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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/85/2022

ACPR/414/2024 du 05.06.2024 ( PSPECI ) , REJETE

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;EXPULSION(DROIT PÉNAL);ASSISTANCE JUDICIAIRE;RESPECT DE LA VIE FAMILIALE;REPORT(DÉPLACEMENT)
Normes : CP.66a; CP.66a.al2; CPP.135.al1; RAJ.16.al2; CEDH.8

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/85/2022 ACPR/414/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 5 juin 2024

Entre

A______, représenté par Mes B______ et C______, avocats,

recourant,

 

contre la décision rendue le 25 novembre 2022 par l'Office cantonal de la population et des migrations,

(par suite de l'arrêt du Tribunal fédéral 7B_132/2023 du 12 mars 2024)

 

et

L'OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS, Service asile et départ, Secteur mesures, route de Chancy 88, case postale 2652, 1211 Genève 2,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 5 décembre 2022, A______ recourt contre la décision de l'Office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) du 25 novembre 2022 refusant d'entrer en matière sur sa demande de reconsidération de sa décision de non-report d'expulsion judiciaire du 5 février 2020.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, préalablement à l'octroi de l'effet suspensif; principalement au report de l'exécution de son expulsion; subsidiairement, au renvoi de la cause à l'OCPM pour qu'il procède aux actes d'instruction sollicités. En tout état, il sollicite le bénéfice de l'assistance judiciaire et la désignation de ses conseils comme avocats d'office.

b. Par arrêt du 15 décembre 2022, la Chambre de céans a déclaré le recours irrecevable (ACPR/875/2022).

c. Par arrêt du 12 mars 2024 (7B_132/2023), le Tribunal fédéral a annulé l'arrêt précité et renvoyé la cause à la Chambre de céans pour nouvelle décision. La décision de l'OCPM du 25 novembre 2022 constituait une nouvelle décision de non-report de l'exécution de l'expulsion.

d. Ensuite de cet arrêt, la Chambre de céans a recueilli les observations du Ministère public et de l'OCPM sur le recours.

e. Dans sa réplique du 13 mai 2024, A______ a conclu au prononcé de l'effet suspensif sollicité le 5 décembre 2022, à savoir la suspension de l'exécution de son expulsion pénale du territoire suisse jusqu'à droit jugé sur son recours.

f. Par ordonnance du 16 mai 2024 (OCPR/24/2024), la Direction de la procédure de la Chambre de céans y a fait droit.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par jugement du Tribunal correctionnel du 11 décembre 2018, définitif et exécutoire, A______, né le ______ 1976 et ressortissant tunisien, a été déclaré coupable d'abus de confiance, vol, escroquerie par métier, séquestration, lésions corporelles simples, mise en danger de la vie d'autrui, faux dans les titres, infractions aux art. 19 al. 1 let. d et 19a ch. 1 LStup, entrée et séjour illégaux et exercice d'activités lucratives sans autorisation. Il a été condamné à une peine privative de liberté de 36 mois, sous déduction de 590 jours de détention avant jugement, sans sursis à raison de 18 mois. Pour le surplus, il a été mis au bénéfice du sursis partiel pendant 5 ans. Il a également été condamné à une amende de CHF 300.-.

Son expulsion judiciaire du territoire suisse (art. 66a al. 1 CP) pour une durée de 5 ans a en outre été prononcée.

b. L'intéressé a par la suite été condamné en Suisse :

- le 5 juin 2019, par le Ministère public, à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 10.- le jour et à une amende de CH 300.- pour séjour illégal et contravention à la LStup;

- le 2 octobre 2019, par le Tribunal de police, à une peine privative de liberté de 10 mois pour vol et dommages à la propriété, commis à réitérées reprises, rupture de ban et délit à la loi contre la loi fédérale sur les armes;

- le 18 janvier 2021, par la Chambre pénale d'appel et de révision, à une peine privative de liberté d'ensemble de 23 mois (révocation de la libération conditionnelle accordée le 3 mars 2020 [solde de peine de 101 jours] et du sursis octroyé le 11 décembre 2018, compris) et à une peine pécuniaire de 10 jours-amende à CHF 10.- le jour pour rupture de ban, vol, tentative de vol, dommages à la propriété et empêchement d'accomplir un acte officiel. Son expulsion de Suisse pour une durée de 3 ans (art. 66abis CP) a également été prononcée;

