre eux leur discussion. Lorsque le signal lumineux était passé au vert et que leur voiture s'était remise en mouvement, ledit véhicule de police avait actionné ses feux bleus et leur avait intimé l'ordre de s'arrêter. Son ami, D______, au volant, avait obtempéré, ouvrant au préalable les deux vitres avant afin de pouvoir communiquer avec les deux policiers, puis leur avait remis la carte grise du véhicule ainsi que son permis de conduire. Après s'être saisis de ces documents, les deux agents avaient exigé de chaque occupant la présentation de sa pièce d'identité.
Interrogé par D______ sur le motif du contrôle, le policier conducteur – identifié comme étant A______ – avait répondu, en désignant E______ : "lui, il le sait". G______ s'était aussitôt enquis auprès de ce dernier de ce qu'il avait pu faire, auquel l'intéressé avait répondu qu'il l'ignorait, tout en riant nerveusement. Pour sa part, il avait senti que l'atmosphère se crispait et que le policier précité commençait à se mettre en colère, alors que ses amis et lui, demeurés calmes, n'avaient à aucun moment fait preuve de provocation. Soucieux d'apaiser la situation, il avait, pour sa part, déclaré que de tels contrôles "arrivaient". Le policier susvisé avait alors rétorqué que tel n'était pas le cas, avant de s'adresser à E______, en ces termes : "Efface ce putain de sourire de ta gueule, sinon je te fais sortir du véhicule et je te mets ma botte dans ta tête, t'as compris ?". N'ayant obtenu aucune réponse, le policier avait réitéré sa question en haussant le ton, si bien que E______ avait fini par répondre "oui" sur un ton timide.
Ses amis et lui étaient choqués, éprouvant le sentiment d'avoir subi une injustice, aucune infraction n'ayant été constatée par les policiers. Ils avaient conscience que ces derniers n'étaient pas en droit de s'adresser à eux sur un tel ton ni de les menacer, mais n'avaient rien osé répliquer, craignant que le policier susmentionné, qui paraissait "très énervé et excité", ne s'en prenne à eux.
b.b. E______ a corroboré la version de C______, précisant qu'il ne comprenait pas pourquoi le policier s'en était pris à lui. Lorsque leur véhicule s'était trouvé à la hauteur de celui des agents, il avait tourné la tête pour les regarder, soulignant que son sourire résultait simplement des plaisanteries échangées avec ses amis et n'avait aucun lien avec la présence des policiers. Il n'avait à aucun moment saisi le motif du contrôle, les agents ne leur ayant communiqué aucune explication.
c. Egalement auditionnés par l'IGS en qualité de personnes appelées à donner des renseignements, G______, D______ et F______ ont, en substance, confirmé les déclarations de leurs amis.
G______ a précisé que, lors du contrôle, l'un des deux policiers – identifié comme étant B______ – avait indiqué que C______ avait, par le passé, circulé au volant d'un véhicule sans permis de conduire. Il ne comprenait pas pourquoi ces informations – que l'agent semblait avoir obtenu au moyen de son téléphone portable – avaient été divulguées, alors que son ami se trouvait à l'arrière du véhicule comme passager. Il a précisé avoir filmé le début du contrôle, en raison du caractère inhabituel de la situation – sans que les visages des policiers ne fussent visibles sur l'enregistrement –, mais avoir interrompu celui-ci lorsque la situation avait "dégénéré" et que l'un des agents avait commencé à menacer E______. F______, pour sa part, avait filmé la scène.
D______ et F______ ont ajouté que, lorsqu'ils avaient interrogé le policier conducteur sur le motif du contrôle, celui-ci s'était contenté de répondre que E______ avait fait des "grimaces".
d. A______ et B______ ont été entendus par l'IGS en qualité de prévenus les 1er et 8 juillet 2024.
d.a. Le premier nommé a contesté avoir tenu les propos menaçants qui lui étaient prêtés. Lui et son collègue avaient procédé au contrôle du véhicule conduit par D______ en raison de l'attitude jugée agressive et suspecte d'un passager, qui avait des gestes et des regards provoquants, sans qu'il puisse les décrire précisément. Les jeunes avaient dépassé leur véhicule sans enfreindre les limitations de vitesse et n'avaient commis aucune infraction. Par "acquis de conscience", il avait jugé nécessaire de procéder à leur contrôle afin de s'assurer qu'ils ne présentaient aucun danger. Lors de la vérification de l'identité des occupants, le passager auteur des gestes provocants s'était montré réticent à présenter sa pièce d'identité, si bien que le ton était monté entre eux et qu'il avait dû exiger fermement la présentation de ce document. Il considérait que ce contrôle relevait de leurs compétences – leur mission consistant à surveiller et protéger les sites diplomatiques –, l'intervention ayant eu lieu aux abords du consulat français.
