Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/705/2025 du 01.09.2025 sur OMP/19377/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/18057/2025 ACPR/705/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du lundi 1er septembre 2025 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocate,
recourant,
contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 13 août 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 25 août 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 13 précédent, notifiée le jour même, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, principalement, à l'annulation de cette ordonnance et, subsidiairement, au renvoi de la cause au Ministère public.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. À teneur du rapport d'arrestation du 13 août 2025, A______ a été interpellé ce jour-là, à la rue Sismondi (Genève), alors qu'il venait de souiller la voie publique en crachant sur le sol. Lors de son contrôle, il s'est avéré qu'il se trouvait en situation irrégulière en Suisse, son titre de voyage français étant échu depuis le 8 janvier 2025. Il faisait par ailleurs l'objet d'une parution RIPOL pour une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève, valable pour une durée de 36 mois à compter du 17 octobre 2024, date de sa notification, ainsi que d'une expulsion judiciaire du territoire suisse, prononcée le 2 septembre 2024, pour une durée de trois ans. Lors de sa fouille, les policiers ont retrouvé sur lui une boulette de cocaïne d'un poids total brut de 0.5 gramme.
b. Entendu par la police le 13 août 2025, A______ a admis avoir craché au sol et s'être légitimé au moyen d'un document de voyage échu. Il était sorti de prison récemment et avait pris rendez-vous auprès des autorités françaises pour renouveler son titre de voyage. Au courant de la mesure d'interdiction cantonale dont il faisait l'objet, il était malgré tout venu à Genève, le jour même, en provenance de la France, afin de voir une copine. Il a admis avoir consommé de la cocaïne avant son contrôle par la police et acheté la boulette retrouvée en sa possession, à un "Africain", dans le quartier des Pâquis.
c. Lors de son audition par le Ministère public, le même jour, A______ a confirmé ses précédentes déclarations, tout en les modifiant légèrement. S'il était au courant de la mesure d'expulsion dont il faisait l'objet, il ne se rappelait pas de l'interdiction cantonale précitée, prenant toutefois note du fait que celle-ci lui avait bel et bien été notifiée. Il "reconnaissait les faits" et demandait pardon.
d. Par ordonnance pénale du 13 août 2025, le Ministère public a déclaré A______ coupable de rupture de ban (art. 291 al. 1 CP), de non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 al. 1 LEI) et d'infraction à l'art. 19a ch. 1 LStup, et l'a condamné à une peine privative de liberté de 180 jours, ainsi qu'à une amende de CHF 500.-, étant précisé qu'aucun frais en lien avec l'établissement de son profil d'ADN n'a, à cette occasion, été mis à sa charge.
e. A______ a formé opposition contre cette ordonnance pénale.
f. Par ordonnance du 19 août 2025, le Ministère public a maintenu son ordonnance pénale et transmis la cause au Tribunal de police.
g. S'agissant de sa situation personnelle, A______ indique être célibataire, sans enfant et travailler en France comme magasinier. Ses parents vivent en Guinée, respectivement aux États-Unis. Il n'a pas de famille en Suisse, mais sort avec une fille vivant à Genève.
À teneur de l'extrait de son casier judiciaire suisse, il a été condamné à huit reprises entre mars 2015 et janvier 2025, notamment pour des délits contre les stupéfiants (28 mars 2015, 2 janvier 2021, 13 avril 2022, 27 mai 2023,
2 septembre 2024 et 27 janvier 2025), séjour illégal (17 octobre 2015), entrée illégale (13 avril 2022) et non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (27 mai et 5 juillet 2023,
2 septembre 2024).
Il a par ailleurs été condamné, par arrêt de la Chambre pénale d'appel et de révision du 16 mai 2025, rendue dans le cadre de la procédure P/1______/2024, notamment pour délit contre la loi sur les stupéfiants. Cette condamnation ne figure pas encore à l'extrait de son casier judiciaire, dans sa teneur au 13 août 2025, le recours interjeté par l'intéressé contre cet arrêt ayant toutefois été rejeté par le Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 6B_574/2025 du 29 juillet 2025).
C. Le Ministère public motive l'ordonnance querellée par le fait que A______ avait déjà été soupçonné d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN (cf. liste des infractions mentionnées dans la Directive A.5, art. 4), soit des délits contre la loi sur les stupéfiants.
D. a. Dans son recours, A______ déplore que le Ministère public ait une nouvelle fois ordonné l'établissement de son profil d'ADN, en se référant à une Directive du Procureur général, sans en indiquer les motifs. De telles mesures étaient ordonnées de manière systématique, à chaque interpellation, sur la base de la directive précitée, sans tenir compte d'éventuels prélèvements passés. Quand bien même l'ordonnance pénale du 13 août 2025 était muette à cet égard, en violation de l'art. 353 al. 1 let. fbis CPP, l'établissement de son profil d'ADN avait déjà été ordonné, à maintes reprises, par le passé. Si les profils d'ADN étaient certes soumis à effacement après un certain délai, il ne se justifiait guère, sous l'angle du principe de la proportionnalité, d'ordonner derechef à son égard une telle mesure, dont les frais devraient être mis à sa charge et à celle du contribuable genevois. Son profil d'ADN pourrait de toute façon être conservé pendant 10 ans au minimum après l'entrée en force du jugement, étant précisé qu'un nouveau délai de dix ans pouvait être prononcé par l'autorité de jugement après l'expiration du délai d'effacement. Il ne se justifiait ainsi aucunement d'ordonner un nouvel établissement de son profil d'ADN, ce d'autant que celui-ci ne changeait pas "au cours de la vie d'un être humain". Une telle mesure était "arbitraire", "inutile" et portait atteinte à sa liberté personnelle et à son droit d'être protégé contre l'emploi abusif des données le concernant (art. 8 CEDH et 13 al. 2 Cst.).