- le 6 septembre 2021, par le Ministère public, à une peine privative de liberté de 30 jours pour violence ou menace contre les autorités ou les fonctionnaires.

c. Par décision du 5 février 2020, l'OCPM a refusé le report de l'expulsion judiciaire du territoire suisse prononcée le 11 décembre 2018, considérant qu'il n'existait aucun obstacle à son exécution.

d. Le recours interjeté contre cette décision par A______ a été rejeté par arrêt de la Chambre de céans du 10 mars 2021 (ACPR/159/2021), confirmé par le Tribunal fédéral le 1er septembre 2021 (arrêt 6B_422/2021).

L'intéressé, qui résidait en Suisse depuis 2005, avait invoqué, entre autres, que malgré sa séparation d'avec la mère de ses trois enfants [D______, née le ______ 2005; E______, née le ______ 2007; et F______, né le ______ 2009], qui avait la garde de ces derniers, il n'avait jamais cessé d'essayer de les voir et tentait, auprès des instances civiles, d'obtenir le droit d'entretenir des relations personnelles avec eux.

La Chambre de céans a notamment statué que les relations entre le recourant et ses enfants, qui avaient été examinées par l'autorité de jugement, n'avaient pas été considérées comme suffisamment étroites pour faire obstacle à son renvoi de Suisse (consid. 3.3.).

Le Tribunal fédéral a quant à lui considéré que l'autorisation donnée au recourant en décembre 2020 de reprendre des contacts téléphoniques avec deux de ses enfants – le troisième ayant refusé – ne constituait pas un bouleversement si profond de sa situation personnelle et familiale qu'il aurait imposé de renoncer à procéder à son expulsion ou même qu'il aurait rendu absolument nécessaire de procéder à une instruction plus approfondie des relations de l'intéressé avec ses enfants (consid. 5.2).

e. Dans son arrêt du 18 janvier 2021, la Chambre pénale d'appel et de révision a statué qu'il existait à l'évidence un intérêt public important à l'expulsion de l'intéressé. Celui-ci avait déjà été condamné à quatre reprises dont trois récemment, notamment pour des infractions graves en 2018, et, dans ce contexte, à deux reprises à des peines privatives de liberté d'une durée conséquente. Entre 2017 et 2020, il avait passé le plus clair de son temps en détention. Cela ne l'avait pas empêché de récidiver à bref délai, voire immédiatement, après chaque sortie de détention. Le prononcé d'une expulsion serait dès lors, par sa nature, propre à l'empêcher de commettre de nouvelles infractions en Suisse. L'intérêt de l'intéressé à ne pas être expulsé était quant à lui très relatif. S'il avait certes passé plusieurs années en Suisse, il n'y bénéficiait plus d'un titre de séjour depuis près de dix ans. Il était arrivé en Suisse alors qu'il avait 29 ans et avait effectué toute sa scolarité en Tunisie. Jusqu'à sa séparation en 2015, il avait séjourné tant en Suisse qu'en France voisine. De son propre aveu, il voulait désormais vivre auprès de sa compagne en France où se trouvait également son enfant né en février 2020. Il ressortait du dossier que les relations avec ses trois enfants qui vivaient à Genève avec leur mère étaient difficiles et qu'en dehors de quelques visites qui avaient pu intervenir à la prison de G______ à une certaine période, depuis début 2016, seuls des contacts en points de rencontre étaient intervenus sous l'égide du Service de protection des mineurs (ci-après : SPMi). Actuellement, ces contacts étaient limités à des conversations téléphoniques. Une expulsion ne mettrait ainsi pas en danger une relation intense avec ses enfants, les moyens de communication modernes permettant le même genre de contact que ceux existant actuellement. L'intéressé n'avait, de surcroît, que très peu contribué à leur entretien, se contentant de verser CHF 100.- lorsqu'il travaillait (consid. 4.2.).

f. Le 28 mai 2022, A______ a été placé en détention administrative en vue de l'exécution de son expulsion pénale.

g. Par pli du 31 mai 2022 adressé à l'OCPM, il a sollicité le report de son expulsion, sa situation personnelle et familiale s'étant significativement modifiée depuis le précédent examen du report de l'expulsion. Il produisait des pièces à l'appui.