d.b. Le second nommé a déclaré que, le soir des faits, A______ avait souhaité procéder au contrôle d'un véhicule au motif que ses occupants adoptaient une attitude provocante et "faisaient les malins", sans qu'il lui eût précisé la nature exacte de leur comportement, n'ayant, pour sa part, pas vu ce qu'il s'était passé.
Tandis qu'il était en train de lancer, sur l'application H______, une recherche au nom de trois ou quatre des occupants du véhicule, le ton était monté entre son collègue et un passager, sans qu'il y prêtât attention. Il s'était, pour sa part, adressé à l'un des occupants, lui rappelant qu'il avait eu "quelque chose avec [eux]" par le passé et qu'il était bien qu'il ne se trouvât pas derrière le volant ce soir-là, sans divulguer davantage de détails, en raison de la présence des autres passagers.
S'agissant de la légitimité du contrôle, il savait qu'ils n'avaient pas le droit d'arrêter un automobiliste sans motif valable. Un contrôle pouvait toutefois se justifier lorsqu'un véhicule représentait un danger aux abords d'un site diplomatique. En l'espèce, se trouvant à environ 200 mètres du consulat français, il estimait que cette condition n'était pas remplie, ajoutant avoir fait confiance à son collègue sans l'avoir interrogé sur les motifs de l'intervention.
e. Le 17 janvier 2025, C______ a transmis au Ministère public, à la demande de ce dernier, l'enregistrement vidéo réalisé par F______.
f. Entendues par le Ministère public les 27 mai et 3 juin 2025, les parties ont maintenu leurs positions respectives.
F______ a expliqué avoir filmé le contrôle au motif qu'aucune autre personne ne se trouvait sur la route et qu'il était inquiet de ce qui pouvait se passer.
Le conseil de A______ a soutenu que ledit enregistrement n'était pas exploitable et a requis qu'il soit écarté du dossier.
C. Dans la décision querellée, le Ministère public a considéré que ledit enregistrement constituait une preuve illicite, obtenue par un particulier en violation de l'art. 4 al. 4 LPD. Cette preuve était néanmoins exploitable. En effet, son acquisition aurait été autorisée si des soupçons avaient été connus, les infractions reprochées aux prévenus figurant sur la liste de l'art. 269 al. 2 CPP. Par ailleurs, les faits dénoncés étaient graves, puisqu'il s'agissait de menaces proférées par des agents de sécurité publique dans le cadre de leur fonction à l'encontre de jeunes, dont certains mineurs au moment des faits. Dans ces conditions, l'existence de soupçons relatifs à la commission d'infractions graves était établie. À cela s'ajoutait le caractère indispensable de l'enregistrement litigieux pour l'établissement des faits. La pesée des intérêts penchait de manière évidente en faveur de son exploitation, l'intérêt supérieur à la manifestation de la vérité l'emportant sur celui des agents à la protection de leurs données personnelles. Il s'imposait, en conséquence, de maintenir ce moyen de preuve au dossier.
D. a. À l'appui de son recours, B______ soutient que les conditions cumulatives prévues à l'art. 141 al. 2 CPP n'étaient pas réunies.
Aucun élément ne permettait de soupçonner, au moment du contrôle routier litigieux, la commission d'une infraction listée à l'art. 269 CPP. Les faits qui lui étaient reprochés ne présentaient pas davantage le degré de gravité exceptionnel requis pour justifier l'exploitation d'une preuve obtenue illicitement. L'intérêt public à la manifestation de la vérité ne pouvait prévaloir que dans des hypothèses particulièrement graves ou systémiques, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.