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.
2.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).
L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).
2.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).
2.3. L'établissement d'un profil d'ADN, lorsqu'il ne sert pas à élucider une infraction pour laquelle une instruction pénale est en cours, est conforme au principe de la proportionnalité uniquement s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 précité consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
2.4. En l'espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné pour élucider, non pas les infractions en cours d'instruction, mais d'autres actes contraires à la LStup, dès lors qu'il avait déjà été soupçonné pour des faits similaires.
À cet égard, il existe des indices sérieux et concrets de la commission, par le recourant, de tels actes punissables.
Il a en effet été condamné à sept reprises, entre mars 2015 et mai 2025, pour des délits contre la loi fédérale sur les stupéfiants. Ces condamnations à la LStup vont de pair avec des reproches répétés de situation irrégulière en Suisse, étant précisé qu'il a été condamné à cinq reprises, entre octobre 2015 et septembre 2024, pour des infractions à la législation sur les étrangers, et à une reprise, le 2 septembre 2024, pour rupture de ban. Il est enfin poursuivi, dans le cadre de la présente procédure, pour des faits susceptibles d'être constitutifs, notamment, de rupture de ban et de non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée. À cela s'ajoute qu'il a été interpellé à la rue Sismondi, le 13 août 2025, soit dans un quartier connu pour le trafic de cocaïne de rue, en possession d'une boulette de cette drogue.
Ces éléments laissent craindre un ancrage dans la délinquance liée aux stupéfiants et permettent de penser que l'intéressé pourrait être impliqué dans d'autres infractions à la LStup encore inconnues des autorités, qui pourraient lui être attribuées si l'on était en mesure de comparer son profil d'ADN à des traces prélevées sur les lieux de leur commission.
Les infractions à la LStup susceptibles d'être élucidées revêtent également une certaine gravité eu égard à la santé publique. Il s'agit d'ailleurs d'un des cas expressément listés par la Directive A.5 du Procureur général (cf. n. 4.3) qui, bien que n'ayant pas force de loi, est fondée sur l'art. 255 al. 1bis CPP, lequel autorise l'établissement d'un profil d'ADN pour les infractions passées.
Le recourant soutient qu'ordonner un nouvel établissement de son profil d'ADN alors qu'un tel profil, immuable, avait déjà été établi plusieurs fois par le passé, serait arbitraire.
La Chambre de céans est toutefois d'avis [cf. notamment, ACPR/400/2025 du 23 mai 2025 consid. 2.3] que dans la mesure où les profils d'ADN sont soumis à effacement après un certain délai [cf. art. 16 de la Loi sur les profils d'ADN; RS 363], il existe un intérêt public prépondérant – quand bien même l'établissement du profil d'ADN aurait déjà été ordonné à une ou plusieurs reprises et son effacement n'interviendrait pas avant de nombreuses années –, à soumettre derechef le prévenu à cette mesure, pour autant que les conditions légales soient à nouveau réalisées, ce qui est le cas en l'espèce. Ce sont d'ailleurs les soupçons de la commission de nouvelles infractions – en l'occurrence un délit à la LStup – qui ont conduit le Ministère public à ordonner à nouveau l'établissement du profil d'ADN du recourant, afin d'en prolonger d'autant la date d'effacement dans les fichiers de la police. Dans la mesure où on se trouve dans une situation dans laquelle l'art. 255 al. 1bis CPP permet d'ordonner un tel établissement, la mesure est légale, et, partant, nullement arbitraire.
Le recourant invoque encore le droit à être protégé contre l'emploi abusif des données qui le concernent (art. 8 CEDH et art. 13 al. 2 Cst. féd.). Or, on ne voit pas en quoi le nouvel établissement de son profil d'ADN pourrait constituer une tel emploi abusif, puisqu'il a été ordonné sur la base – légale – de l'art. 255 al. 1bis CPP, dont les conditions sont remplies, comme cela a été retenu ci-dessus.
Ainsi, le fait, pour le Ministère public, d'avoir, dans de telles circonstances, ordonné une nouvelle fois l'établissement du profil d'ADN du recourant, afin d'en prolonger le délai de conservation, n'apparait nullement disproportionné, quand bien-même l'échéance dudit délai n'interviendra que dans dix ou vingt ans.
Le recourant invoque encore que les frais de ce nouvel établissement de son profil d'ADN seraient mis à sa charge et à celle du contribuable genevois. Il n'a toutefois pas été condamné à en supporter le coût, de tels frais n'ayant été mis à sa charge, ni dans le cadre de l'ordonnance querellée, ni dans l'ordonnance pénale prononcée le même jour. Que ce coût soit éventuellement mis à sa charge – ce qui n'est pas évident à ce stade, dès lors que cette question ne se posera qu'à l'issue de la procédure et à la condition que l'intéressé soit condamné – n'est donc pas pertinent. Pour le surplus, le recourant ne saurait se soustraire à la mesure au prétexte que les frais pourraient incomber au contribuable genevois.
S'agissant du grief à teneur duquel l'ordonnance pénale du 13 août 2025 violerait
l'art. 353 al. 1 let. fbis CPP, il est exorbitant au présent recours, qui porte uniquement sur l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN prononcée le 13 août 2025, et non sur l'ordonnance pénale rendue le même jour.
Il s'ensuit que l'ordonnance querellée ne prête pas le flanc à la critique, les réquisits pour le prononcé de l'établissement du profil d'ADN du recourant étant réunis.
3. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).
5. L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 500.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Valérie LAUBER, présidente; Madame Catherine GAVIN et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.
Le greffier : Sandro COLUNI |
| La présidente : Valérie LAUBER |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/18057/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 415.00 |
Total | CHF | 500.00 |