Il avait déposé une demande en divorce le 19 mai 2021, portant notamment sur la garde et le droit de visite sur ses enfants. Le 27 août 2021, le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après : TPAE) avait élargi son droit de visite et les visites de ses enfants avaient débuté. Les rapports de ces derniers avec leur mère et son compagnon étaient difficiles. Celle-ci avait déménagé en France. F______ avait été placé au foyer de H______ depuis le 8 février 2022. D______ avait pour sa part été hospitalisée plusieurs fois en raison d'un état dépressif important et avait tenté deux fois de se suicider en 2021 et 2022. Elle avait quitté le domicile de sa mère pour vivre à Genève à tout le moins depuis fin 2021. E______ faisait quant à elle des fugues régulières et avait des problèmes de santé. La situation de ses enfants nécessitait ainsi sa présence en Suisse. Ses liens avec eux s'étaient renforcés en 2022 et il contribuait à hauteur de ses moyens à les aider financièrement.

h. Il a réitéré sa demande le 22 novembre 2022.

C. Dans sa décision querellée, l'OCPM a refusé de reconsidérer sa décision de non-report d'expulsion judiciaire du 5 février 2020, faute de circonstance nouvelle. Il a considéré, entre autres, que la situation personnelle de l'intéressé, et plus particulièrement ses liens avec ses enfants, avait déjà été prise en considération et écartée dans sa décision du 5 février 2020, confirmée par la Chambre de céans et le Tribunal fédéral.

D. À l'appui de son recours du 5 décembre 2022, A______ invoque des bouleversements majeurs dans sa situation familiale et personnelle depuis le précédent examen de l'expulsion jusqu'à sa mise en détention administrative. Il reprend en substance les allégués de son courrier du 31 mai 2022. Il rappelle qu'il avait pu revoir ses deux filles en détention à fin mars 2022. Aux cours des derniers mois, il avait produit plusieurs pièces à l'OCPM démontrant l'évolution de ses relations avec ses enfants. Ainsi, les visites de D______ et E______ étaient désormais quasi-hebdomadaires. Les visites de F______ avaient également débuté, nonobstant son placement à H______. Sa contribution financière en faveur de ses trois enfants était régulière et oscillait entre CHF 150.- et 700.- par mois par enfant. Ce nonobstant, la situation des enfants était alarmante, D______ ayant été placée en foyer depuis le 11 septembre 2022 et la garde de la mère sur celle-ci et F______ ayant été retirée. Cela rendait d'autant plus indispensable sa présence à leurs côtés.

Or, l'OCPM n'avait aucunement examiné ses griefs, se référant à sa précédente décision du 5 février 2020, devenue obsolète, presque trois ans s'étant désormais écoulés depuis lors, sans actualisation de sa situation, ce qui violait son droit d'être entendu. Sa situation personnelle et familiale s'était si profondément modifiée que l'exécution de son expulsion devait être reportée, sauf à violer l'art. 8 CEDH. À tout le moins, une instruction devait être menée pour déterminer si la mise en œuvre de son expulsion était conforme à ce droit fondamental.

Il estimait enfin que les dernières condamnations dont il avait fait l'objet, contre le patrimoine, étaient relativement mineures.

E. Par jugement du 26 janvier 2023, le Tribunal administratif de première instance a annulé l'ordre de mise en détention administrative du 28 mai 2022 et ordonné la libération immédiate de A______, moyennant l'obligation pour ce dernier de se présenter auprès d'un poste de police deux fois par semaine et une assignation à résidence.

F. a. Dans ses observations du 26 avril 2024 sur le recours, le Ministère public conclut au renvoi de la cause à l'OCPM pour établissement des faits et nouvelle décision, subsidiairement, au rejet du recours sous suite de frais. Il relève que la situation décrite par A______ dans son recours avait vraisemblablement changé depuis le dépôt de celui-ci, 16 mois s'étant écoulés depuis lors, ne serait-ce que parce qu'il n'était plus détenu depuis le 26 janvier 2023. On ignorait ainsi où il séjournait et au bénéfice de quel titre de séjour, s'il exerçait une activité lucrative ou bénéficiait de quelconques ressources financières, si et dans quelle mesure il contribuait à l'entretien de ses enfants, si une décision avait été rendue par les autorités civiles sur les questions de l'autorité parentale, de la garde et du droit de visite sur les enfants, où ceux-ci séjournaient et dans quelle mesure les relations avec ceux-ci avaient évolué. Subsidiairement, si la Chambre de céans devait statuer sur le dossier en l'état, l'intérêt public à l'expulsion devait primer l'intérêt privé du recourant à entretenir des relations avec ses enfants, vu ses antécédents judiciaires et dès lors qu'il représentait une menace pour la sécurité d'autrui et l'ordre public.