La captation vidéo, réalisée à son insu, constituait une atteinte illicite à sa personnalité (art. 30 al. 1 LPD) et portait atteinte à sa vie privée et professionnelle (art. 8 CEDH). Elle contrevenait également aux principes de transparence et de proportionnalité (art. 6 al. 3 et art. 4 al. 2 LPD), en se limitant à isoler un bref échange, décontextualisé, susceptible de donner une représentation inexacte des faits et de nuire à son image professionnelle.
Pour le surplus, le Ministère public avait outrepassé ses prérogatives en statuant de manière définitive sur l'exploitabilité du moyen de preuve litigieux, compétence réservée au juge du fond. En maintenant l'enregistrement vidéo au dossier, il lui était imposé de démontrer son caractère illicite, en violation du principe "in dubio pro duriore ".
b. Dans son recours, A______ relève que l'enregistrement vidéo litigieux avait été obtenu en violation de la LPD et était donc illicite.
Pour qu'une mesure de surveillance soit légitime, de graves soupçons devaient exister au moment de sa mise en œuvre. Or, rien au dossier ne permettait de retenir qu'au moment de la réalisation de l'enregistrement litigieux, il fût soupçonné d'avoir commis la moindre infraction. Il s'ensuivait que la première condition de l'exploitabilité de la preuve n'était pas remplie. De plus, les infractions qui lui étaient reprochées ne revêtaient pas le degré de gravité nécessaire pour justifier l'exploitation d'une preuve obtenue illicitement. S'agissant de l'infraction d'abus d'autorité, il lui était reproché d'avoir procédé à un contrôle de personnes sans motif et en dehors de ses prérogatives, allégation qu'il contestait, le contrôle ayant été effectué pour des raisons de sécurité. De surcroît, les plaignants ne prétendaient pas avoir subi de conséquences à la suite de ce contrôle, si bien que l'infraction ne pouvait être qualifiée de grave. Quant à l'infraction de menace, également contestée, elle ne satisfaisait pas davantage au critère de gravité, les plaignants se trouvant au demeurant à l'intérieur d'un véhicule fermé et n'en étant pas sortis.
Pour le surplus, le fait que l'enregistrement litigieux fût indispensable à l'établissement des faits ne constituait pas une condition d'exploitabilité de preuves illicites recueillies par un particulier. Par ailleurs, des témoins avaient déjà été entendus, permettant au Ministère public de produire d'autres éléments de preuve. La seconde condition, relative à la pesée des intérêts, n'était donc pas non plus remplie.
Il s'ensuivait que l'enregistrement litigieux devait être retiré du dossier, de même que toutes les autres pièces s'y référant. Subsidiairement, toute mention de cet enregistrement dans d'autres documents de la procédure devait être supprimée.
c. À réception des recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures ni débats.
EN DROIT :
1. Vu la connexité évidente des deux recours, ils seront joints et traités par un seul arrêt.
2. Les recours sont recevables pour avoir été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance portant sur l'exploitabilité d'un moyen de preuve sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des prévenus qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP;
ATF 143 IV 475 consid. 2.9; arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2021 du 26 novembre 2021 consid. 2.4.3).
3. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
4. Les recourants soutiennent que l'enregistrement vidéo litigieux est inexploitable et doit, par conséquent, être écarté du dossier.
4.1. Aux termes de l'art. 141 al. 2 CPP, les preuves qui ont été administrées d'une manière illicite par les autorités pénales ne sont pas utilisables, à moins qu'elles soient indispensables pour élucider des infractions graves. Plus l'infraction est grave, plus l'intérêt public à la découverte de la vérité l'emporte sur l'intérêt privé du prévenu à ce que la preuve soit écartée (ATF 147 IV 9 consid. 1.3.1 et les références citées).
4.2. La procédure pénale ne règle en revanche pas de manière explicite dans quelle mesure cette disposition s'applique quand les moyens de preuve sont récoltés, non pas par les autorités, mais par des personnes privées. Dans une telle situation, il n'existe donc pas d'interdiction de principe de les exploiter (arrêt du Tribunal fédéral 1B_91/2020 du 4 mars 2020 consid. 2.2).