b. L'OCPM, dans ses observations du 30 avril 2024, conclut au rejet du recours. Celui-ci portant sur une décision du 25 novembre 2022, c'était la situation factuelle qui prévalait à cette date qui devait être prise en compte, tout changement de circonstance postérieur devant faire l'objet d'une requête en reconsidération subséquente. Or, la Chambre pénale d'appel et de révision, dans son arrêt du 18 janvier 2021, avait expressément relevé que l'intéressé voulait désormais vivre auprès de sa compagne en France où se trouvait son enfant né en février 2020, que ses relations avec ses enfants étaient essentiellement limitées à des conversations téléphoniques et qu'il n'avait que très peu contribué à leur entretien. À cela s'ajoutait que le Tribunal correctionnel, dans son jugement du 11 décembre 2018, avait déjà retenu que si les visites à la prison de G______ se passaient bien, on ne saurait dire que l'intéressé entretenait des relations étroites avec eux. Au 25 novembre 2022, A______ était privé de liberté depuis plus de 2 ans, ne partageait toujours pas la vie et le domicile de ses enfants, n'en avait pas la garde et entretenait des contacts très limités avec eux. Les conditions posées pour bénéficier de la protection conférée par l'art. 8 CEDH n'étaient manifestement pas satisfaites. Partant, le changement de circonstances invoqué n'était pas suffisant pour reconsidérer la décision du 5 février 2020.

c. Dans sa réplique, le recourant a fait valoir que depuis sa mise en liberté, le 26 janvier 2023, il avait respecté scrupuleusement les obligations mises à sa charge par le jugement. Son droit de visite relatif à F______ avait été étendu par le SPMi et le TPAE, l'adolescent étant désormais autorisé à le voir sans limitation. Concrètement, il accueillait son fils régulièrement en semaine et tous les week-ends depuis le 20 mars 2024. Le TPAE avait également formalisé la proposition du SPMi d'autoriser E______ à passer toutes les nuits des veilles de jour d'école – soit au moins quatre nuits par semaine – chez lui, ainsi qu'un week-end sur deux. En l'état, une garde alternée sur sa fille avait été avalisée par le TPAE, dans l'attente d'une décision au fond. D______ le voyait quant à elle régulièrement. Depuis le dépôt de son recours, sa situation ne faisait que s'améliorer. Il vivait actuellement à l'avenue 1______ no. ______ à I______ [GE] et était dans l'attente de l'attribution d'un appartement par l'Hospice général. Il était en couple avec J______, dont il fournissait les coordonnées téléphoniques. Il a ajouté avoir déposé une nouvelle demande de divorce, la précédente ayant été rejetée pour des questions de compétence territoriale, dans laquelle il concluait à l'attribution exclusive de la garde de E______, qui continuait d'avoir une relation très conflictuelle avec sa mère. Il souhaitait pouvoir reprendre une activité professionnelle. L'exécution de son expulsion reviendrait à rompre brutalement ses liens actuels avec ses trois enfants, dont deux étaient encore mineurs, étant relevé qu'on ne pouvait exiger d'eux qu'ils s'installent en Tunisie, dans un pays où ils n'avaient jamais vécu. La nécessité de sa présence à leur côté était attestée par les décisions judiciaires rendues et soutenue par le SPMi. La décision querellée violait ainsi gravement les art. 8 CEDH et 66d CP. Subsidiairement, il concluait au renvoi de la cause à l'OCPM pour un nouvel examen des faits. Il ajoutait enfin que sa condamnation du 11 décembre 2018 datait de six ans et que ses condamnations subséquentes, entre 2019 et 2021, étaient d'une gravité relative, étant précisé qu'à sa sortie de détention en pleine pandémie de Covid-19, il s'était retrouvé dans une précarité extrême.

d. Il a produit encore, le 15 mai 2024, une attestation établie le 7 mai 2024 par l'OCPM à teneur de laquelle il était titulaire d'un permis B. D______ était majeure. E______ résidait chez lui, qui en avait la garde alternée, selon une décision du TPAE du 20 mars 2024. F______ était toujours placé au foyer de H______; il le recevait cependant en visite tous les week-ends du vendredi soir au dimanche soir. Enfin, il respectait son droit de visite et entretenait avec ses trois enfants, y compris sa fille majeure, des contacts très réguliers.

e. Aucune autre partie n'ayant dupliqué, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             1.1. La compétence de la Chambre de céans pour statuer sur le recours interjeté découle désormais de l'arrêt de renvoi du Tribunal fédéral du 12 mars 2024.

1.2. Le recours est au surplus recevable pour avoir été déposé dans la forme et le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al 1 CPP) et émaner du condamné visé par la décision querellée, qui a un intérêt juridiquement protégé à son annulation (art. 382 al. 1 CPP).

1.3. Partant, il est recevable.

1.4. La procédure devant la Chambre de céans est régie par le CPP, applicable au titre de droit cantonal supplétif (art. 42 al. 2 LaCP).

2. Le recourant invoque une violation de son droit d'être entendu.

2.1. La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 141 III 28 consid. 3.2.4). L'autorité doit ainsi mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels elle a fondé son prononcé. Elle n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 143 III 65 consid. 5.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_5/2022 du 8 juin 2022 consid. 2.1.1).

Une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel également prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à prendre (ATF 138 V 125 consid. 2.1 p. 127).

2.2. Le droit d'être entendu est un grief d'ordre formel, dont la violation entraîne l'annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès de recours sur le fond. Une violation du droit d'être entendu peut toutefois être considérée comme réparée lorsque l'intéressé jouit de la possibilité de s'exprimer librement devant une autorité de recours disposant du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure et pouvant ainsi contrôler librement l'état de fait et les considérations juridiques de la décision attaquée (ATF 137 I 195 consid. 2.2 et 2.3.2), ce qui est le cas pour l'autorité de recours (art. 391 al. 1 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_574/2020 du 3 décembre 2020 consid. 4.1). Une telle réparation dépend de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 135 I 276 consid. 2.6.1).

2.3. Si une garantie procédurale n'a pas été respectée, il convient, autant que possible, de remettre la personne lésée dans la situation qui aurait été la sienne si l'exigence en cause n'avait pas été méconnue ; en matière de violation du droit d'être entendu, la réparation consiste à renvoyer le dossier à l'autorité intimée pour qu'elle rende une nouvelle décision (ACPR/658/2023 du 21 août 2023 consid. 2.2).

2.4. L'art. 66a CP stipule que le juge expulse de Suisse l’étranger qui est condamné quelle que soit la quotité de la peine prononcée à son encontre, pour une durée de cinq à quinze ans pour les infractions qu'il liste soit notamment pour vol qualifié (art. 139 ch. 1 et 2 CP), brigandage (art. 140 ch. 1 al. 1 et 2 CP).

À teneur de l'art. 66a al. 2 CP, le juge peut exceptionnellement renoncer à une expulsion lorsque celle-ci mettrait l’étranger dans une situation personnelle grave et que les intérêts publics à l’expulsion ne l’emportent pas sur l’intérêt privé de l’étranger à demeurer en Suisse.