De tels moyens de preuve sont uniquement exploitables si, cumulativement, ils auraient pu être obtenus par les autorités de poursuite pénale conformément à la loi et si une pesée des intérêts en présence justifie leur exploitation. Dans le cadre de cette pesée d'intérêts, il convient d'appliquer les mêmes critères que ceux prévalant en matière d'administration des preuves par les autorités. Les moyens de preuve ne sont ainsi exploitables que s'ils sont indispensables pour élucider des infractions graves (ATF 147 IV 16 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_862/2021 du 21 juin 2022 consid. 2.1). En tout état de cause, au stade de l'instruction, il convient de ne constater l'inexploitabilité de ce genre de moyen de preuve que dans des cas manifestes (arrêts du Tribunal fédéral 1B_91/2020 précité consid. 2.2; 1B_234/2018 du 27 juillet 2018 consid. 3.1).
Cet examen a lieu notamment lorsqu'une preuve a été recueillie en violation de l'art. 179quater CP qui proscrit la violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d'un appareil de prise du vues (arrêt du Tribunal fédéral 6B_53/2020 du 14 juillet 2020 consid. 1, concernant un policier filmé à son insu par l'un de ses collègues, alors qu'il molestait un prévenu).
4.3. La question de la légalité et de l'exploitabilité des moyens de preuve doit en principe être laissée à l'appréciation du juge du fond (art. 339 al. 2 let. d CPP), autorité dont il peut être attendu qu'elle soit en mesure de faire la distinction entre les moyens de preuve licites et ceux qui ne le seraient pas, puis de fonder son appréciation en conséquence (ATF 144 IV 127 consid. 1.3.1; 143 IV 387 consid. 4.4). Cette approche se justifie également au regard du principe "in dubio pro duriore", lequel interdit au ministère public, confronté à des preuves non claires, d'anticiper sur l'appréciation des preuves par le juge du fond (ATF 143 IV 241 consid. 2.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_127/2019 du 9 septembre 2019 consid. 4.1.2 non publié in
ATF 145 IV 462).
Cette règle comporte toutefois des exceptions. Tel est le cas lorsque la loi prévoit expressément la restitution immédiate, respectivement la destruction immédiate, des preuves illicites (cf. notamment l'ancien art. 248 dans sa teneur en vigueur au 31 décembre 2023 [RO 2010 1881], art. 271 al. 3, 277 et 289 al. 6 CPP). Il en va de même quand, en vertu de la loi ou de circonstances spécifiques liées au cas d'espèce, le caractère illicite des moyens de preuve s'impose d'emblée (ATF 143 IV 475 consid. 2.7; arrêt du Tribunal fédéral 1B_91/2020 du 4 mars 2020 consid. 2.2). Un intérêt juridiquement protégé particulièrement important est cependant nécessaire pour conduire à un constat immédiat de ce caractère inexploitable (ATF 144 IV 127 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_859/2023 du 17 juillet 2024 consid. 1.3.2).
4.4. Le ministère public peut utiliser des dispositifs techniques de surveillance aux fins de, notamment, observer ou enregistrer des actions se déroulant dans des lieux qui ne sont pas publics ou qui ne sont pas librement accessibles (art. 280 let. b CPP). L'utilisation de dispositifs techniques de surveillance est régie par les art. 269 à 279 CPP (art. 281 al. 4 CPP).
L'art. 269 al. 1 CPP permet au ministère public d'ordonner la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication. Les conditions pour que cette mesure soit ordonnée sont l'existence de graves soupçons laissant présumer que l'une des infractions visées à l'art. 269 al. 2 CPP – parmi lesquelles figurent les infractions de menace (art. 180 CP) et d'abus d'autorité (art. 312 CP) – a été commise (let. a), que la mesure se justifie au regard de la gravité de l'infraction (let. b) et que les mesures prises jusqu'alors dans le cadre de l'instruction sont restées sans succès ou les recherches n'auraient aucune chance d'aboutir ou seraient excessivement difficiles en l'absence de surveillance (let. c).
Le principe de subsidiarité ancré à l'art. 269 al. 1 let. c CPP n'est en revanche pas applicable en présence d'un enregistrement privé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_786/2015 du 8 février 2016 consid. 1.3.1; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 12a ad Intro. art. 139-141).
Il n'est pas nécessaire que les autorités pénales aient effectivement eu connaissance des faits fondant les graves soupçons propres à justifier une surveillance. Il est en revanche impératif que de tels soupçons aient existé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_53/2020 du 14 juillet 2020 consid. 1.3)
4.5. En l'espèce, la séquence vidéo litigieuse aurait été enregistrée à l'insu des recourants et donc sans leur accord. Elle constitue dès lors, a priori, un moyen de preuve illicite. Les recourants soutiennent que celui-ci est inexploitable et requièrent son retrait immédiat du dossier.