La loi ne définissant pas ce qui constitue une "situation personnelle grave", il convient de se référer aux critères qui président à l'octroi d'une autorisation de séjour dans les cas d'extrême gravité (cf. art. 31 OASA; ATF 144 IV 332 consid. 3.3.1). Le juge pénal doit ainsi notamment prendre en compte l'intégration de l'intéressé, le respect qu'il a manifesté de l'ordre juridique suisse, sa situation familiale, singulièrement la période de scolarisation et la durée de la scolarité des enfants, sa situation financière ainsi que sa volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation, la durée de sa présence en Suisse, son état de santé ainsi que ses possibilités de réintégration dans l'État de provenance. À cette liste non exhaustive s'ajoutent, dans l'optique pénale, les perspectives de réinsertion sociale du condamné (cf. ATF 144 IV 332 consid. 3.3.3.). Par ailleurs, une situation personnelle grave, ou une violation de l'art. 8 CEDH, peut aussi résulter d'une expulsion ordonnée malgré un état de santé déficient, en fonction des prestations médicales à disposition dans l'État d'origine et des conséquences négatives que cela peut engendrer pour la personne concernée (ATF 145 IV 455 consid. 9.1). En règle générale, il convient d'admettre l'existence d'un cas de rigueur au sens de l'art. 66a al. 2 CP lorsque l'expulsion constituerait, pour l'intéressé, une ingérence d'une certaine importance dans son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par la Constitution fédérale (art. 13 Cst.) et par le droit international, en particulier l'art. 8 CEDH (arrêts du Tribunal fédéral 6B_818/2020 du 19 janvier 2021 consid. 6.1; 6B_397/2020 du 24 juillet 2020 consid. 6.1; 6B_344/2020 du 9 juillet 2020 consid. 3.1).

Il en résulte ainsi que toutes les questions relatives à l'existence d'une situation personnelle grave, à une violation des garanties offertes par l'art. 8 CEDH, à une ingérence d'une certaine importance dans le droit du condamné au respect de sa vie privée et familiale garanti par la Constitution fédérale (art. 13 Cst.) et par le droit international, à une violation des garanties du droit international, notamment le principe de non-refoulement, ou encore au problème de la conformité de l'expulsion avec les obligations découlant de l'Accord sur la libre circulation des personnes ne peuvent en principe plus être soulevées dans le cadre d'une demande de report de l'expulsion au sens de l'art. 66d CP.

La personne dont la décision d'expulsion est entrée en force n'a, dans cette mesure, pas d'intérêt à recourir contre une simple décision de mise en œuvre de son expulsion (ATF 147 IV 453 consid. 1.4.6).

L'appréciation d'un cas de rigueur supposant la prise en considération de nombreux facteurs susceptibles de se modifier plus ou moins rapidement (ex : l'état de santé, les relations personnelles ou la situation politique dans l'État de destination), tout intérêt juridique à contester le refus de son report n'est cependant pas exclu a priori. Il incombe au recourant, pour justifier son intérêt juridique au recours, de rendre vraisemblable au moins prima facie que les circonstances déterminantes se sont modifiées si profondément depuis le prononcé du jugement qu'il s'imposerait exceptionnellement de reconnaître l'existence de considérations humanitaires impérieuses exigeant désormais de renoncer à exécuter l'expulsion (ATF 147 IV 453 consid. 1.4.8).

2.5. En l'espèce, le recourant invoque des bouleversements majeurs et significatifs en lien avec sa situation familiale depuis le précédent examen de l'OCPM ayant donné lieu à la décision de non-report d'expulsion du 5 février 2020, qu'il a dûment documentés dans sa demande de report d'expulsion du 31 mai 2022.

Or, dans sa décision querellée, qui constitue une (nouvelle) décision de non-report de l'exécution de l'expulsion, l'OCPM a simplement considéré que la situation personnelle de l'intéressé, et plus particulièrement ses liens avec ses enfants, avait déjà été prise en considération et écartée dans sa décision du 5 février 2020, confirmée par la Chambre de céans et le Tribunal fédéral. Cette autorité n'a aucunement procédé à une réévaluation de la situation familiale du recourant à la lumière des nouveaux faits exposés, ne les mentionnant du reste même pas. Ce faisant, elle a contrevenu à son obligation de motivation garantie par l'art. 29 Cst., laquelle n'a pas été réparée par-devant la Chambre de céans. En effet, dans ses observations sur le recours, l'OCPM se réfère à nouveau à une situation factuelle antérieure, soit celle appréhendée dans l'arrêt du 18 janvier 2021 de la Chambre pénale d'appel et de révision, laquelle est devenue obsolète, compte tenu des développements survenus subséquemment dans la vie du recourant.

Partant, la Chambre de céans n'est pas en mesure d'exercer son contrôle, ce d'autant que la situation personnelle de l'intéressé n'a cessé d'évoluer depuis le dépôt de son recours – le 5 décembre 2022 – avec sa libération intervenue le 26 janvier 2023, l'octroi de la garde partagée sur sa fille E______ et l'extension de son droit de visite sur son fils F______. Le Ministère public n'en disconvient du reste pas.

Conformément au principe du double degré de juridiction, la décision querellée sera annulée et la cause renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle examine et motive sa position à l'aune de la situation personnelle et familiale actualisée du recourant, le cas échéant après avoir procédé aux actes d'instruction utiles, et rende une nouvelle décision.

3. Le recours sera donc admis.

4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5. Le recourant sollicite l'assistance judiciaire pour le recours.

5.1. Conformément à l'art. 29 al. 3 Cst., toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit à l'assistance judiciaire gratuite, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès; elle a droit en outre à l'assistance judiciaire gratuite d'un défenseur, dans la mesure où la sauvegarde de ses droits le requiert (arrêt du Tribunal fédéral 1B_74/2013 du 9 avril 2013 consid. 2.1 avec référence aux ATF 128 I 225 consid. 2.5.2 p. 232 s. = JdT 2006 IV 47; 120 Ia 43 consid. 2a p. 44).

5.2. En l'espèce, il peut être supposé que le recourant est indigent, celui-ci bénéficiant de l'aide de l'Hospice général. On peut en outre admettre que la cause présentait une certaine complexité pour un profane.

Dans ces circonstances, la désignation d'un défenseur d'office devant l'instance de recours apparaît nécessaire. Le recourant, qui procède par deux conseils dont il précise qu'ils interviennent conjointement dans la mesure où ils travaillent dans la même étude, ne sollicite finalement la désignation que d'un seul des deux, indifféremment. Partant, il sera pourvu de Me B______ (art. 133 al. 1 et 2 CPP).

5.3. L'art. 135 al. 1 CPP prévoit que le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération et du canton for du procès. À Genève, le tarif des avocats est édicté à l'art. 16 RAJ et s'élève à CHF 200.- de l'heure pour un chef d'étude et à CHF 150.- de l'heure pour un collaborateur. Seules les heures nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, l'importance et les difficultés de la cause, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).

5.4. En l'occurrence, le recourant chiffre et détaille l'activité de ses conseils pour la procédure par-devant la Chambre de céans, note d'honoraires du 13 mai 2024 à l'appui, à CHF 7'957.-, TVA comprise, majorés du forfait de 20% pour les courriers et téléphones, correspondant à 3h30 au tarif de CHF 200.- et à 21h00 au tarif de CHF 150.- pour la rédaction du recours, 5h30 au tarif de CHF 150.- pour l'étude du dossier en 2024 et 18h00 au tarif de CHF 150.- pour la réplique.

Nonobstant l'ampleur des écritures (de 33 pages pour le recours et 28 pour la réplique), celles-ci sont essentiellement factuelles. La difficulté de la cause sous l'angle juridique est en outre relative. L'activité rédactionnelle sera ainsi réduite de moitié et donc ramenée à 1h45 à CHF 200.- l'heure et à 10h30 à CHF 150.- l'heure pour le recours ainsi qu'à 9h00 pour la réplique. Le nombre d'heures consacré à l'étude du dossier sera quant à lui réduit à 4h00, ce qui paraît amplement suffisant au vu du litige.

Les prestations fournies jusqu'au 31 décembre 2023 sont soumises au taux de TVA de 7.7%, tandis que celles fournies à compter du 1er janvier 2024 seront soumises au nouveau taux de 8.1%.

L'indemnité totale allouée sera ainsi fixée à CHF 4'181.20 TTC (CHF 1'925.- plus TVA à 7.7% + CHF 1'350.- plus TVA à 8.1% + CHF 600.- plus TVA à 8.1%), étant précisé que le forfait de 20% pour les courriers et téléphone ne se justifie pas en instance de recours (ACPR/762/2018 du 14 décembre 2018).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours, annule la décision rendue le 25 novembre 2022 par l'Office cantonal de la population et des migrations et renvoie la cause à cette autorité pour nouvelle décision au sens des considérants.

Laisse les frais de l'instance de recours à la charge de l'État,

Met A______ au bénéfice de la défense d'office pour la procédure de recours et désigne Me B______ à ce titre.

Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 4'181.20 TTC.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui ses conseils, à l'OCPM et au Ministère public.

Le communique pour information à la police (Brigade migration et retour).

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).