La Chambre de céans relève toutefois qu'il convient, au stade de l'instruction, de faire preuve d'une certaine retenue dans l'examen de l'admissibilité d'un moyen de preuve et de réserver cette question au juge du fond, lequel, s'il est saisi d'un acte d'accusation, pourra examiner la problématique à la lumière de l'ensemble des preuves disponibles (ATF 144 IV 127 consid. 1.3.1). Au stade de l'instruction, il convient donc de ne constater l'inexploitabilité de ce genre de moyen de preuve que dans des cas manifestes, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Les recourants soutiennent qu'au moment de l'enregistrement litigieux, ils ne faisaient l'objet d'aucun soupçon, de sorte qu'aucune mesure de surveillance n'aurait pu être ordonnée par le Ministère public. Force est cependant de constater que les recourants, agents de sécurité publique – dont la mission est d'assurer la surveillance et la protection de sites diplomatiques –, ont procédé, le soir des faits litigieux, au contrôle du véhicule occupé par les deux plaignants et trois autres passagers – dont certains mineurs –, bien qu'aucune infraction n'eût été constatée – ce qui n'est pas contesté – et que le véhicule ne se trouvât pas à proximité immédiate d'un site diplomatique, selon les dires même de l'un des recourants.
À l'appui de leurs allégués, les plaignants ont notamment expliqué avoir été surpris par ledit contrôle, n'en comprenant pas le motif et estimant avoir subi une injustice. Dans ce contexte, l'un des occupants du véhicule, G______, a exposé avoir enregistré le début du contrôle avec son téléphone portable en raison du caractère inhabituel de la situation. Quant à F______, auteur de l'enregistrement litigieux, il a expliqué avoir filmé l'intervention par crainte de ce qui pourrait se passer. Dans ces circonstances, il ne peut être exclu d'emblée que les recourants eussent, ce soir-là, excédé les prérogatives inhérentes à leur fonction et que, partant, des soupçons d'abus d'autorité – infraction figurant au catalogue de l'art. 269 al. 2 CPP –, eussent pu exister au moment de l'enregistrement, contrairement à ce qu'ils soutiennent. Il s'ensuit que le Ministère public aurait été en droit, à l'époque des faits litigieux, de mettre en place une mesure de surveillance à leur encontre.
Les recourants soutiennent encore que les infractions qui leur sont reprochées ne sauraient être qualifiées de graves. Cela étant, pour juger de la gravité au sens de l'art. 141 al. 2 CPP, il convient d'examiner les actes concrets imputés ainsi que l'ensemble des circonstances du cas d'espèce. La mise en balance des intérêts en présence relève en principe du juge du fond, sous réserve des situations où l'inexploitabilité apparaît de manière évidente et manifeste. Or, en l'absence d'instruction sur les infractions d'abus d'autorité et de menace potentiellement commises par des fonctionnaires de police – dont on peut attendre qu'ils fassent preuve de maîtrise et de retenue dans l'exercice de leur fonction –, et dirigées, de surcroît, contre de jeunes personnes, dont certains mineurs, il n'est pas clairement établi que le cas ne revêtirait pas la gravité exigée.
En définitive, le moyen de preuve ne peut être considéré comme inexploitable de manière évidente ou manifeste au vu des considérations qui précèdent, cette constatation relevant dès lors de la compétence du juge du fond et ne pouvant être prononcée au stade de l'instruction.
Par ailleurs, les recourants ne font valoir aucun intérêt juridiquement protégé particulier au constat immédiat du caractère inexploitable de l'enregistrement visé. Ils ne soutiennent au surplus pas que cet enregistrement constituerait l'unique moyen de preuve à leur charge – au contraire –, ni que la soumission de la question de sa légalité au juge du fond les priverait d'un procès équitable.
5. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.
6. Les recourants, qui succombent, supporteront, conjointement et solidairement, les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Joint les recours.
Les rejette.
Condamne B______ et A______, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 1'000.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, à B______ et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Valérie LAUBER, présidente; Mesdames Catherine GAVIN et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Valérie LAUBER |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/26923/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 20.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 905.00 |
Total | CHF | 1'000.00 |